Cour d'appel, 27 mars 2007, Société AGC M. T. c/ Société L. SPA

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Abstract🔗

Compétence civile

Compétence territoriale de la juridiction monégasque - Demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires, pratiquées à Monaco (CPC, art. 3-9°) - Actions concernant le fond du litige dans les cas visés à l'article 3-9° du Code de procédure civile sauf clause attributive de compétence (CPC, art. 3-9° bis) - Convention de séquestre, contenant attribution de compétence à la juridiction monégasque pour décider du sort du séquestre

Résumé🔗

Sur l'application de l'article 3-9° du Code de procédure civile

L'article 3-9° du Code de procédure civile dispose que « les juridictions de la Principauté sont compétentes pour connaître des demandes en validité ou en mainlevée des saisies-arrêts formées dans la Principauté et généralement de toutes demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires » ;

L'article 3-9° bis, tel qu'il résulte de la loi du 29 décembre 2004 donne compétence à ces juridictions « pour toutes les actions ayant pour objet le fond du litige dans les cas visés au chiffre précédent, sauf clause conventionnelle licite attribuant compétence à une autre juridiction » ;

Les règles de compétence ainsi fixées permettent au demandeur de saisir les juridictions de Monaco du fond du litige dans tous les cas où la juridiction est saisie d'une demande visant à une mesure conservatoire ;

En l'espèce, les parties sont convenues, suite à la saisie conservatoire du bateau « The One » de désigner Maître Patricia Rey comme séquestre d'une somme de 130 000 euros, séquestre constitué par la société L. spa, moyennant mainlevée de la saisie conservatoire donnée le 26 février 2004 ;

La société AGC M. T. a assigné en paiement la société L. spa le 3 mars 2004 ;

À la date de cette assignation, aucune demande ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires n'était formée, au sens de l'article 3-9°, mainlevée de la saisie conservatoire ayant été accordée par la société AGC M. T. le 26 février 2004 ;

Dès lors, les dispositions combinées des articles 3-9° et 3-9° bis du Code de procédure civile ne pouvaient recevoir application, les dispositions de l'article 3-9° étant le support des dispositions de l'article 3-9° bis ;

Le Tribunal a donc justement relevé qu'il n'existait pas de critère de compétence des juridictions monégasques en application des dispositions des articles 2 et suivants du Code de procédure civile ;

Sur la convention de séquestre

La convention de séquestre contient un exposé de motifs rédigé en ces termes :

« les parties ont toutefois souhaité établir la présente convention de séquestre dans l'attente de la décision que devra rendre le tribunal de première instance, saisie à la requête de la SARL AGC M. T., dans le litige qui oppose les parties au présent contrat. » ;

La Convention stipule en son article 2 :

« Maître Patricia Rey, séquestre, conservera les sommes litigieuses jusqu'au jour où l'instance initiée à la requête de la SARL AGC M. T. à l'encontre de la société L. spa par devant le tribunal de première instance de Monaco aura reçu sa solution judiciaire. Sa mission se terminera au jour où la décision à intervenir sera devenue définitive et les fonds seront alors remis à qui de droit. » ;

Par l'exposé et l'article 2 de la Convention, les parties ont clairement décidé de soumettre le sort du séquestre à la compétence du tribunal de première instance de Monaco, juridiction ainsi désignée par elles pour connaître du fond du litige ;

C'est en vertu de cette attribution de compétence que la demanderesse a engagé son action devant la juridiction désignée à la convention ;

La société L. spa ne peut, sans se contredire, soutenir que la convention de séquestre prévoyait la saisine au fond du Tribunal de première instance de Monaco, et qu'une décision d'incompétence de cette juridiction qu'elle aurait elle-même sollicitée constituerait la solution judiciaire du litige prévue à l'article 2 de la convention ;

La société L. spa a d'ailleurs reconnu les effets de cette convention devant les juridictions françaises dont elle a soulevé l'incompétence territoriale ;

Le jugement doit, dès lors, être réformé ;

Il y a lieu de déclarer le Tribunal de première instance compétent pour connaître du fond du litige ;

Il y a lieu de renvoyer les parties à conclure au fond devant le Tribunal de première instance et de condamner la société L. spa aux dépens de première instance et d'appel ;


Motifs🔗

La Cour d'appel,

Considérant les faits suivants :

La société à responsabilité limitée dénommée AGC M. T. a, par assignation du 3 mars 2004, fait citer la société de droit italien L. spa en paiement principal d'une somme de 110 661,34 euros majorée d'intérêts légaux à compter du 3 septembre 2003, outre celle de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, sous le bénéfice de l'exécution provisoire.

l'appui de cette demande, elle soutient qu'elle a effectué des travaux électroniques sur le navire « The One » propriété de l'intimée, selon devis accepté par le capitaine du navire pour un montant de 160 363,91 euros ; elle a facturé après exécution des travaux la somme de 190 661,34 euros, compte tenu des travaux supplémentaires réalisés, ce qui ramenait sa créance à 110 661,34 euros, après déduction d'un acompte de 80 000 euros.

