Cour d'appel, 4 octobre 2007, M.U. c/ Ministère public

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Abstract🔗

Grivèlerie et prestations de voiture de place

Éléments constitutifs : article 326, alinéa 5, du Code pénal - Réservation et utilisation d'une voiture de place avec chauffeur pendant une période de temps, sans disposer sciemment des moyens financiers pour y faire face

Procédure pénale

Procédure de flagrant délit - Application du même mode procédural de flagrant délit, en raison de l'unicité de l'action délictueuse et sa permanence (grivèlerie de prestations de voiture de place) dans le temps exprimées au travers d'une seule plainte déposée par la victime

Résumé🔗

Sur la régularité de la procédure conduite par les services de police à l'encontre de M.U., qu'il est établi que celle-ci s'est livrée dans la même période de temps et de manière concomitante à la fois à l'émission des deux chèques sans provision et à la grivèlerie de voiture de place ;

C'est ainsi que C. B., contrôleur financier de l'hôtel M., a déposé plainte à l'encontre de M.U. le 13 juillet 2007 du chef d'émission de deux chèques sans provision ;

L'employée de la Société Diamond's Limousines a également procédé à une première déposition au nom de son employeur le 14 juillet 2007 du chef de grivèlerie de voiture, cette déposition étant reprise le 18 juillet 2007 avec le dépôt d'une plainte, par la directrice de la société ;

À la date à laquelle cette plainte a été reçue, l'infraction de grivèlerie se déroulait de manière continue puisque aucune facture n'avait encore été présentée à M.U. ;

D'autre part, il existe un lien de connexité étroit et de totale indivisibilité dans le temps entre ces deux procédures qui se rejoignent notamment lors de l'interpellation de la prévenue ;

Il était donc légitime que les services de police enquêtent en flagrance de ce chef et procèdent à l'interpellation de M.U. dans le hall de l'hôtel le 17 juillet 2007 en application des dispositions des articles 250 et suivants du Code de procédure pénale ;

À cet égard aucune nullité ne peut être encourue de ce chef ;

Ce moyen ne pourra qu'être rejeté ;

Le tribunal a considéré qu'il ne pouvait être saisi aux termes de la procédure de flagrant délit que pour les seuls faits de grivèlerie de voiture de place commis par M.U. à partir du 13 juillet 2007 ;

Toutefois, il résulte du décompte locatif de la Société Diamond's Limousines que M.U. a procédé à la réservation et à l'utilisation d'une voiture de place avec chauffeur de manière quasi ininterrompue depuis le 19 juin 2007 pour être intervenues les 19, 20, 21, 22, 29, 30 juin, 1er juillet, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 13 juillet 2007, sachant que les périodes d'interruption de ces services ont été de très courte durée ;

Il s'évince de la succession de ces actes d'utilisation du véhicule, que l'infraction de grivèlerie qui lui est reprochée participe d'un acte unique matériel de location, initié le 19 juin et qui s'est achevé le 16 juillet à la suite du dépôt de plainte et de l'interpellation de la prévenue ;

M.U. savait depuis le début de son entreprise qu'elle ne disposait pas des moyens financiers pour faire face au coût des prestations auxquelles elle recourait ;

Dès lors, l'unicité de l'action délictueuse et sa permanence dans le temps exprimées au travers d'une seule plainte déposée par la victime à l'encontre de M.U., s'opposent à ce que l'ensemble de la procédure de grivèlerie ne soit pas traité sur le même mode procédural, en l'espèce celle de flagrant délit ;

C'est dès lors à tort que les premiers juges ont déclaré irrecevable l'action publique concernant les faits de grivèlerie antérieurs au 13 juillet 2007 ;

Il convient par suite d'annuler de ce chef le jugement entrepris et d'évoquer les faits reprochés à la prévenue, s'agissant des faits de grivèlerie de prestations de voiture de place du 19 juin 2007 au 12 juillet 2007 ;

M.U. ne conteste pas avoir procédé à la location des voitures de place dans les conditions que l'enquête a établies alors même qu'elle était dans 'impossibilité absolue de faire face au coût de cette prestation ;

Cette situation d'impossibilité absolue de payer résulte du dossier et de ses déclarations à l'audience au cours de laquelle elle a avoué n'avoir aucune disponibilité financière pour répondre de cette dépense.


