Cour d'appel, 15 juin 1999, P., T. et S. c/ Ministère public

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Abstract🔗

Escroquerie

Manœuvre frauduleuse- Présentation d'un faux bijou à un établissement de crédit - Commencement d'un acte d'exécution - Tentative caractérisée

Résumé🔗

Il ressort de l'enquête et des débats que c'est à la demande expresse de S., et sans ignorer que le bijou que ce dernier avait fait fabriquer avec de la « moissanite » comportait un faux diamant, que P. et T., ont présenté ce bijou au CMM pour le remettre en gage auprès de cet établissement.

Toutefois ils n'ont pas alors avoué la matière dont il était en réalité composé, accomplissant une démarche apparente qui ne pouvait cependant elle-même se concevoir, compte tenu de la nature de l'établissement précité, que pour un bijou de valeur ; ils ont d'ailleurs feint tous deux une réelle surprise, relevée par le responsable dudit établissement, lorsque celui-ci leur a indiqué que la pièce centrale du bijou n'était pas un diamant.

Par leur comportement extérieur ainsi manifesté et la remise préalable en gage de ce bijou, qui tendait à l'obtention d'un prêt à leur profit, ils ont entamé, de concert, les actes matériels d'exécution d'une manœuvre frauduleuse, destinée, d'une part, à persuader l'existence d'un crédit imaginaire par leur apparente possession d'un bijou de valeur négociable, et à faire naître, par ailleurs, auprès de l'établissement prêteur, l'espérance purement chimérique d'une réalisation du gage qu'ils tentaient de constituer.

Les manœuvres ainsi entamées n'ayant pas abouti, par suite seulement de la vigilance de l'établissement de crédit, qui avait été dûment informé de pratiques similaires ayant eu antérieurement cours, il convient donc de confirmer le jugement entrepris, tant sur la culpabilité que quant aux sanctions prononcées correspondant à une exacte appréciation des faits de la cause ; de même qu'en ce qui concerne la confiscation, ordonnée en application des articles 12 et 32 du Code pénal, des effets ayant servi ou été destinés à commettre des délits d'escroqueries.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

Par actes du 26 mai 1999, G. P., G. T. et F. S. sont appelants d'un jugement du Tribunal correctionnel rendu à leur encontre selon la procédure de flagrant délit.

Ils ont été condamnés par ce jugement, les deux premiers à la peine de cinq mois d'emprisonnement du chef de tentative d'escroquerie et S. à celle de sept mois d'emprisonnement du chef de complicité de tentative d'escroquerie.

Il était reproché par la poursuite à P. et à T.,

« d'avoir à Monaco, le 9 mai 1999 :

en employant des manœuvres frauduleuses, en l'espèce en gageant des faux diamants, tenté de tromper le CMM pour le déterminer à remettre une somme d'argent, ladite tentative, manifestée par un commencement d'exécution, en l'espèce présentation des faux diamants n'ayant manqué son effet que par suite d'une circonstance indépendante de sa volonté en l'espèce la découverte du stratagème par M. R. C.,

Délit prévu et réprimé par l'article 330 du Code pénal ;

S. était pour sa part prévenu de s'être rendu :

» complice du délit de tentative d'escroquerie commis par G. P. et G. T. en les aidant ou les assistant sciemment dans leur préparation ou leur consommation, en l'espèce en leur fournissant les fausses pierres et leurs montures,

Délit prévu et réprimé par les articles 41, 42 et 330 du Code pénal «.

L'enquête et les débats devant le Tribunal ont révélé que le 19 mai 1999 à 11 heures, P. et T. se sont présentés au CMM afin, selon le responsable de cet établissement (C.), d'engager une bague comportant une pièce centrale paraissant constituée d'un diamant.

Ils n'ont pas alors dit qu'il s'agissait d'un diamant, mais ont paru surpris quand il leur a été répondu que leur bijou n'en comportait pas, et sont ensuite sortis de l'établissement sans tenter de négocier d'autres objets.

La bague, propriété de S., a été fabriquée par ce dernier à partir de » moissanite «, matière comparable en apparence au diamant.

P. a fini par admettre qu'il connaissait la nature exacte du bijou qu'il voulait remettre au CMM, contrairement à T. qui a d'abord maintenu l'ignorer, reconnaissant cependant le contraire à l'audience de la Cour.

