Cour d'appel, 16 décembre 2003, société Digital Illusion c/ société ICFC

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Abstract🔗

Baux commerciaux

Révision du loyer, fixé par une clause d'échelle mobile - Compétence de la Commission Arbitrale des loyers commerciaux (art. 21 et 23 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948) - Adaptation de l'échelle mobile à la valeur locative subordonnée à une modification des conditions économiques générales de la Principauté et aux conditions particulières affectant le fonds

Résumé🔗

L'article 23 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 dispose que dans le cas où le prix est prévu par le jeu d'une clause d'échelle mobile fondée sur les indices du coût de la vie, des indices économiques ou des variations de prix, la commission arbitrale des loyers commerciaux adaptera le prix de l'échelle mobile à la valeur locative équitable en tenant compte de tous éléments d'appréciation utile.

Ce texte est inscrit dans le titre II intitulé : révision du loyer ; c'est en se fondant sur les éléments retenus par l'article 21 du même titre de ladite loi qui doivent être recherchés les éléments utiles à l'évaluation de la valeur locative, c'est-à-dire les conditions économiques générales de la Principauté, et les conditions particulières affectant le fonds.

Il appartient à la société IGFC de démontrer que depuis la fixation du prix du loyer en 1994, le jeu de la clause d'échelle mobile n'a pas rendu compte des conditions économiques de la Principauté.

Les pièces communiquées concernent la fixation du prix des loyers commerciaux lors du renouvellement de ces baux et non de leur révision.

Ces pièces sont contredites par les communications de la société Digital Illusion, qui fait état de prix de loyers comparables à celui qu'elle veut voir maintenu.

La société ICFC ne démontre pas que la clause d'échelle mobile applicable tout au long du bail ne rende pas compte de l'évolution des conditions économiques de Monaco.

La location de 11 places de parking consentie à la société locataire constitue un avantage dans l'exploitation du fonds depuis l'origine du bail.

La bailleresse affirme que cet avantage s'est accru en raison de la pénurie de places de parking dans la zone d'exploitation, sans apporter aucun élément susceptible de le démontrer.

Les dépenses d'entretien des parties communes de l'immeuble, réglées par l'ensemble de la copropriété, sans influence significative sur la valeur locative des locaux.

L'ensemble des autres travaux de mise en conformité de l'immeuble, votés ultérieurement, n'étaient pas réalisés le 1er septembre 2001.

L'agrément d'un sous-locataire par la bailleresse en 1998, s'il constituait un avantage pour le locataire, n'a pas été pris en compte à cette époque par la bailleresse, ce que le bail rapporte expressément, cet agrément étant consenti sans augmentation du prix du loyer, d'accord entre les parties.

La bailleresse n'a pas rapporté la preuve que les conditions particulières affectant le fonds avaient évolué de telle manière que la clause d'échelle mobile n'en rendait pas compte.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

Suivant bail du 15 septembre 1994, la société anonyme monégasque ICFC a consenti à E. M. la location à usage commercial pour une durée de 9 années à compter du 1er juillet 1994, du 5e étage de l'immeuble, d'une superficie de 1 752 mètres carrés, ainsi que de 11 emplacements de parkings moyennant un loyer de 949 652,26 francs (144 773,55 euros) hors taxes, révisable tous les 6 mois en fonction des variations de l'indice national du coût de la construction publiée à l'INSEE.

E. M. a cédé son bail à la société anonyme monégasque Digital Illusion le 18 juin 1998.

Par avenant du 18 juin 1998, le bailleur acceptait la substitution pure et simple de la société Digital Illusion à E. M. V.

Les clauses charges et conditions du bail demeuraient inchangées.

L'article 3 du même avenant stipulait que le bailleur autorisait la société Digital Illusion à sous-louer tout ou partie des locaux au profit de la société anonyme Monaco Digital Records qu'il agréait expressément comme sous locataire à compter de la signature de l'avenant sans modification des obligations réciproques des parties bailleresse et preneuse telles qu'elles résultaient du bail du 15 septembre 1994.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 juillet 2001, la société ICFC proposait à la société anonyme Digital Illusion de fixer le prix du loyer à la somme de 1 300 000 francs (soit 198 183,72 euros) par an à compter du 1er septembre 2001.

