Cour d'appel, 6 mars 2006, Ministère Public c/ d. S.

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Abstract🔗

Blanchiment

Convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime rendue exécutoire à Monaco par la Convention n° 1452 du 8 août 2002 et Ordonnance n° 14457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment - Décision étrangère ordonnant confiscation d'avoirs déposés dans une banque de Monaco - Refus d'autorisation de l'exécution de cette décision à Monaco, celle-ci n'étant pas définitive - Mainlevée de la mesure conservatoire ordonnée

Résumé🔗

En application de la Convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime rendue exécutoire à Monaco par la Convention n° 15.452 du 8 août 2002, et de l'Ordonnance n° 15.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, les autorités judiciaires italiennes ont saisi le directeur des services judiciaires de la Principauté de Monaco d'une demande d'entraide judiciaire aux fins d'autoriser sur le territoire monégasque l'exécution de cette décision étrangère. Cette commission rogatoire a été transmise par le directeur des services judiciaires au Procureur général le 28 avril 2005.

Suivant exploit du 14 juin 2005, le Procureur général de la Principauté de Monaco a fait citer G. d. S. devant le Tribunal correctionnel pour voir statuer sur la demande d'autorisation d'exécution sur le territoire de la Principauté de la décision de confiscation prise par le Tribunal de Rome dans le cadre de poursuites dont elle fait l'objet des chefs d'association des malfaiteurs et d'extorsion de fonds.

Par le jugement déféré du 22 novembre 2005, le tribunal correctionnel a dit n'y avoir lieu d'écarter des pièces du dossier la traduction française de la décision du tribunal de Rome du 2 décembre 2004, a débouté le Procureur général de sa demande, a dit que ce débouté n'a aucun effet de mainlevée de la mesure conservatoire de blocage prise le 12 novembre 2004 par le Président du tribunal de première instance en vertu de l'article 9 de l'ordonnance susvisée, a déclaré irrecevable la demande de distraction des dépens formée par Maître Didier Escaut, avocat-défenseur pour le compte de G. d. S.

L'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment est applicable en la cause ; il ressort des pièces jointes à la demande que G. d. S. fait l'objet de poursuites pénales en Italie notamment pour extorsion de fonds, infraction dont le blanchiment du produit est prévu et réprimé par les articles 218 et 218-3 du Code pénal lorsqu'elle est commise, comme en l'espèce, dans le cadre d'une organisation criminelle ;

L'exécution sur le territoire de la Principauté d'une décision de confiscation étrangère est autorisée, selon l'article 5 alinéa 2 de l'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 susvisée, à la condition, d'une part, que la décision étrangère soit définitive et demeure exécutoire selon la loi de l'État requérant et, d'autre part, que les biens confisqués par cette décision soient susceptibles d'être confisqués dans des circonstances analogues selon la loi monégasque ;

Ces conditions sont cumulatives, en sorte que l'absence de l'une d'elles au jour où la juridiction monégasque statue ne peut que conduire à un refus d'autorisation ;

Il est constant que G. d. S. a régulièrement relevé appel du jugement du tribunal de Rome ayant ordonné la confiscation des avoirs qu'elle a déposés auprès de la société Général Bank and Trust à Monaco ;

Ce jugement n'est donc pas définitif ni a fortiori exécutoire selon la loi italienne ;

Il suit de là, que l'absence de cette condition doit conduire au rejet de la demande d'autorisation dont le tribunal correctionnel a été saisi ;

Selon l'article 9, dernier alinéa de l'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 précitée, le refus d'autoriser l'exécution de la décision de confiscation emporte de plein droit mainlevée des mesures conservatoires ordonnées ;

Cet effet de droit qui est la conséquence nécessaire de la décision de refus prononcée doit être constaté par la Cour ;

Il y a donc lieu, réformant le jugement du tribunal correctionnel sur ce point, de constater que par l'effet de l'article 9 précité, la mesure conservatoire ordonnée par le Président du tribunal de première instance le 12 novembre 2004 est levée ;