Le Tribunal correctionnel a retenu quant au fond :

  • que c'est dans la seule intention de vendre une ou plusieurs bagues que les trois prévenus se sont rendus à Monaco, leur démarche ayant donc pour seul objet d'obtenir la remise de fonds et non la simple évaluation du bijou,

  • que la volonté des auteurs de se faire remettre des fonds ou un certificat nécessaire à leur obtention était est donc alors parfaitement établie, les explications contraires de S. selon lesquelles il aurait, pressé par la nécessité, subitement décidé d'engager cette bague pour se procurer de l'argent, étant totalement contredites, tant par les premières déclarations de ses comparses que par la présence dans leurs effets personnels, outre de sommes importantes d'argent les mettant à l'abri du besoin immédiat, de nombreux bijoux, montures, pierres ou accessoires, caractérisant l'exercice habituel par les prévenus d'une activité de négoce de bijoux,

  • qu'il est également constant que les prévenus connaissaient la nature réelle du bijou qu'ils entendaient engager, P. ayant finalement admis qu'il savait » que c'était de la moissanite «, après avoir pourtant indiqué : » j'ai été très surpris de la réponse de cette personne (parlant de C.) car pour moi, ce bijou était vrai «,

  • que la connaissance que pouvaient avoir les deux autres prévenus de la nature de cette pièce n'est pas douteuse, T. ayant accompagné S. lors de l'acquisition de ces moissanites ;

  • que les tergiversations des prévenus sur ce point, nonobstant l'absence de tout mensonge - faute d'indication donnée par les prévenus à leurs différents interlocuteurs quant à la nature de la pierre - caractériseraient leur intention dolosive,

  • qu'il résultait, par ailleurs, de la procédure que le nommé P. » client occasionnel de B. « selon ses propres dires et donc connu de ce commerce s'est, à raison de ces relations antérieures avec le commerçant, présenté chez B. aux lieu et place de S.,

  • que cette manière de procéder ne pouvait s'expliquer que par une volonté d'abuser le commerçant, puis l'expert, préalablement mis en confiance par P. à la faveur des transactions antérieures portant sur des diamants véritables,

  • que ce stratagème consistant, de la part de P., à endormir la méfiance de ces commerçant et expert par présentation de diamants véritables, puis à leur présenter, certes sans mensonge, mais en un lieu où chacun sait que seuls les objets de valeur sont susceptibles d'être engagés, des pierres sans valeur mais présentant toutes les apparences du diamant et » résistant au test habituellement pratiqué «, caractérisait bien de la part des prévenus, les manœuvres frauduleuses constitutives de la tentative d'escroquerie poursuivie,

  • qu'il était également constant que F. S., propriétaire des bijoux litigieux, les a remis à P. et T., en toute connaissance de cause, sachant qu'ils allaient servir à l'action.

Outre les trois prévenus, le Ministère public a formé appel incident du jugement ainsi rendu par acte du 27 mai 1999.

À l'audience de la Cour d'appel du 14 juin 1999, les trois prévenus ont fait plaider leur relaxe et subsidiairement le bénéfice des circonstances atténuantes.

Pour sa part, le Ministère public a requis la confirmation du jugement entrepris.

Sur quoi :

Considérant qu'il ressort de l'enquête et des débats que c'est à la demande expresse de S., et sans ignorer que le bijou que ce dernier avait fait fabriquer avec de la » moissanite " comportait un faux diamant, que P. et T., ont présenté ce bijou au CMM pour le remettre en gage auprès de cet établissement ;

Que, toutefois, ils n'ont pas alors avoué la matière dont il était en réalité composé, accomplissant alors une démarche apparente qui ne pouvait cependant elle-même se concevoir, compte tenu de la nature de l'établissement précité, que pour un bijou de valeur ;

Qu'ils ont d'ailleurs feint tous deux une réelle surprise, relevée par R. C., lorsque celui-ci leur a indiqué que la pièce centrale du bijou n'était pas un diamant ;

Considérant que, par leur comportement extérieur ainsi manifesté et la remise préalable en gage de ce bijou, qui tendait à l'obtention d'un prêt à leur profit, ils ont entamé, de concert, les actes matériels d'exécution d'une manœuvre frauduleuse destinée, d'une part, à persuader l'existence d'un crédit imaginaire par leur apparente possession d'un bijou de valeur négociable, et à faire naître, par ailleurs, auprès de l'établissement prêteur, l'espérance purement chimérique d'une réalisation du gage qu'ils tentaient de constituer ;

Que, les manœuvres ainsi entamées n'ayant pas abouti, par suite seulement de la vigilance de l'établissement de crédit qui avait été dûment informé de pratiques similaires ayant eu antérieurement cours, il convient donc de confirmer le jugement entrepris, tant sur la culpabilité que quant aux sanctions prononcées correspondant à une exacte appréciation des faits de la cause ;

Considérant, en outre, que les effets dont le Tribunal correctionnel a prononcé la confiscation apparaissent avoir servi ou été destinés à commettre des délits d'escroquerie ;

Qu'étant la propriété de S., leur confiscation doit être confirmée par application des articles 12 et 32 du Code pénal ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

siégeant en matière correctionnelle,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement susvisé du 21 mai 1999 ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prem. prés. ; Auter, subst. proc. gén. ; Me Lajoux, av. stag.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement rendu le 21 mai 1999 par le Tribunal correctionnel.

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