Cour d'appel, 13 avril 1999, État de Monaco c/ R. et B.

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Abstract🔗

Expertise

Expertise amiable - Caractère d'une expertise judiciaire (respect du contradictoire et des droits de la défense, prestations du serment des experts, contrôle du juge...)

Responsabilité contractuelle

Architectes - Contrat de maîtrise d'œuvre = entre l'État maître de l'ouvrage et des architectes - Résiliation du contrat par l'État : invocation de faute des architectes (inobservation des directives, retards, manquements aux règles de l'art, études insuffisantes) non établies

Responsabilité de la puissance publique

Résiliation fautive d'un contrat de maîtrise d'œuvre par l'État maître d'ouvrage - Préjudice causé aux architectes - Réparation de ce préjudice : honoraires, dommage moral, frais

Résumé🔗

Sur l'expertise :

Aux termes de l'article 16 de la convention de maîtrise d'œuvre, les parties se sont engagées avant d'introduire une action en justice, à soumettre tout litige né de l'exécution du contrat à l'avis d'un expert ou d'un collège expertal ; par cette disposition, les parties ont simplement entendu recourir à une expertise amiable et non se soumettre au jugement d'un arbitre.

Le caractère amiable de cette expertise ne saurait, par principe, affecter sa valeur, dès lors qu'il est établi qu'elle a été menée dans le respect des règles du contradictoire et des droits de la défense, la forme judiciaire que lui a conférée le jugement du 13 février 1992 ne pouvant qu'ajouter à cette valeur, dans la mesure où le collège expertal a prêté le serment prévu par l'article 349 du Code de procédure civile et qu'il a été placé sous le contrôle et la juridiction d'un magistrat.

Il ressort de leur rapport que les experts ont mis un soin tout particulier à veiller au respect du contradictoire sur lequel ils ont investi dans le chapitre intitulé « travaux des experts ».

Ainsi le rapport relate-t-il dans le détail les nombreuses réunions auxquelles les parties ont assisté, le nom de leurs sachants, les documents remis aux experts et échangés entre les parties, les observations orales et écrites des intéressés, les réponses argumentées des experts, l'analyse des faits, la synthèse des éléments de discussion préalablement remis sous un pré-rapport, et, enfin, les conclusions sur les différents chefs de réunion. Ainsi, le rapport du collège expertal est de nature à fournir à la Cour les éléments d'appréciation techniques nécessaires à la solution du litige sans qu'il y ait lieu de recourir à une nouvelle synthèse.

Sur la responsabilité contractuelle des architectes :

L'État de Monaco a résilié le contrat de maîtrise d'œuvre le liant aux architectes en se fondant sur l'article 15.2/B1 de la convention qui prévoit cette résiliation, après mise en demeure, en cas de violations graves, par les architectes des dispositions contractuelles, en alléguant plusieurs fautes à leur encontre.

a) Inobservation des directives

L'État de Monaco fait valoir qu'au cours des études préliminaires, les architectes n'auraient pas respecté les caractéristiques principales du programme de base, de sorte qu'il n'aurait jamais pu obtenir un projet qui corresponde à ce programme.

Les documents, produits à l'appui de ses critiques, qui invitent les architectes à entreprendre (O.S. n° 138) puis à poursuivre (O.S. n° 15) les études de l'avant projet, n'établissent pas, par eux-mêmes, que les observations et amendements qu'ils contiennent répondent à des erreurs ou à des violations délibérées de ses directives.

Il y a lieu de constater qu'aucun rappel à l'ordre n'a été adressé à ce sujet ; qu'en ce qui concerne plus précisément l'ordre de service n° 138, les experts ont estimé, à juste titre, que les changements demandés ont constitué des novations par rapport aux études préliminaires et non des corrections d'erreurs ou de lacunes.

Il y a lieu de relever également, ainsi que le souligne lui-même l'État de Monaco, que l'ampleur du projet et son caractère multi-fonctionnel a entraîné des corrections, adaptations, modifications inévitables rendues plus aiguës encore par les souhaits des nombreux futurs utilisateurs et qui ne sont pas imputables à faute aux architectes.

En ce qui concerne les directives annexées à l'ordre de service n° 43 du 29 avril 1986 au sujet de l'emprise à respecter, de l'élargissement éventuel de l'avenue de Fontvieille, de la suppression des boutiques en sous-sol et en étage, de l'harmonisation en bâtiments à usage d'habitation avec ceux de Fontvieille, du parti architectural en oblique non retenu, du parti volumétrique en gradins, en surfaces industrielles ou de bureaux, de la galerie en portique, de la substitution au marché couvert d'une salle polyvalente, les proportions auxquelles elles répondent ne sauraient constituer en elles-mêmes des violations du programme de base en ce qu'elles s'inscrivent dans une démarche de dialogue et de concertation prévue au contrat.

La critique formulée par l'État apparaît d'ailleurs dépassée puisque dans sa note du 13 mai 1987, le service des Travaux Publics estimait que les esquisses présentées répondaient à la définition du programme et que les études pouvaient être poursuivies sur ces bases.

En définitive, les griefs tirés de l'inobservation des directives n'apparaissent pas fondés.

b) Retards

L'État de Monaco reproche aux architectes les retards apportés à la remise des études du projet général, du dossier de consultation des entreprises des lots n° 2 et 3, des documents nécessaires au lancement des appels d'offres des lots techniques.

Les experts ont constaté que d'importants changements demandés par le maître de l'ouvrage (lettres des 9 et 24 mars 1989) ont entraîné de nouvelles études de structure à l'origine des retards que, d'autre part, l'importance du chantier et son évolution constante du fait du maître de l'ouvrage, même au stade du projet général ont rendu ces retards inévitables (tout changement demandé entraînant des répercussions en chaîne sur les plans architectes-ingénierie - les notes de calcul, les descriptions, les quantitatifs) - mais non imputables aux architectes dont les experts ont souligné à maintes reprises le soin qu'ils ont apporté à répondre à tous les devis des services techniques de l'État, lequel n'a allégué ce grief de retard que quelques jours avant la résiliation du contrat.

c) Manquements aux règles de l'art

L'État n'articule aucun moyen précis, se bornant à regretter une nouvelle fois que le Tribunal n'ait pas ordonné une expertise.

d) Études insuffisantes des fondations et de la structure

Alors que les études de fondation entreprises par les architectes ont porté à l'origine sur deux solutions d'ancrage par micropieux, l'une à radier moyen, l'autre à radier mince, elles ont été par la suite orientées tardivement par l'État vers une troisième solution celle d'un radier lourd sans micropieux.

Or, il ressort des avis techniques circonstanciés des experts et du sapiteur que la conception des fondations et la structure élaborée par les architectes était exempte d'erreur, que les hypothèses des maîtres d'œuvre étaient conformes aux données de base et aux contraintes du site, qu'il n'existait aucune omission dans la fourniture des éléments du DCE, qu'enfin il appartenait aux entreprises et non aux architectes d'affiner les calculs et à produire les notes de calcul définitives et les plans d'exécution.