Par courrier du 10 août 2001, la société ICFC refusait purement et simplement l'augmentation sollicitée.

Par un courrier postérieur au 20 septembre 2001 le Conseil de la société Digital Illusion rappelait que le bailleur ne pouvait justifier des motifs de sa demande.

La société ICFC saisissait alors la commission arbitrale des loyers commerciaux aux fins de voir porter le loyer des locaux occupés par la société Digital Illusion à la somme de 198 018,72 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er septembre 2001 en application de l'article 21 de la loi 490 du 24 novembre 1948.

Les parties ne pouvant parvenir à un accord, un procès-verbal de non conciliation était dressé le 7 novembre 2001.

Par jugement du 27 avril 2002, la commission arbitrale des loyers commerciaux,

  • déclarait recevable et fondée la demande d'augmentation du loyer formée par la société International Cold Forcing Corporation sur le fondement de l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948.

  • disait que la valeur locative des locaux donnés à bail par ladite société à la société Digital Illusion s'élevait à la somme mensuelle de 187 000 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er septembre 2001.

  • déclarait la société Digital Illusion tenue d'acquitter ledit loyer auprès de sa bailleresse à compter de cette date.

Pour statuer ainsi, la commission arbitrale a constaté qu'aucune augmentation du loyer litigieux n'était intervenue depuis le 1er septembre 1994, hors le jeu de la clause d'échelle mobile,

  • que le prix du loyer de 155 745,56 euros en vigueur le 1er septembre 2001 ne correspondait plus aux loyers du secteur industriel et commercial, en raison de la hausse moyenne du prix de ces locaux depuis 5 ans,

  • que le propriétaire justifiait d'améliorations importantes aux locaux par la réfection intégrale du hall et de la cage d'escalier,

  • que même en l'absence de justification par le bailleur de sa quote-part, dans les travaux réalisés, cette amélioration était constitutive d'un avantage particulier pour le locataire,

  • que la mise à disposition de 11 parkings était particulièrement favorable à l'exploitation du fonds de commerce.

Par l'acte d'appel et d'assignation du 17 janvier 2003, signifié à la société ICFC la société Digital Illusion demande à la cour de réformer le jugement ainsi rendu à son encontre par la commission arbitrale des loyers commerciaux, et statuant à nouveau, dire et juger que le loyer doit être maintenu en son montant actuel, de débouter la société ICFC de toutes ses demandes et de la condamner aux dépens.

Au soutien de son appel, la société Digital Illusion fait grief à la commission arbitrale d'avoir retenu l'évolution favorable des conditions économiques de Monaco alors que la clause d'échelle mobile, prévue au bail, tient déjà compte de cette évolution et que les augmentations qu'elle entraîne sont suffisantes à en rendre compte,

  • que la société ICFC ne rapporte pas la preuve par les pièces qu'elle communique, pièces que l'appelante qualifie d'incomplètes, que les loyers de locaux similaires seraient plus élevés,

  • que le procès-verbal de l'assemblée générale de la copropriété en date du 12 décembre 2000, ne démontre pas que les travaux d'amélioration de l'immeuble, qu'elle qualifie de modestes, aient été effectués, la société ICFC n'ayant pas justifié avoir réglé la quote-part de ces travaux lui revenant,

  • que ces travaux, eussent-ils été réalisés, ne pouvaient avoir pour effet de constituer des modifications des conditions particulières affectant le fonds,

  • qu'enfin, l'avantage que constitueraient les 11 parkings ne peut être assimilé à une modification des conditions particulières de bail, la notion « d'avantage grandissant » avancé par la société ICFC n'entrait pas dans le champ d'application de l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, ces locaux étant à la dispositions des locataires depuis 1994.

