Cour d'appel, 20 septembre 2001, L. dit S.-P., R., L., E., M., c/ Ministère public en présence de la SAM Banque du Gothard de Monaco, Sté Sylvester Corp. NV, C., Société C. et Associés

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Abstract🔗

Abus de confiance

Éléments de l'infraction - Remise des choses en exécution d'un contrat limitativement énuméré, indépendamment de sa nullité - Exclusion du contrat d'entreprise - Délit non caractérisé

Résumé🔗

Aux termes de l'article 337 alinéa 1er du Code pénal, l'infraction d'abus de confiance n'est constituée que si les objets détournés ont été remis en exécution de l'un des contrats qu'il énumère limitativement, la nullité du contrat violé ne taisant pas disparaître l'infraction.

Il appartient dès lors à la cour d'analyser la convention en vertu de laquelle la Société Sylvester Corporation NV, représentée par A. C. a remis les fonds litigieux à C. L., de déterminer la nature et les modalités dudit contrat, la qualification de celui-ci étant, par suite, de nature à permettre de vérifier s'il s'agit de l'un de ceux énumérés ci-dessus.

Il résulte des clauses du contrat analysées, que la Société Sylvester Corporation a financé, dans le cadre d'un accord commercial, un projet concernant la production, le lancement et le marketing dans le monde entier, d'une œuvre musicale que l'artiste C. L. dit S.-P. envisage de réaliser, intitulée « [titre] ».

Contrairement à l'analyse des premiers juges, qui pour retenir C. L. dans les liens de la prévention, ont considéré qu'il s'était vu confier des fonds par la Société Sylvester Corporation NV, pour un travail non salarié, une telle convention présentant un caractère « sui generis » ne peut être qualifiée que de contrat d'entreprise, A. C. avançant des fonds pour permettre la réalisation d'une œuvre musicale, tandis que C. L., en contrepartie de la prise en charge de l'investissement, concédait à celui-ci 50 % du produit de l'exploitation commerciale de cette œuvre.

Cette convention ne constituant pas l'un des contrats limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal, le délit d'abus de confiance ne peut être retenu à l'encontre de C. L. non plus que celui de complicité d'abus de confiance à l'encontre de P. R., de J. R., d'E. E. et d'A. M.


Motifs🔗

La Cour,

Jugeant correctionnellement,

Statuant sur les appels interjetés le 10 janvier 2001 par C. L. dit S.-P., le 16 janvier 2001 par P. R., la SAM Banque du Gothard et le Ministère Public, et le 18 janvier 2001 par A. C., la société C. et A. et la société Sylvester Corporation NV, parties-civiles, à l'encontre d'un jugement du 9 janvier 2001 par lequel le Tribunal correctionnel a :

Sur l'action publique :

• relaxé J. L., E. E. et A. M. des fins de la poursuite,

• déclaré C. L. dit S.-P. et P. R. coupables du délit qui leur est respectivement reproché,

• condamné C. L. dit S.-P. à la peine de six mois d'emprisonnement,

• condamné P. R. à la peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis,

Sur l'action civile :

• déclaré irrecevables A. C. et la société C. et A. en leurs constitutions de partie-civile,

• reçu la société Sylvester Corporation NV en sa constitution de partie-civile et déclaré celle-ci partiellement fondée en sa demande, condamné in solidum C. L. dit S.-P., P. R. et la SAM Banque du Gothard Monaco, celle-ci en sa qualité de civilement responsable de P. R., à lui payer la somme de 3,5 millions de francs à titre de dommages-intérêts, outre les intérêts de droit à compter du jugement et rejeté le surplus de la demande de la société Sylvester Corporation NV,

• dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du chef des intérêts civils,

• condamné en outre sous la même solidarité C. L. dit S.-P., P. R. et la SAM Banque du Gothard Monaco aux frais,

• fixé au minimum la durée de la contrainte par corps.

Considérant les faits suivants :

Par un courrier enregistré au greffe du juge d'instruction de Monaco le 9 juillet 1997, la société de droit néerlandais Sylvester Corporation NV déposait plainte avec constitution de partie-civile, des chefs d'abus de confiance à l'encontre de C. L. dit S.-P. et de complicité d'abus de confiance à l'encontre des dirigeants de la Banque du Gohard de Monaco.

