Cour d'appel, 4 décembre 2000, F., L., A. c/ Ministère public

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Abstract🔗

Amnistie

Ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 - Condition : prononcé d'une condamnation à une peine d'amende, n'ayant pas acquis force de chose jugée - Effet : - Extinction de la peine après son prononcé - Extinction de l'action publique : irrecevabilité de l'appel après le prononcé de la peine

Blanchiment

Participation des organismes financiers à la lutte : loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 - Déclaration de soupçon obligatoire - Omission de cette déclaration - Détermination des responsables, dirigeants ou préposés habilités seulement

Résumé🔗

Quant à l'exception d'amnistie :

L'amnistie prévue par l'article 1er de l'ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 accordée pour les délits commis antérieurement au 9 mai 1999, qui ont été ou seront punis de peines d'amende, ne prend nullement en considération la nature des infractions poursuivies ou celles des peines légalement encourues ; elle implique, en revanche, qu'une condamnation personnelle portant sur une peine d'amende ait été prononcée, sans qu'elle soit passée en force de chose jugée, indépendamment de la qualification ayant pu être retenue en définitive par la juridiction répressive, sous réserve des cas exclus par l'article 2 de cette ordonnance, non avérés en l'espèce.

Par l'effet de l'amnistie qui efface les délits, les poursuites sont arrêtées lorsqu'intervient l'une des condamnations prévues par l'ordonnance d'amnistie, postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci.

Il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer en l'espèce sur les appels formés, tant par F. et L. que par le Ministère public, quant aux dispositions du jugement précité ayant prononcé contre ces deux prévenus une condamnation à laquelle est applicable l'article 1er de l'ordonnance souveraine susvisée n° 13.982 ; il en a, d'ailleurs, été ainsi décidé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation française, sur le fondement de dispositions analogues (Crim. 4 nov. 1954 : D. 1955, somm. p. 29. - 12 juill. 1956 : Bull. crim., n° 531).

Les appels susvisés doivent être déclarés irrecevables ; en revanche il n'en est pas de même pour U. A. qui n'ayant pas été condamné par le Tribunal, ne saurait prétendre, à l'amnistie du délit qui lui est reproché, à raison seulement de la peine par lui encourue au regard de l'incrimination résultant de la citation dont il fait l'objet

Quant au fond :

Les dirigeants d'organismes financiers sont statutairement chargés de veiller à l'observation des lois régissant l'activité de leurs établissements ; ils doivent donc être tenus pour pénalement responsables, comme en étant les auteurs, de toutes omissions de déclaration des sommes ou opérations visées à l'article 3 de la loi n° 1.162 du 13 juillet 1993, lorsque les services et personnes qui sont directement placés sous leur administration conçoivent, à partir d'éléments objectifs, un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause, et qu'ils ne peuvent alors exclure que ces fonds suspects aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles.

Lorsqu'un tel doute se manifeste dans des services dont les dirigeants de l'organisme financier ont formellement délégué la direction à certains préposés, en habilitant spécialement ceux-ci à effectuer la déclaration prévue par l'article 3 précité, avec la compétence et l'autorité nécessaire pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions de ce texte, lesdits préposés supportent seuls, et au même titre, une responsabilité pénale semblable à celle des dirigeants. Il s'en suit que, pour l'application de l'article 32 de la loi n° 1.162 qui sanctionne la contravention à l'article 3 susvisé, la responsabilité pénale pouvant être retenue contre les préposés habilités, exclut, normalement, celle des dirigeants de l'organisme financier. Il s'en suit aussi, qu'à défaut d'habilitation spéciale conforme aux dispositions de l'article 3 susvisé, les autres préposés de l'organisme financier, auxquels aucune délégation utile de pouvoirs n'a été dès lors consentie, ne peuvent nullement se voir imputer l'omission de déclaration incriminée par l'article 32 de la loi n° 1.162. Tel est manifestement le cas de U. A. comme l'ont justement relevé les premiers juges.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

Le 2 décembre 1998, le procureur de la République italienne près le tribunal de Brindisi a fait délivrer une commission rogatoire internationale (n° 3044/1998 RGMR) dans une procédure pénale suivie à son parquet, à l'encontre des nommés C. C. et O. C., des chefs de trafic de stupéfiants, fraude fiscale, fausses communications sociales, contrebande de tabacs ouvragés à l'étranger, et transaction de fausse monnaie.

Cette commission rogatoire initiale, jointe à plusieurs commissions rogatoires complémentaires, a été adressée aux autorités monégasques en vue de l'audition à Monaco, en qualité de témoin, du nommé U. A., directeur adjoint de l'agence monégasque de la BSI - Banca Della Svizzera Italiana, ayant ses bureaux 1 avenue Saint-Michel à Monaco.

L'enquête ainsi demandée a été subdéléguée le 17 juin 1999 au directeur de la Sûreté publique par le premier juge d'instruction du Tribunal de première instance à Monaco.

