Cour d'appel, 14 juin 1999, B. c/ Ministère public, en présence de l'État de Monaco

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Abstract🔗

Avocat

Communication avec détenu - Délivrance d'un permis de communiquer - Avocat étranger - Exercice lors d'une instruction pénale - Conditions : désignation par l'inculpé et autorisation du magistrat instructeur - article 19 de la loi du 28 juillet 1982

Procédure pénale

Instruction - Retrait du permis de communiquer à avocat - Violation des droits de la défense (non) - permis ne concernant pas l'instruction

Résumé🔗

Aux termes de l'article 38 de l'ordonnance souveraine n° 9749 du 9 mars 1990 portant règlement de la maison d'arrêt, aucune personne étrangère au service ne peut être admise à pénétrer dans les locaux de la détention de la maison d'arrêt qu'en vertu, notamment, d'un permis de communiquer délivré aux avocats.

L'article 43 subséquent dispose que les avocats agissant dans l'exercice de leurs fonctions peuvent communiquer soit dans une cellule spéciale, soit au parloir hors la présence de tout surveillant, avec le détenu pour lequel ils sont régulièrement commis.

Il résulte de ces dispositions que la libre communication d'un inculpé détenu avec un avocat, ainsi prévue, suppose, outre que ce conseil agisse dans l'exercice de ses fonctions, qu'il ait été régulièrement désigné ou choisi.

S'agissant des avocats étrangers le choix de son défenseur émanant d'un inculpé requiert, pour être parfait, que le conseil choisi ait été autorisé à plaider par le magistrat instructeur dans les conditions prévues par l'article 19 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice de la profession d'avocat-défenseur et d'avocat, ce qui implique qu'il ait été lui-même expressément et préalablement chargé par son client de la cause instruite par ce magistrat et que celui-ci en ait été, alors dûment informé.

En l'espèce la demande de communiquer formulée par E. B., telle qu'elle résulte de sa lettre du 6 décembre 1994, laquelle ne mentionne Me Le Maux que comme chargé d'un contentieux particulier introduit en France, ne peut s'analyser comme procédant d'une mission générale donnée par E. B. à ce conseil d'assurer intégralement sa défense dans l'instruction en cause. Au demeurant, Me Le Maux ne justifie pas d'un acte formel et non équivoque par lequel le magistrat instructeur l'aurait initialement autorisé à plaider pour assurer généralement cette défense à la suite de la demande de communiquer ainsi formulée.

Par voie de conséquence, le permis de communiquer délivré pour satisfaire à cette demande, n'équivaut pas, en la circonstance, s'agissant de Me Le Maux, à la constitution régulière par l'inculpé d'un défenseur étranger désigné dans le cadre de la procédure d'instruction, légalement admis à se prévaloir, par l'effet de la loi précitée n° 1047, des dispositions générales des articles 168, 169 et 193 du Code de procédure civile.

Dès lors, le retrait par le juge d'instruction du permis de communiquer avec E. B., délivré à Me Le Maux le 9 février 1995 n'a pas affecté la libre communication de l'inculpé avec un défenseur régulièrement commis dans le cadre de l'instruction préparatoire, et ne peut donc faire encourir la nullité de tout ou partie de celle-ci pour inobservation des formes substantielles présentées pour la garantie des droits de la défense.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant les faits suivants :

Par acte du 5 mars 1999, E. B. a formé un appel visant toutes les dispositions d'un jugement contradictoirement rendu par le Tribunal correctionnel, à la date du 2 mars 1999, par lequel il a été condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis, et à celle de 50 000 francs d'amende.

Appel incident de cette décision a été ensuite formé par le Ministère public, le 8 mars 1999.

Lors dudit jugement E. B. était poursuivi du chef des inculpations suivantes :

1°) d'avoir à Monaco, courant 1990/1991, dissimulé frauduleusement tout ou partie de ses opérations dans le but de se soustraire au paiement total ou partiel de l'impôt, en l'espèce en distribuant des rémunérations d'administrateurs fictives au moyen de chèques au porteur encaissés par des personnes non identifiées, et d'avoir ainsi frauduleusement soustrait à l'impôt une somme de 4 195 000 francs et une somme de 8 900 000 francs,

Faits prévus et réprimés par les articles 38 et 39 de l'ordonnance souveraine n° 3152 du 19 mars 1964 (en réalité : Faits prévus et réprimés par l'article 38 de l'ordonnance souveraine n° 3152 du 19 mars 1964),