Il était exposé dans cette plainte qu'aux termes d'un acte sous seing privé signé à Genève le 25 avril 1994 et conclu avec Archer Musical Production Inc. et C. L. dit S.-P., la société Sylvester Corporation NV s'était engagée à financer une œuvre de S.-P. dénommée « [titre] » dont la bande Master devrait être réalisée au plus tard le 31 juillet 1994, le coût prévisionnel de réalisation et de lancement étant fixé à 9 442 750 francs, dont 940 000 francs avait déjà été investis par la société Archer Musical Production Inc., selon les déclarations de celle-ci ;

La partie-civile précisait qu'en vertu de cet acte du 25 avril 1994, était ouvert un compte spécial auprès de la Banque M. M. à Paris, fonctionnant sous la dénomination « [titre] - Archer Musical Production Inc. », sur lequel elle donnait divers ordres de paiement en avril, juin et novembre 1994 pour un montant total de 8 502 750 francs.

Le 30 janvier 1996 elle était informée par télécopie, adressée par C. L. dit S.-P. que la société Archer Musical Production Inc. avait décidé de changer de banque et de se domicilier auprès de la Banque du Gothard à Monaco où deux comptes étaient ouverts :

• un compte [numéro], devenu ultérieurement [numéro] au nom de la société Archer domiciliée au Canada.

• un compte [numéro] sous la rubrique « Archer - [titre] » avec une stipulation dans le contrat d'ouverture de compte de fusion automatique des comptes.

La société plaignante ajoutait que lors de l'ouverture de ces deux comptes le 14 décembre 1995, en garantie de deux cautions émises par la société Archer Musical Production Inc. au profit de C. L. dit S.-P. et de J. R., cette société acceptait de constituer une garantie sur le compte [numéro] à hauteur de 1,5 million de francs, somme nantie au profit du compte [numéro] jusqu'au 5 janvier 1996, date à laquelle une seconde convention était signée entre les mêmes parties mais pour un montant de 1 200 000 francs, valable jusqu'au 10 janvier 1996.

La société Sylvester Corporation NV, C. L. dit S.-P. et R., en raison de leurs engagements personnels auprès de la Banque du Gothard, et sur demande de celle-ci, avaient été amenés à garantir leurs découverts en fournissant la caution de la société Archer Musical Production Inc., laquelle était contre-garantie par des nantissements personnels provenant du compte « [titre] ».

A. C., représentant légal de la société plaignante, s'était rendu le 13 février 1996 à la Banque du Gothard à Monaco, pour contrôler le compte « [titre] », puis avait à nouveau interrogé la banque sur l'état de ce compte en mai et juin 1996.

Ainsi, le 17 juin 1996, la Banque du Gothard l'informait de ce que le compte « [titre] » était libre de tout engagement de nantissement, mais ne lui donnait pas connaissance de l'existence de la garantie consentie par la société Archer Musical Production Inc. et de la clause de fusion de comptes.

Le 3 juillet 1996, la Banque du Gothard transférait le produit de la vente des titres nantis, d'un montant de 3 600 000 francs du compte « [titre] » sur le compte Archer, garantissant ainsi le découvert de 2,5 millions de francs de ce compte en exécution d'un ordre de virement signé par C. L. dit S.-P. qu'elle détenait depuis le 5 juin 1996.

La société plaignante considérait que la Banque du Gothard qui ne pouvait ignorer l'affectation particulière des fonds transitant sur le compte Archer - [titre], s'était rendue complice du délit d'abus de confiance commis par C. L. dit S.-P..

Une information était ouverte le 11 décembre 1997 contre X. du chef d'abus de confiance.

Le 26 février 1998, P. R., fondé de pouvoirs de la Banque du Gothard, était entendu en qualité de témoin par le magistrat instructeur auquel il déclarait qu'avant l'ouverture de comptes à la Banque du Gothard, trois comptes avaient été ouverts à la Banque M. M., dont un compte Archer, débiteur d'environ 2,5 millions de francs, un compte S.-P., débiteur d'environ 300 000 francs et un compte R., débiteur d'environ 70 000 francs, le compte Archer comportant un sous-compte intitulé « Archer [titre] » qui était créditeur d'environ 3,5 millions de francs.

