Cour d'appel, 20 janvier 2004, S.P. c/ C.R.

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Abstract🔗

Lois - Ordonnances - Arrêtés

Loi nouvelle - Loi n° 1278 du 29 décembre 2003 modificative - Effet immédiat d'application : art. 18 de ladite loi

Divorce

Exercice de l'autorité parentale : article 206-20 du Code civil modifié par la loi n° 1278 du 29 décembre 2003 - Effet immédiat d'application : réouverture des débats pour conclure en l'état de cette modification

Résumé🔗

Le litige soumis à la Cour porte essentiellement sur les mesures provisoires de garde des enfants L. et A. et sur le droit de visite et d'hébergement, que le Tribunal, saisi au fond de la procédure de divorce des époux R, était habilité à prendre ou à modifier sur le fondement de l'article 206-2 du Code civil ;

La loi n° 1278 du 29 décembre 2003 modifiant certaines dispositions du Code civil, du Code de procédure civile et du Code de commerce, publiée au Journal de Monaco le 2 janvier 2004, dispose en son article 4 : « L'article 206-20 du Code civil modifié comme suit :

» Les père et mère conservent l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

Le Tribunal peut également confier l'exercice de l'autorité parentale à un seul des père et mère si l'intérêt des enfants le commande. Il détermine le droit de visite et la part contributive à leur entretien et éducation.

Quelle que soit la décision rendue, le père et la mère conservent le droit de surveiller l'entretien et l'éducation de leurs enfants et sont tenus d'y participer en fonction de leurs ressources « ;

Eu égard à ces dispositions de la loi n° 1278 du 29 décembre 2003, d'application immédiate, en vertu de l'article 18 de celle-ci, il y a lieu de réouvrir les débats et d'inviter les parties à conclure quant aux demandes de l'appelante, sur le fondement de ces nouvelles dispositions au regard de l'article 203 du Code civil.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

R, de nationalité italienne, et P de nationalité grecque, se sont mariés le 13 avril 1996 à Londres, sans avoir préalablement conclu de contrat de mariage, et de leur union sont nés L. le 13 juillet 1997 et A. le 4 mai 2000.

R. a déposé une requête de divorce le 4 février 2003.

Par une ordonnance en date du 19 février 2003, le magistrat conciliateur a autorisé R. à faire assigner P. par devant le Tribunal, aux fins de sa demande en divorce, ordonné une mesure d'enquête sociale, confié provisoirement la garde des enfants L. et A. à R., réservé à P. le plus large droit de visite qui, sauf meilleur accord des parties, s'exercera hors la présence de tiers étrangers à la famille, chaque semaine, du mardi 17h au jeudi matin, à charge pour P. de conduire L. à l'école et de ramener A. chez son père ainsi qu'une fin de semaine sur deux, du vendredi 17h au dimanche 18 heures, et la première moitié des vacances scolaires les années paires et la seconde moitié les années impaires.

Par cette même ordonnance le magistrat conciliateur a donné acte à P. de ce qu'elle ne sollicitait pas de pension alimentaire et a renvoyé les parties à l'audience du Tribunal du jeudi 10 avril 2003, aux fins de leurs conclusions sur les mesures provisoires.

Saisie par P. de demandes tendant à ce que la garde provisoire des deux enfants lui soit confiée, avec un droit de visite pour R., à l'attribution de la jouissance du domicile conjugal, à la condamnation de R. à lui verser une contribution à l'entretien et l'éducation de leurs enfants, et à titre subsidiaire, à l'organisation à son profit d'un très large droit de visite et d'hébergement, la Cour a confirmé, par arrêt du 29 avril 2003, l'ordonnance du magistrat conciliateur du 19 février 2003 et donné acte à R. de ce qu'un accord était intervenu entre les parties pour ce qui concerne les contacts téléphoniques quotidiens avec le parent absent.

Par exploit du 19 mars 2003 R. a fait assigner en divorce P. et demandé au Tribunal de prononcer le divorce aux torts et griefs exclusifs de celle-ci, de lui confier la garde des enfants L. et A., de réserver à P. le plus large droit de visite à exercer hors la présence de tiers étrangers à la famille et, sauf meilleur accord, de la manière indiquée dans l'ordonnance de non-conciliation du 19 janvier 2003, de lui attribuer la jouissance du domicile conjugal et de condamner P. au paiement d'une somme de 50 000 € à titre de dommages-intérêts.