Ne pouvant obtenir paiement du solde de sa facture, et après une tentative infructueuse de saisie conservatoire du bateau « The One » à Beaulieu, elle sollicitait à Monaco l'autorisation de pratiquer ladite saisie, qui lui était accordée par ordonnance présidentielle du 23 février 2004.

Suite à la saisie conservatoire du bateau, les parties trouvaient un accord et Maître Patricia Rey, avocat-défenseur de la société L. spa, était désignée en qualité de séquestre d'une somme de 130 000 euros, consignée par la société L. spa.

La poursuivante donnait le même jour, soit le 26 février 2004, mainlevée de la saisie.

La société L. spa concluait alors à l'incompétence du tribunal estimant que le Tribunal de Nice avait compétence pour statuer.

Par jugement du 30 juin 2005, le Tribunal de première instance s'est déclaré incompétent estimant qu'aucun des critère de compétence fixé par les articles 2 et suivant du Code de procédure civile n'existait dans la cause.

Par assignation du 21 octobre 2005, la société AGC M. T. a interjeté appel du jugement.

Elle fait valoir :

que le séquestre a été assorti d'une clause d'attribution de compétence aux juridictions de Monaco, ce séquestre étant constitué « en l'attente de la solution judiciaire du Tribunal de première instance de Monaco »,

que le séquestre s'apparente à une saisie arrêt qui, au terme des nouvelles dispositions de la loi n° 1295 du 29 décembre 2004 du Code de procédure civile, confère compétence au fond à l'autorité judiciaire monégasque.

Elle sollicite la réformation du jugement et la condamnation de la société L. spa au paiement d'une somme de 10 661,34 euros avec intérêts de droit à compter du 3 septembre 2003 et la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, subsidiairement, le sursis à statuer en l'attente de la décision à intervenir au fond devant le juge français.

La société L. spa sollicite la confirmation du jugement aux motifs suivants :

la convention de séquestre n'est pas une convention attributive de juridiction,

la clause par laquelle la convention de séquestre est soumise à la loi monégasque s'applique seulement à la convention elle-même,

la convention de séquestre ne s'apparente pas à la saisie arrêt de sorte que l'article 3-9° du Code de procédure civile n'est pas applicable en la cause, la demande formée n'entrant pas dans le cadre des instances liées aux demandes en validité ou en mainlevée de saisie-arrêt,

la demande de sursis à statuer est une demande nouvelle formée pour la première fois en cause d'appel et se trouve de ce fait irrecevable,

enfin, il convient, si la cour réformait le jugement de première instance, de renvoyer les parties devant cette juridiction.

Par conclusions postérieures, la société AGC M. T. rappelle :

qu'une autre procédure a été par elle engagée suivant exploit du 18 août 2004 devant le Tribunal de commerce de Nice,

que devant cette juridiction la société L. spa a soulevé l'incompétence de la juridiction niçoise, exception accueillie par jugement du Tribunal du commerce de Nice, réformé par arrêt de la 2e chambre civile de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, sur contredit de la société AGC M. T..

Par jugement du 21 septembre 2006, le tribunal de commerce de Nice a condamné la société L. spa au paiement :

d'une somme de 111 318,34 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

de la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts,

ladite décision était assortie de l'exécution provisoire.

Appel a été interjetée de cette décision suivant déclaration du 27 septembre 2006.

La société AGC Marine conclut enfin que :

la société L. spa s'est domiciliée en l'étude de Maître Patricia Rey, cette domiciliation entraîne la compétence des juridictions monégasques,

il appartenait au séquestre de se libérer des fonds en exécution de la décision du tribunal de commerce de Nice, de sorte que la procédure devant la Cour d'appel d'Aix-en- Provence puisse reprendre son cours, cette affaire ayant été radiée faute par l'appelant d'avoir exécuté le jugement,

il convient d'ordonner le sursis à statuer dans l'attention de la décision de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Sur ce,

Sur l'application de l'article 3-9° du Code de procédure civile Considérant que l'article 3-9° du Code de procédure civile dispose que « les juridictions de la Principauté sont compétentes pour connaître des demandes en validité ou en mainlevée des saisies-arrêts formées dans la Principauté et généralement de toutes demandes ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires » ;

Considérant que l'article 3-9° bis, tel qu'il résulte de la loi du 29 décembre 2004 donne compétence à ces juridictions « pour toutes les actions ayant pour objet le fond du litige dans les cas visés au chiffre précédent, sauf clause conventionnelle licite attribuant compétence à une autre juridiction » ;