Selon ce témoin, par trois virements successifs, la banque M. M. avait transféré 3,5 millions de francs prélevés sur le compte Archer [titre] pour créditer le compte ouvert à la Banque du Gothard sous le même intitulé ; sur la garantie de ces sommes, la Banque du Gothard avait viré à deux reprises, un million de francs à la banque M. M. pour couvrir une partie du découvert du compte Archer, puis un troisième virement pour solder ce découvert de Archer à la banque M. M..

Il déclarait par ailleurs : « nous avions un compte débiteur (Archer) et un compte créditeur (Archer-[titre]), les avoirs du second ont garanti le découvert du premier, d'abord par un nantissement puis par une convention d'unité de compte ».

Inculpé d'abus de confiance le 17 mars 1998, C. L. dit S.-P. affirmait que c'était en méconnaissance totale de la portée de ses engagements et en contradiction avec ce qui avait été prévu que P. R. lui avait fait signer une convention d'unité de compte, qu'il n'avait jamais eu l'intention d'opérer une fusion entre ces deux comptes et que c'était précisément pour cette raison qu'il avait quitté la banque M. M.

Il précisait en outre qu'en garantie du découvert existant sur le compte général de la société Archer, il avait, à titre personnel, sollicité et obtenu l'octroi d'un prêt de 3 millions de francs sur cinq ans qui curieusement après avoir été crédité sur son compte, en avait été débité et ce, à deux reprises, pour des raisons qu'il ignorait.

Au cours d'une confrontation entre l'inculpé C. L. dit S.-P., la partie-civile A. C. et le témoin P. R., ce dernier déclarait que lors de l'ouverture du compte Archer, la banque espérait que le découvert serait rapidement comblé par le succès d'un disque en cours de lancement qui devait lui permettre de profiter des royalties, mais qu'en l'absence de matérialisation des gains escomptés et compte tenu de l'accroissement du découvert, il avait proposé à C. L. dit S.-P., alors que celui-ci était en compagnie de son ex-épouse, Mme H., de « couvrir » le découvert avec les fonds du compte spécial « Archer - [titre] » ; que cependant, Mme H. n'ayant pas accepté cette solution, C. L. dit S.-P. avait sollicité l'octroi d'un prêt personnel, lequel avait été accepté sous la condition d'un nantissement sur les fonds déposés au compte « Archer - [titre] » ; compte tenu du refus de C. L. dit S.-P. de donner la garantie du compte « Archer - [titre] », son compte personnel avait alors été débité de la somme de 3 millions de francs.

Au cours de cette confrontation, le magistrat instructeur présentait à l'inculpé C. L. dit S.-P. un ordre de virement du 3 juillet 1996 du compte « Archer - [titre] » au bénéfice du compte Archer pour un montant de 3,6 millions de francs ; C. L. dit S.-P. affirmait que ce document ne comportait pas son écriture et qu'il n'était pas certain qu'il s'agissait de sa signature, alors que le témoin P. R. affirmait que ce document lui avait été adressé par télécopie et avait pour objet de renflouer le découvert du compte Archer, et que s'il ne se souvenait plus s'il avait ou non demandé ce document, il soutenait qu'un tel document était inutile en présence d'une convention d'unité de compte.

C. L. dit S.-P. contestait avoir « rempli » ce document même si le numéro de télécopie apparaissant sur la photocopie correspondait à l'appareil de son bureau.

Par un courrier du 14 août 1998, la Banque du Gothard adressait au juge d'instruction un document qualifié par elle  « d'original du fax du transfert » dont la copie était déjà détenue par lui, cet « original » étant coté au dossier d'information au n° D 102.

Par un second courrier daté du 18 août 1998, la Banque du Gothard indiquait au juge d'instruction qu'elle confirmait que cet original, dont elle lui adressait la copie intégrale, avait été réceptionné par elle le 5 juin 1996.

L'expertise physico-chimique de l'ordre de transfert coté D 102 permettait de conclure que les encres des mentions manuscrites et de la signature étaient de la même composition et qu'il s'agissait d'encre de stylo-feutre.