2° d'avoir courant 1990/1991, frauduleusement soustrait au paiement total ou partie de la taxe sur le chiffre d'affaires, une somme de 4 millions de francs,

Faits prévus et réprimés par l'article 73, alinéa 1 de l'ordonnance souveraine n° 7374 du 20 mai 1982 (en réalité : faits prévus et réprimés par l'article 73, alinéa 1 de l'ordonnance souveraine n° 7374 du 29 mai 1982),

3° d'avoir dans les mêmes circonstance de temps et de lieu, sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures, ou fait passer des écritures inexactes ou fictives au livre journal ou au livre d'inventaire prévus par les articles 10 et 11 du Code de commerce en l'espèce, en multipliant les fausses opérations comptables, en attribuant à un compte administrateur des sommes sans aucun rapport avec ce compte, et en passant sur ce compte des sommes qu'il encaissait en espèces,

Faits prévus et réprimés par l'article 73-2° de l'ordonnance souveraine n° 7374 du 29 mai 1982,

4° d'avoir à Monaco, courant 1991/1992, en tant qu'administrateur, sciemment publié ou présenté aux actionnaires des comptes inexacts en vue de dissimuler la vérité sur la situation de la société ou sur les résultats de son activité,

Faits prévus et réprimés par l'article 31 de l'ordonnance souveraine du 5 mars 1895 et 403 du Code pénal ancien, remplacé par l'article 350 du Code pénal actuel,

5° d'avoir à Monaco, courant 1990/1991, commis des faux en écriture de commerce, en l'espèce, des fausses factures et d'en avoir fait usage,

Faits prévus et réprimés par les articles 90, 94 et 95 du Code pénal.

Ces inculpations résultaient d'une information judiciaire ayant eu pour objet, en particulier :

  • l'activité des sociétés Générale d'études et d'investissements, GEI, et société Industrielle Technique et Commerciale, SITEC, qu'avait administrées B.,

  • ainsi que diverses vérifications fiscales auxquelles cette activité avait donné lieu.

L'information avait abouti à une ordonnance du magistrat instructeur, en date du 26 octobre 1998 par laquelle E. B. avait été renvoyé devant le Tribunal correctionnel, avec deux autres inculpés, afin d'y être jugé sous la prévention précitée.

Au motif d'une irrégularité de la procédure préalable à l'information, et d'une atteinte aux droits de la défense commise en cours d'instruction, E. B. avait cependant soulevé, devant le Tribunal correctionnel, deux exceptions de nullité de la poursuite, que les premiers juges ont estimé devoir joindre au fond.

L'une de ces exceptions tendait également, et par voie de conséquence, à l'irrecevabilité de la constitution de partie civile de l'État, intervenue au cours de l'instruction préparatoire et confirmée lors des débats devant le tribunal.

Par le jugement entrepris du 2 mars 1999 le Tribunal correctionnel, tout en accueillant l'État en sa constitution de partie civile tendant seulement à corroborer l'action publique a, statuant sur cette action, rejeté d'abord les deux exceptions de nullité soulevées par B., puis déclaré ce dernier coupable de l'ensemble des délits qui lui étaient reprochés.

S'agissant des exceptions de nullités dont il avait été saisi, le Tribunal correctionnel les a analysées comme suit :

1° en ayant décidé sans raison valable en mai 1995 de retirer à Maître Le Maux, conseil du prévenu, un permis de communiquer qu'il lui avait été accordé le 9 janvier 1995, le juge d'instruction a porté atteinte aux droits de la défense dès lors que Maître Le Maux s'est trouvé dans l'impossibilité de communiquer avec E. B. pendant plusieurs mois, cet avocat n'ayant pu obtenir un nouveau permis que le 23 novembre 1995 ; serait donc encourue la nullité de la procédure d'instruction à compter de la décision irrégulière de retrait du permis de communiquer ;

2° les vérifications fiscales qui ont été entreprises par les services fiscaux monégasques à l'égard de la Société générale d'Études et d'Investissements, courant 1991, et les notifications de redressement auxquelles elles ont abouti, ont violé les garanties du contribuable et doivent être annulées ; les poursuites pénales pour fraude fiscale actuellement menées sur la base de ces poursuites administratives irrégulières sont donc entachées de nullité ; en conséquence est encourue la nullité des procédures fiscales et avis de recouvrement qui en sont résultés, ainsi que la nullité ou l'irrecevabilité des poursuites pénales engagées sur ces bases ;

Pour rejeter la première exception, le Tribunal correctionnel a estimé que le retrait du permis de communiquer antérieurement délivré à Maître Le Maux n'avait pas constitué une violation des droits de la défense susceptible d'entraîner l'annulation de la procédure.