U. A. a été, sur ce, entendu le 5 octobre 1999 par un officier de police judiciaire qui a recueilli sa déposition.

A. a alors déclaré que C. C., qu'il ne connaissait pas auparavant, s'était à la fin de l'année 1997 présenté spontanément dans les locaux de la BSI à Monaco, en indiquant qu'il voulait faire des versements en espèces provenant de son activité, ainsi que d'une autre banque de Monaco, et que, par la suite, l'ensemble de ces fonds devait être viré sur un compte ouvert à la BSI, aux îles Bahamas.

Selon A., C. C., avait alors précisé travailler en Suisse dans une société fiduciaire de Lugano, nommée Fidintra.

A. a affirmé qu'il s'était alors immédiatement renseigné auprès du siège de la BSI à Lugano, ainsi qu'auprès de la succursale BSI de l'île anglonormande de Guernesey, établissement gérant la BSI des Bahamas.

Ces deux sources lui auraient alors confirmé que C. C. était connu, mais depuis très peu de temps, et qu'il ne disposait pas d'argent en compte.

A. a précisé aussi que le siège de la BSI à Lugano dont dépendait l'agence de Monaco, lui avait envoyé par télécopie une autorisation pour recevoir l'argent de C. et l'envoyer ensuite aux Bahamas.

Il a ajouté que les vérifications entreprises, ayant abouti à cette autorisation, n'avaient en fait duré qu'une heure, mais qu'il s'était par la suite renseigné de manière complémentaire sur la situation bancaire de C. C., en janvier 1998, époque à laquelle ce dernier avait sollicité l'ouverture d'un compte auprès de la BSI de Monaco.

A. a dit alors avoir demandé des renseignements auprès de la BSI à Guernesey, qui ne s'étaient pas avérés mauvais.

Revenant aux faits de fin 1997, A. a précisé que lors de sa première visite à la BSI, C. C. avait versé 500 millions de lires italiennes, somme qui a été déposée sur un compte de mise à disposition, avant d'être virée sur ordre de C., à un compte de ce dernier, codé sous le nom T., que C. avait ouvert à la BSI des Bahamas.

A. a également indiqué, que quelques jours plus tard, C. C. avait renouvelé cette opération pour le même montant de 500 millions de lires qui avait été d'abord versé à Monaco puis viré aux Bahamas.

Selon A., lorsque C. était revenu à la banque en janvier 1998 pour demander l'ouverture d'un compte, un compte lui fut effectivement attribué, sous le nom d'Oscar, nom de code désignant le compte dont C. devenait alors titulaire à Monaco, et sur lequel une procuration était donnée à son fils Oscar C..

Le 26 janvier 1998, a précisé A., C. C. avait immédiatement versé sur ce compte un milliard de lires en espèces, en sollicitant de la banque une gestion conservatrice de ces fonds, sans qu'il n'ait à intervenir.

Après quoi, toujours selon les déclarations d'A., C. C. avait procédé à trois autres versements en espèces les 2 et 16 février 1998, ainsi que le 16 mars 1998.

A. a précisé qu'avec cet argent la banque avait procédé à l'achat d'actions, d'obligations, de parts de fonds communs de placement, et qu'elle avait également ouvert des comptes de dépôt à terme.

Précisant le montant total des fonds ainsi placés, A. a précisé qu'à la date de son audition soit le 5 octobre 1999, ce montant était de 6 527 273 francs.

En réponse aux questions de l'officier de police judiciaire ayant recueilli sa déposition, A. a mentionné que lorsque C. avait apporté à la banque 1 milliard de lires italiennes en espèces, des informations avaient été demandées sur lui au siège de Lugano, lequel avait fait état de bons renseignements bancaires.

A. a en même temps reconnu qu'il n'avait pas alors formulé de déclaration auprès du SICCFIN (Service d'information et de contrôle sur les circuits financiers), en dépit de multiples et importants versements de fonds en espèces, opérés par C.

A. a également admis qu'il n'était pas habituel qu'il reçoive de telles sommes en espèces en si peu de temps, tout en affirmant que l'activité de C. pouvait très bien avoir un caractère légal et induire ce type de versements.

Précisant son propos, A. a néanmoins admis qu'il ne connaissait pas beaucoup d'activités professionnelles procurant des versements en espèces aussi importants, et, également, qu'il ne connaissait pas l'activité réelle de C. C., lequel avait indiqué exercer une activité industrielle à Brindisi au travers de trois sociétés, sur lesquelles, toutefois, aucun renseignement n'avait été recherché.

A. a par ailleurs mentionné que les espèces représentant 1 milliard de lires se trouvaient dans un sac de sport apporté par C. ; qu'en septembre 1999, le fils Oscar C. s'était présenté à la banque en compagnie d'un nommé Melodia, représentant la société Fidintra ; et que ce même Oscar C. avait alors demandé la liquidation du compte et le transfert d'une partie du solde au compte T. à la BSI des Bahamas.