Sur la responsabilité de l'État :

Ainsi l'État de Monaco qui a résilié le contrat en se fondant sur des fautes non démontrées doit réparation à ses maîtres d'œuvre dans le cadre contractuel qui a lié les parties.

Cette réparation doit comprendre :

- les honoraires auxquels les architectes pouvaient prétendre en vertu du contrat,

- le préjudice moral provoqué par la rupture brutale d'un contrat de prestige avec l'État et l'atteinte portée à la réputation professionnelle,

- les frais engendrés par la mesure d'expertise.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur les défenses à exécution provisoire et les appels, tant principal de l'État de Monaco qu'incident de S. B. et P. R., formés à l'encontre d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 28 mai 1998.

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties au jugement déféré et aux écritures échangées en appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

Saisi - par l'État de Monaco d'une action en responsabilité et en paiement de dommages-intérêts dirigée à l'encontre des architectes B. et R., ses maîtres d'œuvre, pour le chantier de la zone J de Fontvieille et fondée sur les violations graves qu'il leur reproche dans l'exécution de leurs obligations contractuelles l'ayant conduit à résilier la convention de maîtrise d'œuvre passée le 29 novembre 1985,

  • et par S. B. et P. R. d'une action en paiement d'honoraires, d'indemnités et de dommages-intérêts dirigée à l'encontre de l'État et fondée sur la rupture injustifiée du contrat du 29 novembre 1995,

le Tribunal, par le jugement déféré, après avoir joint les instances, a jugé la résiliation fautive, a condamné l'État de Monaco au paiement des sommes de 16 759 238,82 francs HT avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1991 au titre des honoraires et travaux supplémentaires, de 10 000 000 francs de dommages-intérêts au titre du trouble moral et du préjudice professionnel, de 500 000 francs de dommages-intérêts au titre des frais de procédure, a débouté les architectes du surplus de leurs demandes, a ordonné l'exécution provisoire à concurrence de la somme de 25 000 000 francs, a condamné l'État aux entiers dépens.

Pour statuer ainsi, le Tribunal a notamment retenu comme élément d'appréciation, un rapport d'expertise établi dans le cadre de l'article 16 de la convention de maîtrise d'œuvre prévoyant qu'en cas de litige lié à l'exécution du contrat, les parties devaient recourir à une expertise amiable avant toute saisine des tribunaux, les premiers juges ayant estimé que la mise en œuvre de cette expertise et le contrôle judiciaire auquel elle avait été soumise garantissaient les droits de la défense et le principe du contradictoire.

Sur les fautes alléguées à l'encontre des architectes, le Tribunal a estimé que les modifications demandées ne relevaient pas de lacunes ou d'une transgression délibérée du programme, que les retards dans la remise du projet général, du dossier de consultation des entreprises pour les lots n° 2 et 3 et des documents nécessaires au lancement des appels d'offres des lots techniques avaient eu pour origine les nombreuses modifications demandées en cours d'étude par le maître de l'ouvrage et les études nouvelles résultant de la variante proposée par l'entreprise adjudicataire, qu'enfin les architectes n'avaient commis ni erreur de conception dans le mode de fondation, ni faute dans l'étude générale du dossier.

Sur les préjudices, le Tribunal s'est fondé sur les dispositions de l'article 12.4 du contrat de maîtrise d'œuvre pour calculer les honoraires exigibles. Les travaux supplémentaires ont été appréciés par le Tribunal en tenant compte des demandes modificatives, autres que celles normales et habituelles, formulées par l'État après que l'avant-projet a été arrêté. Le préjudice moral a été apprécié par le Tribunal en tenant compte de la perte de crédibilité du cabinet d'architecte liée à une rupture inattendue d'un contrat de grande envergure.

Le Tribunal a rejeté la demande d'indemnité fondée sur l'article 15.2/B.3.b. du contrat qu'il a estimé inapplicable en l'espèce, ainsi que la demande en réparation de la baisse d'activité professionnelle.

Le Tribunal a rejeté la demande de publication de la décision dans trois journaux locaux aux frais de l'État.

Enfin le Tribunal a accordé l'exécution provisoire pour une somme de 25 000 000 francs.

1) Au soutien de ses défenses à exécution provisoire, l'État de Monaco fait valoir d'une part que l'ancienneté d'une dette n'est pas un motif d'urgence au sens de l'article 202, alinéa 2 du Code de procédure civile et d'autre part que les dispositions de l'article 442, alinéa 2 du même code, prévues en matière de pourvoi en révision en faveur de l'État doivent s'appliquer, par analogie, aux décisions assorties de l'exécution provisoire.

En réponse, les intimés ont conclu au déboutement de l'État et ont sollicité reconventionnellement sa condamnation au paiement d'une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

2) Au soutien de son appel tendant à la réformation du jugement déféré, l'État de Monaco fait grief aux premiers juges :

  • en premier lieu, de s'être fondé sur un avis expertal intervenu dans le cadre d'un préliminaire de conciliation et dont la nature arbitrale ne peut répondre aux critères d'une expertise judiciaire, seule de nature à permettre l'appréciation de faits analysés techniquement conduisant à une discussion contradictoire dans le respect des droits de la défense, ce qui ne serait pas le cas de l'avis exprimé par les experts dont la formulation laisserait peu de place à une appréciation juridictionnelle. Il estime, par ailleurs, qu'en écartant le rapport G., le Tribunal s'est privé d'un élément technique d'appréciation de la méthode et du contenu du rapport d'expertise ;

  • en deuxième lieu, d'avoir entériné les affirmations des experts, bien que ceux-ci n'aient pas mis en mesure les parties, ni le Tribunal d'apprécier le contenu des vérifications auxquelles ils ont procédé, eu égard aux griefs invoqués.

L'État rappelle ainsi, par référence à son dire n° 2 du 31 juillet 1992 que les experts ont omis d'analyser l'ensemble des circonstances se rapportant à la chronologie des faits relatifs au choix des fondations ce qui aurait permis de faire ressortir que les architectes, concepteurs d'un ancrage par micropieux auraient dû l'informer, à temps, des conséquences qu'impliquait un tel choix.

Faisant référence à son dire du 14 mai 1993 se rapportant à la structure, l'État relève d'une part que les architectes n'ont pas respecté la date impérative du 1er novembre 1988 pour la remise du dossier de consultation des entreprises du lot n° 3 et d'autre part que l'inconsistance des études de structure faites par les maîtres d'œuvre l'a placé dans une position d'incertitude, s'étant trouvé en présence des hypothèses de structure fournies par les architectes sans les notes de calcul et d'un rapport remettant en cause ces hypothèses alors que les architectes avaient l'obligation de les justifier, le contrôle effectué a posteriori par les experts n'étant pas de nature selon l'État, à exonérer les architectes du respect de la convention.