Le tribunal a retenu, en effet, que ce permis n'avait pu suffire à conférer à cet avocat étranger la qualité d'avocat choisi par l'inculpé au sens de l'article 167 du Code de procédure pénale, alors par ailleurs que B. ne l'avait pas désigné comme tel au juge d'instruction, sur le fondement de ce texte, avant que ce magistrat n'autorise d'ailleurs, implicitement ce conseil à assurer la défense de l'inculpé, à compter du 23 novembre 1995, date d'un interrogatoire, et, dans le cadre de l'article 19 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982.

Les premiers juges ont d'ailleurs relevé :

  • que les droits de la défense d'E. B. avaient été d'autant moins violés que cet inculpé avait, dès le 6 janvier 1995 (DII-44), donc antérieurement même à la délivrance à Maître Le Maux du permis de communiquer du 9 janvier 1995, pu bénéficier de l'assistance de Maître Michel, qu'il avait régulièrement désigné pour assurer sa défense en remplacement de Maître Leandri, primitivement désigné le 5 décembre 1994,

  • que Maître Michel avait d'ailleurs, dès l'origine, et même dès le 22 décembre 1994, bénéficié d'un permis de communiquer,

  • que, dès lors, il avait été à même d'assurer normalement et efficacement la défense d'E. B. pendant la durée de l'information, ce qu'il a d'ailleurs fait, fût-ce pendant la période où Maître Le Maux n'avait pu communiquer avec l'inculpé, y compris lors de l'interrogatoire du 24 juillet 1995 (DV-8) puisqu'alors avisé, depuis le 19 juillet 1994, mais empêché, il avait précisément été substitué par Maître Le Maux.

Sur le deuxième moyen de nullité, le tribunal a déclaré que la procédure fiscale préalable à l'information judiciaire avait été critiquée par l'inculpé au motif qu'un redressement pour les années 1988 à 1990 qui avait été notifié à la société GEI le 28 janvier 1992, était insuffisamment motivé, qu'il avait été donné lieu à une mise en recouvrement prématurément de même qu'un redressement ultérieur pour l'année 1991, lequel n'avait, au surplus, donné lieu à aucun débat oral et contradictoire.

Le Tribunal correctionnel a rejeté l'ensemble des griefs de nullité ainsi formés, au travers de la procédure fiscale, en estimant, pour l'essentiel, qu'il n'incombait pas à la juridiction répressive de se prononcer sur la validité d'une telle procédure, à l'occasion de laquelle avaient pu être mises en évidence des fraudes ayant, comme en l'espèce, conduit le Directeur de services fiscaux à déposer plainte.

Le tribunal a précisé, en effet, qu'il lui incombait seulement après avoir été saisi régulièrement par la plainte des services fiscaux, de rechercher si les éléments constitutifs des infractions poursuivies étaient ou non réunis, sans égard aux conditions dans lesquelles avaient pu être menées les investigations administratives ou fiscales antérieures au dépôt de plainte, et ce, alors surtout que certains des délits reprochés à E. B. étaient de droit commun et non de nature fiscale.

En ce qui concerne l'ensemble des délits retenus contre E. B., le Tribunal correctionnel les a caractérisés sur la base des motifs suivants :

Premier délit : Fraude fiscale par soustraction de sommes à l'impôt sur les bénéfices :

E. B., administrateur délégué de la Société d'Études et d'Investissements, GEI, n'a pas contesté que trois administrateurs de cette société, L., W. ainsi que la société A. P., qui étaient bénéficiaires d'une exonération fiscale compte tenu de leur nationalité s'étaient vu accorder des indemnités d'administrateur considérables sans commune mesure avec leur activité réelle au sein de la société GEI.

Il a admis que c'était lui-même et H. L., autre administrateur de la société GEI depuis lors décédé qui recevaient d'abord les sommes correspondantes distribuées ensuite sous forme de chèque au porteur, afin d'occulter l'identité des bénéficiaires.

E. B. qui a pu, ce faisant, chercher à frauder le fisc français a aussi, par cette distribution fictive d'indemnités, été à l'origine d'une minoration du bénéfice de la société GEI et donc de l'impôt dû à ce titre par celle-ci.