Au vu du procès-verbal d'audition d'U. A. ainsi établi, le procureur général a, le 24 novembre 1999, ordonné une enquête destinée à caractériser en l'occurrence une violation de l'article 3 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

En exécution des instructions du Parquet général, les enquêteurs de la Sûreté publique ont d'abord recueilli le 16 décembre 1999 les déclarations de F. F., directeur administratif de la BSI Monaco, chargé du contrôle interne des opérations bancaires, puis, le 4 janvier 2000, d'autres déclarations d'U. A..

Ils ont, enfin, le 5 janvier 2000, procédé à l'audition de S. L., administrateur délégué de la BSI Monaco, et transmis le 11 janvier 2000, au Parquet général, le dossier d'enquête, ainsi qu'un procès-verbal de synthèse n° 24934 daté du 10 janvier 2000.

Il résulte de ce procès-verbal, que les responsables de la BSI de Monaco, tout comme U. A., ont déclaré n'avoir conçu aucun soupçon sur C. C., l'aval de BSI Lugano leur ayant semblé suffire à ne pas motiver de recherches ou une déclaration au SICCFIN ; ils ont cependant tous trois admis qu'il était effectivement exceptionnel de voir des clients inconnus de la banque se présenter avec des sommes aussi importantes en espèces.

Selon exploits de citation distincts délivrés à la requête du Ministère public les 9 et 10 mars 2000, F. F., S. L. et U. A., ont été appelés à comparaître le 9 mai 2000 devant le Tribunal correctionnel comme prévenus :

« d'avoir à Monaco, en novembre et décembre 1997, janvier, février et mars 1998, enfreint les dispositions relatives à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux en omettant de faire une déclaration de soupçons au SICCFIN ».

« Délits prévus et réprimés par les articles 1, 2, 3, 19 et 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993. »

Sur cette poursuite, et selon jugement du 6 juin 2000, F. F. et S. L. ont été déclarés coupables des délits leur étant ainsi reprochés, et condamnés, chacun, à la peine de 25 000 francs d'amende.

U. A. a été pour sa part renvoyé des fins de la poursuite par le même jugement.

Pour statuer de la sorte, les premiers juges ont d'abord rappelé qu'aux termes de l'article 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993, est puni de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 26 du Code pénal quiconque aura contrevenu aux dispositions des articles 3, 5, 19 et 25 de ladite loi, et que l'article 3 de celle-ci dispose :

« Les organismes financiers visés à l'article premier sont tenus de déclarer, au ministre d'État, toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles - Un service, institué par ordonnance souveraine, reçoit la déclaration, pour le compte du ministre d'État - Les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration susmentionnée et à divulguer les informations visées à l'article 10 ».

Les premiers juges ont également rappelé que, selon l'article 1er de la loi n° 1.162, sont notamment des organismes financiers les personnes qui effectuent à titre habituel des opérations bancaires ou d'intermédiation bancaire, en sorte que la banque BSI, organisme financier au sens de cette même loi, était tenue, de faire, par ses « dirigeants ou préposés habilités », la déclaration prévue à l'article 3, ceux-ci assumant pénalement la responsabilité prévue à l'article 32 précité.

Les premiers juges ont alors relevé que U. A., à la différence de F. F. et S. L., n'avait pas la qualité de correspondant du SICCFIN auprès de la BSI et qu'il n'était donc pas « habilité », au sens du dernier alinéa de l'article 3 précité, à faire personnellement la déclaration dont s'agit et qu'ainsi il ne pouvait lui être reproché d'avoir enfreint cette obligation de déclaration sanctionnée pénalement à l'article 32 de la loi, ce qui devait motiver sa relaxe.

Les premiers juges ont en revanche constaté que F. F. et S. L., normalement et régulièrement informés en temps utile des dépôts effectués par C. C., n'avaient pas estimé devoir faire auprès du SICCFIN, la déclaration de soupçon prévue à l'article 3 précité, alors qu'il apparaissait pourtant :

  • que les divers versements effectués par C. C. étaient d'un montant relativement important (600 millions, 500 millions, 1 milliard, 400 millions, 250 millions et 100 millions de lires),

  • qu'ils ont tous été effectués en espèces et qu'il s'est écoulé à peine trois à quatre mois entre le premier et le dernier,

  • qu'ils émanaient, pour les premiers, d'un montant de 600 et 500 millions de lires, d'un client que la BSI de Monaco ne connaissait pas, et qui n'était pas parrainé par un autre client comme cela est d'usage, et, pour les suivants, d'un client que la BSI Monaco connaissait depuis quelques semaines à peine,

  • enfin, que les bons renseignements donnés sur C. C. par les agences de la BSI de Lugano et de Guernesey étaient d'autant plus à considérer avec circonspection que ce n'était que depuis novembre 1997 que C. C. était client de la BSI aux Bahamas.

Rappelant que le soupçon se définit, notamment, comme une opinion défavorable fondée sur des indices, les premiers juges ont dès lors estimé que F. et L. n'avaient pas pu ne pas le concevoir à l'égard de C. C., en considération des faits de l'espèce, alors surtout que ces deux prévenus avaient jugé utile de demander à U. A., qui avait reçu C. C., de prendre attache avec leurs collègues de L. et de G. pour se renseigner sur ce client qu'ils ne connaissaient pas, et qui souhaitait faire un vendredi soir une opération pour le moins inhabituelle : à savoir un versement de 600 millions de lires en espèces à la BSI de Monaco en vue d'un transfert à la BSI des Bahamas.