Par référence à son dire du 23 mars 1993 sur les modifications de programme, l'État de Monaco fait valoir qu'il n'a pu obtenir des architectes un projet correspondant au programme de base, ni des dossiers ayant la qualité requise pour être qualifiés d'avant-projet ou de projet général contrairement à l'avis non motivé des experts ; il estime, en outre, que les adaptations demandées n'ont pas constitué des modifications substantielles ouvrant droit à une rémunération complémentaire.

L'État souligne enfin que certaines des appréciations formulées par les experts à propos du droit à honoraire ont été utilisées par le Tribunal pour fonder sa décision sur l'absence de fautes ce qui constituerait une dénaturation des faits.

En ce qui concerne les retards, l'État de Monaco relève que les modifications invoquées par les architectes sont antérieures au planning du 6 octobre 1988.

Sur les manquements aux règles de l'art, l'État relève que le pré-rapport des experts dans lequel ils avaient exprimé leur avis a été suivi d'une phase de tentative de conciliation et regrette que le Tribunal ait refusé de mettre en œuvre une mesure d'expertise de nature à permettre de rapporter la preuve de l'existence de ces manquements, contrairement aux affirmations des experts.

Sur la remise des documents techniques, l'État de Monaco se réfère aux articles 2.4 et 8.3 du contrat pour soutenir que les architectes étaient tenus de lui fournir les notes de calcul justifiant les caractéristiques retenues pour les fondations et la structure et qu'il était fondé à obtenir ces documents au moyen d'une mise en demeure d'avoir à les produire dans les 48 heures ;

  • en troisième lieu, d'avoir jugé fautive la résiliation du contrat alors qu'elle était fondée par les mises en demeure et par les conséquences en découlant pour l'appréciation desquelles il sollicite une mesure d'expertise.

L'État de Monaco demande à la Cour dans le dispositif de son acte d'appel :

  • d'infirmer le jugement déféré,

  • avant dire droit au fond tant sur le principe de la résiliation que sur les comptes des parties, d'ordonner une expertise,

  • subsidiairement, de dire et juger, au vu des dispositions contractuelles et de la lettre de résiliation du contrat y faisant référence, que le maître de l'ouvrage était fondé à opérer le choix du système de fondations qui lui paraissait le plus adapté à son ouvrage et qu'il était fondé à exiger la remise des documents techniquement utilisables au titre des hypothèses précises et détaillées prises en compte pour l'étude du projet général de fondation et des notes de calcul justifiant les caractéristiques retenues pour cette étude,

  • de dire et juger que l'éventuelle justification a posteriori des propositions ou de la tenue de l'ouvrage ne correspond pas aux exigences contractuelles eu égard à leur caractère indispensable à la continuation de l'opération et aux prérogatives et charges du maître de l'ouvrage notamment au titre des dispositions relevant de sa compétence spécifique en matière de travaux publics,

  • de débouter les architectes de leurs demandes,

  • de dire et juger l'État de Monaco recevable en sa demande en réparation du préjudice subi du fait de la nécessité dans laquelle il s'est trouvé de procéder à la résiliation du contrat de maîtrise d'œuvre en cours d'opération,

  • avant dire droit sur le montant du préjudice, d'instaurer l'expertise sollicitée.

En réponse, les architectes rappellent, en premier lieu, que le collège expertal dont la mise en place a nécessité plusieurs procédures de leur part, en l'état de la résistance opposée par leur contradicteur, a reçu une mission très détaillée du Tribunal qui a en outre soumis le déroulement de l'expertise aux dispositions légales prévues en matière d'expertise judiciaire.

Ils relèvent, en deuxième lieu, que l'État n'a formulé aucune réserve en cours d'expertise sur le déroulement des opérations.

Ils font valoir, en troisième lieu, que l'expertise n'avait pas le caractère d'un arbitrage et que la tentative de conciliation prévue à la mission se retrouve dans toutes les expertises judiciaires ordonnées par les juridictions de la Principauté.

Ils sollicitent, en quatrième lieu, la confirmation du jugement déféré sur le principe de la résiliation abusive du contrat par l'État.

Ils relèvent, en cinquième lieu, que l'État n'a pas respecté le délai contractuel de résiliation de 10 jours prévu à l'annexe du contrat.

Ils estiment, en sixième lieu, que les experts ont parfaitement analysé les faits et ont répondu sur tous les points invoqués par l'État de Monaco (études des fondations, retard du dossier de consultation des entreprises, études de structure, retard dans l'exécution des obligations contractuelles, remise des documents conformes au contrat).

Ils soulignent que l'État de Monaco n'a formulé aucune observation sur le pré-rapport qui a précédé de 6 mois le dépôt du rapport définitif.

Sur le montant des condamnations, ils sollicitent la réformation partielle du jugement en ce que le Tribunal a écarté, à tort selon eux, l'application de l'article 15.2/B.3 du contrat qui aurait dû recevoir application au regard des conditions dans lesquelles la résiliation est intervenue.

Ils estiment en effet que la rupture fautive du contrat ne doit pas être de nature à les priver d'une rémunération à laquelle ils auraient eu droit si l'État avait décidé d'abandonner l'opération et soutiennent que dans les deux cas la résiliation est sans cause.

Ils sollicitent en conséquence par application de cette disposition la réformation du jugement et la condamnation de l'Etat au paiement de 95 % des honoraires totaux soit la somme de 630 000 000 x 7,056 x 95 % = 42 230 160 francs HT ainsi que de l'indemnité contractuelle de rupture d'un montant de 5 556 600 francs HT.

Ils sollicitent en revanche la confirmation du jugement sur le montant des honoraires avant-métrés (2 785 638,68 francs HT), des honoraires pour travaux supplémentaires (2 700 000 francs HT), des honoraires supplémentaires au titre du 2° DCE fondation (1 051 224,14 francs HT).

Les architectes sollicitent en outre la réformation du jugement sur les points suivants en demandant à la Cour de leur accorder :

  • les intérêts de retard à compter du 1er décembre 1989 sur une somme de 3 729 801,86 francs HT et à compter du 23 mars 1990 sur le reste de leur créance d'honoraires, assortis de l'anatocisme,

  • la somme de 15 000 000 francs en réparation de leur préjudice moral,

  • la somme de 3 690 725,76 francs HT au titre de la perte de bénéfices depuis la rupture du contrat jusqu'au 31 décembre 1995 outre les intérêts évalués au dépôt du rapport à 575 106 francs,

  • et celle de 29 899 920 francs pour la baisse d'activité subie depuis cette date comme celle à venir et résultant de leur mise à l'écart par l'État qui ne leur a plus confié la direction de chantiers publics et des répercussions négatives qu'un tel comportement a eu auprès de la clientèle privée,

  • la somme de 1 000 000 francs au titre des frais exposés pendant le cours des opérations d'expertise,

  • la somme de 500 000 francs au titre des frais exposés durant les procédures de première instance et d'appel, et non compris dans les dépens,

Ils sollicitent enfin, par réitération de leur demande, la publication de l'arrêt dans trois journaux locaux de leur choix, aux frais de l'État.

