Cour d'appel, 7 mai 2001, Ministère public c/ M., L., E., R.

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Abstract🔗

Amnistie

Ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 - Condition : prononcé d'une peine d'amende - Effet : - Extinction de la peine après son prononcé - Extinction de l'action publique : irrecevabilité de l'appel après le prononcé de la peine

Prescription pénale

Amnistie - Prescription de la peine après son prononcé - Prescription de l'action publique : irrecevabilité de l'appel après le prononcé de la peine

Blanchiment

Participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment : loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 - Déclaration de soupçon obligatoire - Omission de déclaration - Détermination des responsables : dirigeants ou préposés habilités - Absence de justification quant à l'origine des fonds

Résumé🔗

Sur l'exception d'irrecevabilité :

Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 « amnistie pleine et entière est accordée pour les délits et contraventions commis antérieurement au 9 mai 1999, qui ont été ou seront punis : a) de peines d'amende... ».

L'amnistie ainsi prévue ne prend en considération, ni la nature des infractions poursuivies, ni la peine légalement encourue mais seulement la peine prononcée, la formule « ont été ou seront punis » étant sans ambiguïté à cet égard.

Toutefois, l'article 1er susvisé ne subordonne pas l'amnistie à la condition que les condamnations prononcées soient passées en force de chose jugée. Au contraire, par l'effet de l'amnistie qui efface l'infraction, les poursuites sont arrêtées lorsqu'intervient l'une des condamnations prévues par l'ordonnance d'amnistie, postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci.

Il n'y a pas lieu, dès lors, de statuer sur les appels formés tant par A. M., à titre principal, que par le Ministère public, à titre incident, à l'encontre des dispositions du jugement du Tribunal correctionnel ayant prononcé contre A. M. une peine d'amende, à laquelle est applicable l'article 1er de l'ordonnance souveraine susvisée. Ces appels doivent donc être déclarés irrecevables.

En revanche, P. R., J. L. et E. E. qui n'ont pas été condamnés par le Tribunal correctionnel ne sauraient prétendre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à l'amnistie du délit qui leur est reproché, à raison seulement de la peine encourue au regard de l'incrimination résultant des citations dont ils ont fait l'objet ; par voie de conséquence, le Ministère public doit être reçu en son appel régulièrement formé.

Au fond

La poursuite fait grief à P. R., J. L. et E. E. d'avoir omis de formuler auprès du service d'information et de contrôle des circuits financiers (Siccfin), la déclaration prévue par l'article 3 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993, étant rappelé qu'aux termes de ce texte les organismes financiers, visés à l'article 1er de cette loi, sont tenus de déclarer au Ministre d'État toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes, lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles ; d'autre part, un service (le Siccfin) institué par ordonnance souveraine, reçoit la déclaration pour le compte du Ministère d'État ; enfin les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration.

L'article 32 de la loi précitée punit quiconque contrevient aux dispositions de l'article 3 ci-dessus rappelé.

En incriminant « quiconque », ce texte ne précise pas quels sont les membres de chaque organisme financier qui seraient punissables au titre d'une violation des obligations déclaratives pesant sur lui... alors pourtant que diverses personnes physiques sont expressément admises, par l'article 7 subséquent, à s'acquitter de ces obligations.

En effet ledit article prévoit qu'aucune action en responsabilité civile ne peut être intentée, ni aucune sanction professionnelle prononcée, contre un organisme financier, ses dirigeants ou ses préposés habilités, qui ont fait de bonne foi la déclaration ; en outre l'article 3 précité prévoit implicitement que les dirigeants ou les préposés habilités effectuent la déclaration au nom de l'organisme financier.

Il doit être déduit de ces dispositions que lorsque les dirigeants d'un organisme financier ont spécialement habilité certains de leurs préposés à effectuer la déclaration prévue par l'article 3 précité, avec la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions de ce texte, lesdits préposés supportent seuls une responsabilité pénale semblable à celle des dirigeants, lorsque les services et personnes placés sous l'autorité de ces préposés habilités conçoivent, à partir d'éléments objectifs, un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause et qu'ils ne peuvent alors exclure que ces fonds suspects aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles.

Il s'en suit que pour l'application de l'article 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993, et dans les conditions qui viennent d'être précisées, la responsabilité pénale, pouvant être ainsi retenue contre les préposés habilités, exclut, notamment, celle des dirigeants de l'organisme financier ; et aussi qu'à défaut d'habilitation spéciale conforme aux dispositions de l'article 3 susvisé, les autres préposés de l'organisme financier, auxquels aucune délégation utile de pouvoirs n'a été consentie, ne peuvent nullement se voir imputer l'omission de déclaration incriminée par l'article 32 susvisé. En l'espèce et comme l'ont justement relevé les premiers juges tel est manifestement le cas de P. R. et J. L. ; sans qu'il y a ait lieu d'examiner le surplus des faits qui leur sont reprochés, ces prévenus doivent être, par voie de conséquence, renvoyés des fins de la poursuite.

En revanche, E. E., secrétaire général de la banque avait été habilité par sa direction à effectuer les déclarations de soupçon et il ne conteste pas avoir eu la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions légales.

Il lui appartenait d'organiser son service de manière à être immédiatement informé de toute particularité suspecte portant sur des sommes déposées à la banque ou sur des opérations s'y rapportant.