Par conclusions postérieures, elle constate que, après communication des baux des loyers de référence par la société ICFC, les deux loyers pris en considération sont très supérieurs aux prix actuellement pratiqués et même très supérieurs aux prétentions de la société ICFC.

  • elle communique des éléments de référence portant, pour l'un d'entre eux sur le bail consenti par l'administration des domaines de Monaco dans le même immeuble pour un prix de 92 euros HT le m2, valeur 1er janvier 2002, contre 117 euros sollicité par la société ICFC.

  • elle soutient qu'en 1998, lors de l'avenant au bail et de l'agrément d'un sous locataire, la société ICFC n'a sollicité aucune révision du prix du loyer. Elle demande à la Cour de débouter la société ICFC de son appel incident.

La société ICFC forme appel incident et sollicite à son tour la réformation du jugement et demande à la Cour de dire et juger que la valeur locative équitable des locaux donnés à bail s'élève à 198 138,72 euros hors taxes et hors charges à compter du 1er septembre 2001 et de condamner la société Digital Illusion aux dépens.

Au soutien de son appel incident, elle se fonde sur un article du quotidien Monaco Matin du 23 avril 2003, précisant que le prix moyen des locaux commerciaux est de 126,24 euros le m2.

  • elle rappelle qu'elle a communiqué des loyers de référence pour des locaux identiques supérieurs à celui qu'elle sollicite,

  • elle maintient que le 15 janvier 2001 des travaux de peinture de l'escalier maître ont été décidés par l'assemblée générale de la copropriété à hauteur de 175 000 francs, la suite des travaux devant être échelonnée sur les exercices suivants,

  • elle précise que les 11 parkings mis à la disposition du locataire constituent un avantage non négligeable qui doit être pris en compte au regard de l'article 21 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948.

Sur quoi,

Considérant que l'article 23 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 dispose que dans le cas où le prix est prévu par le jeu d'une clause d'échelle mobile fondée sur les indices du coût de la vie, des indices économiques ou des variations de prix, la commission arbitrale des loyers commerciaux adaptera le prix de l'échelle mobile à la valeur locative équitable en tenant compte de tous éléments d'appréciation utile ;

Considérant que ce texte est inscrit dans le titre II intitulé : révision du loyer ; que c'est en se fondant sur les éléments retenus par l'article 21 du même titre de ladite loi que doivent être recherchés les éléments utiles à l'évaluation de la valeur locative, c'est-à-dire les conditions économiques générales de la Principauté, et les conditions particulières affectant le fonds ;

Sur les conditions économiques générales de la Principauté :

Considérant qu'il appartient à la société ICFC de démontrer que depuis la fixation du prix du loyer en 1994, le jeu de la clause d'échelle mobile n'a pas rendu compte des conditions économiques de la Principauté ;

Considérant que pour l'établir, la société ICFC produit un article de Nice Matin du 20 avril 2001 exposant la hausse des loyers à Monaco ;

Considérant que cet article ne comporte aucun élément objectif établissant l'évolution des conditions économiques de la Principauté et se fait seulement l'écho des difficultés des commerçants soumis à des hausses qu'ils jugent excessives ;

Considérant que la société ICFC communique, à titre de comparaison, trois factures adressées par la société anonyme monégasque de Promotion Immobilière à une société SAMIB ;

Considérant que l'une d'entre elles du 5 avril 2001, portant sur le lot 62 et l'autre du 21 avril 2001 pour les lots 60 et 61, sont des réclamations portant sur des indemnités d'occupation ;

Considérant que le troisième document est une facture adressée par la même société à la SAMIB pour le loyer du lot n° 10 du même immeuble faisant état d'un loyer trimestriel de 19 973,42 euros sans que soient communiqués d'éléments sur la superficie du local et sa destination ;