Dans ses conclusions en réplique, l'État de Monaco réitère ses critiques à l'encontre du rapport d'expertise en insistant sur son caractère arbitral qui n'aurait pas laissé de place à la discussion ni à l'appréciation des juridictions ainsi que sur l'optique conciliatrice qui a présidé à la rédaction du pré-rapport.

Sur les causes de la résiliation dont il rappelle qu'elle a été aussi préjudiciable pour lui, il critique l'avis des experts selon lesquels le délai de 11 jours imparti aux architectes en octobre 1988 pour remettre le document de consultation des entreprises sur la variante radier lourd était insuffisant alors que d'une part, un an plus tard, lors de la mise en demeure du 23 octobre 1989, ces éléments étaient toujours inexistants et que d'autre part, le contrat imposait aux architectes une concertation loyale leur faisant obligation de fournir au maître de l'ouvrage les conseils nécessaires au choix des fondations et à ses conséquences techniques sans que la solution puisse être définitivement induite par la seule avancée des études techniques qu'ils avaient privilégiées, ce qui constitue selon l'État le véritable objet du litige, les architectes ayant considéré à tort que leur proposition de radier sur micropieux avait été définitivement entérinée au stade de l'avant-projet, sans tenir compte des souhaits du maître de l'ouvrage et du fait que les deux solutions ont été maintenues par lui jusqu'en septembre 1988, de sorte qu'il leur appartenait de l'interroger sur le choix à faire s'ils estimaient que le développement de leurs études dépendait de ce choix.

Sur l'évaluation des demandes, l'État de Monaco reproche, en premier lieu, aux experts leur imprécision sur l'état exacte des prestations des architectes au jour de la rupture et notamment sur la qualité des documents de consultation des entreprises des corps d'état techniques et secondaires remis après résiliation.

Il estime, en deuxième lieu, que l'assiette des travaux valeur 1989 est de 538 318 136 francs et non celle de 630 000 000 francs retenue par les experts sur la base d'une évaluation valeur 1994 qu'il leur a transmise lors de l'expertise. Il relève que dans leur mémoire d'honoraires du 10 août 1989 les architectes avaient eux-mêmes chiffré l'estimation des travaux de la sous-mission 1 à 509 942 392 francs et ceux de la sous-mission 2 à 9 000 000 francs tandis qu'ils évaluaient le montant des marchés approuvés à 188 866 856 francs. Il estime que toute prétention complémentaire relèverait d'une réclamation indemnitaire liée à la rupture.

Il fait valoir, en troisième lieu, que les honoraires accordés par le Tribunal pour travaux supplémentaires outre le fait qu'ils auraient un caractère indemnitaire, seraient le fruit d'un calcul arbitraire de la part des experts et que leur prise en compte aboutirait à une double rémunération, dès lors que la rémunération d'un travail consécutif aux modifications et augmentations de la masse des travaux a évolué proportionnellement à l'élévation du montant des travaux passé de 180 millions en 1985 à 538 millions en 1989.

Il estime en outre que la rémunération du second DCE fondation relatif au radier lourd relève de « l'imputation spécifique et complémentaire du poste sensible de la rupture contractuelle ».

Il soutient, en quatrième lieu, que les honoraires pour travaux non réalisés, même ramenés par le Tribunal à 65 % de l'assiette globale des travaux ne sauraient être accordés car, outre le fait que la méthode de calcul revêt un caractère indemnitaire puisqu'elle est induite par l'interruption « du fait » du maître de l'ouvrage, elle s'appuie sur une assiette de travaux indépendante des prestations effectivement réalisées par les architectes.

Il estime en outre que la rémunération des avant-métrés ne relève pas des prévisions de l'article 9 du contrat mais d'une réclamation indemnitaire liée à la rupture.

Il relève, en cinquième lieu, que les premiers juges ont écarté valablement l'application de l'article 15.2/B.3 du contrat.

Il estime, en sixième lieu, qu'en réparant un préjudice moral pour perte de missions nouvelles, le Tribunal a pris en compte des éléments extérieurs au contrat, l'État relevant qu'à la supposer fondée sur les règles contractuelles, la demande excéderait les prévisions de l'article 1005 du Code civil.

Les architectes ont conclu en dernier lieu le 29 janvier 1999. Ils font observer sur les causes de la résiliation que le choix du type de fondations par radier avec micropieux avait été arrêté définitivement par l'État au stade des études de l'avant-projet, que la demande de variante radier lourd constitue une novation imposée le 20 octobre 1988, qu'ils ont loyalement déféré aux demandes du maître de l'ouvrage en l'alertant sur les inconvénients tant financiers que techniques de cette solution, notamment au regard des choix définitifs du maître de l'ouvrage dans le dossier d'avant-projet, qu'ils ont encore rempli leur devoir en émettant des réserves le 8 mai 1989 à la suite du choix par le maître de l'ouvrage d'une variante de radier lourd proposée par l'entreprise moins disante, ces réserves s'étant vérifiées au mois d'octobre 1989 lorsqu'il est apparu que l'entreprise titulaire du marché ne pourrait exécuter les travaux qu'elle avait proposés qu'à la faveur de l'augmentation du délai et de l'enveloppe financière, qu'enfin les notes de calcul ont été remises à l'État en réponse à la mise en demeure du 23 octobre 1989.

Sur le montant de leur indemnisation, les architectes soulignent la carence de l'État à produire aux experts, en dépit des demandes répétées de ces derniers, les éléments permettant de déterminer le montant des travaux.

Ils rappellent en outre que leur mémoire provisoire d'honoraires du 10 août 1989 est arrêté aux sommes dues par l'État au 19 mai 1989 et qu'entre cette date et le 25 octobre 1989 de nombreuses prestations ont été réalisées (DCE de la quasi-totalité des lots y compris le lot gros-œuvre).

Les architectes estiment que les honoraires qu'ils réclament sont justifiés tant par l'article 15.2/B.3 que par l'article 12.2 du contrat et qu'ils n'ont donc aucun caractère indemnitaire.

Ils insistent sur le grave préjudice que la rupture du contrat leur a occasionné tant au plan moral qu'au plan professionnel dès lors que l'État qui répartit de façon constante les travaux d'intérêt général entre tous les architectes monégasques n'a plus confié aucun chantier au Cabinet B.-R. depuis le mois d'Octobre 1989, en particulier le chantier du Forum Grimaldi pour lequel ils auraient dû être retenus en leur qualité de second de concours après le décès du lauréat, et encore le chantier de l'extension de la maison d'arrêt dont ils avaient été les architectes.