Les premiers juges se sont à cet égard fondé sur les propres déclarations de F. F. qui a déclaré le 16 décembre 1999 aux policiers :

« ces versements m'ont effectivement interpellé ; toutefois ayant reçu une décharge en bonne et due forme de notre siège, j'ai considéré que cela suffisait. Je vous précise cependant que Monsieur L. a fait part de nos réflexions sur Monsieur C. en leur précisant que BSI Monaco ne souhaitait plus effectuer ce genre d'opérations ;

» la réglementation en vigueur n'a pas été scrupuleusement respectée car aucun justificatif précis n'a été obtenu sur ce versement ;

« le cas C. est un cas isolé ; je veux préciser quand même que lorsque Monsieur C. s'est présenté à nous pour la première fois un vendredi tard dans l'après-midi, n'ayant pu contacter les personnes compétentes à L., nous avons refusé la transaction ainsi que les fonds. Celui-ci a passé la fin de semaine dans un hôtel de Monaco et s'est représenté le lundi suivant, jour durant lequel nous avons pu contacter le personnel de L. et obtenir la décharge nécessaire pour cette opération. De par ce fait, vous pouvez constater que de telles opérations ne sont pas habituelles dans notre établissement. »

Les premiers juges ont également rappelé à cet égard que, de son côté, S. L. avait déclaré aux policiers, le 5 janvier 2000 :

« j'ai dit à Monsieur A. de ne pas agir pour ce versement tant que nous n'avions pas une décharge écrite » ;

« La procédure de vérification a effectivement été rapide »

« La décharge de BSI Lugano suffisait pour nous » ;

Ils ont aussi retenu que, pour sa part, U. A. avait déclaré aux policiers, le 5 octobre 1999 :

« Dès le début nous avons eu un doute sur la provenance de l'argent et nous avons demandé des renseignements à L. » ;

Au vu de cet ensemble d'éléments, le Tribunal correctionnel a considéré, que F. F. et S. L. avaient, dès le début, été intrigués et eu de sérieux doutes sur l'origine licite des fonds détenus par C. C., et que c'est pour cette raison que, connaissant les termes de la loi n° 1.162, puisqu'étant les correspondants du SICCFIN, ils avaient estimé utile d'impliquer leur direction de L. ; dès lors que ces deux prévenus étaient légalement tenus d'informer immédiatement le SICCFIN de leurs soupçons, il en résultait que leur omission de ce chef justifiait la poursuite à leur encontre ;

Par actes des 13 juin 2000, ces deux prévenus ont interjeté appel du jugement ainsi rendu ;

Le Ministère public a, pour sa part, formé appel à la même date de la décision de relaxe concernant A., et appel incident sur l'appel principal des deux autres prévenus ;

Par actes des 22 et 25 septembre 2000, les trois prévenus ont été régulièrement cités à l'audience de la Cour du 23 octobre 2000, retenue pour l'examen de ces appels.

À ladite audience, le Ministère public a d'abord rappelé qu'en l'espace de cinq mois une somme de six millions de francs, environ, avait été déposée en espèces par C. auprès de la BSI.

Estimant que l'ensemble des délits visés par la poursuite se trouvait établi, le Ministère public a dès lors requis l'infirmation du jugement de relaxe rendu par le Tribunal de première instance à l'égard de A., et la confirmation des autres dispositions de ce jugement relatives à L. et F.

En défense, et réitérant pour l'essentiel les termes de leurs conclusions déposées à l'audience de la Cour du 23 octobre 2000, les trois prévenus ont d'abord fait plaider, par leur avocat, Maître Gilbert Manceau, l'absence d'élément légal des infractions retenues à leur encontre, en l'état, d'une part, de l'ordonnance n° 13.982 du 3 mai 1999 portant amnistie, qui interdirait désormais l'application du texte d'incrimination visé par la prévention.

Ils ont soutenu, d'autre part, que ce même texte n'instituerait l'incrimination retenue qu'à l'encontre d'organismes financiers, et qu'eux-mêmes ne devraient en rien supporter la responsabilité pénale de ces organismes, contrairement à ce qu'a indiqué le Tribunal de première instance pour tenir compte, sans doute, de l'impossibilité d'exercer à Monaco l'action publique contre des personnes morales.

Les prévenus ont donc estimé que l'élément légal des infractions visées par la poursuite serait inexistant, en ce qui les concerne, alors par ailleurs que le défaut de déclaration de soupçon leur étant imputé impliquerait leur connaissance de ce que les sommes litigieuses proviendraient d'un trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles, ces circonstances n'étant pas établies en l'état, sauf à ce qu'il soit sursis à statuer de ce chef quant à l'action publique.