Motifs🔗

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statue sur les appels relevés les 31 juillet et 1er août 2007 par M.U. et le ministère public, à l'encontre d'un jugement du Tribunal correctionnel du 24 juillet 2007, lequel saisi à l'encontre de M.U. d'une procédure du chef de grivèlerie de prestations de voiture de place et d'émission de chèques sans provision, a ordonné la jonction des deux procédures 2007/1447 et 2007/1499, déclaré irrecevable l'action publique concernant les faits de grivèlerie antérieurs au 13 juillet 2007, a condamné M.U. à la peine de 5 mois d'emprisonnement du chef d'émission de chèques sans provision et de grivèlerie de voiture de place du 13 juillet au 16 juillet 2007 et, sur l'action civile, a accueilli les sociétés Starman Bermuda Limited exerçant sous l'enseigne Hôtel M. B. P. Monte Carlo et Diamond's Limousine en leur constitution de partie civile, a condamné M.U. au versement respectivement à leur profit, des sommes de 56 000 euros et de 9 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Considérant les faits suivants :

Le 13 juillet 2007, C. B., contrôleur financier au sein de l'hôtel le M. à Monaco, déposait plainte auprès de la Sûreté publique à l'encontre de M.U. pour émission de deux chèques sans provision tirés sur la HSBC de Monaco, lesquels lui avaient été remis respectivement les 14 juin 2007 en règlement d'une première facture d'un montant de 21 405,57 euros, puis le 20 juin 2007 pour un montant de 35 000 euros et s'étaient avérés sans provision.

Il expliquait que M.U. qui séjournait au sein de l'établissement depuis le 30 mai 2007, et dont la facture s'élevait le 14 juin 2007 à la somme de 21 405,57 euros, lui avait remis en paiement un chèque de ce montant qui avait été rejeté par la banque le 29 juin 2007.

Le second chèque d'un montant de 35 000 euros avait été déposé par M.U. à titre d'acompte sur les prestations réalisées à partir du 14 juin 2007 et avait également été rejeté par la banque pour les mêmes motifs le 6 juillet 2007.

Il précisait qu'à la date du 12 juillet 2007 et pour la seule seconde partie de son séjour, M.U. avait déjà dépensé pour elle-même 27 806 euros ainsi que 3 337 euros pour la chambre où résidait un jeune homme voyageant avec elle.

Le 14 juillet 2007, une employée de la société Diamond's Limousine de Monaco, puis le 18 juillet 2007 la directrice de cette société, signalaient aux services de la Sûreté Publique que M.U. qui était cliente de la société depuis le 19 juin 2007 pour des prestations consistant en la mise à disposition d'un véhicule avec chauffeur, était redevable à l'égard de la société, d'une somme totale de 25 120 euros dont elle n'avait pas assuré le paiement.

Interpellée le 17 juillet 2007 dans le hall d'entrée de l'hôtel M. M.U. reconnaissait s'être fait ouvrir un compte auprès de la banque HSBC vers la fin du mois de mai 2007, sans y avoir déposé une quelconque somme et indiquait avoir expliqué aux responsables de cet établissement qu'elle attendait le virement prochain sur ce compte de plusieurs millions d'euros qui devaient être transférés à partir d'un compte ouvert en Suisse à Lugano.

Forte de cette espérance de virement, elle avait obtenu la remise à son profit par cette banque de deux chèques de dépannage qui lui avaient été délivrés à titre exceptionnel mais dont elle avait fait usage pour satisfaire aux demandes de paiement qui lui avaient été présentées par l'hôtel, en sachant parfaitement qu'à la date à laquelle elle remettait l'un et l'autre de ces deux chèques, le virement attendu par elle sur son compte ne s'était pas réalisé et que ces deux chèques étaient dès lors émis sans provision préalable et suffisante.

Lors de sa dernière audition par les services de police, elle déclarait que l'argent qu'elle attendait en provenance de Suisse et qui demeurait bloqué de manière inexplicable, était constitué par de l'argent de famille, sans toutefois pouvoir indiquer les références du compte sur lequel il aurait été détenu, ni être en mesure de justifier de sa qualité de titulaire de ce compte.

Elle reconnaissait enfin ne pas être en mesure de s'acquitter du montant des dépenses de location de voitures, tout en déclarant vouloir contacter des amis pour qu'ils l'aident à faire face à ces dépenses, mais sans vouloir indiquer aux services de police l'identité de ces derniers.

Déférée en flagrant délit le 18 juillet 2007 du chef de grivèlerie de prestations de voiture de place au préjudice de la Société Diamond's Limousine, faits intervenus entre les 19 juin et 16 juillet 2007, M.U. se voyait décerner mandat d'arrêt par le procureur général et était renvoyée devant le Tribunal correctionnel pour l'audience du 20 juillet 2007, tandis qu'elle se voyait notifier une convocation à comparaître devant la même juridiction et le même jour pour la procédure 2007/1449 du chef d'émission de deux chèques sans provision, en renonçant d'ores et déjà à se prévaloir du délai légal de convocation.