Inculpé le 9 décembre 1999 d'abus de confiance, P. R. affirmait qu'il n'y avait aucune raison d'avoir des doutes sur les modalités de gestion des comptes de S.-P., que tout ce qui avait été fait, l'avait été à sa demande jusque dans les détails des opérations de transfert de ses avoirs de la banque M. M. à la Banque du Gothard et qu'il ne lui avait jamais été demandé de signer des documents en blanc.

Il précisait en outre qu'il était lui-même le gestionnaire du compte et que les personnes qui avaient « connu du fonctionnement » de ce compte étaient M. M., directeur général, M. C., directeur général adjoint et M. E., secrétaire général ; s'agissant de M. L., il n'était pas sûr que celui-ci était déjà à la Banque du Gothard au moment où les opérations avaient été débloquées.

M., L. et E. affirmaient qu'ils n'avaient jamais rencontré S.-P., S. C. étant quant à lui absent lors de cette confrontation.

À la question du juge d'instruction : saviez-vous à un titre ou à un autre la destination qui avait été donnée aux fonds déposés sur le compte [titre] «,M., L., E. et R. affirmaient qu'ils l'ignoraient.

Selon la pièce cotée D 59, la demande de crédit de 3 000 000 francs présentée par S.-P. a été examinée par M., L. et E. le 21 mai 1996.

S. C. déclarait au juge d'instruction le 22 mars 2000 que s'il participait aux prises de décisions collectives relatives à l'attribution de crédits dans le cadre du comité des risques, il n'avait pas participé en l'espèce au comité qui avait examiné la demande de crédit de S.-P. et n'avait jamais connu la situation des comptes de S.-P. et R.

S. C. bénéficiait ainsi d'un non-lieu, tandis que C. L. dit S.-P. était renvoyé devant le Tribunal correctionnel du chef d'abus de confiance et R., L., E. et M., du chef de complicité d'abus de confiance.

En cause d'appel et par conclusions datées du 23 mars 2001, la société Sylvester Corporation NV, prise en la personne de son représentant légal, A. C., la société C. et A. et A. C. demandent à la cour de faire application de la loi pénale à l'égard de C. L., E. E., J. L., A. M. et P. R. et concluent, sur l'action civile, à la recevabilité de leur appel, à l'infirmation partielle du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formulée au titre de leur manque à gagner, à la condamnation in solidum de C. L., P. R., J. L., E. E. et A. M. à leur payer la somme de 7 982 221,21 francs à titre de dommages-intérêts, avec les intérêts de droit à capitaliser à compter du 3 juillet 1996, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les parties civiles font valoir que, sur le fondement d'un acte sous seing privé conclu le 25 avril 1994 entre Archer Musical Production et C. L., des fonds ont été remis à titre précaire, en vue de la réalisation par celui-ci d'un travail déterminé, la création et la promotion de sa nouvelle œuvre musicale, » [titre] «, situation contractuelle entrant dans les prévisions de l'article 337 du Code pénal, qu'en exécution de cette convention, sur demande de ses contractants, trois versements ont été opérés sur le compte spécial » [titre] « ouvert par C. L. à la Banque M. M. à Paris : 1 880 000 francs le 26 avril 1994, 3 100 000 francs le 27 juin 1994 et 3 522 750 francs le 1er novembre 1994 ;

que C. L. a, par deux fois, détourné les fonds de la société pour combler les soldes débiteurs des comptes bancaires qu'il avait ouverts à titre personnel et au nom de la société Archer Musical Production, et ce, d'une part, par la constitution d'un gage, opération qui a permis à C. L., avec la complicité de la Banque du Gothard de rembourser à la Banque M. M. ses découverts bancaires personnels et ceux d'Archer grâce aux garanties levées sur les fonds » Archer - [titre] «, et d'autre part, par l'appréhension des fonds ;

que la matérialité du délit d'abus de confiance est établie dès lors que des deniers ont été détournés ou dissipés par C. L. avec le concours complice des préposés de la Banque du Gothard, au préjudice de leur propriétaire, la société Sylvester Corporation, alors qu'ils avaient été remis pour un travail, la création d'une œuvre musicale, à charge d'en faire un usage déterminé, le financement de la réalisation, de la promotion et du lancement du disque » [titre] « ;