Les quatre versements, effectués en deux jours ouvrables, d'une somme totale de 768 985 750 lires et de 183 876 USD sous la forme de billets de banque non enliassés, émanant d'une personne auparavant inconnue de la banque, même si elle avait été amenée par un client de celle-ci, puis les virements de ces sommes, quelques jours plus tard, sur les comptes d'autres personnes à l'étranger, ainsi que la répétition d'opérations similaires quatre mois plus tard, étaient de nature à provoquer un doute sérieux chez P. R., gestionnaire des fonds de P., dont il n'avait pu obtenir la justification de l'origine des fonds, élément essentiel qui ne permettait donc pas d'exclure que ceux-ci aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles.

Au regard de ces mêmes éléments objectifs, J. Lanza qui contrôlait l'activité de P. R. ne pouvait pas manquer, pour les mêmes motifs, de concevoir un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause.

Dès lors, E. E. qui n'a pas su, dans l'exercice de sa délégation de pouvoir, s'assurer du respect par les personnes placées sous son autorité des dispositions de la loi n° 1.162 susvisée doit être déclaré pénalement responsable du délit d'omission de déclaration de soupçon visé par la poursuite.

Il y a donc lieu de réformer la décision du Tribunal correctionnel et de condamner E. E. à la peine de 25 000 francs d'amende.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur les appels relevés le 21 décembre 2000 par A. M. et le 22 décembre 2000 par le Ministère public, du jugement susvisé du Tribunal correctionnel, en date du 19 décembre 2000, qui a condamné A. M. à la peine de 25 000 francs d'amende pour omission de déclaration de soupçon et a relaxé du chef de ce même délit P. R., J. L. et E. E.,

Considérant les faits suivants :

Le 15 mars 1999, l'autorité judiciaire compétente de la République et du Canton du Tessin (Suisse) a délivré une commission rogatoire dans le cadre d'une information suivie en Suisse contre un nommé P. M., du chef notamment de blanchiment d'argent, qui avait été le destinataire d'importantes sommes d'argent provenant d'un compte ouvert par le nommé A. P. auprès de la Banque du Gothard à Monaco.

Les vérifications opérées sur délégation du premier juge d'instruction permettaient de mettre en évidence d'importants dépôts en espèces effectués par P. sur un compte ouvert le 7 août 1998 à la Banque du Gothard et des transferts rapides de ces sommes au profit de comptes ouverts à l'étranger dont l'un attribué à M.

Il est ainsi apparu qu'entre le 7 août 1998 et le 29 janvier 1999 P. avait déposé à la Banque du Gothard les sommes suivantes :

  • 138 802 500 lires italiennes (7 août 1998)

  • 268 650 000 lires italiennes (7 août 1998)

  • 183 876 US D (7 août 1998)

  • 361 533 250 lires italiennes (10 août 1998)

  • 109 450 000 lires italiennes (17 décembre 1998)

  • 305 863 000 lires italiennes (23 décembre 1998)

  • 74 326 000 lires italiennes (31 décembre 1998)

  • 99 500 000 lires italiennes (29 janvier 1999)

  • 77 197,39 euros (29 janvier 1999)

et qu'il avait effectué les virements suivants :

  • 500 000 000 et 173 053 824 lires italiennes au profit du compte P. M., auprès de la Commerzbank à Zurich (26 et 27 août 1998),

  • 183 000 USD au profit du même compte (28 août 1998),

  • 154 937,07 euros au profit du compte Quadrum Investment Holding Ltd auprès de l'ABN Amro Bank d'Amsterdam (15 janvier 1999),

  • 77 468,53 euros au profit de ce même compte (3 février 1999),

  • 51 673,26 euros également au profit de ce compte (25 février 1999).

Au vu de ces renseignements, le Procureur général a fait entendre, par les services de police, le secrétaire général de la Banque du Gothard, E. E., ainsi que l'administrateur-délégué de l'établissement A. M., sur les conditions d'application par cette banque des dispositions de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

E. E. a déclaré ne pas avoir été informé du caractère suspect du compte.

A. M. a indiqué que la procédure d'ouverture de ce compte avait été suivie normalement, mais qu'il y avait eu ensuite un relâchement de vigilance de la part de ses services lors des virements effectués par P. à la fin du mois d'août 1998.

Parallèlement à cette enquête, une information a été ouverte contre X du chef de blanchiment du produit d'une infraction.

P. R., fondé de pouvoir et gestionnaire du compte de P. a été entendu dans le cadre de cette information.

Il a déclaré avoir reçu le 5 août 1998, A. P. qui venait de lui être présenté par un client ancien et fort connu de la banque, comme voulant s'installer à Monaco et y créer une entreprise. Il a indiqué avoir procédé aux formalités d'ouverture d'un compte dont il a donné le numéro de P. Il a indiqué également que P. avait immédiatement versé une somme de 150 000 000 lires en espèces, placées « hors caisse » dans l'attente de l'ouverture officielle du compte qui a eu lieu le 7 août 1998, après que le dossier eut été vérifié et contresigné par sa hiérarchie.

Il a déclaré avoir interrogé P. sur l'origine des fonds et avoir ainsi appris de celui-ci qu'ils provenaient de son activité professionnelle d'expert-comptable exercée en Italie, sans toutefois obtenir de P. de justificatif de cette origine.

Il a estimé toutefois qu'eu égard à la profession exercée en Italie par P., du fait que celui-ci a été présenté par un client honorablement connu de la banque et qu'il était en instance d'installation à Monaco, il disposait d'éléments d'appréciation suffisants sur la qualité et le sérieux de ce client. Il a ajouté que P. avait obtenu peu de temps après une carte de résident temporaire dans la Principauté ainsi que l'autorisation d'y exercer une activité commerciale.