Les indemnités apparemment allouées notamment à L. et W. ont, en effet, été déduites de l'assiette de l'impôt sur les bénéfices de la société GEI par référence à l'article 13 de l'ordonnance souveraine n° 3152 du 19 mars 1964.

Les sommes soustraites à l'impôt sur les bénéfices de la GEI se sont élevées :

  • à 4 195 000 francs pour l'exercice clos le 30 juin 1990,

  • et à 8 900 000 francs pour celui clos le 30 juin 1991.

E. B. ne saurait utilement soutenir que le délit de fraude fiscale n'est pas constitué dans la mesure où le bénéfice de la GEI n'aurait pas été plus élevé s'il n'avait pas eu recours au système de prête-nom et s'il avait bien déclaré le montant réel de la rémunération qu'il percevait.

Un délit est, en effet, constitué par le fait même de son existence et il ne saurait paradoxalement ne pas exister parce qu'il aurait pu être évité.

Deuxième délit : Fraude fiscale par soustraction de sommes au paiement de la taxe sur la valeur ajoutée :

E. B. a reconnu qu'à l'occasion d'une opération de vente immobilière, dite du B. S., il avait, pour le compte de la GEI, perçu de la SCI C., une somme de 4 millions de francs en indemnisation des divers frais qu'il avait exposés et du travail qu'il avait effectué, cette somme s'ajoutant à celle de même montant réglée par la SCI C. à la SCI B. S. au titre du prix de la vente.

E. B. n'a pas contesté qu'à sa demande la première de ces deux sommes de 4 000 000 de francs n'avait pas été enregistrée en chiffre d'affaires, mais en profits exceptionnels, ce qui excluait la TVA.

Il a soutenu que cette somme constituait bien un profit exceptionnel en ce qu'elle avait pour fonction de l'indemniser de tous les frais qu'il avait supportés et de ses diverses diligences (DV-8).

Toutefois, cette somme devait être enregistrée dans le chiffre d'affaires, dans la mesure où elle s'analysait en une commission faisant partie intégrante du prix payé par l'acheteur.

Il ne saurait, en effet, y avoir profit « exceptionnel » s'agissant d'une somme perçue par la GEI dans le cadre d'une opération non exceptionnelle par rapport à son objet social, à savoir une opération immobilière, E. B. n'établissant au demeurant pas que la somme lui aurait été personnellement due en contrepartie de diligences particulières.

Nonobstant sa position de principe, E. B. devait être conscient de l'assujettissement de la commission à la TVA puisqu'il a, le 11 juin 1990, fait dresser sous la référence EB/90, au nom de la GEI, une « facture » destinée à la SCI C. et portant mention d'une somme forfaitaire pour « rupture de contrats GEI - SCI B. S. » de 4 000 000 de francs, y compris 627 319 francs de TVA.

Troisième délit : Omission volontaire de passation d'écritures ou passation volontaire d'écritures fictives ou inexactes sur des documents comptables :

Il résulte du rapport (DVI-36) établi par les experts commis Dana et Faury, que s'agissant de la GEI, le bilan et le compte de pertes et profits au 30 juin 1991 présentait diverses anomalies.

E. B. ne peut être admis à contester l'existence de ces anomalies au motif que l'inspecteur vérificateur avait, à l'occasion de la notification du redressement fiscal du 13 décembre 1991, expressément reconnu que la comptabilité était « régulière en la forme et propre à justifier les résultats déclarés ».

Cette appréciation de régularité ne concernait, en effet, que la forme et non le fond de la comptabilité de la GEI en cause.

En outre, s'agissant de la Société Industrielle Technique et commerciale, en abrégé SITEC, société dont la GEI a détenu de 1988 à 1991 la quasi-totalité des titres, il apparaît que les comptes annuels au 31 décembre 1991 présentaient également d'autres anomalies.

La multiplication des opérations irrégulières ainsi constatées établit qu'E. B. a sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures ou fait passer des écritures inexactes ou fictives au livre journal et au livre d'inventaire prévus aux articles 10 et 11 du Code de commerce, plainte en ce sens ayant régulièrement été déposée par le Directeur des services fiscaux les 12 mai 1992 (D1) et 16 juin 1993 (D62-D64).