Les prévenus ont, par ailleurs, fait plaider par leur conseil l'absence d'élément matériel des infractions poursuivies, dès lors que celles-ci supposeraient selon eux que, - contrairement à ce qu'ils prétendent avoir été le cas en l'espèce - ils n'aient pas eu d'assurances pouvant détruire l'apparence ayant pu originairement les conduire à un soupçon quant à l'origine des sommes litigieuses.

Les prévenus ont, enfin, prétendu à l'absence d'élément moral de ces mêmes infractions en ce qui les concerne, faute de démonstration d'une abstention fautive pouvant leur être imputée, leur avocat ayant en outre rappelé l'absence de toute obligation déclarative qui aurait pesé sur A., ce dernier n'étant pas, en effet, correspondant du SICCFIN, et devant être à ce titre relaxé, selon la défense.

SUR QUOI :

Quant à l'exception d'amnistie :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de l'ordonnance souveraine n° 13.982 du 3 mai 1999 « amnistie pleine et entière est accordée pour les délits (...) commis antérieurement au 9 mai 1999, qui ont été ou seront punis (...) de peines d'amende » ;

Considérant que l'amnistie ainsi prévue, ne prend nullement en considération sur un plan général la nature des infractions poursuivies ou celles des peines légalement encourues ; qu'elle implique, en revanche, qu'une condamnation personnelle ait été prononcée, entrant dans les prévisions de l'ordonnance d'amnistie, indépendamment de la qualification ayant pu être retenue en définitive par la juridiction répressive, sous réserve des cas exclus par l'article 2 de cette même ordonnance, non avérés en l'espèce ;

Considérant, d'autre part, que l'article 1er précité ne subordonne pas l'octroi de l'amnistie à la condition que les condamnations prononcées soient passées en force de chose jugée ;

Qu'au contraire, par l'effet de l'amnistie qui efface les délits, les poursuites sont arrêtées lorsqu'intervient l'une des condamnations prévues par l'ordonnance d'amnistie, postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci ;

Considérant qu'il n'y a, dès lors, pas lieu de statuer en l'espèce sur les appels formés, tant par F. et L. que par le Ministère public, quant aux dispositions du jugement précité ayant prononcé contre ces deux prévenus une condamnation à laquelle est applicable l'article 1er de l'ordonnance souveraine susvisée n° 13.982 ; qu'il en a, d'ailleurs, été ainsi décidé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation française, sur le fondement de dispositions analogues (Crim. 4 nov. 1954 : D. 1955, somm. p. 29 ; 12 juill. 1956 : Bull. n° 531) ;

Que, par suite, les appels susvisés doivent être déclarés irrecevables ;

Considérant, qu'en revanche, U. A. qui n'a pas été condamné par le Tribunal correctionnel, ne saurait prétendre, comme il a été ci-dessus mentionné, à l'amnistie du délit qui lui est reproché, à raison seulement de la peine par lui encourue au regard de l'incrimination résultant de la citation dont il a fait l'objet ; que, par voie de conséquence, le Ministère public doit être reçu en son appel, régulièrement formé contre ce prévenu ;

Qu'il convient donc d'examiner, désormais, les faits visés par la prévention, mais seulement en ce qu'ils concernent U. A. ;

Quant au fond :

Considérant que la poursuite fait grief à U. A. d'avoir omis de formuler auprès du service d'information et de contrôle des circuits financiers (SICCFIN), la déclaration prévue par l'article 3 de la loi n° 1.162, étant rappelé qu'aux termes de ce texte les organismes financiers, visés à l'article 1er de cette même loi, sont tenus de déclarer au ministre d'État toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes, lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles ; que, d'autre part, un service (le SICCFIN) institué par ordonnance souveraine reçoit la déclaration pour le compte du ministre d'État ; qu'enfin les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration ;

Considérant que l'article 32 de la loi n° 1.162 du 13 juillet 1993 punit quiconque contrevient aux dispositions de l'article 3 précité, en tant qu'elles prévoient, ainsi, une déclaration incombant aux organismes financiers ;

Considérant qu'en incriminant « quiconque », ce texte ne précise pas quels sont les membres de chaque organisme financier qui seraient punissables au titre d'une violation des obligations déclaratives pesant sur lui, alors pourtant que diverses personnes physiques sont expressément admises, par l'article 7 subséquent, à s'acquitter de ces obligations ;

Qu'en effet ledit article prévoit qu'aucune action en responsabilité civile ne peut être intentée, ni aucune sanction professionnelle prononcée, contre un organisme financier, ses dirigeants ou ses préposés habilités, qui ont fait de bonne foi la déclaration ; qu'en outre l'article 3 précité prévoit implicitement que les dirigeants ou les préposés habilités, effectuent la déclaration au nom de l'organisme financier ;

Considérant, cependant que les dirigeants d'organismes financiers sont statutairement chargés de veiller à l'observation des lois régissant l'activité de leurs établissements ; qu'ils doivent donc être tenus pour pénalement responsables, comme en étant les auteurs, de toutes omissions de déclaration des sommes ou opérations visées à l'article 3 de la loi n° 1.162, lorsque les services et personnes qui sont directement placés sous leur administration conçoivent, à partir d'éléments objectifs, un doute sérieux sur l'origine des fonds en cause, et qu'ils ne peuvent alors exclure que ces fonds suspects aient un lien avec le trafic de stupéfiants ou l'activité d'organisations criminelles ;