Il a indiqué que P. avait effectué un nouveau versement le 7 août 1998 directement à la caisse et qu'il avait pris connaissance de ce dépôt le lundi suivant sans éprouver de soupçon. Il a précisé que la fiche journalière des dépôts établie par le caissier et dont il était le premier destinataire était en suite vérifiée par le directeur d'exploitation et par la direction générale. Il a également précisé que les fonds ainsi déposés avaient été investis sous forme d'un dépôt à terme.

Il a contesté la déclaration de P. qui a affirmé avoir versé en une seule fois la somme de 700 millions de lires en espèces, le 7 août 1998, et il a nié s'être chargé de fractionner ce dépôt afin d'éviter un éventuel contrôle.

Il a indiqué que les virements des 26, 27 et 28 août 1998 à destination de la Commerzbank de Zurich avaient été effectués par son remplaçant, durant la période de ses congés annuels, et qu'à son retour de vacances il n'avait pas porté une attention particulière à la situation du compte de P. qui ne lui apparaissait pas comme un client suspect.

Il a déclaré que les dépôts d'espèces des 17, 23 et 30 décembre 1998 avaient été effectués par P. directement à la caisse de la banque et qu'ils n'avaient pas attiré son attention, ni celle de sa hiérarchie. Il a admis ne pas avoir demandé d'explication à P. sur les raisons du transfert de ces sommes à l'étranger.

J. L., directeur général adjoint, également entendu dans le cadre de l'information, a déclaré qu'il était chargé de l'activité commerciale de la banque et qu'à ce titre, il contrôlait l'activité des gestionnaires de comptes.

Il a indiqué avoir en charge 7 300 comptes environ dont il vérifiait, avant tout, leur état de provisionnement.

Il a déclaré ne pas avoir eu de soupçon à propos du compte de P. et a souligné que P. R., qui était en contact direct avec le client, ne lui avait pas lui-même signalé ce compte comme pouvant être suspect.

L'information précitée s'est achevée par la condamnation d'A. P. à la peine de sept ans d'emprisonnement et à celle de 200 000 francs d'amende pour infractions aux dispositions des articles 2 et 4.3 de la loi n° 890 du 1er juillet 1970 sur les stupéfiants, suivant jugement du Tribunal correctionnel en date du 10 octobre 2000, devenu définitif.

Des poursuites ont par ailleurs été exercées sur citation directe à l'encontre d'A. M., de J. L., E. E. et de P. R. pour avoir à Monaco en août et en décembre 1998, en janvier et février 1999, enfreint les dispositions relatives à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux en omettant de faire une déclaration de soupçon au Siccfin, délits prévus et réprimés par les articles 1, 2, 3, 13, 19, 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993.

Sur ces poursuites et selon jugement du 19 décembre 2000, le Tribunal correctionnel a rejeté l'exception d'amnistie invoquée par les prévenus, a relaxé P. R. et J. L., non habilités au sens de l'article 3 de la loi n° 1162 à effectuer la déclaration de soupçon, ainsi que E. E. qui, bien qu'étant le correspondant de la banque auprès du Siccfin, ne disposait pas, selon le tribunal, d'une délégation utile de pouvoirs de la part de la direction de la banque. Le Tribunal correctionnel a, en revanche, retenu dans les liens de la prévention A. M. qui était chargé de veiller à l'observation des lois régissant l'activité de son établissement et l'a condamné à la peine de 25 000 francs d'amende.

Par acte du 21 décembre 2000, A. M. a interjeté appel de ce jugement.

Le Ministère public a, pour sa part, relevé appel de la décision de relaxe concernant R., L., E. et a formé appel incident sur l'appel principal de M.

À l'audience de la Cour, à laquelle les prévenus ont été cités à comparaître, leur avocat a réitéré, par conclusions écrites, l'exception d'irrecevabilité de l'action publique soulevée devant le Tribunal correctionnel et fondée sur l'amnistie de plein droit de l'infraction poursuivie et réprimée par une peine d'amende, qui ferait ainsi obstacle à l'exercice des poursuites.

Ces parties ayant demandé à la Cour de statuer sur cet incident avant tout débat au fond, le Ministère public a requis le rejet de cette exception au regard des termes de l'ordonnance d'amnistie impliquant qu'une condamnation ait été prononcée et qu'elle ait un caractère définitif afin de permettre au prévenu, condamné, de bénéficier du double degré de juridiction.

La Cour, après en avoir délibéré, ayant déclaré joindre l'incident au fond, les prévenus se sont expliqués tour à tour sur les faits qui leur sont reprochés.

P. R., fondé de pouvoir et gestionnaire du compte P. jusqu'à la fin de l'année 1998 a affirmé qu'il n'avait eu aucun soupçon à l'égard de celui-ci et que l'absence de justificatifs sur l'origine des fonds n'avait pas fait naître en lui le moindre soupçon dès lors que les déclarations de P. quant à sa future installation dans la Principauté s'étaient par la suite avérées exactes puisqu'il avait obtenu une carte de séjour ainsi que l'autorisation d'exercer une activité professionnelle à Monaco.

Il indiquait n'avoir pas été habilité par sa direction à effectuer la déclaration de soupçon et que sa démarche aurait consisté, en cas de soupçon, à alerter son supérieur hiérarchique direct, en l'espèce J. L.