Ils soutiennent enfin que les dispositions de l'article 1005 du Code civil sont inapplicables en la cause en raison de l'attitude dolosive de l'État dont les services techniques ont cherché à masquer par un faux motif de résiliation, la cause réelle des problèmes techniques et financiers résultant du choix malheureux de fondation.

Ils soulignent enfin les circonstances précipitées de la mise en demeure, parvenue à leur cabinet le jour même de sa date, le lundi 23 octobre 1989 à 9 heures, alors que les documents volumineux la justifiant ont été établis le vendredi 20 octobre 1989 par un bureau d'études approuvé par Socotec le même jour.

SUR CE :

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures précitées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;

Considérant que l'affaire étant en état d'être jugée au fond, il n'y a pas lieu pour la Cour d'examiner les moyens soutenus par les parties dans l'instance sur les défenses à exécution provisoire ;

Considérant en ce qui concerne la demande en paiement de dommages-intérêts formée par les architectes à rencontre de l'État dans ladite instance, que ceux-ci, n'établissent pas l'existence d'une faute dans l'exercice par l'État de Monaco de ce recours ;

Qu'ils doivent donc être déboutés de leur demande de ce chef ;

Quant au fond :

I. - L'expertise :

Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la convention de maîtrise d'œuvre, les parties se sont engagées avant d'introduire une action en justice, à soumettre tout litige né de l'exécution du contrat à l'avis d'un expert ou d'un collège expertal ;

Considérant que par cette disposition, les parties ont simplement entendu recourir à une expertise amiable et non se soumettre au jugement d'un arbitre ;

Considérant que le caractère amiable de cette expertise ne saurait, par principe, affecter sa valeur, dès lors qu'il est établi qu'elle a été menée dans le respect des règles du contradictoire et des droits de la défense, la forme judiciaire que lui a conférée le jugement du 13 février 1992 ne pouvant qu'ajouter à cette valeur dans la mesure où le collège expertal a prêté le serment prévu par l'article 349 du Code de procédure civile et qu'il a été placé sous le contrôle et la juridiction d'un magistrat ;

Considérant qu'il ressort de leur rapport, que les experts ont mis un soin tout particulier à veiller au respect du contradictoire sur lequel ils ont insisté dans le chapitre intitulé « travaux des experts » ;

Qu'ainsi, le rapport relate dans le détail, les nombreuses réunions auxquelles les parties ont assisté, le nom de leurs sachants, les documents remis aux experts et échangés entre les parties, les observations orales et écrites des intéressés, les réponses argumentées des experts, l'analyse des faits, la synthèse des éléments de discussion préalablement réunis dans un pré-rapport et enfin les conclusions sur les différents chefs de mission ;

Considérant à cet égard que la formulation employée par le collège expertal qui relève qu'il n'y a pas eu de « faute », de « manquement » ou encore de « faute dommageable » ne constitue pas une appréciation juridique de la responsabilité de l'une ou de l'autre des parties, que les experts se sont eux-mêmes interdite (p. 96 du rapport) mais une appréciation de nature professionnelle déduite de constatations techniques qui relèvent de leur compétence ;

Considérant qu'il n'est pas sérieux de soutenir que les juridictions auraient été privées de leur pouvoir d'appréciation en l'état de cette formulation car il est un principe auquel l'expertise présente ne déroge pas qui est celui de son caractère non obligatoire pour le juge qui conserve sa plénitude de juridiction quant à la détermination des responsabilités encourues ;

Considérant enfin qu'aucun argument ne peut être tiré de la tentative de conciliation prévue à la mission expertale, traditionnellement prescrite par les tribunaux et qui ne saurait porter atteinte en elle-même à l'avis émis par le collège, avis qui a été soumis à la libre discussion des parties notamment au moyen d'un pré-rapport que l'État de Monaco n'a pas cru devoir critiquer ;

Considérant en conséquence, que tel qu'il a été établi et contrairement à l'opinion de l'expert G. manifestement plus inspiré par un esprit systématique de critique que par un souci d'analyse objective et dont le travail non contradictoire, n'a pas lieu d'être retenu, le rapport du collège expertal apparaît comme le résultat d'investigations et de réflexions méthodiques conduites par des techniciens hautement qualifiés, dans le souci constant du respect des droits de la défense ;

Qu'il est de nature à fournir à la Cour les éléments d'appréciation techniques nécessaires à la solution du litige sans qu'il y ait lieu de recourir à une nouvelle expertise ;

II. - Violation des obligations contractuelles :

Considérant que l'État de Monaco a résilié le contrat de maîtrise d'œuvre le liant aux architectes B. et R. en se fondant sur l'article 15.2/B.1. de la convention qui prévoit cette résiliation, après mise en demeure, en cas de violations graves, par les architectes, des dispositions contractuelles ;

Qu'il allègue plusieurs fautes à leur encontre :

a) Inobservation des directives

Considérant que l'État de Monaco fait valoir qu'au cours des études préliminaires, les architectes n'auraient pas respecté les caractéristiques principales du programme de base, de sorte qu'il n'aurait jamais pu obtenir un projet qui corresponde entièrement à ce programme ;

Qu'il produit à l'appui de ses critiques les ordres de service n° 138 du 13 octobre 1986 et n° 15 du 20 mars 1987 ;

Considérant que ces documents qui invitent les architectes à entreprendre (O.S. n° 138) puis à poursuivre (O.S. n° 15) les études de l'avant-projet n'établissent pas par eux-mêmes que les observations et les amendements qu'ils contiennent répondent à des erreurs ou à des violations délibérées de ses directives ;

Qu'il y a lieu de constater qu'aucun rappel à l'ordre n'a été adressé à ce sujet aux architectes ;

Qu'en ce qui concerne plus précisément l'ordre de service n° 138, les experts ont estimé, à juste titre, que les changements demandés ont constitué des novations par rapport aux études préliminaires et non des corrections d'erreurs ou de lacunes ;

Considérant qu'il y a lieu de relever également, ainsi que le souligne lui-même l'État de Monaco, que l'ampleur du projet et son caractère multi-fonctionnel a entraîné des corrections, adaptations, modifications inévitables rendues plus aiguës encore par les souhaits des nombreux futurs utilisateurs et qui ne sont pas imputables à faute aux architectes ;

