Cour d'appel, 8 juin 2010, V.-B. c/ F.-R.

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Abstract🔗

Pension alimentaire

Allocation au cours de l'instance en divorce pendant laquelle subsiste le devoir de secours entre époux - Besoins de l'épouse créancière : s'entendent de ceux nécessités par la vie courante en tenant compte dans une certaine mesure du train de vie des époux

Résumé🔗

Pendant la procédure de divorce le devoir de secours subsiste entre les époux ;

Appréciation de la demande d'aliments prévue par l'article 202-1 du Code civil doit tenir compte des besoins du créancier et des facultés contributives du débiteurs ;

Ces « besoins » s'entendent de ceux nécessités par la vie courante en tenant compte, dans une certaine mesure, du train de vie des époux ;

Cependant les « besoins » de l'épouse ne sauraient être définis et déterminés comme résultant nécessairement et automatiquement de la situation de fortune et des revenus du mari même si, pendant la vie commune, celui-ci a consenti, comme en l'espèce, à lui remettre des sommes très importantes pour assumer des dépenses strictement personnelles ;

Le mari ne peut être contraint de poursuivre de la sorte au détriment de son patrimoine acquis pour l'essentiel par voie successorale et qu'il fait fructifier par son travail et son industrie ;

I.F-R. peut notamment réduire son train de maison qui comprenait cinq domestiques (dont une employée affectée exclusivement à L.) dans la mesure où son mari ne partage plus la vie commune et n'habite plus avec elle ;

Elle ne s'acquitte pas du loyer d'un montant pourtant élevé, de l'appartement qu'elle occupe ;

Ses dépenses peuvent être réduites sans que son train vie s'en trouve affecté ;

Par exemple elle peut veiller à ce que les cartes de crédit dont disposent ses employés de maison soient utilisées avec discernement alors qu'il est établi que pour le seul mois de mars 2008, elles ont été débitées de 48.000 € ;

Le montant de la pension qui lui est versée doit donc être ramenée à 30.000 € par mois, somme qui apparaît comme suffisante pour répondre à ses besoins analysés au regard des critères ci-dessus et en considération des revenus des époux ;


Motifs🔗

(en matière civile)

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La cause ayant été débattue hors la présence du public ;

La Cour statue sur l'appel relevé par G. V. B., à l'encontre d'une ordonnance rendue le 17 décembre 2009.

Considérant les faits suivants :

G. V. B. a relevé appel de l'ordonnance rendue le 17 décembre 2008 par le magistrat conciliateur du Tribunal de première instance qui a autorisé son épouse I. F.-R. à le citer en divorce et a statué sur les mesures provisoires après avoir prononcé la nullité de certaines des attestations qu'il produisait.

Il demande la réformation partielle de cette décision en critiquant les dispositions prises par le premier juge et en faisant valoir des moyens et arguments qui seront ci-après analysés en même temps que ceux développés par I. F.-R. qui forme incidemment appel partiel et demande en premier lieu que les attestations constituant les pièces n° 31, 65 et 66 produites par son mari soient écartées des débats.

SUR CE,

1 – Sur la demande de l'intimée tendant à faire écarter des débats les attestations produites par E. C., A. B. et Monsieur R.

Attendu qu'I. F.-R. soutient que les deux premières doivent être rejetées au motif que leurs auteurs ont précédemment attesté en sa faveur et que leur opinion s'est ensuite modifiée notamment après qu'elle ait notifiée son licenciement à E. C. ;

Mais attendu que ces attestations ne sont entachées d'aucune irrégularité formelle de nature à entraîner leur nullité et donc leur rejet ;

Que leur valeur probante sera éventuellement appréciée si elles apparaissent nécessaires à la solution du litige ;

Attendu que l'attestation établie par Monsieur R. est également régulière en la forme et ne fait pas l'objet de critique motivée ;

Qu'elle ne peut donc être écartée ;

2 – Sur les mesures provisoires

2 – 1 Sur l'attribution de la jouissance du domicile conjugal

Attendu que le premier juge a attribué à l'épouse la jouissance du domicile conjugal situé dans l'appartement duplex des 5e et 6e étage de l'immeuble T. 43, avenue de … à Monaco en précisant qu'elle devrait s'acquitter personnellement des charges y compris des frais de syndic relatifs à cet appartement ;

Attendu que cette attribution n'est pas contestée en cause d'appel sauf en ce qui concerne les frais et charges qu'I. F.-R. souhaite voir supportés par son mari ;