À l'audience du 20 juillet 2007, l'examen des faits de la cause a été renvoyé à l'audience du 24 juillet et les effets du mandat d'arrêt décerné à son encontre dans la procédure 2007/1447 ont été maintenus par le Tribunal correctionnel.

À l'audience du 24 juillet 2007, le tribunal a ordonné la jonction des deux instances, considéré que la procédure de flagrant délit ne pouvait recevoir régulièrement application pour les faits de grivèlerie intervenus pour la période de temps antérieure au 13 juillet 2007, déclaré en conséquence les poursuites du ministère public irrecevables du chef de cette infraction pour les actes réalisés antérieurement à cette date et est entré en voie de condamnation à l'encontre de M.U. pour le surplus.

À l'audience de la cour, le conseil de M.U. a sollicité l'audition de F. R., employé de la banque HSBC Private Bank, qu'il a fait citer en qualité de témoin.

Celui-ci a expliqué les conditions dans lesquelles il avait été amené à ouvrir un compte à la prévenue, alors qu'elle attendait un virement de l'étranger qui n'est jamais arrivé.

Il a expliqué en outre qu'à la demande de M.U. il lui avait remis deux formules de chèques, l'une pour servir de caution à la réservation de la voiture de place qu'elle allait souscrire et le second pour s'acquitter du coût de ce service, en n'ignorant pas qu'au moment où il délivrait ces deux formules, le compte de M.U. n'était pas approvisionné, sachant toutefois que ces deux formules avaient été remises sous la seule responsabilité de leur utilisatrice.

M.U. a reconnu avoir émis deux chèques sans provision préalable, suffisante et disponible ainsi que les grivèleries de prestation de voiture de place en précisant avoir attendu vainement le virement à son profit des fonds d'origine familiale qui demeuraient bloqués à Lugano.

Le ministère public a requis d'une part, l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables les poursuites exercées pour les faits de grivèlerie de voiture de place commis à Monaco pour la période de temps incluse entre le 19 juin et le 12 juillet 2007 et d'autre part la confirmation des autres dispositions pénales du jugement critiqué.

M. U. a fait conclure par son conseil à la nullité de la procédure de flagrant délit conduite à son encontre, pour défaut de flagrance et conséquemment la nullité de l'interrogatoire effectué par le procureur général, des formalités d'écrou et de tous les actes subséquents, et fait plaider sa relaxe.

Sur quoi,

Considérant sur la régularité de la procédure conduite par les services de police à l'encontre de M.U., qu'il est établi que celle-ci s'est livrée dans la même période de temps et de manière concomitante à la fois à l'émission des deux chèques sans provision et à la grivèlerie de voiture de place ;

Que c'est ainsi que C. B., contrôleur financier de l'hôtel M., a déposé plainte à l'encontre de M.U. le 13 juillet 2007 du chef d'émission de deux chèques sans provision ;

Que l'employée de la Société Diamond's Limousine a également procédé à une première déposition au nom de son employeur le 14 juillet 2007 du chef de grivèlerie de voiture, cette déposition étant reprise le 18 juillet 2007 avec le dépôt d'une plainte, par la directrice de la société ;

Considérant qu'à la date à laquelle cette plainte a été reçue, l'infraction de grivèlerie se déroulait de manière continue puisque aucune facture n'avait encore été présentée à M.U. ;

Considérant d'autre part qu'il existe un lien de connexité étroit et de totale indivisibilité dans le temps entre ces deux procédures qui se rejoignent notamment lors de l'interpellation de la prévenue ;

Qu'il était donc légitime que les services de police enquêtent en flagrance de ce chef et procèdent à l'interpellation de M.U. dans le hall de l'hôtel du 17 juillet 2007 en application des dispositions des articles 250 et suivants du Code de procédure pénale ;

Qu'à cet égard aucune nullité ne peut être encourue de ce chef ;

Que ce moyen ne pourra qu'être rejeté ;

Considérant que le tribunal a considéré qu'il ne pouvait être saisi aux termes de la procédure de flagrant délit que pour les seuls faits de grivèlerie de voiture de place commis par M.U. à partir du 13 juillet 2007 ;

Considérant toutefois qu'il résulte du décompte locatif de la Société Diamond's Limousines que M.U. a procédé à la réservation et à l'utilisation d'une voiture de place avec chauffeur de manière quasi ininterrompue depuis le 19 juin 2007 pour être intervenues les 19, 20, 21, 22, 29, 30 juin, 1er juillet, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 13 juillet 2007, sachant que les périodes d'interruption de ces services ont été de très courte durée ;