J. L., directeur général adjoint, chargé de l'exploitation, avait pour tâche, selon ses déclarations, de vérifier les documents juridiques afférents à l'ouverture des comptes ainsi que les éléments d'appréciation fournis par les gestionnaires de compte dont il surveillait l'activité.

Il indiquait que son attention n'avait pas été attirée sur le cas de P. dont la profession d'expert comptable en Italie est réputée pour faire l'objet de sévères contrôles par les autorités de ce pays.

Il indiquait n'avoir pas été habilité à effectuer la déclaration de soupçon et précisait que si P. R. ou lui-même avaient conçu un doute, ils en auraient référé à E. E.

E. E., secrétaire général à l'époque des faits, correspondant Siccfin, a déclaré qu'une procédure de contrôle avait été mise en place sous sa responsabilité au sein de la banque, pour répondre aux obligations de la loi, et que ce contrôle s'effectuait au niveau du gestionnaire puis du secrétaire général.

Il indiquait n'avoir pas été informé du cas de P.

A. M., administrateur-délégué de la banque, également correspondant du Siccfin, a déclaré n'avoir pas été tenu informé de la situation qui s'expliquait par des raisons techniques, notamment le départ en vacances du gestionnaire du compte quelques jours après son ouverture, ce qui avait conduit à l'exécution des transferts par un remplaçant qui n'y a pas apporté attention.

Le Ministère public, qui estime que les prévenus ont, chacun à leur niveau, fait preuve d'une carence coupable dont ils doivent répondre selon leur rang hiérarchique et leur responsabilité dans la commission du délit, a requis la confirmation du jugement à l'égard d'A. M., l'infirmation de la décision en ce qui concerne les trois autres prévenus et leur condamnation à une amende proportionnelle à leur responsabilité sans égard pour l'habilitation purement ponctuelle de certains d'entre eux en qualité de correspondants du Siccfin.

Les prévenus ont fait plaider leur relaxe tant au regard des faits de la cause qu'au regard des termes généraux de la loi relative à la déclaration de soupçon.

Sur ce :

Quant à l'exception d'irrecevabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 « amnistie pleine et entière est accordée pour les délits et contraventions commis antérieurement au 9 mai 1999 qui ont été ou seront punis : a) de peines d'amendes » ... ;

Considérant que l'amnistie ainsi prévue ne prend en considération ni la nature des infractions poursuivies, ni la peine légalement encourue mais seulement la peine prononcée, la formule « ont été ou seront punis » étant sans ambiguïté à cet égard ;

Que toutefois, l'article 1er susvisé ne subordonne pas l'amnistie à la condition que les condamnations prononcées soient passées en force de chose jugée ;

Qu'au contraire, par l'effet de l'amnistie qui efface l'infraction, les poursuites sont arrêtées lorsqu'intervient l'une des condamnations prévues par l'ordonnance d'amnistie, postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci.

Qu'il n'y a pas lieu, dès lors, de statuer sur les appels formés tant par A. M., à titre principal, que par le Ministère public, à titre incident, à l'encontre des dispositions du jugement du Tribunal correctionnel ayant prononcé contre A. M. une peine à laquelle est applicable l'article 1er de l'ordonnance souveraine susvisée ;

Que ces appels doivent donc être déclarés irrecevables ;

Considérant en revanche, que P. R., J. L. et E. E. qui n'ont pas été condamnés par le Tribunal correctionnel ne sauraient prétendre, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à l'amnistie du délit qui leur est reproché, à raison seulement de la peine encourue au regard de l'incrimination résultant des citations dont ils ont fait l'objet ; que par voie de conséquence, le Ministère public doit être reçu en son appel régulièrement formé ;

Qu'il y a donc lieu d'examiner les faits visés par la prévention à l'encontre de ces trois prévenus ;

Quant au fond :

Considérant que la poursuite fait grief à P. R., J. L. et E. E. d'avoir omis de formuler auprès du service d'information et de contrôle des circuits financiers (Siccfin), la déclaration prévue par l'article 3 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993, étant rappelé qu'aux termes de ce texte les organismes financiers, visés à l'article 1er de cette loi, sont tenus de déclarer au Ministre d'État toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes, lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles ; que, d'autre part, un service (le Siccfin) institué par ordonnance souveraine, reçoit la déclaration pour le compte du Ministre d'État ; qu'enfin, les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration ;

Considérant que l'article 32 de la loi précitée punit quiconque contrevient aux dispositions de l'article 3 ci-dessus rappelé ;

Considérant qu'en incriminant « quiconque », ce texte ne précise pas quels sont les membres de chaque organisme financier qui seraient punissables au titre d'une violation des obligations déclaratives pesant sur lui, alors pourtant que diverses personnes physiques sont expressément admises, par l'article 7 subséquent, à s'acquitter de ces obligations ;

Qu'en effet ledit article prévoit qu'aucune action en responsabilité civile ne peut être intentée, ni aucune sanction professionnelle prononcée, contre un organisme financier, ses dirigeants ou ses préposés habilités, qui ont fait de bonne foi la déclaration ; qu'en outre l'article 3 précité prévoit implicitement que les dirigeants ou les préposés habilités effectuent la déclaration au nom de l'organisme financier ;