Que, lorsqu'un tel doute se manifeste dans des services dont les dirigeants de l'organisme financier ont formellement délégué la direction à certains préposés, en habilitant spécialement ceux-ci à effectuer la déclaration prévue par l'article 3 précité, avec la compétence et l'autorité nécessaires pour veiller efficacement à l'observation des prescriptions de ce texte, lesdits préposés supportent seuls, et au même titre, une responsabilité pénale semblable à celle des dirigeants ;

Considérant qu'il s'ensuit que, pour l'application de l'article 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993, et dans les conditions qui viennent d'être précisées, la responsabilité pénale pouvant être ainsi retenue contre les préposés habilités exclut, normalement, celle des dirigeants de l'organisme financier ;

Qu'il s'ensuit, aussi, qu'à défaut d'habilitation spéciale conforme aux dispositions de l'article 3 susvisé, les autres préposés de l'organisme financier, auxquels aucune délégation utile de pouvoirs n'a été dès lors consentie, ne peuvent nullement se voir imputer l'omission de déclaration incriminée par l'article 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 ;

Considérant qu'en l'espèce, et comme l'ont justement relevé les premiers juges, tel est manifestement le cas d'U. A. ; que, sans qu'il y ait donc lieu d'examiner le surplus des faits qui lui sont reprochés, ce prévenu doit être, par voie de conséquence, renvoyé des fins de la poursuite ;

Tribunal correctionnel

Audiences des 9 mai 2000 (débats)

et 6 juin 2000 (décision)

Le Tribunal, jugeant correctionnellement,

Le Tribunal, jugeant correctionnellement,

Attendu que F. F., S. L. et U. A. sont poursuivis correctionnellement sous la même prévention :

« D'avoir à MONACO, en novembre et décembre 1997, janvier, février et mars 1998, enfreint les dispositions relatives à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux en omettant de faire une déclaration de soupçons au SICCFIN,

DELITS prévus et réprimés par les articles 1, 2, 3, 19 et 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993 » ;

Attendu qu'en l'état de la connexité qui s'évince des faits de la cause et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient d'ordonner la jonction des trois citations susvisées pour qu'il y soit statué par un seul et même jugement ;

Attendu que l'enquête et les débats d'audience ont établi les faits suivants :

À l'occasion de l'exécution en Principauté d'une commission rogatoire internationale délivrée le 2 décembre 1998 par le Procureur près le Tribunal italien de Brindisi et relative à la procédure suivie en Italie contre C. C. et O. C. des chefs de « trafic de stupéfiants, fraude fiscale, fausses communications sociales, contrebande de tabacs ouvragés à l'étranger, transaction de fausse monnaie », il est apparu :

  • que C. C. s'était présenté en novembre 1997 à l'agence monégasque de la Banca Della Svizzera Italiana (BSI) en déclarant qu'il voulait y faire un versement de 600 millions de lires provenant de son activité professionnelle et également qu'il avait de l'argent dans une autre banque monégasque et qu'il souhaitait regrouper le tout dans un compte à la BSI Monaco pour réaliser une opération financière, l'argent devant ensuite être transféré vers la BSI Bahamas,

  • que C. C., reçu par le directeur adjoint U. A., a peu après versé en espèces 600 millions de lires puis 500 millions de lires sur un « compte de mise à disposition » avant transfert sur un compte codé au nom de « T. » ouvert auprès de la BSI Bahamas,

  • que C. C. s'est de nouveau présenté à la banque le 26 janvier 1998 pour ouvrir un compte codé au nom de « O. » et a versé en espèces un milliard de lires,

  • que C. C. a par la suite effectué trois autres versements : 400 millions de lires le 2 février 1998, 250 millions de lires le 16 février 1998 et 100 millions de lires le 16 mars 1998,

  • que tout cet argent a, sur la demande du déposant, été géré par la banque dans un style de « gestion conservatrice » (achat d'actions, d'obligations et de fonds et ouverture de dépôts à terme),

  • que le 16 septembre 1999, O. C., bénéficiaire d'une procuration sur le compte « O. », s'est présenté à la banque pour liquider tous les avoirs et en transférer une partie sur le compte « T. » ouvert auprès de la BSI Bahamas,

  • qu'à aucun moment une quelconque déclaration n'a été faite auprès du « Service d'information et de contrôle sur les circuits financiers » (SICCFIN) créé par l'ordonnance souveraine n° 11.246 du 12 avril 1994 ;

Sur instructions du 24 novembre 1999 de Monsieur le Procureur Général la sûreté publique a alors procédé à l'audition d'U. A. ainsi que de F. F. - directeur administratif de la BSI Monaco et correspondant SICCFIN - et de S. L. - administrateur délégué de la BSI Monaco et correspondant SICCFIN ;