P. a sollicité, quant à elle, la garde provisoire de L. et A., la jouissance gratuite du domicile conjugal et demandé à défaut qu'il soit constaté qu'elle dispose de capacités d'hébergement de nature à lui permettre d'accueillir ses enfants à son domicile, d'accorder à R. un large droit de visite et d'hébergement, lequel devrait s'exercer les premières, troisièmes et cinquièmes fins de semaines de chaque mois, du vendredi à la sortie de l'école jusqu'au lundi matin avant la classe, à charge pour lui d'aller chercher les enfants et de les ramener, ainsi que la première moitié des petites et grandes vacances scolaires les années paires et la seconde moitié de ces vacances les années impaires.

P. a sollicité en outre une somme mensuelle de 3 500 € par enfant à titre de part contributive à leur entretien et leur éducation, soit un montant global de 7 000 €.

R. a, par conclusions ultérieures, demandé la confirmation des mesures provisoires fixées par l'ordonnance de non-conciliation du 19 février 2003 et déclaré se réserver le droit de conclure sur le fond du divorce.

l'audience du 3 juillet 2003 du Tribunal de première instance R. et P. ont limité leurs plaidoiries aux mesures provisoires.

Par le jugement entrepris du 18 juillet 2003 le Tribunal de première instance a maintenu l'ordonnance de non-conciliation du 19 février 2003 en toutes ses dispositions, débouté P. de ses demandes et renvoyé la cause et les parties à l'audience du mercredi 15 octobre 2003 pour conclusions au fond de P., et réservé les dépens en fin de cause.

P conclut à la recevabilité de son appel, à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, et demande à la Cour de lui confier la garde des enfants A. et L., de réserver à R. le plus large droit de visite qui devra s'exercer, sauf meilleur accord des parties, les premières, troisièmes et cinquièmes fins de semaines de chaque mois du vendredi à la sortie des classes jusqu'au lundi matin à la rentrée des classes, à charge pour leur père de chercher et ramener L. à l'école et A. chez elle, ainsi que la première moitié de toutes les vacances scolaires les années paires et la seconde moitié les années impaires.

Elle demande en outre à la Cour de lui confier la jouissance gratuite du domicile conjugal sis à Monaco, à [adresse], et de faire défense à R. de venir l'y troubler pour quelque cause que ce soit, et, à défaut, de constater qu'elle dispose de capacités d'hébergement suffisantes dans son propre appartement de trois pièces sis [adresse] à Monaco, de condamner R. à lui payer, le 1er de chaque mois et d'avance une somme de 3 500 € par mois et par enfant à titre de contribution à leur entretien et leur éducation, avec indexation, de rejeter toute demande contraire de R. et de le condamner aux entiers dépens.

Elle fait valoir qu'elle n'a jamais cessé de manifester l'intérêt primordial qu'elle portait à ses enfants dont elle s'est constamment occupée et dont l'âge doit être pris en considération pour l'attribution de la garde, ainsi que l'assistante sociale l'a rappelé à juste titre dans son rapport ;

Que c'est à tort que le Tribunal a estimé qu'il n'existait aucun élément de nature à modifier la garde des enfants qui a été confiée à leur père ;

Que le rapport d'enquête sociale vante aussi bien les qualités de R. que les siennes, et précise que l'attribution de la garde ne devrait pas être subordonnée à la circonstance qu'elle pourrait à l'avenir vivre avec un autre homme ;

Que le Tribunal ne pouvait pas davantage estimer ne pas devoir tenir compte des recommandations de l'assistante sociale quant à l'accroissement du droit de visite au profit du parent qui n'obtiendrait pas la garde, quant à la constatation qu'elle était le parent le plus apte à respecter le droit de visite de l'autre et quant à l'âge des enfants qui commande qu'ils passent plus de temps avec leur mère ;

Qu'en tout état de cause, le temps écoulé permet de constater qu'elle n'a pas quitté la Principauté pour l'Angleterre comme le prétendait initialement R. ;

Qu'elle a produit diverses attestations dont il résulte qu'elle est une excellente mère et entretient de très bonnes relations avec ses enfants dont elle s'est toujours occupée ;

Qu'elle-même a toujours privilégié une approche amiable du litige pour s'adapter aux besoins de ses enfants L. et A. ;

Que R. prétend s'être organisé sur le plan professionnel pour pouvoir assumer la garde des enfants, alors que sa profession de courtier maritime lui laisse peu de disponibilité, même en dehors des heures de bureau, eu égard à la spécificité des transports maritimes, en sorte qu'il organise toutes les semaines les déplacements de Londres à Monaco de son beau-père, D. P. qui est alors chargé de s'occuper en son absence des deux enfants, alors qu'elle-même n'exerce aucune activité professionnelle et demeure seule à Monaco lorsqu'elle n'a pas les enfants ;