qu'eu égard notamment aux diverses manœuvres frauduleuses des préposés de la Banque du Gothard et aux conclusions de l'expertise physico-chimique qui a permis d'établir que la Banque du Gothard disposait avant le 5 juin 1996 d'un ordre de virement non daté lui permettant de s'approprier, à sa convenance, les fonds de la société Sylvester Corporation NV, la complicité active d'E. E., J. L., A. M. et P. R. dans la commission de l'abus de confiance est clairement démontrée ;

qu'en l'espèce, l'élément intentionnel de l'infraction est caractérisé par la connaissance de la destination des fonds du compte » Archer - [titre] « et le caractère occulte des opérations à l'égard de la société et d'A. C. ;

qu'elles ont subi un préjudice à la suite des agissements frauduleux des inculpés, lequel est composé de trois éléments distincts : le détournement des fonds d'un montant de 3 500 000 francs, le manque à gagner dû au défaut de commercialisation de l'œuvre musicale, d'un montant de 3 900 000 francs dès lors qu'en dissipant la somme de 3 500 000 francs le disque n'a pu sortir dans des conditions normales, privant la société des bénéfices escomptés, et enfin les frais de maintien de la société créée spécialement pour la réalisation de cette opération, d'un montant de 582 221,21 francs ;

que les inculpés, qui ont tous participé activement à l'opération frauduleuse et contribué ensemble à la création du préjudice, doivent être tenus in solidum à réparation ;

qu'enfin, les préposés fautifs P. R., J. L., E. E. et A. M. ayant agi dans le cadre de leurs fonctions, sur instruction, avec autorisation et au profit de leur employeur, la Banque du Gothard, il y a lieu de confirmer la condamnation solidaire de la Banque du Gothard avec ses préposés, à l'indemnisation du préjudice subi.

Par conclusions du 25 juin 2001, A. M., J. L., E. E., et P. R. demandent à la cour d'annuler en tant que de besoin le contrat prétendument signé entre la société Sylvester et C. L. le 25 avril 1994, d'infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne P. R. et de le relaxer des fins de la poursuite sans peine ni dépens, de confirmer le jugement en ce qu'il a relaxé les autres préposés de la banque, de rejeter comme irrecevables et en tous cas mal fondées l'ensemble des prétentions des parties civiles à leur encontre y compris la Banque du Gothard, et de condamner les parties civiles aux entiers dépens.

Ils font valoir que l'abus de confiance n'est caractérisé en droit monégasque que si la remise des fonds prétendument détournés s'est réalisée en vertu de l'un des contrats limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal ;

qu'en l'espèce, contrairement à ce qui a été soutenu, la convention signée le 25 avril 1994, par C. L. et la société Sylvester, ne peut être qualifiée de contrat de mandat, car cette société n'a jamais donné au prévenu le pouvoir de faire quelque chose en son nom ou pour son propre compte, les sommes versées au prévenu n'ayant pas été remises à celui-ci pour qu'il en fasse un usage déterminé au nom de la société Sylvester ou pour le compte de celle-ci ;

que ces sommes constituent en réalité un investissement, sous la forme d'un apport financier en contrepartie duquel la société Sylvester est intéressée aux bénéfices de la commercialisation d'une œuvre musicale ;

que la circonstance que la société Sylvester se soit vue reconnaître le droit de se faire communiquer des justificatifs des dépenses effectuées ne suffit pas à faire de cette convention un mandat au sens de l'article 1823 du Code civil ;

que la convention par laquelle une personne apporte un capital à un entrepreneur afin de participer aux frais de son activité en escomptant percevoir en contrepartie une partie des bénéfices est une association en participation commerciale au sens des articles 54 et 55 du Code civil et non un mandat, une telle convention correspondant précisément au contrat du 25 avril 1994 ;

qu'en tout état de cause cette convention est nulle car si elle est censée lier la société Sylvester à C. L., ladite société n'existait pas à la signature du contrat, de telle sorte que les poursuites engagées sur le fondement de l'article 337 du Code pénal qui suppose un contrat préalable sont irrecevables.