Interrogés sur le point de savoir pourquoi ils n'avaient pas fait auprès du SICCFIN la déclaration de soupçons prévue sous peine de sanctions pénales à l'article 3 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993, ils ont tous trois fait valoir qu'ils n'avaient pas eu de « soupçons » stricto sensu et qu'ils avaient bien pris soin d'interroger la BSI L. où travaille une ancienne responsable de BSI Bahamas ainsi que la BSI G. (qui gère BSI Bahamas) et que ces banques leur avaient confirmé qu'elles connaissaient C. C. en tant que client titulaire d'un compte et que les fonds pouvaient donc être acceptés sans problème ;

Sur quoi :

Attendu que la loi précitée n° 1.162 du 7 juillet 1993 est relative à la « participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux » ;

Qu'aux termes de son article 32, sera puni de l'amende prévue au chiffre 3 de l'article 26 du Code pénal « quiconque aura contrevenu aux dispositions des articles 3, 5, 19 et 25 » ;

Qu'aux termes précisément dudit article 3 inséré dans la section II intitulée « de l'obligation de déclaration mise à la charge des organismes financiers » :

« Les organismes financiers visés à l'article premier sont tenus de déclarer, au Ministre d'État, toutes les sommes inscrites dans leurs livres et toutes les opérations portant sur des sommes lorsqu'ils soupçonnent que celles-ci proviennent du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

Un service, institué par ordonnance souveraine, reçoit la déclaration, pour le compte du Ministre d'État.

Les organismes financiers communiquent à ce service, sur sa demande, l'identité des dirigeants ou préposés habilités à effectuer la déclaration susmentionnée et à divulguer les informations visées à l'article 10 ».

Que selon l'article 1er de la loi sont notamment des organismes financiers « les personnes qui effectuent à titre habituel des opérations bancaires ou d'intermédiation bancaire » ;

Que la personne morale que constitue la banque BSI est donc indiscutablement un organisme financier au sens de la loi n° 1.162 et qu'ainsi à ce titre elle est tenue, lorsque les conditions sont remplies, de faire, par ses « dirigeants ou préposés habilités », la déclaration prévue à l'article 3, ceux-ci assumant pénalement la responsabilité prévue à l'article 32 précité ;

Que d'ores et déjà il convient de constater qu'U. A., à la différence de F. F. et S. L., n'avait pas la qualité de correspondant du SICCFIN auprès de la BSI ;

Qu'il n'était donc pas « habilité », au sens du dernier alinéa de l'article 3 précité, à faire personnellement la déclaration dont s'agit et qu'ainsi il ne saurait lui être reproché d'avoir enfreint cette obligation de déclaration sanctionnée pénalement à l'article 32 de la loi ;

Attendu en conséquence, qu'il convient d'entrer en voie de relaxe à son égard ;

Attendu, concernant F. F. et S. L., qu'il est un fait que ceux-ci, normalement et régulièrement informés en temps utile des dépôts effectués par C. C., n'ont pas estimé devoir faire auprès du SICCFIN la déclaration de soupçons prévue à l'article 3 précité ;

Qu'il apparaît pourtant :

  • que les divers versements effectués par C. C. étaient d'un montant relativement important (600 millions, 500 millions, 1 milliard, 400 millions, 250 millions et 100 millions de lires),

  • qu'ils ont tous été effectués en espèces et qu'il s'est écoulé à peine trois à quatre mois entre le premier et le dernier,

  • qu'ils émanaient, pour les premiers d'un montant de 600 et 500 millions de lires d'un client que la BSI Monaco ne connaissait pas et qui n'était pas parrainé par un autre client comme cela est d'usage, et pour les suivants d'un client que la BSI Monaco connaissait depuis quelques semaines à peine,

  • que les bons renseignements donnés sur C. C. par les agences BSI de L. et de G. étaient d'autant plus à considérer avec circonspection que ce n'était que depuis novembre 1997 que C. C. était client de BSI Bahamas ;

Attendu qu'aux termes du Larousse, le soupçon se définit comme « (l') opinion défavorable à l'égard de quelqu'un fondée sur des indices, des impressions, des intuitions, mais sans preuves précises » ;

Que, par hypothèse, le soupçon ne se confond pas avec la certitude qui est la caractéristique de ce qui est indubitable ;

Qu'en l'espèce les sommes versées par C. C. en espèces et en si peu de temps étaient d'un montant tel que les correspondants du SICCFIN auprès de la BSI Monaco n'ont pas pu ne pas alors penser, même de manière fugace et même peut-être à tort, que ce client disposait de revenus occultes pouvant, notamment, provenir d'un trafic de stupéfiants ou d'autres activités d'organisations criminelles de type mafia, seul ce type d'activités pouvant permettre l'obtention de quantités importantes d'argent en espèces ;

Que ce soupçon a d'autant plus sûrement dû, pour le moins, effleurer F. F. et S. L. que ceux-ci ont estimé utile de demander à U. A. qui avait reçu C. C. de prendre attache avec leurs collègues de L. et de G. pour se renseigner sur ce client qu'ils ne connaissaient pas et qui souhaitait faire un vendredi soir une opération pour le moins inhabituelle : à savoir faire un versement de 600 millions de lires en espèces à BSI Monaco en vue d'un transfert à BSI Bahamas ;