Quatrième délit : Présentation ou publication de comptes inexacts :

De ce qui précède il suit qu'en sa qualité d'administrateur de la GEI et de la SITEC, E. B. a publié et présenté aux actionnaires de ces sociétés des comptes inexacts pour les exercices clos au 30 juin 1991 (GEI) et au 31 décembre 1991 (SITEC).

Il apparaît avoir fait de même pour la SITEC lors de l'exercice arrêté au 31 décembre 1992, diverses anomalies comptables pouvant être relevées.

Les anomalies caractérisent une publication et une présentation de comptes inexacts, qui a permis la dissimulation de la vérité sur la situation de la GEI, et de la SITEC, ou sur les résultats de leurs activités.

Se trouve ainsi constitué le délit prévu à l'article 31 de l'ordonnance du 5 mars 1895 sur les sociétés anonymes et en commandite par actions et réprimé par l'article 403 de l'ancien Code pénal remplacé par l'article 330 de l'actuel Code pénal.

Cinquième et sixième délits : Faux en écritures de commerce et usage :

E. B. a reconnu qu'il avait émis, au profit de la société I. dont D. A. était le PDG, quatre factures d'un montant supérieur à la réalité.

Cette surfacturation reconnue constitue une altération de la vérité, sciemment commise dans un écrit destiné à faire la preuve d'un droit, au préjudice d'une administration fiscale ou de la Société I. Se trouve ainsi constitué le délit de faux en écritures privées, de commerce ou de banque reproché à E. B.

E. B. ayant sciemment remis les quatre fausses factures à D. A. se trouve également constitué à son encontre le délit d'usage de faux.

À l'audience de la Cour d'appel du 3 mai 1999, E. B. a comparu en personne assisté de ses conseils, maître Michel et Maître Lemaux, et réitéré liminairement ses moyens de nullité déjà formulés en première instance tandis que Maître Sbarrato, avocat-défenseur, représentant l'État, a conclu à la confirmation du jugement dont est appel pour ce qui est de la recevabilité de cette partie civile en sa constitution, s'en rapportant pour le surplus à la justice.

Estimant injustifiés les moyens de nullité proposés par le prévenu, le Ministère public a requis la condamnation de celui-ci et la confirmation de la peine d'emprisonnement avec sursis prononcée à son encontre en première instance mais l'aggravation de celle d'amende.

Pour le cas où ses moyens de nullité ne seraient pas retenus, le prévenu a subsidiairement fait plaider sa relaxe estimant en effet, et pour l'essentiel, que les indemnités lui revenant au titre de ses activités sociales étaient en tout état de cause déductibles et que, s'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée qui aurait dû s'appliquer selon la poursuite, à la somme de 400 000 francs visée par celle-ci, cette taxe ne pouvait nullement se concevoir en l'espèce car le versement de ladite somme avait un caractère indemnitaire et non pas contractuel, ce qui en toute hypothèse excluait la notion de fraude puisqu'une difficulté d'interprétation pouvait exister à cet égard.

Sur quoi :

En la forme :

Quant à l'exception de nullité fondée sur une violation invoquée des droits de la défense :

Considérant que, par lettre du 6 décembre 1994, l'inculpé B., alors détenu, a sollicité du magistrat instructeur l'autorisation de rencontrer Maître Le Maux, avocat à Nice, « chargé d'un contentieux avec l'entreprise SPADA suite à une construction à Cap d'Ail » ;

Que le 9 janvier 1995, le magistrat instructeur a délivré à Maître Le Maux un permis de communiquer avec E. B., au visa de l'article 38 de l'ordonnance souveraine n° 9749 du 9 mars 1990 portant règlement de la maison d'arrêt, ledit permis s'ajoutant à deux autres permis du même type parallèlement délivrés le 22 décembre 1994 à Maître Michel, ayant substitué Maître Leandri, conseil initialement désigné par l'inculpé, ainsi qu'à Maître Gaudin ;

Considérant qu'aux termes de l'article 38 de l'ordonnance souveraine précitée, aucune personne étrangère au service ne peut être admise à pénétrer dans les locaux de la détention de la maison d'arrêt, qu'en vertu, notamment, d'un permis de communiquer délivré aux avocats ;

Que l'article 43 subséquent dispose que les avocats agissant dans l'exercice de leurs fonctions peuvent communiquer soit dans une cellule spéciale, soit au parloir hors la présence de tout surveillant, avec le détenu pour lequel ils sont régulièrement commis ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que la libre communication d'un inculpé détenu avec un avocat ainsi prévue suppose, outre que ce conseil agisse dans l'exercice de ses fonctions, qu'il ait été régulièrement désigné ou choisi ;