Considérant que les règles de compétence ainsi fixées permettent au demandeur de saisir les juridictions de Monaco du fond du litige dans tous les cas où la juridiction est saisie d'une demande visant à une mesure conservatoire ;

Considérant qu'en l'espèce, les parties sont convenues, suite à la saisie conservatoire du bateau « The One » de désigner Maître Patricia Rey comme séquestre d'une somme de 130 000 euros, séquestre constitué par la société L. spa, moyennant mainlevée de la saisie conservatoire donnée le 26 février 2004 ;

Considérant que la société AGC M. T. a assigné en paiement la société L. spa le 3 mars 2004 ;

Considérant qu'à la date de cette assignation, aucune demande ayant pour objet des mesures provisoires ou conservatoires n'était formée, au sens de l'article 3-9°, mainlevée de la saisie conservatoire ayant été accordée par la société AGC M. T. le 26 février 2004 ;

Considérant dès lors que les dispositions combinées des articles 3-9° et 3-9° bis du Code de procédure civile ne pouvaient recevoir application, les dispositions de l'article 3-9° étant le support des dispositions de l'article 3-9° bis ;

Considérant que le Tribunal a donc justement relevé qu'il n'existait pas de critère de compétence des juridictions monégasques en application des dispositions des articles 2 et suivants du Code de procédure civile ;

Sur la convention de séquestre

Considérant que la convention de séquestre contient un exposé de motifs rédigé en ces termes :

les parties ont toutefois souhaité établir la présente convention de séquestre dans l'attente de la décision que devra rendre le tribunal de première instance, saisi à la requête de la SARL AGC M. T., dans le litige qui oppose les parties au présent contrat. « ;

Que la Convention stipule en son article 2 :

Maître Patricia Rey, séquestre, conservera les sommes litigieuses jusqu'au jour où l'instance initiée à la requête de la SARL AGC M. T. à l'encontre de la société L. spa par devant le tribunal de première instance de Monaco aura reçu sa solution judiciaire. Sa mission se terminera au jour où la décision à intervenir sera devenue définitive et les fonds seront alors remis à qui de droit. » ;

Considérant que par l'exposé et l'article 2 de la convention, les parties ont clairement décidé de soumettre le sort du séquestre à la compétence du tribunal de première instance de Monaco, juridiction ainsi désignée par elles pour connaître du fond du litige ;

Considérant que c'est en vertu de cette attribution de compétence que la demanderesse a engagé son action devant la juridiction désignée à la Convention ;

Considérant que la société Lodat spa ne peut, sans se contredire, soutenir que la convention de séquestre prévoyait la saisine au fond du Tribunal de première instance de Monaco, et qu'une décision d'incompétence de cette juridiction qu'elle aurait elle-même sollicitée constituerait la solution judiciaire du litige prévue à l'article 2 de la convention ;

Considérant que la société L. spa a d'ailleurs reconnu les effets de cette convention devant les juridictions françaises dont elle a soulevé l'incompétence territoriale ;

Considérant que le jugement doit, dès lors, être réformé ;

Qu'il y a lieu de déclarer le tribunal de première instance compétent pour connaître du fond du litige ;

Considérant qu'il y a lieu de renvoyer les parties à conclure au fond devant le tribunal de première instance et de condamner la société L. spa aux dépens de première instance et d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

Reçoit l'appel de la société L. spa,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 30 juin 2005,

Dit que le Tribunal de première instance est compétent pour connaître du litige opposant la société AGC M. T. à la société L. spa,

Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour être conclu et jugé au fond ce qu'il appartiendra,

Condamne la société L. spa aux dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Didier Escaut, avocat-défenseur, sous sa due affirmation,

Composition🔗

Mme François, prem. prés. ; M. Dubes, prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Rey, av. déf.

Note🔗

Cet arrêt a retenu sa compétence à l'inverse du jugement du Tribunal de Première Instance du 30 juin 2005. En effet, la loi n° 1.295 du 29 décembre 2004 a étendu la compétence civile de la juridiction monégasque en créant un nouvel article 3-9° bis du CPC lui permettant de connaître des actions ayant pour objet le fond du litige dans les cas visés à l'article 3-9°, sauf clause conventionnelle licite attribuant compétence à une autre juridiction.

Or, lors de l'assignation du 3 mars 2004 introductive de l'instance devant le Tribunal, cette loi n'avait point encore été promulguée, de sorte que le Tribunal de première instance faute d'être saisi d'une demande ayant pour objet une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 3-9° ne pouvait que se déclarer incompétent.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2007, n° 9, p. 201 à 205.

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