Que les coups dont elle a été victime de la part de son mari qui n'a pour seul objectif que de l'humilier et de la punir en conservant la garde des enfants, ainsi que le comportement de celui-ci à l'égard de S. T. révèlent sa véritable personnalité qui doit être prise en compte dans l'appréciation de l'intérêt des enfants quant à la fixation de leur garde ;

Qu'au cours de l'été 2003, R. n'a ainsi consacré qu'un seul week-end à L. et A. qu'il a confiés à ses beaux-parents, en passant même quelques jours à Saint-Tropez sans ses enfants, alors qu'elle-même aurait été disponible pour s'en occuper, sans avoir besoin de recourir à une quelconque aide ;

Que la manière dont se sont passées les dernières vacances d'été démontre l'absurdité de la situation et la nécessité d'envisager une modification des mesures provisoires arrêtées le 19 février 2003 et entérinées par le jugement du 18 juillet 2003 ;

P. fait valoir, par ailleurs, s'agissant de sa demande de modification de son droit de visite, que le Tribunal n'a pas tenu compte des recommandations de l'assistance sociale qui préconisait une augmentation des relations mère-enfants, ni de l'avis exprimé par la psychologue S., ni du très jeune âge des enfants et de sa totale disponibilité ni encore des différentes attestations qui démontrent sa parfaite capacité à continuer à s'occuper de ses enfants ;

Qu'en effet, le droit de visite dont elle bénéficie est manifestement insuffisant pour rétablir le contact entre elle et ses enfants, dont l'intérêt est de passer le plus de temps possible avec leurs parents ;

Qu'en modifiant la garde à son profit, et en accordant le plus large droit de visite à R., celui-ci pourra mieux organiser son travail et son temps libre pour profiter de la présence de ses enfants, et devrait ainsi bénéficier de plus large droit de visite et notamment les deuxièmes, troisièmes et cinquièmes semaines de chaque mois du vendredi à partir de la sortie des classes au lundi matin à la rentrée des classes ;

Que si L. et A. sont parfaitement adaptés à l'appartement de trois pièces qu'elle occupe au Parc Saint Roman, et au sujet duquel elle a justifié d'une prolongation de son bail, en sorte que ses capacité d'hébergement apparaissent suffisantes pour exercer la garde de deux enfants, la Cour pourra toutefois lui accorder la jouissance du domicile conjugal si elle l'estime utile ;

Qu'enfin, R. doit être condamné à lui verser une somme mensuelle de 3 500 € par enfant à titre de contribution à leur entretien et de leur éducation, eu égard à son revenu professionnel d'environ 85 000 € par mois, à son patrimoine familial et personnel très important et aux besoins des enfants, les frais scolaires pour L. étant de 11 900 € par an ;

R. conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, au sujet de toutes autres demandes de P., et à la condamnation de celle-ci aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Il fait valoir qu'il a déposé une requête en divorce car sa femme avait décidé d'abandonner sa famille pour rejoindre S. T., un ami du couple, avec lequel elle entretenait une relation adultérine ;

Qu'alors que cinq décisions de justice l'ont reconnu apte à assumer la garde de ses enfants, depuis la détérioration de leurs relations conjugales, et que A est désormais scolarisée dans la même école que son frère, l'École Internationale de Monaco, P. sollicite une nouvelle fois leur garde ;

Que P. a clairement manifesté son intention de s'installer à Londres où réside son amant, Steven Tucker où elle envisage d'emmener les enfants, en sorte qu'elle s'est bornée à conclure un bail limité à 6 mois, sans justifier de sa volonté de maintenir sa résidence à Monaco ;

Qu'il ne s'est produit aucun événement susceptible de remettre en cause sa propre aptitude à assumer la garde de ses enfants ;

Que la seule volonté de P. de s'installer en Angleterre pour se rapprocher de l'homme marié avec lequel elle entretient une relation adultérine ne peut justifier le bouleversement qu'impliquerait le transfert de la garde des deux enfants ;

Que contrairement aux allégations de P., leur enfant L. n'est pas confronté à des difficultés scolaires, et lui-même assume totalement son rôle de père ;

Qu'il a versé aux débats diverses attestations dont il résulte qu'il a toujours été présent auprès de ses enfants, en conciliant au mieux les exigences de sa profession avec les besoins de ceux-ci ;