Considérant que, s'agissant des avocats étrangers le choix de son défenseur émanant d'un inculpé requiert, pour être parfait, que le conseil choisi ait été autorisé à plaider par le magistrat instructeur dans les conditions prévues par l'article 19 de la loi n° 1047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice de la profession d'avocat-défenseur et d'avocat, ce qui implique qu'il ait été lui-même expressément et préalablement chargé par son client de la cause instruite par ce magistrat et que celui-ci en ait été, alors, dûment informé ;

Considérant qu'en l'espèce la demande de communiquer formulée par E. B., telle qu'elle résulte de sa lettre du 6 décembre 1994, laquelle ne mentionne Me Le Maux que comme chargé d'un contentieux particulier introduit en France, ne peut s'analyser comme procédant d'une mission générale donnée par E. B. à ce conseil d'assurer intégralement sa défense dans l'instruction en cause ;

Qu'au demeurant, Maître Le Maux ne justifie pas d'un acte formel et non équivoque par lequel le magistrat instructeur l'aurait initialement autorisé à plaider pour assurer généralement cette défense à la suite de la demande de communiquer ainsi formulée.

Considérant que, par voie de conséquence, le permis de communiquer délivré pour satisfaire à cette demande n'équivaut pas, en la circonstance, s'agissant de Maître Le Maux, à la constitution régulière par l'inculpé d'un défenseur étranger désigné dans le cadre de la procédure d'instruction, légalement admis à se prévaloir, par l'effet de la loi précitée n° 1047, des dispositions générales des articles 168, 169 et 193 du Code de procédure civile ;

Considérant que, dès lors, le retrait par le juge d'instruction du permis de communiquer avec E. B., délivré à Maître Le maux le 9 février 1995 n'a pas affecté la libre communication de l'inculpé avec un défenseur régulièrement commis dans le cadre de l'instruction préparatoire, et ne peut donc faire encourir la nullité de tout ou partie de celle-ci pour inobservation des formes substantielles prescrites pour la garantie des droits de la défense ;

Que le moyen de nullité invoqué de ce chef par E. B. doit donc être, en définitive, rejeté ;

Quant à l'exception de nullité fondée sur l'irrégularité invoquée de poursuites administratives préalables à la procédure pénale :

Considérant que l'inculpation d'E. B. et son renvoi devant le Tribunal correctionnel ont été consécutifs en l'espèce, à une poursuite exercée par le Procureur général à la requête de la direction des services fiscaux pour des faits nécessairement soumis, au cours de l'information, aux vérifications ultérieures du magistrat instructeur ;

Que l'inculpé ne prétend pas que ces vérifications aient été, en elles-mêmes, irrégulièrement conduites ;

Qu'à ces dires, en revanche, seraient irrégulières les poursuites fiscales conduites par la Direction des services fiscaux préalablement à l'action publique du Ministère public exercée à la requête de cette direction ;

Qu'en effet celle-ci n'aurait pas respecté la disposition de l'article 26-1 de l'ordonnance souveraine n° 3152 du 19 mars 1964 prévoyant un débat oral et contradictoire, une notification de redressement motivée, un délai de réponse de 20 jours à cette notification, une réponse aux observations en cas de désaccord, et la saisine éventuelle d'une commission consultative ;

Considérant que l'inculpé a soutenu de ces chefs que, dans le cadre des garanties offertes aux contribuables, aucune mise en recouvrement ne saurait être opposée à ceux-ci, à peine de nullité, avant l'expiration du délai de 20 jours suivant la réponse de l'administration à leurs observations, afin de leur permettre, dans le cadre de leurs garanties, de saisir la commission paritaire ;

Que B. a fait plaider à ce propos, d'une part, la nullité d'une confirmation de redressement intervenue le 28 janvier 1992 et se rapportant à un précédent redressement notifié le 13 décembre 1991 à la société GEI, pour les années 1988-89 et 90, faute de motivation suffisante ;

Qu'il a invoqué, d'autre part, la nullité des mises en recouvrement consécutives à cet acte pour non-respect des garanties des contribuables et défaut de débat contradictoire ;

Qu'il en a déduit que ces nullités entraîneraient celles de l'action publique dont il a fait l'objet ;