Mais attendu que l'épouse ne s'acquitte d'aucun loyer pour cet appartement spacieux (350 m2) dont la valeur locative est de l'ordre de 440 000 euros par an et dont le bail a été établi depuis 1986 au nom de son mari qui a l'obligation d'en régler le loyer, ce qu'il a accepté de faire devant le magistrat conciliateur ;

Attendu que c'est à bon droit que le premier juge a laissé à la charge de l'épouse les frais inhérents au fonctionnement de la copropriété et à l'entretien de cet appartement, I. F.-R. ne développant d'ailleurs pas dans ses conclusions d'argument particulier pour obtenir la réformation de cette disposition de l'ordonnance entreprise ;

2 – 2 Sur la résidence habituelle de l'enfant et le droit de visite et d'hébergement du père

Attendu que les parties s'accordent pour que la résidence habituelle de l'enfant commun L. née le 21 mars 1997, soit fixée chez la mère au domicile conjugal ainsi que l'a décidé le premier juge qui a accordé au père un droit de visite et d'hébergement qui, sauf meilleur accord, s'exercera hors vacances scolaires une semaine sur deux du vendredi 18 heures au dimanche 18 heures et pendant la moitié des vacances scolaires ;

Attendu que l'appelant demande que ce droit soit élargi pour ce qui concerne les périodes scolaires et soit porté à 9 jours : du premier vendredi de chaque mois à 18 heures au dimanche de la semaine suivante à 18 heures ;

Qu'il fait valoir à cet effet le rôle primordial qu'il a joué dans l'éducation de l'enfant et l'attachement affectif qui les lie réciproquement ;

Qu'il souligne que disposant de deux appartements dans le même immeuble, l'exercice de ce droit de visite ainsi élargi en sera facilité ;

Attendu que la mère s'y oppose en considérant que l'organisation du droit de visite et d'hébergement du père par l'ordonnance critiquée est satisfaisante notamment en raison de l'aménagement et de l'affectation des appartements du 3e et 4e étage qui constituent en réalité des dépendances de l'appartement duplex principal ;

Attendu que le premier juge a exactement relevé que les contraintes professionnelles de G. V. le conduisent à s'absenter très régulièrement pour se rendre à l'étranger ce qui ne permet pas d'envisager un droit d'hébergement d'une semaine par mois en dehors des périodes de vacances scolaires ;

Qu'il appartiendra aux parties de s'accorder pour que, chaque fois que cela sera possible, le père puisse héberger sa fille dans ses appartements situés un étage au-dessous de celui qu'occupe la mère, mais qu'à défaut d'accord les dispositions de l'ordonnance entreprise doivent être maintenues sans que cela ne mette en cause l'attachement de G. V. pour sa fille ni ses qualités de père ;

2 – 3 Sur la pension alimentaire au profit de l'épouse et la contribution du père à l'entretien de l'enfant :

Attendu que le premier juge a fixé à 100 000 euros par mois le montant de la pension due à l'épouse et à 4 000 euros la part contributive du père à l'entretien de l'enfant L., celui-ci prenant en outre en charge les frais scolaires, extra scolaires, de santé, d'activités sportives et de vacances de cette jeune-fille sur présentation de justificatifs ;

Attendu que l'appelant demande que la pension au profit de son épouse soit réduite à 16 000 euros par mois étant précisé qu'il poursuivra le règlement du loyer de l'appartement constituant le domicile conjugal attribué à sa femme ;

Qu'il conclut à la confirmation du montant de sa contribution à l'entretien de L. ;

Attendu qu'à cet effet il fait valoir :

– que sa situation de fortune provient essentiellement de successions,

– que ses revenus ainsi que la valeur de son patrimoine ont diminué à la suite de la crise financière,

– que son épouse se livre à un véritable « gaspillage » des moyens financiers dont il dispose au point qu'il sollicite la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique permettant de caractériser la prodigalité « boulimique » de cette dernière qui, sur le compte bancaire qu'il alimentait, a dépensé 1 995 733 euros en 2007 et 1 760 000 euros au cours des huit premiers mois de l'année 2008 (dont près de 22 000 euros entre le 17 janvier et 8 février 2008 en bijoux et accessoires de mode) ;

Attendu qu'I. F.-R. conclut au contraire à la confirmation du montant de la pension à son profit mais à l'augmentation de la contribution du père à l'entretien de L. à hauteur de 30 000 euros par mois en soutenant :

– que son mari possède une fortune considérable constituée de nombreux appartements situés dans plusieurs pays, de plusieurs sociétés dont il a le contrôle, de collections de tableaux de maître de grande valeur,

– qu'il mène grand train de vie possédant avions privés et yacht et fréquentant les établissements les plus luxueux à travers le monde ;