Que c'est ainsi que F. F. a déclaré aux policiers le 16 décembre 1999 :

  • « ces versements m'ont effectivement interpellé ; toutefois ayant reçu une décharge en bonne et due forme de notre siège, j'ai considéré que cela suffisait. Je vous précise cependant que Monsieur L. a fait part de nos réflexions sur Monsieur C. en leur précisant que BSI Monaco ne souhaitait plus effectuer ce genre d'opérations » ;

  • « la réglementation en vigueur n'a pas été scrupuleusement respectée car aucun justificatif précis n'a été obtenu sur ce versement » ;

  • « Le cas C. est un cas isolé ; je veux préciser quand même que lorsque Monsieur C. s'est présenté à nous pour la première fois un vendredi tard dans l'après-midi, n'ayant pu contacter les personnes compétentes à L., nous avons refusé la transaction ainsi que les fonds. Celui-ci a passé la fin de semaine dans un hôtel de Monaco et s'est représenté le lundi suivant, jour durant lequel nous avons pu contacter le personnel de Lugano et obtenir la décharge nécessaire pour cette opération. De par ce fait vous pouvez constater que de telles opérations ne sont pas habituelles dans notre établissement » ;

Attendu que de son côté S. L. a déclaré aux policiers le 5 janvier 2000 :

  • « Pour ma part j'ai dit à Monsieur A. de ne pas agir pour ce versement tant que nous n'avions pas une décharge écrite » ;

  • « La procédure de vérification a effectivement été rapide » ;

  • « La décharge de BSI L. suffisait pour nous » ;

Attendu que pour sa part U. A. avait déclaré aux policiers le 5 octobre 1999 :

« Dès le début nous avons eu un doute sur la provenance de l'argent et nous avons demandé des renseignements à L. » ;

Attendu que ces faits, comme ces déclarations, sont révélateurs de ce que F. F. et S. L. ont dès l'origine, été intrigués et ont eu de sérieux doutes sur l'origine licite des fonds détenus par C. C. et que c'est pour cette raison que, connaissant les termes de la loi n° 1.162 puisqu'étant les correspondants du SICCFIN, ils ont estimé utile d'impliquer leur direction de Lugano ;

Attendu cependant que, forts de leurs soupçons, F. F. et S. L. étaient tenus d'en immédiatement faire la déclaration au SICCFIN, en aucun cas l'information de leur direction, voire la décharge donnée par celle-ci, n'ayant pu les dispenser du respect de cette obligation légale et encore moins les absoudre ;

Que ce respect s'impose, en effet, dès lors qu'il y a place au soupçon et même si, en définitive, ce soupçon ne devait pas être avéré ;

Que la prévention est, en conséquence, établie à l'encontre de F. F. et S. L. qui ont manqué à leur obligation de déclaration ; qu'ils doivent en conséquence être déclarés coupables des délits qui leur sont reprochés et qu'il y a lieu de leur faire application de la loi pénale ;

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal,

  • Ordonne la jonction des citations susvisées ;

Et statuant contradictoirement par un seul et même jugement,

Relaxe U. A. des fins de la poursuite sans peine ni dépens ;

  • Déclare F. F. et S. L. coupables des délits qui leur sont reprochés ;

  • En répression, faisant application des articles 1, 2, 3, 19 et 32 de la loi n° 1.162 du 7 juillet 1993,

  • Les condamne, chacun, à la peine de vingt-cinq mille francs d'amende.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La cour d'appel de la principauté de Monaco, statuant contradictoirement en matière correctionnelle,

  • Déclare irrecevables les appels susvisés de F. F. et S. L., ainsi que les appels incidents formés contre ces deux prévenus par le Ministère public,

  • Reçoit en revanche le Ministère public en son appel principal, formé contre U. A.,

  • Confirme le jugement susvisé du 6 juin 2000, en ce qu'il a renvoyé U. A. des fins de la poursuite,

  • Condamne solidairement F. F. et S. L. aux 2/3 tiers des dépens du présent arrêt,

  • Laisse 1/3 de ces mêmes dépens à la charge du Trésor,

  • Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Composition🔗

M. Landwerlin prem. prés. ; M. Adam cons. ; Mlle Minazzoli sup. ; Mlle Le Lay prem. subst. proc. gén. ; Mme Zanchi gref. princ.

Note🔗

Cet arrêt a déclaré irrecevables les appels interjetés par F.et L., de même que les appels incidents formés contre ces deux prévenus par le Ministère public ; en revanche, il a reçu le Ministère public en son appel principal formé contre A. ; il a confirmé le jugement du 6 juin 2000 publié à la suite du présent arrêt, en ce qu'il a renvoyé A. des fins de la poursuite.

Sur la loi n° 1.162 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux : voir exposé des motifs - séance du Conseil national du 30 juin 1993 (Journal de Monaco du 20 août 1993) ; Revue de droit monégasque n° 1, page 90.

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