Motifs🔗

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

La Cour statuant en matière correctionnelle est saisie des appels relevés les 25 novembre 2005 par le ministère public et le 2 décembre 2005 par Maître Didier Escaut, avocat-défenseur pour le compte de G. d. S. à l'encontre d'un jugement du Tribunal correctionnel du 22 novembre 2005 ;

Considérant les faits suivants :

Par décision du 2 décembre 2004, le Tribunal de Rome a prononcé, à titre de mesure préventive, la confiscation des avoirs d'un montant de 866 444,46 euros déposés sur le compte courant n° 72516089 ouvert dans les livres de la Société Générale Bank and Trust à Monaco au nom de G. d. S.

En application de la Convention du Conseil de l'Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime rendue exécutoire à Monaco par la Convention n° 15.452 du 8 août 2002, et de l'Ordonnance n° 15.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, les autorités judiciaires italiennes ont saisi le directeur des services judiciaires de la Principauté de Monaco d'une demande d'entraide judiciaire aux fins d'autoriser sur le territoire monégasque l'exécution de cette décision étrangère. Cette commission rogatoire a été transmise par le directeur des services judiciaires au Procureur général le 28 avril 2005.

Suivant exploit du 14 juin 2005, le Procureur général de la Principauté de Monaco a fait citer G. d. S. devant le Tribunal correctionnel pour voir statuer sur la demande d'autorisation d'exécution sur le territoire de la Principauté de la décision de confiscation prise par le Tribunal de Rome dans le cadre de poursuites dont elle fait l'objet des chefs d'association de malfaiteurs et d'extorsion de fonds.

Par le jugement déféré du 22 novembre 2005, le Tribunal correctionnel a dit n'y avoir lieu d'écarter des pièces du dossier la traduction française de la décision du Tribunal de Rome du 2 décembre 2004, a débouté le Procureur général de sa demande, a dit que ce débouté n'a aucun effet de mainlevée de la mesure conservatoire de blocage prise le 12 novembre 2004 par le Président du Tribunal de première instance en vertu de l'article 9 de l'Ordonnance susvisée, a déclaré irrecevable la demande de distraction des dépens formée par Maître Didier Escaut, avocat-défenseur pour le compte de G. d. S.

l'audience de la Cour, le ministère public a confirmé son désistement d'appel enregistré par acte de greffe du 2 février 2006, précisant que ce désistement valait seulement pour la partie de la décision l'ayant débouté de sa demande d'autorisation d'exécution de la mesure de confiscation.

Le ministère public a, en revanche, requis la confirmation du jugement du 22 novembre 2005 en ce qu'il a rejeté la demande de G. d. S. tendant à la mainlevée de la mesure conservatoire prise le 12 novembre 2004 par le Président du Tribunal de première instance de Monaco.

G. d. S., représentée par Maître Didier Escaut, avocat-défenseur, a demandé aux termes de ses conclusions du 6 février 2006 :

Vu le désistement d'appel de Madame le Procureur Général,

Vu l'appel parti in qua de Madame G. d. S.,

Vu le jugement du Tribunal correctionnel en date du 22 novembre 2005 ayant débouté Monsieur le Procureur Général de sa demande,

Vu l'article 9 dernier alinéa de l'Ordonnance souveraine n° 15457 du 9 août 2002,

Voir la Cour réformer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le débouté n'a aucun effet de main levée sur la mesure conservatoire de blocage ordonnée par le Président du Tribunal de première instance du 12 novembre 2004.

Statuant à nouveau.