Qu'il doit être déduit de ces dispositions que lorsque les dirigeants d'un organisme financier ont spécialement habilité certains de leurs préposés à effectuer la déclaration prévue par l'article 3 précité, avec la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions de ce texte, lesdits préposés supportent seuls une responsabilité pénale semblable à celle des dirigeants lorsque les services et personnes placés sous l'autorité de ces préposés habilités conçoivent à partir d'éléments objectifs un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause et qu'ils ne peuvent alors exclure que ces fonds suspects aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles ;

Considérant qu'il s'ensuit que pour l'application de l'article 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993, et dans les conditions qui viennent d'être précisées, la responsabilité pénale pouvant être ainsi retenue contre les préposés habilités exclut, normalement, celle des dirigeants de l'organisme financier ;

Qu'il s'ensuit, aussi, qu'à défaut d'habilitation spéciale conforme aux dispositions de l'article 3 susvisé, les autres préposés de l'organisme financier, auxquels aucune délégation utile de pouvoirs n'a été consentie, ne peuvent nullement se voir imputer l'omission de déclaration incriminée par l'article 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993 ;

Considérant qu'en l'espèce et comme l'ont justement relevé les premiers juges tel est manifestement le cas de P. R. et de J. L. ; que sans qu'il y ait donc lieu d'examiner le surplus des faits qui leur sont reprochés, ces prévenus doivent être, par voie de conséquence, renvoyés des fins de la poursuite ;

Considérant en revanche, qu'E. E., secrétaire général de la banque avait été habilité par sa direction à effectuer les déclarations de soupçon ; qu'il ne conteste pas avoir eu la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions légales ;

Qu'il lui appartenait d'organiser son service de manière à être immédiatement informé de toute particularité suspecte portant sur des sommes déposées à la banque ou sur des opérations s'y rapportant ;

Que les quatre versements, effectués en deux jours ouvrables, d'une somme totale de 768 985 750 lires et de 183 876 USD sous la forme de billets de banque non enliassés, émanant d'une personne auparavant inconnue de la banque même si elle avait été amenée par un client de celle-ci, puis les virements de ces sommes, quelques jours plus tard, sur les comptes d'autres personnes à l'étranger, ainsi que la répétition d'opérations similaires quatre mois plus tard, étaient de nature à provoquer un doute sérieux chez P. R., gestionnaire des fonds de P. dont il n'avait pu obtenir la justification de l'origine des fonds, élément essentiel qui ne permettait donc pas d'exclure que ceux-ci aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles ;

Qu'au regard de ces mêmes éléments objectifs, J. L. qui contrôlait l'activité de P. R. ne pouvait pas manquer, pour les mêmes motifs, de concevoir un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause ;

Que dès lors, E. E. qui n'a pas su, dans l'exercice de sa délégation de pouvoir, s'assurer du respect par les personnes placées sous son autorité des dispositions de la loi n° 1162 susvisée doit être déclaré pénalement responsable du délit d'omission de déclaration de soupçon visé par la poursuite ;

Considérant qu'il y a donc lieu de réformer la décision du Tribunal correctionnel et de condamner E. E. à la peine de vingt-cinq mille francs d'amende ;

Tribunal correctionnel

Audiences des 14 novembre 2000 (débats)

et 19 décembre 2000 (décision)

Le Tribunal jugeant correctionnellement,

Attendu que P. R., J. L., E. E. et A. M. sont poursuivis correctionnellement sous la même prévention :

D'avoir à Monaco, en août et décembre 1998, et janvier-février 1999, enfreint les dispositions relatives à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux en omettant de faire une déclaration au SICCFIN,

DÉLITS prévus et réprimés par les articles 1, 2, 3, 13, 19 et 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993 « ;

Attendu qu'en l'état de la connexité qui s'évince des faits de la cause et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction des quatre citations susvisées pour qu'il y soit statué par un seul et même jugement ;

Attendu, en la forme, que les prévenus ont régulièrement soulevé, avant toute défense au fond, une exception par laquelle ils demandent au Tribunal de constater :

que les faits qui font l'objet de la poursuite sont amnistiés en vertu de l'ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 ;

que l'action publique ne peut plus être exercée, ce qui rend irrecevable toute demande de condamnation ou déclaration de culpabilité ;

Qu'ils font valoir, s'appuyant sur la doctrine et la jurisprudence françaises :

que l'amnistie fait disparaître, non seulement la peine, mais l'infraction elle-même ;

que, les délits visés à la citation n'étant sanctionnés par la loi que d'une peine d'amende, l'amnistie doit leur profiter de plein droit ;

que les faits qui leur sont reprochés et qui sont antérieurs au 9 mai 1999 ne présentent donc plus le caractère d'une infraction pénale et ne peuvent plus être poursuivis, en l'absence de toute peine complémentaire encourue et de droit à réparation ouvert à une quelconque victime ;

Attendu que, selon l'ordonnance souveraine n° 13.982 précitée, » amnistie pleine et entière est accordée pour les délits et contraventions commis antérieurement au 9 mai 1999 qui ont été ou seront punis :

a) de peines d'amendes ;

b) de peines d'emprisonnement avec sursis simple inférieures ou égales à un an assorties ou non d'une amende ;

c) de peines d'emprisonnement avec sursis et placement sous le régime de la liberté d'épreuve inférieures ou égales à six mois assorties ou non d'une amende ;

d) de peines d'emprisonnement inférieures ou égales à trois mois assorties ou non d'une amende ;

e) de décisions d'admonestation, de remise à parents ou à personne qui en avait la garde ou à personnes désignées, avec ou sans régime de la liberté d'épreuve, prises en application de la loi n° 740 du 25 mars 1963 relative aux mineurs délinquants « ;