Ils soutiennent enfin qu'en tout état de cause il ne peut leur être fait grief d'avoir été complices de C. L. en facilitant ou permettant la commission par ses soins du délit d'abus de confiance commis au préjudice de la société Sylvester ;

que l'élément matériel de l'infraction ne peut résider dans le fait d'avoir accepté d'exécuter l'instruction donnée par C. L., le 3 juillet 1996, d'affecter le solde du produit de la vente des titres figurant sur le compte dont sa société Archer était seule titulaire dans les livres de la banque sous l'intitulé » Archer [titre] « alors qu'il était parfaitement normal pour la banque d'exécuter cette instruction dès lors que C. L. était, par l'intermédiaire d'Archer, le seul titulaire du compte et comme tel, investi du pouvoir de donner une telle instruction, laquelle n'était en outre que la mise en œuvre d'une clause du contrat liant les parties depuis l'ouverture du compte ;

que l'élément intentionnel de l'infraction fait également défaut dès lors qu'il n'est pas établi que l'un des prévenus a eu connaissance de l'existence d'une convention impliquant que l'exécution de cette instruction serait de nature à porter atteinte aux droits d'un tiers qui serait la société Sylvester ;

que pour retenir P. R. dans les liens de la prévention d'abus de confiance, les premiers juges se sont contentés de motifs dubitatifs et des affirmations de la partie civile et du prévenu, lesquelles ne peuvent à elles seules constituer des preuves ;

qu'ainsi la relaxe des préposés de la banque aura pour effet le rejet des prétentions des parties civiles ;

qu'enfin la circonstance que la société Sylvester, seule titulaire du droit d'agir, ait fondé ses prétentions sur un contrat qu'elle aurait signé alors qu'elle n'avait pas encore d'existence légale, prive son action de tout fondement.

Par conclusions du 20 juin 2001, C. L. conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, et demande à la cour de prononcer sa relaxe, et à titre subsidiaire de le faire bénéficier du sursis simple, et de le dispenser de l'inscription au casier judiciaire.

Il fait valoir que l'article 337 du Code pénal monégasque ne peut s'appliquer aux faits qui lui sont reprochés ;

que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il suffisait pour que l'article 337 du Code pénal puisse recevoir application, de constater qu'avaient été dissipés, au préjudice de leurs propriétaires, des fonds qui ne lui auraient été remis que pour un travail salarié ou un emploi déterminé, alors que, pour que les dispositions de l'article 337 du Code pénal soient applicables, il est nécessaire que le prévenu se soit vu remettre les fonds ou les objets dissipés aux termes de l'un des contrats limitativement énumérés par la loi, chacun d'eux ayant pour point commun d'entraîner une remise à titre précaire ;

que s'agissant de la qualification du contrat du 25 avril 1994, de nature commerciale, soumis au droit suisse conclu entre la partie civile et la société Archer, le simple rappel des dispositions contractuelles dépourvues d'ambiguïté démontre que les fonds remis à Archer par A. C. ne l'ont pas été à titre précaire, car un investissement n'est ni un dépôt ni un mandat, aucune de ces dispositions ne prévoyant une restitution quelconque au profit d'A. C. dans le cas où les fonds remis par lui à Archer n'auraient pas été totalement consommés par l'entreprise commune, son seul droit se résumant à un retour sur investissement égal à 50 % du produit de l'exploitation de l'œuvre à produire ;

que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'il avait détourné la somme de 3 600 000 francs de leur usage ou emploi déterminé qu'il s'était vu confier dans le cadre du contrat sui generis de coproduction du 25 avril 1994 par la société Sylvester pour un travail non salarié, consistant en la production et la promotion de l'œuvre musicale » [titre] « ;

que les premiers juges se sont ainsi affranchis de l'obligation devant laquelle ils se trouvaient de qualifier le contrat en vertu duquel les fonds litigieux lui ont été remis par A. C., et ne se sont pas davantage prononcés sur la question de savoir si ces fonds ont ou non été remis à titre précaire ;

que, si la société Archer a indiscutablement commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle, lui-même ne s'est pas, pour autant, rendu coupable du délit d'abus de confiance ;