Voir la Cour ordonner la main levée sur la mesure de blocage ordonnée par le Président du Tribunal de première instance du 12 novembre 2004 effectuée au préjudice de Madame D. S. et portant sur ses avoirs figurant au compte n° 72516089 auprès de la Société Générale Bank and Trust,

Voir statuer ce qu'il appartiendra sur les dépens. " ;

Sur ce,

Considérant sur le désistement du ministère public, qu'ainsi que l'a jugé la Cour de révision dans son arrêt du 8 mars 1974, le ministère public, s'il a l'exercice de l'acte public, n'en a pas la disposition ; qu'il ne lui appartient donc pas de se désister de l'appel qu'il a formé ;

Qu'il s'ensuit que la Cour demeure compétente et saisie de l'appel qu'il a formé et qu'elle doit se prononcer sur celui-ci ;

Considérant que l'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 relative à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation dans le cadre de la lutte contre le blanchiment est applicable en la cause ; qu'il ressort des pièces jointes à la demande que G. d. S. fait l'objet de poursuites pénales en Italie notamment pour extorsion de fonds, infraction dont le blanchiment du produit est prévu et réprimé par les articles 218 et 218-3 du Code pénal lorsqu'elle est commise, comme en l'espèce, dans le cadre d'une organisation criminelle ;

Considérant que l'exécution sur le territoire de la Principauté d'une décision de confiscation étrangère est autorisée, selon l'article 5 alinéa 2 de l'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 susvisée, à la condition d'une part, que la décision étrangère soit définitive et demeure exécutoire selon la loi de l'État requérant et d'autre part, que les biens confisqués par cette décision soient susceptibles d'être confisqués dans des circonstances analogues selon la loi monégasque ;

Considérant que ces conditions sont cumulatives, en sorte que l'absence de l'une d'elles au jour où la juridiction monégasque statue ne peut que conduire à un refus d'autorisation ;

Considérant qu'il est constant que G. d. S. a régulièrement relevé appel du jugement du Tribunal de Rome ayant ordonné la confiscation des avoirs qu'elle a déposés auprès de la Société Générale Bank and Trust à Monaco ;

Que ce jugement n'est donc pas définitif ni a fortiori exécutoire selon la loi italienne ;

Qu'il suit de là, que l'absence de cette condition doit conduire au rejet de la demande d'autorisation dont le tribunal correctionnel a été saisi ;

Considérant que selon l'article 9, dernier alinéa de l'Ordonnance n° 14.457 du 9 août 2002 précitée, le refus d'autoriser l'exécution de la décision de confiscation emporte de plein droit mainlevée des mesures conservatoires ordonnées ;

Considérant que cet effet de droit qui est la conséquence nécessaire de la décision de refus prononcée doit être constaté par la Cour ;

Qu'il y a donc lieu, réformant le jugement du Tribunal correctionnel sur ce point, de constater que par l'effet de l'article 9 précité, la mesure conservatoire ordonnée par le Président du Tribunal de première instance le 12 novembre 2004 est levée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO, STATUANT CONTRADICTOIREMENT EN MATIÈRE CORRECTIONNELLE,

Confirme le jugement du tribunal correctionnel en date du 22 novembre 2005 en ce qu'il a débouté le Procureur général de sa demande tendant à ce que soit autorisé l'exécution de la décision de confiscation ordonnée par le tribunal de Rome contre G. d. S.,

Le réformant sur les conséquences de ce déboutement,

Constate que par l'effet de la loi la mesure conservatoire ordonnée par le Président du Tribunal de première instance le 12 novembre 2004 est levée de plein droit.

Composition🔗

Mme François, prem. prés. ; M. Adam, cons. ; Mme Mabrut cons. ; Mme Gonelle, prem. subst. proc. gén. ; Mme Zanchi, gref. princ. ; Me Escaut, av. déf.

Note🔗

Ce arrêt confirme le jugement du tribunal correctionnel en date du 22 novembre 2005 en ce qu'il a débouté le Procureur général de sa demande tendant à ce que soit autorisée l'exécution de la décision de confiscation ordonnée par le tribunal de Rome contre la prévenue ; il l'a réforme en constatant que par l'effet de la loi la mesure conservatoire ordonnée par le président du tribunal de première instance le 12 novembre 2004 se trouve levée de plein droit.

Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté.

Décision sélectionnée par la Revue de Droit Monégasque pour son intérêt jurisprudentiel, Revue de Droit Monégasque, 2006, n° 8, p. 192 à 194.

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