Que le rapport de la psychologue, J. S., en date du 1er mars 2003, doit être écarté des débats car il s'agit d'un rapport de complaisance qui se borne à procéder à des affirmations en concluant que L. et A. pourraient être déséquilibrés sur le plan psychologique et sujets à un échec scolaire s'ils n'étaient pas confiés à leur mère ;

Que P. méconnaît totalement l'intérêt de ses enfants en le dénigrant systématiquement et en l'injuriant, n'ayant aucune conscience de la nécessité de maintenir une certaine décence dans la période de trouble que traverse la famille ;

Que sa femme est inapte à préserver l'équilibre des enfants compte tenu de sa fragilité psychologique et de l'existence de sérieux troubles psychologiques qui rejaillissent sur son comportement alimentaire, et qui se manifestent par la consultation de » voyants « auxquels elle a recours pour gérer son existence ;

Qu'elle a démontré sans équivoque qu'elle accordait la priorité à sa relation adultérine au détriment de ses enfants, et a ainsi sollicité l'autorisation de quitter le domicile conjugal en y laissant ses enfants, en sorte qu'elle ne peut se présenter comme une victime ;

Que lui-même a été décrit dans le rapport d'enquête sociale comme une personne de confiance, droite, sincère et sérieuse ;

Qu'aucun incident ne s'est produit depuis que la garde des enfants lui a été confiée ;

Que les principales attaches des enfants se trouvent à Monaco où ils vivent depuis leur naissance, en assumant déjà les conséquences de la séparation de leurs parents alors qu'ils ne sont âgés que de 3 ans et 6 ans, en sorte qu'il ne peut leur être imposé un changement d'environnement sans qu'il en résulte un traumatisme supplémentaire, leur intérêt supérieur commandant qu'ils soient maintenus dans leur environnement habituel ;

Sur ce,

Considérant que le litige soumis à la Cour porte essentiellement sur les mesures provisoires de garde des enfants L. et A. et sur le droit de visite et d'hébergement, que le Tribunal, saisi au fond de la procédure de divorce des époux R., était habilité à prendre ou à modifier sur le fondement de l'article 206-2 du Code civil ;

Considérant que la loi n° 1278 du 29 décembre 2003 modifiant certaines dispositions du Code civil, du Code de procédure civile et du Code de commerce, publiée au Journal de Monaco le 2 janvier 2004, dispose en son article 4 : » L'article 206-20 du Code civil est modifié comme suit :

Les père et mère conservent l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

Le Tribunal peut également confier l'exercice de l'autorité parentale à un seul des père et mère si l'intérêt des enfants le commande. Il détermine le droit de visite et la part contributive à leur entretien et éducation.

défaut d'accord amiable des époux ou si cet accord apparaît contraire à l'intérêt des enfants, le Tribunal désigne celui des père et mère auprès duquel les enfants auront leur résidence habituelle.

Le Tribunal peut cependant fixer la résidence des enfants auprès d'une autre personne ou institution qui accomplit à leur égard tous les actes usuels relatifs à leur surveillance et à leur éducation.

Quelle que soit la décision rendue, le père et la mère conservent le droit de surveiller l'entretien et l'éducation de leurs enfants et sont tenus d'y participer en fonction de leurs ressources " ;

Considérant qu'eu égard à ces dispositions de la loi n° 1278 du 29 décembre 2003, d'application immédiate, en vertu de l'article 18 de celle-ci, il y a lieu de réouvrir les débats et d'inviter les parties à conclure quant aux demandes de l'appelante, sur le fondement de ces nouvelles dispositions au regard de l'article 203 du Code civil ;

Que les dépens seront, par ailleurs, réservés en fin de cause ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour, avant dire droit sur les demandes des parties, réouvre les débats et invite P et R à conclure quant aux demandes de l'appelante, sur le fondement des dispositions de l'article 206-20 du Code civil issu de la loi n° 1278 du 29 décembre 2003 modifiant certaines dispositions du Code civil, du Code de procédure civile et du Code de commerce ;

Renvoie à cet effet la cause et les parties à l'audience du 24 février 2004 pour les conclusions de P. ;

Réserve les dépens en fin de cause.

Composition🔗

M. Landwerlin, prem. prés. ; Serdet, proc. gén. ; Mes Gerdetto, Mullot, Rey, av. déf. ; Giaccardi, av.

Note🔗

La Cour a renvoyé la cause et les parties à une audience ultérieure pour conclure quant aux demandes de l'appelante sur le fondement des dispositions de l'article 206-20 du Code civil issu de la loi modificative n° 1278 du 29 décembre 2003.

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