Attendu que selon ces dispositions l'amnistie ne bénéficie qu'aux délits et contraventions » qui ont été ou seront punis... « ;

Qu'il résulte clairement de la généralité de ces termes que l'amnistie ne peut s'appliquer, quelle que soit la peine encourue, qu'à des condamnations effectivement prononcées ; que le bénéfice de l'amnistie dépend seulement de la peine effectivement prononcée par le juge après une déclaration de culpabilité, et non de la nature de l'infraction ou de la peine légalement encourue ;

Attendu que, s'il est vrai que les délits visés par l'acte de citation ne sont passibles, sous réserve d'ailleurs du contrôle par le Tribunal de l'exacte qualification des faits, que de peines d'amendes, cette circonstance n'est nullement susceptible d'entraîner l'extinction ni l'irrecevabilité de l'action publique ; qu'elle ne peut en aucun cas faire obstacle à l'examen par le Tribunal des faits qui sont reprochés aux prévenus ni, le cas échéant, à leur condamnation ;

Que l'exception d'amnistie est ainsi mal fondée et doit en conséquence être rejetée ;

Attendu, au fond, que la loi précitée n° 1162 du 7 juillet 1993 est relative à la » participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux « ;

Qu'aux termes de son article 32, sera puni de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 26 du Code pénal » quiconque aura contrevenu aux dispositions des articles 3, 5, 19 et 25 « ;

Qu'aux termes précisément dudit article 3 inséré dans la section II intitulée » de l'obligation de déclaration mise à la charge des organismes financiers « :

» Les organismes financiers visés à l'article premier sont tenus de déclarer, au Ministre d'État, toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

Un service, institué par ordonnance souveraine, reçoit la déclaration, pour le compte du Ministre d'État.

Les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration susmentionnée et à divulguer les informations visées à l'article 10 «.

Que selon l'article 1er de la loi sont notamment des organismes financiers » les personnes qui effectuent à titre habituel des opérations bancaires ou d'intermédiation bancaire « ;

Que la personne morale que constitue la Banque du Gothard - Monaco est donc indiscutablement un organisme financier au sens de la loi n° 1162 et qu'ainsi à ce titre elle est tenue, lorsque les conditions sont remplies, de faire la déclaration prévue à l'article 3 précité ;

Attendu qu'en l'état de ces données juridiques, il est acquis que par jugement aujourd'hui définitif en date du 10 octobre 2000, A. P. a été condamné par le Tribunal correctionnel, sur le fondement des articles 2 et 4.3 de la loi n° 890 du 1er juillet 1970, pour avoir pour lui-même ou pour le compte d'autrui, procédé à un transfert ou à une opération financière entre la Principauté et l'étranger, entre l'étranger et la Principauté, portant sur des fonds, titres ou valeurs qu'il savait provenir directement ou indirectement d'un trafic de cocaïne ;

Attendu que des faits à l'origine de cette condamnation, il apparaissait que le ressortissant italien dénommé A. P. avait entre août 1998 et février 1999 effectué sur son compte [numéro] auprès de la Banque du Gothard - Monaco les dépôts en espèces suivants provenant de sommes qui lui avaient été remises à Rome par le narco-trafiquant colombien A. B.-B. :

lires (7 août 1998),

dollars US (7 août 1998),

lires (7 ou 10 août 1998),

lires (7 ou 10 août 1998),

lires (17 décembre 1998),

lires (23 décembre 1998),

lires (31 décembre 1998),

lires (29 janvier 1999)

et avait parallèlement, à partir de ces dépôts en espèces, effectué dans la même période de temps à la demande de B.-B. les opérations de virements bancaires suivantes :

et 173 053 824 lires au profit du compte P. M. [numéro] auprès de la Commerzbank Schweiz-Zurich (26 et 27 août 1998),

dollars US au profit du même compte (31 août 1998),

lires au profit du compte Quadrum Investment Holding Ltd [numéro] auprès de la ABN Amro Bank d'Amsterdam (15 janvier 1999),

et 51 673,26 euros au profit du compte précédent (3 et 26 février 1999) ;

Attendu que le prévenu P. R., alors fondé de pouvoir de la Banque du Gothard - Monaco et gestionnaire du compte P., a toujours soutenu qu'il n'avait, à l'occasion de ces opérations de dépôts-virements, eu aucun soupçon au sens de l'article 3 précité ;

Qu'il apparaît pourtant :

- que les divers versements effectués par A. P. étaient d'un montant important, puisque s'élevant à 768 985 750 lires et 183 876 dollars US pour ceux d'août 1998 et à 589 139 000 lires pour ceux de décembre 1998 - janvier 1999,

- qu'ils ont tous été effectués en espèces, au moyen de billets de banque non enliassés,

- et qu'ils émanaient d'un client que la Banque du Gothard - Monaco ne connaissait que par une recommandation d'un autre client et qui, non seulement, ne pouvait pas justifier de l'origine des fonds, mais en plus n'était pas encore à la date d'ouverture du compte autorisé à résider en Principauté ;

Attendu, au surplus, que les dépôts effectués par A. P. sortaient d'autant plus de l'ordinaire que les sommes versées ont, quasi intégralement et quasi immédiatement, été virées sur d'autres comptes à l'étranger, ce qui - à supposer que le prévenu P. R. ait pu penser qu'il s'agissait d'argent défiscalisé - ne présentait aucun intérêt aisément perceptible ;