Considérant que la société ICFC communique, en cause d'appel, les extraits de deux baux consentis par la SAM Albu, l'un à la SAM International communication, à compter du 1er juin 2001 pour un local d'une superficie de 580 m2 pour le prix de 624 000 francs, le second par la même société à la SAM Campari à compter du 1er octobre 2001 pour un local sis dans le même immeuble d'une superficie de 640 m2 pour le prix de 120 271,60 euros ;

Considérant que les pièces ainsi communiquées concernent la fixation du prix des loyers commerciaux lors du renouvellement de ces baux et non de leur révision ;

Considérant que ces pièces sont contredites par les communications de la société Digital Illusion, qui fait état de prix de loyers comparables à celui qu'elle veut voir maintenu ;

Considérant qu'ainsi, la société ICFC ne démontre pas que la clause d'échelle mobile applicable tout au long du bail ne rende pas compte de l'évolution des conditions économiques de Monaco ;

Sur les conditions particulières affectant le fonds :

Considérant que la location de 11 places de parking consentie à la société locataire constitue un avantage dans l'exploitation du fonds depuis l'origine du bail ;

Considérant que la bailleresse affirme que cet avantage s'est accru en raison de la pénurie de place de parking dans la zone d'exploitation, sans apporter aucun élément susceptible de le démontrer ;

Considérant qu'elle communique également plusieurs procès-verbaux d'assemblée générale de la copropriété où est installée la SAM Digital Illusion démontrant l'engagement de travaux importants de réfection du hall de l'immeuble et de peintures des escaliers ;

Considérant que si les travaux de réfection du hall de l'immeuble ont été votés par une assemblée générale des copropriétaires de l'immeuble le 15 janvier 2001, aucune pièce ne démontre que ces travaux étaient terminés le 1er septembre 2001, un procès-verbal d'assemblée générale du 7 mai 2002 démontrant au contraire que ces travaux étaient encore en cours, les miroirs n'étant pas livrés, le faux plafond n'étant pas posé à cette date ;

Considérant qu'à la même assemblée générale du 15 janvier 2001, les copropriétaires ont décidé la mise en peinture de l'escalier maître de l'immeuble ;

Considérant qu'en admettant que ces travaux aient été réalisés le 1er septembre 2001, aucune preuve n'est rapportée par la bailleresse de la quote-part de ces travaux qu'elle aurait dû régler, leur coût total s'élevant à 175 000 francs ;

Considérant qu'il s'agit de dépenses d'entretien des parties communes de l'immeuble, réglées par l'ensemble de la copropriété, sans influence significative sur la valeur locative des locaux ;

Considérant que l'ensemble des autres travaux de mise en conformité de l'immeuble, votés ultérieurement, n'étaient pas réalisés le 1er septembre 2001 ;

Considérant que l'agrément d'un sous locataire par la bailleresse en 1998, s'il constituait un avantage pour le locataire, n'a pas été pris en compte à cette époque par la bailleresse, ce que le bail rapporte expressément, cet agrément étant consenti sans augmentation du prix du loyer, d'accord entre les parties ;

Considérant que la bailleresse n'a pas rapporté la preuve que les conditions particulières affectant le fonds avaient évolué de telle manière que la clause d'échelle mobile n'en rendait pas compte ;

Considérant que le jugement doit donc être infirmé, et qu'il n'y a pas lieu à révision du prix du loyer au 1er septembre 2001, qui était par le jeu de l'échelle mobile, de 155 745,56 euros annuellement à cette date ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société International Gold Forcing Corporation dont la demande est rejetée, devra supporter les dépens de première instance et d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

LA COUR D'APPEL DE LA PRINCIPAUTÉ DE MONACO,

  • Reçoit l'appel,

  • Infirme le jugement de la commission arbitrale des loyers commerciaux, en date du 27 novembre 2002,

  • Déboute la société ICFC de sa demande de révision de loyer au 1er septembre 2001.

Composition🔗

MM. Landwerlin, prem. prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Licari et Pasquier-Ciulla, av. déf.

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement de la commission arbitrale des loyers commerciaux du 27 novembre 2002 qui avait estimé que les conditions de la révision étaient réunies.

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