Considérant cependant que les moyens de nullité ainsi invoqués, comme relatifs seulement à une procédure de recouvrement dirigée contre la société GEI, ne sont pas de nature à affecter la régularité des vérifications effectuées lors de l'enquête fiscale dont cette procédure s'est accompagnée, ni les informations qui ont été alors recueillies et communiquées au Ministère public en vue des poursuites qui ont été, en définitive, dirigées contre E. B. ;

Qu'il n'a pas été, en effet, soutenu ou démontré par ce prévenu, que les constations matérielles opérées, au cours de cette enquête, à la requête du Directeur des services fiscaux, et en vue des poursuites du Ministère public, l'aient été en violation de la loi ou de formes substantielles requises, dans le cadre d'une telle enquête, pour la garantie des droits de la défense ;

Que l'exception de nullité de la procédure pénale invoquée de ce chef par E. B. doit être, également, rejetée ;

Au fond :

Considérant qu'en sa qualité de dirigeant de la société GEI, E. B. n'a pas nié avoir fictivement fait allouer par sa société d'importantes indemnités à des associés qui n'avaient pas, cependant, justifié en contrepartie d'une activité suffisante de gestion au sein de cette société ;

Que cette pratique frauduleusement mise en œuvre par le prévenu a permis de diminuer indûment les bénéfices de sa société qui auraient été, sans l'allocation fictive incriminée, nécessairement majorés des sommes correspondantes ;

Que pour s'en défendre, le prévenu a soutenu que ces sommes consistaient en des indemnités d'administrateur qui lui étaient en réalité destinées, de sorte que les bénéfices de sa société auraient été, en tout état de cause, minorés du même montant s'il les avait déclarés à ce titre pour se soumettre sur leur base à un impôt personnel en France, ce qu'il voulait éviter ;

Considérant, cependant, que ces circonstances ne révèlent, en l'espèce, que l'éventualité d'une autre déclaration d'indemnités d'administrateur qui ne s'est pas réalisée, ce qui, partant, laisse subsister en l'état la fausse déclaration d'origine, à juste titre incriminée ;

Que la décision des premiers juges doit donc être confirmée quant au premier des délits reprochés au prévenu dans les termes de la prévention susvisée ;

Considérant, par ailleurs, quant au deuxième de ces délits, que la somme de 4 000 000 de francs, qu'il est reproché au prévenu d'avoir soustraite à la taxe sur la valeur ajoutée, ne peut être considéré, ainsi que le soutient B., comme correspondant exclusivement à la réparation d'un préjudice, et comme revêtant, dès lors, le seul caractère de dommages-intérêts ;

Qu'une telle somme s'analyse, manifestement, comme la contrepartie d'une opération imposable à la taxe sur la valeur ajoutée ;

Qu'en effet, ainsi qu'il ressort des propres déclarations du prévenu à l'audience, la somme de 4 000 000 de francs dont s'agit a été versée à la suite d'une rupture de contrat, et représente, en fait, le paiement de travaux et de prestations ayant reçu un commencement d'exécution dans le cadre de l'activité de la société GEI qui l'a, en définitive, ultérieurement facturée ;

Qu'il convient donc de confirmer également la décision de culpabilité d'E. B. prononcée à cet égard par les premiers juges ;

Considérant, par ailleurs, que le surplus des délits retenus par la poursuite à l'encontre d'E. B. se trouve établi par l'instruction et les débats dans les termes du jugement dont est appel, lequel doit donc être, de même, confirmé à cet égard ;

Considérant, d'autre part, quant à la mesure de la sanction, que le Tribunal correctionnel a fait une exacte appréciation des faits de la cause ; qu'il convient donc de confirmer les peines d'amende et d'emprisonnement avec sursis prononcées par le jugement entrepris, outre la publication légale, à juste titre ordonnée comme peine complémentaire ;

Considérant, enfin, que la constitution de partie civile de l'État, destinée à corroborer l'action publique, a été, à bon droit, reçue à ce titre par les premiers juges ;

Qu'en définitive leur décision doit donc être confirmée tant quant à l'action publique que quant à l'action civile ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

statuant en matière correctionnelle,

Rejette les exceptions de nullité formulées par E. B. ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement susvisé du 2 mars 1999 ;

Composition🔗

MM. Landwerlin, prem. prés. ; Serdet, proc. gén. ; Mes Sbarrato, av. déf. ; Michel, av. ; Le Maux, av. bar. de Nice.

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