que, s'agissant de l'élément intentionnel de l'infraction, il est acquis aux débats d'une part, qu'il avait refusé la proposition des responsables de la Banque M. M., consistant en la fusion du compte » Archer « et du compte » [titre] «, et, d'autre part, que ce n'est pas lui mais son ex-épouse qui a cru qu'elle était en mesure de rembourser la dette de la société Archer envers la Banque M. M. au moyen de fonds avancés par la Banque du Gothard, de transférer le solde créditeur du compte » [titre] « à la Banque du Gothard, et enfin d'ouvrir dans cette banque, un second compte au nom d'Archer dont le découvert initial, égal au montant remboursé à la Banque M. M. serait couvert par un prêt consenti à lui-même, avec pour seule garantie ses revenus SACEM-SDRM, et ce, sans prendre garde à la clause de fusion des demandes d'ouverture de comptes ;

qu'il est sans intérêt de s'interroger sur les conditions dans lesquelles la Banque du Gothard s'est prévalue d'un ordre de transfert que lui-même n'a jamais signé même s'il reconnaît sa signature au bas de ce document ;

que, s'agissant de l'élément matériel de l'infraction, A. C. ne pouvait ignorer que toutes les banques imposent une clause d'unité de compte en cas d'ouverture de plusieurs comptes par une même personne physique ou morale, et aurait dû solliciter l'ouverture d'un compte joint s'il voulait conserver la propriété des fonds ou procéder à un contrôle préalable sur ceux-ci.

Enfin, C. L. fait valoir qu'il est délinquant primaire, qu'il a été victime de sa crédulité et de son incompétence, qu'il a été atteint par la maladie de Lyme et a dû laisser la direction de la société Archer à son ex-épouse d'août 1994 à janvier 1995, et que c'est lui qui a le moins profité des fonds prétendument dissipés, et qu'il doit dès lors bénéficier en tout état de cause de sursis.

À l'audience de la cour, le ministère public a requis la confirmation du jugement, s'en rapportant à la sagesse de la cour s'agissant de la responsabilité de la direction de la banque.

Le conseil des parties-civiles a repris les termes de ses conclusions du 23 mars 2001.

C. L. dit S.-P. a fait plaider la relaxe et à titre subsidiaire le bénéfice du sursis.

P. R. a, parallèlement, fait plaider la relaxe tandis que J. L., E. E. et A. M. ont sollicité la confirmation du jugement qui les a renvoyés des fins de la poursuite.

Sur ce :

Sur l'action publique :

Considérant qu'aux termes de l'article 337 alinéa premier du Code pénal : » quiconque aura détourné ou dissipé, au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des fonds, meubles, effets, deniers, marchandises, billets, promesses, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui auraient été remis qu'à titre de louage, de dépôt, de mandat, de nantissement, de prêt à usage, ou pour un travail salarié ou non, à charge de les rendre ou représenter, ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans et de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 26... « ;

Considérant qu'en vertu de ces dispositions, l'infraction d'abus de confiance n'est constituée que si les objets détournés ont été remis en exécution de l'un des contrats limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal, la nullité du contrat violé ne faisant pas disparaître l'infraction ;

Qu'il appartient dès lors à la cour d'analyser la convention en vertu de laquelle la société Sylvester Corporation NV, représentée par A. C., a remis les fonds litigieux à C. L., de déterminer la nature et les modalités dudit contrat, la qualification du contrat étant, par suite, de nature à permettre de vérifier s'il s'agit de l'un de ceux énumérés ci-dessus ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que le 25 avril 1994, A. C., agissant en qualité d'administrateur de la société Sylvester Corporation NV ayant son siège à Curaçao, a conclu à Genève un contrat avec Archer Musical Production INC, ayant son siège à Montréal, représentée par C. S.-P. ainsi qu'avec C. L. dit S.-P. ;

Que les parties ont préalablement exposé qu'A. C. avait notamment pour activité le financement de projets de toute nature et notamment celui de produire et lancer des œuvres musicales, qu'Archer détenait les droits de production exclusifs sur les œuvres de S.-P., avec l'exploitation exclusive des droits d'enregistrement, que S.-P. confirmait avoir conféré à Archer lesdits droits, et qu'enfin Archer désirant produire et lancer la dernière œuvre de S.-P., » [titre] «, A. C. entendait assurer le financement de la production et du lancement de l'œuvre de S.-P. ;