Qu'il s'évince de la succession de ces actes d'utilisation du véhicule, que l'infraction de grivèlerie qui lui est reprochée participe d'un acte unique matériel de location, initié le 19 juin et qui s'est achevé le 16 juillet à la suite du dépôt de plainte et de l'interpellation de la prévenue ;

Considérant que M.U. savait depuis le début de son entreprise qu'elle ne disposait pas des moyens financiers pour faire face au coût des prestations auxquelles elle recourait ;

Considérant dès lors que l'unicité de l'action délictueuse et sa permanence dans le temps exprimées au travers d'une seule plainte déposée par la victime à l'encontre de M.U. s'opposent à ce que l'ensemble de la procédure de grivèlerie ne soit pas traité sur le même mode procédural, en l'espèce celle de flagrant délit ;

Que c'est dès lors à tort que les premiers juges ont été déclaré irrecevable l'action publique concernant les faits de grivèlerie antérieurs au 13 juillet 2007 ;

Qu'il convient par suite d'annuler de ce chef le jugement entrepris et d'évoquer les faits reprochés à la prévenue, s'agissant des faits de grivèlerie de prestations de voiture de place du 19 juin 2007 au 12 juillet 2007 ;

Considérant que M.U. ne conteste pas avoir procédé à la location de voitures de place dans les conditions que l'enquête a établies alors même qu'elle était dans l'impossibilité absolue de faire face au coût de cette prestation ;

Que cette situation d'impossibilité absolue de payer résulte du dossier et de ses déclarations à l'audience au cours de laquelle elle a avoué n'avoir aucune disponibilité financière pour répondre de cette dépense ;

Que de la même manière, elle n'ignorait pas en émettant les deux chèques litigieux, qu'ils étaient démunis de toute provision préalable, disponible et suffisante puisque le compte sur lequel ces chèques ont été tirés et dont elle était titulaire au sein de la HSBC n'avait pas été préalablement approvisionné d'un quelconque montant pour répondre de leur paiement ;

Que les circonstances selon lesquelles ces deux chèques lui ont été remis par F. R. sont indifférentes au regard du défaut de provision lors de leur émission ;

Qu'il convient dès lors d'entrer en voie de condamnation à son encontre ;

Considérant que les circonstances de commission des infractions conjuguées aux renseignements recueillis sur la personnalité de la prévenue, son absence de condamnation antérieure, justifient l'octroi à son profit des circonstances atténuantes ;

Considérant sur l'action civile, que les parties civiles n'ont pas relevé appel du jugement entrepris par M.U. ;

Que par ailleurs, M.U. appelante quant à elle des dispositions civiles, n'a fait état d'aucun élément qui serait de nature à permettre d'infirmer le jugement entrepris ;

Considérant que les éléments de préjudice des victimes ont été valablement appréciés par les premiers juges en sorte que le jugement entrepris doit être confirmé sur l'action civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

statuant contradictoirement en matière correctionnelle,

Confirme le jugement du Tribunal correctionnel du 24 juillet 2007 en ce qu'il a déclaré M.U. coupable d'émission à Monaco les 14 et 20 juin 2007, de deux chèques sans provision et de grivèlerie de prestations de voiture de place commise à Monaco du 13 au 16 juillet 2007, ainsi que toutes ses dispositions civiles,

Annule les dispositions dudit jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les poursuites initiées par le ministère public dans la procédure 1447/2007 pour les faits antérieurs au 13 juillet 2007,

Et statuant par évocation,

Déclare M.U. coupable de l'infraction de grivèlerie de prestations de voiture de place pour les faits intervenus du 19 juin au 12 juillet 2007,

Condamne en conséquence pour l'ensemble des faits de la prévention, M.U. à la peine de cinq mois d'emprisonnement,

Condamne M.U. aux frais du présent arrêt,

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps ;

Composition🔗

M. Adam, v.-prés. ; M. Dubes, prem. subst. proc. gén. ; Me Bergonzi, av. stag.

Note🔗

Cet arrêt a confirmé en partie le jugement du Tribunal correctionnel du 24 juillet 2007 en ce qu'il a notamment condamné le prévenu du chef de grivèlerie de prestations de voiture de place commises à Monaco du 13 au 16 juillet 2007, mais il a annulé les dispositions dudit jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les poursuites initiées par le ministère public selon la procédure de flagrant délit pour les faits antérieurs au 13 juillet 2007.

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