Considérant qu'en ce qui concerne les directives annexées à l'ordre de service n° 43 du 29 avril 1986 au sujet de l'emprise à respecter, de l'élargissement éventuel de l'avenue de Fontvieille, de la suppression des boutiques en sous-sol et en étage, de l'harmonisation des bâtiments à usage d'habitation avec ceux de Fontvieille, du parti architectural en oblique non retenu, du parti volumétrique en gradins, des surfaces industrielles ou de bureaux, de la galerie en portique, de la substitution au marché couvert d'une salle polyvalente, les propositions auxquelles elles répondent ne sauraient constituer en elles-mêmes des violations du programme de base en ce qu'elles s'inscrivent dans une démarche de dialogue et de concertation prévue au contrat ;

Considérant que la critique formulée par l'État de Monaco à rencontre des architectes apparaît d'ailleurs dépassée puisque dans sa note du 13 mai 1987, le service des Travaux Publics estimait que les esquisses présentées répondaient à la définition du programme et que les études pouvaient être poursuivies sur ces bases ;

Considérant qu'en ce qui concerne la critique de l'État de Monaco sur l'imprécision du rapport d'expertise à propos de l'affirmation selon laquelle les documents d'avant-projet étaient suffisamment détaillés pour satisfaire à l'article 8.1 du contrat alors que l'avant-projet n'avait été décidé que par l'ordre de service du 13 octobre 1986, il ressort de l'analyse du rapport, du contrat et de ses annexes, que la critique de l'État de Monaco procède d'une confusion sur le terme « documents d'avant-projet » qui a été employé par les experts pour désigner les pièces des études préliminaires visées à l'article 8.1 du contrat et non celles de la phase avant-projet proprement dite visées à l'article 8.2 dudit contrat ;

Considérant enfin que l'examen technique des documents dits « de l'architecte » a permis aux experts de qualifier les dossiers produits, d'avant-projet et de projet général ;

Considérant en définitive que les griefs tirés de l'inobservation des directives n'apparaissent pas fondés ;

b) Les retards

Considérant que l'État de Monaco reproche aux architectes les retards apportés à la remise des études du projet général, du dossier de consultation des entreprises des lots n° 2 et 3, des documents nécessaires au lancement des appels d'offres des lots techniques ;

Qu'il relève que les modifications auxquelles le Tribunal s'est référé sont antérieures au planning de 6 octobre 1988 et qu'elles sont donc sans incidence sur les retards postérieurs ;

Qu'il fait en outre grief au Tribunal d'avoir retenu l'existence de ces modifications sans en préciser le détail ;

Considérant que si les ordres de service visés par le Tribunal sont effectivement antérieurs au planning modificatif du 6 octobre 1988 substitué aux délais d'exécution prévus à l'article 11 du contrat, il demeure d'une part, que les experts ont constaté par un examen exhaustif des pièces communiquées par les parties, notamment à l'occasion des dires se rapportant aux modifications du projet, que les importants changements demandés par le maître de l'ouvrage par ses lettres des 9 et 24 mars 1989 ont entraîné de nouvelles études de structure à l'origine des retards, d'autre part, que l'importance du chantier et son évolution constante du fait du maître de l'ouvrage, même au stade du projet général, ont rendu ces retards inévitables - tout changement demandé entraînant des répercussions en chaîne sur les plans architecte, ingénierie, les notes de calcul, les descriptifs, les quantitatifs - mais non imputables aux architectes dont les experts ont souligné à maintes reprises le soin qu'ils ont apporté à répondre à tous les désirs des services techniques de l'État, lequel n'a allégué ce grief de retard que quelques jours avant la résiliation du contrat ;

Considérant pour ce qui est du temps de confection du CCTP du lot n° 2 remis le 23 novembre 1988, que le reproche formulé par l'État de Monaco est injustifié dans la mesure où le délai de 33 jours qui s'est révélé nécessaire dont 22 jours ouvrables correspond à un retard de 11 jours par rapport au planning, temps négligeable au regard des trois mois écoulé du 20 mars au 13 juin 1989 pour obtenir de l'entrepreneur son offre définitive qui ne fut acceptée par l'État de Monaco que le 31 juillet 1989.

Considérant que les appels d'offres du lot n° 3 ne purent être lancés à temps en raison du retard du service des Travaux Publics à apporter sa réponse aux études modificatives du 8 juillet 1988 ;

Considérant enfin que les revirements tardifs du maître de l'ouvrage ont rendu impossibles à respecter les délais imposés aux architectes pour la remise des DCE de second œuvre ;

c) Les manquements aux règles de l'art

Considérant que l'État de Monaco vise dans ce paragraphe de son acte d'appel, les motifs développés par le Tribunal sous l'intitulé « insuffisance des études » ;

Considérant que l'État n'articule aucun moyen précis à rencontre des motifs du jugement sur ce point, se bornant à regretter une nouvelle fois que le Tribunal n'ait pas ordonné une expertise ;

Considérant que la Cour s'étant déjà prononcée sur celle-ci, il n'y a pas lieu de répondre à une telle absence de moyens ;

d) Études des fondations et de la structure

Considérant que l'État de Monaco reproche aux architectes un manque de concertation et une violation de leur obligation de conseil à propos du choix des fondations, en ce qu'ils n'auraient pas tenu compte de ses souhaits qui tendaient à une solution différente de la leur et ne lui auraient pas donné toutes les informations techniques sur les conséquences de la décision à prendre ;

Qu'il leur reproche également de ne pas lui avoir remis la totalité des documents techniques contractuellement prévus ;

Qu'il leur reproche enfin une grave insuffisance d'études de la structure du bâtiment ayant justifié la mise en demeure adressée le 23 octobre 1989 ;

Considérant qu'il est constant qu'aucun ordre écrit n'a été donné aux architectes en début de mission pour la mise à l'étude de la solution radier lourd ;

Considérant que la réunion du 7 mai 1986 visée par l'État de Monaco dans son dire n° 2, au cours de laquelle les participants ont envisagé un principe de fondation de radier épais nervure utilisé dans le passé sur le terre-plein de Fontvieille, n'est pas déterminante de la volonté de l'État d'en ordonner l'étude spécifique, ni d'une obligation des architectes de l'entreprendre, dès lors que cette réunion n'avait d'autre but que d'orienter les études vers le type de fondation le plus approprié, toutes les hypothèses étant alors envisageables ;

Considérant en revanche que l'ordre de service d'entreprendre les études du projet général, au mois de décembre 1987, ne comporte pas de réserves sur le mode de fondation par micropieux, retenu dans l'avant-projet remis à l'État de Monaco au mois de juin 1987 ;

Considérant que les études se sont donc poursuivies dans cette direction et que les architectes ont proposé deux solutions d'ancrage par micropieux, l'une à radier moyen, l'autre à radier mince ;

Considérant que le 29 septembre 1988, l'État de Monaco a demandé aux architectes une estimation comparée des diverses solutions afin de fixer son choix définitif ;

Considérant que les architectes ont répondu à cette demande le 11 octobre 1988 par une estimation technique et financière comparative de trois types de radier avec micropieux (1. épais, 2. moyen, 3. mince) ;