Qu'ainsi en vertu des deux premiers articles du contrat, grâce au financement d'A. C., Archer s'engageait à produire l'œuvre de S.-P. avant le 31 juillet 1994, à réaliser la bande » master « et un vidéo clip ainsi qu'à assurer le lancement et le marketing de l'œuvre dans le monde entier ;

Que, selon l'article 4 de ce même contrat, A. C. s'engageait à prendre en charge l'investissement défini à l'article 3 et à assurer le paiement de la somme de 8 502 750 francs » aux conditions et modes suivants : a) ouverture d'un compte spécial dénommé « Archer [titre] » dans une banque choisie par M. C., b) paiements, tous les 15 jours, sur ledit compte spécial de tout montant jusqu'à concurrence de 8 502 750 francs requis par Archer (...) contre présentation par Archer d'un tableau justifiant le montant prévisionnel requis des dépenses nécessaires à l'avancement de la réalisation et/ou le lancement de l'œuvre « ;

Qu'enfin, l'article 5 prévoyait que : » En contrepartie de la prise en charge de l'investissement (...) M. C. percevra 50 % du produit de l'exploitation des licences de pressage et/ou de toute autre licence portant sur l'exploitation de l'œuvre, qui seront consenties par Archer sur l'œuvre sous toutes ses formes et sur tous supports et procédés connus et/ou à découvrir « ;

Considérant qu'il résulte des clauses du contrat, ci-dessus rappelées, que la société Sylvester Corporation a financé, dans le cadre d'un accord commercial, un projet concernant la production, le lancement et le » marketing « dans le monde entier, d'une œuvre musicale que l'artiste C. S.-P. envisageait de réaliser, intitulée » [titre] « ;

Que contrairement à l'analyse des premiers juges, qui pour retenir C. L. dans les liens de la prévention, ont considéré qu'il s'était vu confier des fonds par la société Sylvester Corporation NV, pour un travail non salarié, une telle convention, présentant un caractère » sui generis " ne peut être qualifiée que de contrat d'entreprise, A. C. avançant des fonds pour permettre la réalisation d'une œuvre musicale, tandis que C. L. dit S.-P., en contrepartie de la prise en charge de l'investissement, concédait à celui-ci 50 % du produit de l'exploitation commerciale de cette œuvre ;

Que cette convention ne constitue pas l'un des contrats limitativement énumérés par l'article 337 du Code pénal ;

Que le délit d'abus de confiance ne peut donc être retenu à l'encontre de C. L. non plus que celui de complicité d'abus de confiance à l'encontre de P. R., de J. L., E. E. et A. M. ;

Qu'il convient dès lors de relaxer C. L. dit S.-P. et P. R. des fins de la poursuite et d'infirmer sur ce point le jugement entrepris, et de confirmer ce jugement en ce qu'il a relaxé J. L., E. E. et A. M. des fins de la poursuite ;

Sur l'action civile :

Considérant que tous les prévenus étant renvoyés des fins de la poursuite, les demandes en paiement de dommages intérêts présentées par les parties civiles doivent être rejetées ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant contradictoirement en matière correctionnelle, et par arrêt contradictoire à signifier à l'égard de J. L., conformément aux dispositions des articles 377 et 472 du Code de procédure pénale,

Sur l'action publique :

Réforme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 9 janvier 2001, en ce qu'il a déclaré C. L. dit S.-P. coupable du délit d'abus de confiance et P. R. coupable du délit de complicité d'abus de confiance,

Et statuant à nouveau,

Relaxe C. L. dit S.-P. et P. R. des fins de la poursuite,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a relaxé J. L., E. E. et A. M. des fins de la poursuite,

Sur l'action civile :

Infirme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 9 janvier 2001 et statuant à nouveau,

Déboute A. C., la société C. et A. et la société Sylvester Corporation NV de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts.

Composition🔗

M. Landwerlin, prés. ; Mlle Lelay, prem. subs. proc. gén. ; Mes Pastor, Michel Escaut, av. déf. ; Me Vaconsin et Turczynski, av. bar. de Paris.

Note🔗

Cet arrêt infirma le jugement rendu le 9 janvier 2001 par le Tribunal correctionnel. Le pourvoi en révision formé contre cette décision a été rejeté par arrêt de la cour de révision du 30 janvier 2002.

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