Attendu qu'elle demande en outre dans le cadre de son appel incident qu'une expertise soit ordonnée afin de procéder à l'évaluation du patrimoine de son mari ;

Attendu que l'expertise psychiatrique d'I. F.-R. ne s'impose pas, les certificats médicaux produits par l'appelant ne constituant pas des éléments suffisamment probants permettant de présumer qu'elle présenterait les signes d'une pathologie psychiatrique ;

Attendu que l'expertise du patrimoine du mari ne s'impose pas davantage à ce stade de la procédure, le premier juge ayant exactement relevé que la situation de fortune en capital des parties n'est utilement prise en considération que lors de la liquidation du régime matrimonial ou pour la fixation d'une éventuelle prestation compensatoire ;

Attendu que pendant la procédure de divorce le devoir de secours subsiste entre les époux ;

Attendu que l'appréciation de la demande d'aliments prévue par l'article 202-1 du Code civil doit tenir compte des besoins du créancier et des facultés contributives du débiteur ;

Que ces « besoins » s'entendent de ceux nécessités par la vie courante en tenant compte, dans une certaine mesure, du train de vie des époux ;

Que cependant les « besoins » de l'épouse ne sauraient être définis et déterminés comme résultant nécessairement et automatiquement de la situation de fortune et des revenus du mari même si, pendant la vie commune, celui-ci a consenti, comme en l'espèce, à lui remettre des sommes très importantes pour assumer des dépenses strictement personnelles ;

Que le mari ne peut être contraint de poursuivre de la sorte au détriment de son patrimoine acquis pour l'essentiel par voie successorale et qu'il fait fructifier par son travail et son industrie ;

Attendu qu'I. F.-R. peut notamment réduire son train de maison qui comprenait cinq domestiques (dont une employée affectée exclusivement à L.) dans la mesure où son mari ne partage plus la vie commune et n'habite plus avec elle ;

Attendu qu'elle ne s'acquitte pas du loyer d'un montant pourtant élevé, de l'appartement qu'elle occupe ;

Attendu que ses dépenses peuvent être réduites sans que son train de vie s'en trouve affecté ;

Que par exemple elle peut veiller à ce que les cartes de crédit dont disposent ses employés de maison soient utilisées avec discernement alors qu'il est établi que pour le seul mois de mars 2008, elles ont été débitées de 48 000 euros ;

Attendu que le montant de la pension qui lui est versée doit donc être ramenée à 30 000 euros par mois, somme qui apparaît comme suffisante pour répondre à ses besoins analysés au regard des critères énoncés ci-dessus et en considération des revenus de son époux ;

Attendu de même que la part contributive du père à l'entretien de l'enfant âgée de 13 ans a été justement fixée à 4 000 euros par mois en tenant compte de la prise en charge par celui-ci des frais relatifs à ses activités scolaires et extra-scolaires ;

Que ce montant doit être maintenu ;

3 – Sur la provision ad litem

Attendu que le premier juge a alloué la somme de 50 000 euros à ce titre à I. F.-R. ;

Attendu que cette disposition de l'ordonnance n'est pas critiquée ;

4 – Sur la demande d'inventaire

Attendu que le magistrat conciliateur a justement relevé qu'un inventaire des biens mobiliers de l'appartement constituant le domicile conjugal a déjà été réalisé par acte authentique de sorte que la demande du mari était sans objet ;

Que l'appel de ce chef ne saurait prospérer G. V. ne faisant pas valoir de moyens ou d'arguments nouveaux à cet égard ;

5 – Sur les dépens

Attendu que les dépens seront réservés pour être liquidés avec ceux de l'instance en divorce ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

statuant contradictoirement,

– Reçoit les appels des parties,

– Rejette les exceptions tendant à faire écarter des débats les pièces numéros 31, 65 et 66 produites par G. V. B.,

– Confirme l'ordonnance entreprise en ses dispositions, frappées d'appel sauf en ce qui concerne la pension alimentaire allouée à l'épouse,

– Statuant à nouveau de ce chef : fixe à 30 000 euros par mois le montant de cette pension,

– Rejette la demande d'expertise psychiatrique présentée par G. V. B.,

– Rejette la demande d'expertise financière présentée par I. F.-R.,

– Réserve les dépens qui seront liquidés avec ceux de l'instance en divorce.

Composition🔗

M. CORDAS prem. près. ; M. MABRUT v-près. ; M.PERRIQUET cons. ; M. DUBES prem. Subs. Proc. Gén.

Note🔗

Cet arrêt a infirmé l'ordonnance de non-conciliation du 17 décembre 2008 seulement en ce qui concerne la pension alimentaire allouée à l'épouse.

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