Cour d'appel, 27 avril 1999, Assurances générales de France c/ Sté B. et Sté Nereides

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Abstract🔗

Vente

Obligation du vendeur professionnel - Devoir de conseil (oui)

Louage de services

Obligation de résultat du loueur - Exécution défectueuse des prestations - Force majeure : non caractérisée

Résumé🔗

La Société Nereides a été le fournisseur de la bouée houlographe et de son système d'amarrage constitué d'un câble en acier inox ; à la suite d'un abordage ayant révélé une corrosion de l'acier, ce câble a été remplacé par une élingue de nylon tressé, coulant, cossé, portée par des flotteurs immergés et retenue sur les fonds marins par 500 kg de chaînes en acier galvanisé, reliée à une ancre.

Cette élingue de nylon ayant rempli son office depuis lors, il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être retenue à rencontre de la Société Nereides dans le choix de ce système d'amarrage.

Par ailleurs, aucun manquement à son devoir de conseil ne peut être reproché à cette société dès lors qu'elle a fourni les informations techniques destinées au remplacement à l'identique d'un cordage en nylon qui avait fait ses preuves, par un cordage neuf.

La société a procédé à des travaux de pose d'une ligne de mouillage neuve qui a disparu ainsi que la bouée qu'elle retenait le 7 décembre 1992. Or, le mauvais temps qui a suivi sur le littoral méditerranéen entre le 5 et le 7 décembre 1992 (vents de 94 km/heure, mer de force 4 sur une échelle de 9) ne présente pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité constitutifs d'une force majeure.

L'obligation de résultat qui pèse sur la Société B. en ce qui concerne la fourniture et la pose de l'élingue emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage.

Il appartenait donc à cette société - ce qu'elle n'a point fait - d'établir qu'elle avait apporté tous les soins nécessaires à l'exécution de ces prestations.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par la SA « Assurances Générales de France » d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 23 octobre 1997.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être résumés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel.

Saisi par la SA « Assurances Générales de France », venant aux droits de son assuré « l'Administration des Domaines » en vertu d'une quittance subrogatoire en date du 15 mai 1993, d'une action en responsabilité contractuelle dirigée tant à rencontre de la SA Nereides, venderesse d'une bouée houlographe de sa conception, qu'à rencontre de la SCS A. B. et Cie qui a procédé au remplacement de la ligne de mouillage, le Tribunal par le jugement déféré a débouté la compagnie d'assurances de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une somme de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts au profit de chacune des sociétés défenderesses.

Pour statuer ainsi, les premiers juges se sont fondés sur un rapport émanant de l'expert de la compagnie AGF qui a conclu à un naufrage de la bouée dû à des conditions météorologiques à caractère exceptionnel pour estimer que la compagnie d'assurances ne rapportait pas la preuve d'une faute à l'encontre des sociétés défenderesses.

Au soutien de son appel, tendant à la réformation du jugement déféré, la compagnie AGF fait grief aux premiers juges d'avoir ainsi statué alors qu'il appartenait aux sociétés défenderesses, sur lesquelles pèsent une présomption de responsabilité en leur qualité de professionnel d'établir l'existence d'une force majeure seule de nature à les exonérer de cette présomption.

L'appelante prétend à cet égard que la SA Nereides avait préconisé l'installation d'un nouveau système d'amarrage (cf fax du 24 août 1992) qui s'est rompu quelques jours seulement après sa mise en place par l'entreprise aux droits de laquelle se trouve la SCS A. B. et Cie.

Elle soutient que la concomitance du changement de mouillage et de la perte de la bouée suffit à démontrer que, soit les préconisations de la SA Nereides, soit le travail effectué par la SCS A. B. et Cie entraînaient leur responsabilité.

Elle reproche à l'expert de n'avoir pas procédé à des vérifications techniques au sujet des conditions météorologiques et de s'être fondé uniquement sur des coupures de presse.

Elle estime que les relevés météorologiques officiels qu'elle produit établissent que des conditions climatiques similaires à celles rencontrées le jour de la disparition de la bouée s'étaient déjà produites avant le changement de mouillage, sans dommage pour celui-ci.

Elle demande en conséquence à la Cour de dire et juger que les sociétés intimées sont débitrices d'une présomption de faute et de causalité et sollicite leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 418 946 francs avec intérêts au taux légal à compter du 15 mai 1993, représentant le montant de sa garantie outre celle de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Elle sollicite à titre subsidiaire la nomination d'un expert.

La SA Nereides conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 25 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

Elle rappelle que la ligne de mouillage livrée originairement avait été remplacée au mois de mars 1989 et que depuis lors, elle n'avait plus livré aucun matériel, s'étant contentée en août 1992, sur une demande du Service des Travaux Publics de Monaco qui en assurait l'entretien, de confirmer le type d'élingue et la longueur à utiliser.

La SCS B. et Cie conclut également à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 25 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

Elle fait valoir que l'appelante n'établit ni le type d'exécution qui aurait été fautif, ni le lien de causalité entre une prétendue faute et le dommage.

Elle estime que le rapport de la compagnie d'assurances établit avec clarté les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la bouée a disparu.

Elle soutient que l'appelante n'est pas fondée à solliciter une expertise pour suppléer sa carence dans l'administration de la preuve.