Que, d'ailleurs, les dépôts-virements effectués par A. P. en août 1998 étaient a priori suspects au regard de l'article 13 de la loi précitée n° 1162, en ce qu'ils étaient d'un montant global supérieur à deux millions de francs (article 3 de l'ordonnance n° 11.160 du 24 janvier 1994), qu'ils n'avaient apparemment aucune justification économique et qu'ils étaient d'autant plus inhabituels et complexes qu'ils consistaient en des dépôts aussitôt annulés par des virements ;

Attendu que le soupçon peut se définir comme l'opinion défavorable à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose fondée sur des indices, des impressions ou des intuitions, mais sans preuves précises ;

Que, par hypothèse, le soupçon ne se confond pas avec la certitude qui est la caractéristique de ce qui est indubitable ;

Qu'en l'espèce, les sommes versées par A. P. en espèces et en si peu de temps étaient d'un montant tel et faisaient tout de suite après l'objet de tels virements que P. R., gestionnaire du compte de P., a nécessairement dû avoir un doute sérieux sur l'origine des fonds et n'a raisonnablement pas pu exclure que ces fonds suspects avaient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles, ce type d'activités permettant particulièrement l'obtention de quantités importantes d'argent en espèces et pouvant expliquer la nécessité ultérieure de dépôts-virements bancaires successifs ;

Que ce soupçon a, d'autant plus sûrement dû habiter P. R. qu'A. P. a toujours prétendu que c'était celui-ci, pour éviter que la banque ait à faire la déclaration ad hoc auprès du » Service d'information et de contrôle sur les circuits financiers « dit Siccfin, qui avait en août 1998 fictivement réparti les 768 985 750 lires italiennes en trois versements distincts entre le vendredi 7 août et le lundi 10 août 1998 ;

Que P. a même précisé lors de sa confrontation avec P. R. le 11 mai 2000 devant le Juge d'instruction :

» Oui. Je maintiens que lorsque je me suis présenté pour déposer l'argent à la banque, j'étais dans le bureau privé de cet établissement. J'ai rencontré M. R. qui m'a demandé quel était le problème et qui m'a dit ce que je devais faire. Je lui ait dit que j'avais de l'argent à verser sur le compte et M. R. m'a demandé quel était approximativement le montant de cette somme. Je lui ait répondu et il m'a dit : « ça va, venez avec moi à la caisse ». Il m'a accompagné à la caisse privée où le caissier m'a demandé si j'avais des justificatifs concernant cette somme prélevée en Italie. Or je n'avais rien. M. R. et le caissier se sont regardés et m'ont proposé de diviser la somme en 3 tranches. Selon ce que j'ai compris il y avait un maximum d'un montant que l'on pouvait verser et en faisant des divisions par tranches, on n'avait pas de problème. «

Attendu que si P. R. a toujours contesté avoir ainsi conseillé A. P. et être à l'origine des trois dépôts distincts précités, il reste qu'en toute hypothèse P. R. a nécessairement eu le soupçon qui devait justifier une déclaration au Siccfin puisqu'en effet :

- soit A. P. a dit la vérité et donc R. avait bien un soupçon quant à l'origine des fonds et a voulu éluder l'obligation légale de déclaration au Siccfin,

- soit A. P. a menti et avait seul pris la décision de scinder son dépôt des 768 985 750 lires en trois dépôts successifs, et alors ces trois dépôts d'espèces réalisés entre le 7 et le 10 août 1998 n'ont pas pu ne pas attirer l'attention de P. R., gestionnaire du compte, qui a alors nécessairement dû penser que P. avait ainsi procédé pour éviter que son dépôt en espèces de près de 800 millions de lires - concomitant à un dépôt en espèces de près de 185 000 dollars - n'apparaisse suspect, soupçon qui aurait dû entraîner une déclaration au Siccfin ;

Attendu, toutefois, que P. R., simple fondé de pouvoir au sein de la Banque du Gothard, n'apparaît pas avoir été spécialement habilité par sa direction pour effectuer la déclaration prévue à l'article 3 précité ;

Que quelle que soit la légèreté qui a pu caractériser son comportement, il ne saurait en conséquence lui être reproché de ne pas avoir personnellement respecté l'obligation de déclaration de soupçon qui pèse sur les seuls » dirigeants ou préposés habilités " ;

Que la relaxe de P. R. s'impose dès lors ;

Attendu que J. L., Directeur général adjoint de la banque, était notamment en charge du contrôle de l'activité des gestionnaires de comptes ;

Qu'à ce titre, il surveillait donc l'activité de R. et qu'ainsi il a nécessairement dû, lui-aussi, et pour les mêmes raisons, trouver suspects les dépôts de fonds effectués par P. ;

Que cependant L., quelle que soit la légèreté dont il a alors pu faire preuve, n'avait nullement été habilité par sa direction au sens de l'article 3 de la loi n° 1162 pour faire la déclaration de soupçon qui s'imposait ;

Qu'à l'instar de P. R., il doit en conséquence être relaxé ;

Attendu concernant E. E., que celui-ci, Secrétaire général de la banque, avait la qualité de correspondant du Siccfin ;

Qu'habilité par sa direction au sens de l'article 3, il avait la responsabilité - concomitamment avec A. M. (autre correspond du Siccfin) - des déclarations de soupçon ;