Considérant que le 13 octobre 1988, l'État de Monaco déclarait vouloir lancer l'appel d'offres sur la solution 3 tout en ouvrant des variantes vers la solution 2 ;

Considérant que le 20 octobre 1988, l'État de Monaco décidait la mise à l'étude d'un radier lourd sans micropieux avec obligation pour les architectes de remettre le document de consultation des entreprises pour le 31 octobre suivant ;

Considérant que si le choix ainsi fait par l'État de Monaco relève incontestablement de ses prérogatives, le bref délai imposé aux maîtres d'œuvre pour fournir le document demandé était matériellement insuffisant ;

Considérant que ce court délai ne peut se justifier comme le soutient l'État de Monaco par la connaissance que les architectes auraient eu, depuis l'origine, de sa préférence pour le radier lourd de sorte qu'ils auraient dû selon lui mener conjointement les études de radier lourd avec celles de radier sur micropieux, alors qu'une telle demande n'apparaît pas avoir été formulée par le maître de l'ouvrage ;

Considérant qu'il y a lieu de relever, en effet, que le choix des solutions, antérieurement au 20 octobre 1988 se situait entre le radier mince et le radier moyen et qu'à ce stade, le maître de l'ouvrage ne pouvait ignorer les relatives contraintes liées aux micropieux dont son service technique, assisté du bureau de contrôle Socotec qui avait admis le principe du projet sous réserve d'observations mineures, avait toute compétence pour l'informer ;

Considérant que pour satisfaire à la demande tardivement présentée par l'État de Monaco, les architectes ont remis aux services techniques le 10 novembre 1988, les documents rectificatifs extrapolés à partir des calculs précédents ;

Considérant que le service des Travaux Publics n'a pas fait d'observations majeures sur le contenu du DCE, les hypothèses de calcul demandées lors de la réunion du 17 novembre 1988 ne pouvant être assimilées aux notes de calcul détaillées qui sont à la charge de l'entrepreneur (art. 8.3C/3.b) ;

Qu'en effet, le dossier technique devait être complété par l'entreprise adjudicataire dans le cadre de sa mission de confection des notes de calcul définitives et des plans d'exécution ;

Considérant que l'acceptation du DCE par les services techniques de l'État établit que les documents remis par les architectes étaient conformes à l'attente de ces services et aux prescriptions contractuelles ;

Considérant que ces documents ont permis un déroulement normal de l'appel d'offres ;

Que les difficultés rencontrées par l'entrepreneur dans l'établissement des pièces pour la signature de son marché sur les bases d'une variante qu'il avait lui-même proposée et dont il était dès lors seul responsable comme ensuite dans l'affinage de ses calculs ne sont pas imputables aux architectes ;

Considérant que les anomalies relevées au mois de septembre 1989 par l'entreprise adjudicataire et, à la suite, par le maître de l'ouvrage, ne sont pas la conséquence d'insuffisances de calcul des architectes mais résultent de la comparaison lourdement erronée de descentes de charges s'appliquant à des radiers et à des programmes différents après que des modifications de structures ont été apportées par le maître de l'ouvrage les 9 et 24 mars 1989 ;

Que de même, la note critique remise par l'entrepreneur aux services techniques de l'État le 20 octobre 1989 sur la stabilité des structures qui a pour fondement une étude informatique menée à partir d'éléments incomplets et inappropriés d'une variante non prévue au DCE ne fait pas la preuve des insuffisances alléguées ;

Considérant qu'il ressort au contraire des avis techniques circonstanciés du sapiteur Grima et des experts, que la conception des fondations et de la structure élaborée par les architectes était exempte d'erreur, que les hypothèses des maîtres d'œuvre étaient conformes aux données de base et aux contraintes du site, qu'il n'existait aucune omission dans la fourniture des éléments du DCE, qu'enfin il appartenait aux entreprises et non aux architectes d'affiner les calculs et de produire les notes de calcul définitives et les plans d'exécution ;

Considérant que l'État de Monaco n'est donc pas fondé à reprocher aux architectes une carence dans la production des documents techniques utilisables se rapportant aux hypothèses retenues pour l'étude du projet général de fondation dont il avait d'ailleurs antérieurement accepté la remise sans protestation et alors d'une part que ce même dossier a permis au sapiteur de démontrer la fiabilité et la qualité des études des maîtres d'œuvre, d'autre part que cet homme de l'art a mis en évidence les grossières erreurs contenues dans la note critique du 20 octobre 1989 qui auraient dû alerter les services compétents du maître de l'ouvrage sur la valeur toute relative à attribuer à ce document, alors enfin que les conventions devant être exécutées de bonne foi, il eût suffi de communiquer cette note aux architectes pour recevoir d'eux les explications techniques qu'ils n'auraient pas manqué de donner comme ils l'ont fait lorsqu'ils ont eu connaissance de ce document au cours de la procédure judiciaire ;

Considérant en définitive qu'aucun des griefs allégués par l'État de Monaco dans le cadre des dispositions de l'article 15.2/B.1 du contrat n'est établi à l'encontre des architectes ;

Que dès lors, c'est à tort mais hors tout comportement dolosif de sa part, que l'État de Monaco a résilié ledit contrat, en se fondant sur des fautes non démontrées ;

Considérant qu'il s'ensuit d'une part, que l'État ne saurait faire supporter aux architectes les conséquences pécuniaires d'une résiliation injustifiée de sorte que sa demande en paiement de dommages-intérêts doit être rejetée, d'autre part qu'il doit réparation à ses maîtres d'œuvre dans le cadre contractuel qui a lié les parties.

III. - La réparation :

a) Considérant que cette réparation doit comprendre en premier lieu les honoraires auxquels les architectes pouvaient prétendre en vertu du contrat ;

Qu'à cet égard les dispositions de l'article 15.2/B.3 du contrat invoqué par les architectes ne peuvent recevoir application puisqu'elles concernent le cas particulier de l'abandon pur et simple de l'opération par le maître de l'ouvrage ;

Considérant en revanche qu'est applicable à l'espèce l'article 12.2 qui stipule que chacune des phases de la mission définie à l'article 1 « Objet du contrat » et prévues à l'article 12.4 qui aura été interrompue du fait du maître de l'ouvrage sera entièrement due ;

Que l'article 12.4 précité a prévu le règlement des honoraires selon les phases suivantes : études préliminaires (15 centièmes), avant-projet (20 centièmes), projet, DCE, signature du marché (25 centièmes), exécution des travaux (35 centièmes), réception définitive (5 centièmes) ;

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que les architectes avaient fourni les prestations suivantes au moment de la résiliation :

  • les études prévues au contrat ;

  • les avant-métrés, à l'exclusion de certains lots secondaires représentant un montant de 37 311 345 francs HT ;

  • le début de la direction des travaux et la vérification des situations pour un montant de 86 391 197 francs HT ;