SUR CE :

Considérant qu'il y a lieu d'examiner tour à tour, la responsabilité de la SA Nereides et celle de la SCS A. B. et Cie dans la survenance du dommage ;

Considérant que l'appelante reproche à la SA Nereides d'avoir préconisé le remplacement du système d'amarrage originaire, constitué de plusieurs tronçons d'acier par une seule ligne en nylon tressé moins résistante ;

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que la SA Nereides a été le fournisseur de la bouée houlographe et de son système d'amarrage constitué d'un câble en acier inox 12,6, cossé, ainsi qu'il ressort du bordereau de livraison au Service des Travaux Publics en date du 27 juin 1988, versé aux débats ;

Qu'à la suite d'un abordage ayant révélé une corrosion de l'acier, ce câble a été remplacé au mois de mars 1989 par une élingue de nylon tressé, coulant, cossé, de 22 mm de diamètre, portée par des flotteurs immergés et retenue sur les fonds marins par 500 kg de chaînes en acier galvanisé, reliées à une ancre (cf bordereau de livraison du 10 mars 1989) ;

Considérant que cette élingue de nylon a rempli son office depuis lors en sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de la SA Nereides dans le choix de ce système d'amarrage ;

Considérant qu'au mois d'août 1992, la société Nereides a répondu à une demande de renseignements émanant du service des Travaux Publics qui assurait l'entretien de l'amarrage en ces termes : « Suite à nos conversations téléphoniques, je vous communique la longueur à utiliser entre la surface et le fond L (longueur) = 3 x H (hauteur d'eau). Le type d'élingue doit être en nylon tressé, coulant, d'un diamètre 22, épissé, cossé, galva. En espérant que ces renseignements vous satisferont, meilleures salutations » (fax du 24 août 1992) ;

Considérant qu'aucun manquement à son devoir de conseil ne peut être reproché à cette société dès lors qu'elle a fourni les informations techniques destinées au remplacement à l'identique d'un cordage en nylon qui avait fait ses preuves depuis 1989, par un cordage neuf ;

Considérant que ce remplacement a été effectué par l'entreprise de travaux sous-marins J. B. devenue la SCS A. B. et Cie, sans intervention de la société Nereides et que le dommage est survenu postérieurement à ce remplacement ;

Considérant dès lors qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les obligations de la société Nereides au titre de l'amarrage et la perte de la bouée ;

Que l'appelante doit donc être déboutée de son action en ce qu'elle est dirigée à l'encontre de la société Nereides ;

Considérant en ce qui concerne l'action dirigée à l'encontre de la SCS A. B. et Cie que l'appelante fait grief à cette société d'avoir procédé à des travaux de pose défectueux engageant sa responsabilité de plein droit ;

Considérant qu'il est constant que cette société a fourni et posé le 3 décembre 1992 une ligne de mouillage neuve qui a disparu ainsi que la bouée qu'elle retenait le 7 décembre 1992 ;

Considérant à cet égard que le mauvais temps qui a sévi sur le littoral méditerranéen entre le 5 et le 7 décembre 1992 et qui s'est traduit par des vents de 94 km/h, le 5 décembre et une mer de force 4 - sur une échelle de 9 - selon les relevés météorologiques versés aux débats ne présente pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité constitutifs d'une force majeure, que les articles de presse produits, dépourvus de toute crédibilité scientifique ne sont pas de nature à lui conférer alors que de semblables intempéries se sont produites les années précédentes ainsi qu'il résulte des relevés précités qui font apparaître depuis 1989, date de la mise en place du premier cordage en nylon une mer de force égale ou supérieure à 4, plusieurs jours par an sans qu'il en soit résulté de dommage ;

Considérant que l'obligation de résultat qui pèse sur la SCS A. B. et Cie en ce qui concerne la fourniture et la pose de l'élingue emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage ;

Considérant qu'il appartient donc à cette société d'établir qu'elle a apporté tous les soins nécessaires à l'exécution de ces prestations ;

Considérant que hormis la facture du 3 décembre 1992 qui n'est pas de nature à établir cette preuve, la SCS A. B. et Cie ne produit aucun élément permettant d'établir que le dommage est survenu sans sa faute ;

Considérant qu'à défaut de rapporter cette preuve, la SCS A. B. et Cie doit être déclarée responsable du dommage et condamnée à payer à la compagnie Assurances Générales de France la somme de 418 946 francs avec intérêts au taux légal à compter du 7 août 1996, date de l'assignation devant le Tribunal ;

Considérant qu'en sollicitant la réformation du jugement déféré en toutes ses dispositions, l'appelante a nécessairement compris dans cette demande de réformation, la condamnation au paiement de dommages-intérêts dont elle a été l'objet en première instance ;

Considérant à cet égard que la SA Nereides qui ne rapporte pas la preuve d'un préjudice doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que la SCS A. B. et Cie qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de pareille demande tant en première instance qu'en appel ;

Considérant que l'appel formé par la compagnie AGF à l'encontre de la SA Nereides ne permet pas de caractériser une faute de l'appelante dans l'exercice de son droit d'agir en justice en sorte qu'il y a lieu de débouter la SA Nereides de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que la demande en paiement de 10 000 francs formée par l'appelante à l'encontre des intimées n'est pas motivée ;

Qu'elle doit en être déboutée ;

Considérant que la SCS A. B. et Cie doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel à l'exception des dépens concernant la SA Nereides qui demeureront à la charge de la SA Assurances Générales de France ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 23 octobre 1997 en ce qu'il a débouté la SA Assurances Générales de France de son action dirigée à l'encontre de la SA Nereides ;

Le réformant pour le surplus,

Condamne la SCS A. B. et Cie à payer à la SA Assurances Générales de France la somme de 418 946 francs avec intérêts au taux légal à compter du 7 août 1996 ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives en paiement de dommages-intérêts ;

Composition🔗

Mme François, vice prés. f.f. prem. prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Brugnetti et Lorenzi, av. déf. ; Magnaldi, av. bar. de Marseille ; Watremez, av. bar. de Paris

Note🔗

Cet arrêt confirme partiellement et réforme un jugement du Tribunal de première instance en date du 23 octobre 1997.

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