Que toutefois, il ne résulte d'aucune pièce du dossier qu'E. avait été mis au courant, en leur temps, des divers dépôts et virements effectués sur le compte P. ;

Qu'il a toujours déclaré que c'était à l'occasion de l'exécution de la commission rogatoire suisse qu'il avait découvert le problème, précisant même qu'il avait alors immédiatement (le 8 juillet 1999) fait la déclaration de soupçon qui s'imposait légalement ;

Attendu qu'il n'est pas établi par les pièces de la procédure que P. R. ou J. L. l'avaient alerté des soupçons qu'ils pouvaient avoir quant à l'origine des fonds déposés sur le compte de P. ;

Qu'il n'est pas plus démontré que compte tenu des pouvoirs qu'il tirait de ses fonctions de secrétaire général au sein de la banque, ou de ceux dérivant de son habilitation auprès du Siccfin, E. ne pouvait pas ne pas être au courant - ou à tout le moins aurait dû être au courant - de la particularité des dépôts - virements effectués par P. ;

Qu'ainsi, nonobstant son habilitation formelle en qualité de correspondant du Siccfin - laquelle ne saurait valoir présomption de faute E. E. n'apparaît pas avoir eu à l'époque au sein de la banque les moyens, la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller effectivement à l'observation des prescriptions prévues à l'article 3 de la loi n° 1162 ;

Qu'E., dès lors, non bénéficiaire d'une délégation utile de pouvoirs de la part de la direction de la banque, doit en conséquence être relaxé ;

Attendu qu'A. M. avait, à l'époque des faits, la qualité d'administrateur délégué de la Sam Banque du Gothard et en était donc le dirigeant ;

Attendu que les dirigeants d'organismes financiers sont statutairement chargés de veiller à l'observation des lois régissant l'activité de leurs établissements ;

Qu'ils doivent donc, notamment, être tenus pénalement responsables, comme en étant personnellement les auteurs, de toutes omissions de déclarations de soupçon imputables à leurs préposés lorsque ceux-ci n'ont pas spécialement bénéficié d'une délégation de pouvoirs ;

Attendu qu'il était en effet de la responsabilité de M., par une organisation rationnelle et appropriée du travail au sein de la Banque du Gothard - Monaco, de s'assurer du respect par ses subordonnés des dispositions de la loi n° 1162 ;

Que, par hypothèse, et même à supposer qu'il n'avait pas été mis au courant des dépôts-virements de P., M. a failli à ses devoirs puisque, précisément, il n'a pas su et n'a pas pu empêcher R. et L. de ne pas respecter la loi n° 1162 et de ne pas dénoncer à leurs supérieurs hiérarchiques les anomalies qu'ils avaient dû déceler dans le fonctionnement du compte P. ;

Attendu qu'A. M. doit, en conséquence, compte tenu des fautes commises par ses préposés, non bénéficiaires d'une délégation de pouvoirs - et particulièrement P. R. et J. L. - être déclaré personnellement coupable du délit d'omission de déclaration de soupçon dont s'agit ;

Que la répression doit s'ensuivre ;

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

- Ordonne la jonction des citations susvisées ;

Et statuant contradictoirement par un seul et même jugement,

- Rejette l'exception d'amnistie ;

- Relaxe P. R., J. L. et E. E. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

- Déclare A. M. coupable du délit qui lui est reproché ;

En répression, faisant application des articles 1, 2, 3, 13, 19 et 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1993,

- Le condamne à la peine de vingt-cinq mille francs d'amende ;

- Condamne, en outre, A. M. aux frais ;

- Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, statuant en matière correctionnelle,

  • Confirme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 19 décembre 2000 en ce qu'il a rejeté l'exception d'amnistie ;

  • Déclare irrecevables l'appel d'A. M. ainsi que l'appel incident du Ministère public ;

  • Reçoit le Ministère public en son appel principal formé contre P. R., J. L. et E. E. ;

  • Confirme le jugement du Tribunal correctionnel précité en ce qu'il a renvoyé P. R. et J. L. des fins de la poursuite ;

Le réformant pour le surplus,

  • Déclare E. E. coupable du délit qui lui est reproché ;

En répression, faisant application des articles 1, 2, 3, 13, 19 et 32 de la loi n° 1162 du 7 juillet 1992,

  • Le condamne à la peine de vingt-cinq mille francs d'amende ;

  • Dit que les frais seront supportés à raison d'un tiers chacun, entre A. M., E. E. et le Trésor ;

  • Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Composition🔗

MM. Landwerlin prem. prés. ; Mme Le Lay prem. subs. proc. gén. ; Me Michel, av. déf.

Note🔗

Cet arrêt réforme pour partie le jugement du Tribunal correctionnel du 19 décembre 2000 publié à la suite de la présente décision. Il est avéré que le nommé A. P. qui a viré de son compte ouvert auprès de la banque du Gothard à Monaco, au compte du nommé P. M. auprès de la Commerzbank à Zurich, d'importantes sommes d'argent a été condamné le 10 octobre 2000 par jugement du Tribunal correctionnel de Monaco, devenu définitif, à 7 ans d'emprisonnement et 200 000 francs d'amende pour infractions aux dispositions des articles 2 et 4.3 de la loi n° 890 du 1er juillet 1970 sur les stupéfiants.

Cet arrêt est conforme à celui rendu le 4 décembre 2000 dans l'affaire F., Z., A. c/ Ministère public.

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