Considérant qu'il importe peu que cette dernière phase n'ait été menée par les architectes qu'à concurrence de 14 % dès lors que son interruption a été le fait de l'État ;

Considérant en conséquence que les architectes ont droit par application des articles précités à 95 % du montant de leurs honoraires, calculés selon les articles 12.2 du contrat et 12.1 de ses annexes sur la dépense totale engagée pour l'opération :

Considérant qu'afin de déterminer l'assiette des travaux permettant le calcul de ces honoraires, l'État a communiqué aux experts la valeur desdits travaux au mois d'Octobre 1994 qui s'élevait à 682 698 745 francs HT ;

Considérant que pour ramener avec précision ce montant à la valeur d'octobre 1989, les experts auraient eu besoin de connaître la totalité des situations des entreprises ;

Qu'en l'absence de ces pièces non remises par l'État de Monaco, en dépit d'une demande expresse des experts, ceux-ci ont procédé à ce calcul par une analyse comparative très fouillée de plusieurs méthodes d'évaluation qui leur a permis de retenir la somme de 630 000 000 francs HT, montant non contesté par l'État en cours d'expertise ;

Considérant dès lors que tant par sa carence que par la tardiveté de sa contestation, l'État de Monaco apparaît mal fondé à critiquer cette évaluation, étant relevé que le mémoire provisoire d'honoraires du 10 août 1989 ne prend en compte que les travaux à cette date ;

Considérant que les honoraires calculés selon la ventilation prévue à l'article 12.4 du contrat s'élèvent à la somme de 630 000 000 x 7,056 % (taux des honoraires) x 95 % = 42 230 160 francs HT ;

Que la décision du Tribunal doit donc être réformée de ce chef ;

Considérant que les honoraires d'avant-métrés prévus à l'article 9 du contrat et qui rémunèrent une prestation contractuelle effectuée par les architectes ont été justement calculés à la date du 25 octobre 1989 et s'élèvent à la somme de 630 000 000 – 37 311 345 x 0,47 % = 2 785 636,68 francs HT ;

b) Considérant en revanche que les honoraires pour travaux supplémentaires alloués par le Tribunal ne sauraient être accordés dès lors que le contrat n'avait prévu une rémunération supplémentaire des architectes que dans le seul cas de changement fondamental du programme de base devant donner lieu à avenant (art. 7) ;

Que pour importantes qu'aient été certaines des modifications demandées par l'État, celles-ci n'ayant pas entraîné une reprise de la mission n'ont pas eu la nature d'un changement fondamental du programme au sens de l'article précité ;

Qu'en conséquence la demande des architectes ne peut être accueillie de ce chef ;

Que la décision du Tribunal doit donc être réformée ;

c) Considérant que l'indemnité de rupture prévue par l'article 15.2/B.3.b du contrat dans le cadre de l'abandon du projet par l'État ne saurait recevoir application en l'espèce ainsi qu'il a été dit ci-dessus ;

Considérant en définitive que la créance des architectes s'établit au regard de leurs prestations contractuelles à la somme de 45 015 796,68 francs HT sur laquelle l'État de Monaco a versé postérieurement à leur assignation de première instance, celle de 18 671 942 francs HT soit un reliquat en leur faveur de 26 343 854,68 francs HT ;

Considérant qu'au regard des pièces produites, les architectes ont mis en demeure l'État de Monaco par LRAR du 23 mars 1990 d'avoir à leur payer une somme de 93 286 349,19 francs montant auquel ils fixeront également leur créance dans leur assignation du 30 janvier 1991 ;

Considérant dès lors que les intérêts au taux légal de la somme de 26 343 854,68 francs HT majorée de la TVA applicable, doivent courir à compter du 8 avril 1990 délai prévu par la mise en demeure du 23 mars 1990, la décision du Tribunal devant être réformée de ce chef ;

Considérant que la demande d'anatocisme formée par les architectes et dont le caractère nouveau en appel n'a pas été soulevé par l'État de Monaco ne saurait avoir un effet rétroactif, le point de départ des intérêts capitalisés ne pouvant être antérieur à la demande de capitalisation ;

Qu'elle ne peut donc être accordée qu'à compter du 6 octobre 1998, date des conclusions déposées par les architectes devant la Cour ;

d) Considérant sur le préjudice moral, que la rupture brutale d'un contrat de prestige avec l'État et l'atteinte sérieuse que les circonstances injustifiées de cette rupture ont nécessairement portée à la réputation professionnelle des architectes ont occasionné à ces derniers un préjudice considérable en relation directe avec la résiliation du contrat et prévisible au sens de l'article 1005 du Code civil que la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer à la somme de 12 000 000 francs ;

Que la décision du Tribunal doit donc être réformée de ce chef ;

e) Considérant que la baisse d'activité et la perte de bénéfices, que ce préjudice ne constitue pas une suite immédiate et directe de la résiliation en ce qu'il repose sur le comportement adopté par l'État postérieurement à la résiliation et sur la désaffection corrélative de la clientèle privée que ce comportement a pu entraîner ;

Que les architectes doivent être déboutés de ce chef de demande ;

f) Considérant sur les frais engendrés par la mesure d'expertise, que le travail considérable nécessité pour l'établissement et la présentation des dires, les frais importants qui en sont nécessairement résultés, le temps passé à organiser leur défense devant les experts, sont constitutifs d'un préjudice direct subi par les architectes qui sont fondés à en obtenir réparation par l'allocation de dommages-intérêts que la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 1 000 000 francs, la décision du Tribunal devant être réformée de ce chef ;

g) Considérant sur les autres frais de procédure, que ceux-ci ne sont pas établis ; qu'il y a donc lieu de débouter les architectes de ce chef ;

h) Considérant sur la demande de publication de la décision, qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit, le préjudice ayant été suffisamment réparé par les sommes ci-dessus allouées ;

Considérant que l'État de Monaco qui succombe doit être condamné aux entiers dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Joint les instances n° 98-22 et n° 98-23 (assignations du 10 août 1998) ;

Déboute l'État de Monaco des fins de son appel ;

Confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 28 mai 1998 sauf du chef des réparations ;

Le réformant sur ces points,

Condamne l'État de Monaco à payer à S. B. et à P. R. les sommes de :

  • 26 343 854,68 francs HT, au titre des honoraires, augmentés de la TVA et assortis des intérêts au taux légal à compter du 8 avril 1990, avec capitalisation des intérêts à compter du 6 octobre 1998,

  • 12 000 000 francs au titre du préjudice moral,

  • 1 000 000 francs au titre des frais de procédure ;

Déboute S. B. et P. R. du surplus de leurs demandes ;

Composition🔗

Mme François, vice-prés, pour prem. prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato et Pastor, av. déf. ; Charrières et Chizat, av. bar. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 28 mai 1998 sauf du chef des réparations.

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