Cour d'appel, 1 février 1999, Société A. F. et MP c/ R. E.

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Abstract🔗

Chèque sans provision

Action publique - Opposition au paiement en dehors des cas visés par l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance du 13 mai 1936 - Délit constitué - Action civile - Irrecevabilité de l'action civile exercée contre le tireur : qui n'est pas personnellement débiteur de la créance (représentant de la société débitrice)

Résumé🔗

Aux termes de l'article 331 du Code pénal, est passible des peines de l'escroquerie, celui qui, de mauvaise foi, a fait défense au tiré de payer. L'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance souveraine n° 1876 du 13 mai 1936 dispose qu'il n'est admis d'opposition au paiement du chèque par le tireur qu'en cas de perte, de vol, d'utilisation frauduleuse ou bien de mise en règlement judiciaire ou liquidation de bien du porteur.

En l'espèce, R. E., en faisant opposition au paiement du chèque qu'il avait émis, en dehors des cas limitativement énumérés par l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance susvisée, a commis le délit qui lui était reproché, lequel était constitué tant dans son élément matériel, que dans son élément intentionnel, sa mauvaise foi résultant de ce qu'il avait connaissance que son opposition avait été faite hors des cas susvisés.

Quant à la demande en paiement du chèque de 114 596,35 deutsches marks, il résulte des pièces produites, que R. E. a accepté la traite de 309 256,90 deutsches marks tirée sur la société M. en sa qualité de représentant de ladite société ; qu'en émettant le chèque litigieux, lequel devait compenser le retrait de cet effet, il a également agi pour le compte de cette même société.

En l'état de l'accord auquel les parties se sont référées, R. E. ne saurait donc être condamné au paiement du chèque susvisé, dès lors qu'il n'était pas personnellement débiteur de la créance en paiement de laquelle il avait émis le chèque et que l'action en paiement du montant dudit chèque ne pouvait être dirigée que contre la société M., seule débitrice de l'obligation que ce chèque avait pour objet d'éteindre.

Il convient en conséquence de déclarer la société A. F. irrecevable en son action en paiement du montant du chèque de 114 596,35 deutsches marks.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur les appels respectivement relevés les 25 et 26 mars 1998, par la société A. F., partie-civile, et le Ministère Public, d'un jugement du tribunal correctionnel en date du 20 mars 1998.

Considérant que les faits, objet de la poursuite, peuvent être relatés comme suit :

Par lettre en date du 7 janvier 1998, adressée au Procureur Général, la société de droit allemand dénommée « A. F. » déposait plainte à l'encontre de R. E., exerçant le commerce à Monaco, sous l'enseigne « D. & F. C. », pour délit d'opposition irrégulière au paiement d'un chèque.

Elle exposait, à cet effet, qu'en exécution d'un accord intervenu le 4 mai 1997 avec R. E., celui-ci lui avait notamment remis le même jour un chèque d'un montant de 114 596,35 deutsches marks en date du 20 août 1997, lequel lui avait été retourné impayé, en l'état de la défense faite à sa banque par R. E. de payer ledit chèque.

Entendu au cours de l'enquête diligentée sur les instructions du Procureur Général, R. E. reconnaissait avoir fait opposition au paiement de ce chèque, en expliquant que sa décision était motivée par le fait que la société A. F. n'avait pas respecté son engagement de retirer une traite de 309 256,90 deutsches marks qu'il avait émise à l'ordre de celle-ci.

R. E. a fait l'objet d'une citation directe devant le Tribunal correctionnel pour opposition au paiement d'un chèque, délit prévu et réprimé par les articles 331 et 330, alinéa 1er du Code pénal.

Par le jugement entrepris, cette juridiction a relaxé R. E. des fins de la poursuite et débouté la société A. F., partie-civile, de sa demande en paiement de la contre valeur en francs français de 114 596,35 deutsches marks, montant du chèque impayé.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont, pour l'essentiel, retenu que R. E. n'avait pas agi de mauvaise foi en faisant défense à la banque Paribas de payer le chèque qu'il avait précédemment émis à l'ordre d'E. A., représentant légal de ladite société, dès lors que celle-ci n'avait pas justifié de l'exécution de son obligation de retirer la traite de 309 256,90 deutsches marks en contrepartie de laquelle avait été établi le chèque litigieux.

Considérant qu'au soutien de son appel, la société A. F. fait valoir, pour l'essentiel, que l'opposition au paiement d'un chèque par le tireur n'est admise qu'en cas de perte, de vol, d'utilisation frauduleuse du chèque ou de mise en règlement judiciaire ou de liquidation de biens du porteur ;

Qu'aucune de ces conditions n'étant réunie, en l'espèce, le prévenu, en s'opposant au paiement du chèque litigieux, a, par là même, manifesté sa mauvaise foi, en sorte qu'il y a lieu, infirmant le jugement entrepris, de le déclarer coupable des faits qui lui sont reprochés et de le condamner au paiement de la somme de 114 596,35 deutsches marks, montant du chèque impayé, outre celles de 50 000 francs, à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de 10 000 francs, au titre des frais de justice ;

Considérant que le Ministère Public fait observer, à l'appui de son appel, que c'est à tort, que les premiers juges ont prononcé la relaxe de R. E., dès lors que le tireur d'un chèque ne peut faire opposition à son paiement, qu'en cas de perte, de vol, d'utilisation frauduleuse du chèque ou de mise en règlement judiciaire ou de liquidation de biens du porteur ;

Que R. E. ayant formé opposition en dehors des cas susvisés, sa mauvaise foi est établie, en sorte qu'il y a lieu d'infirmer l'ordonnance déférée et de le déclarer coupable du délit qui lui est reproché ;

Considérant que le prévenu fait valoir, pour l'essentiel :

En la forme, que la constitution de partie civile de la société A. F. doit être déclarée irrecevable, dès lors que le chèque dont elle réclame le paiement a été établi à l'ordre d'E. A. ;

Au fond, que c'est à bon droit, que les premiers juges ont prononcé sa relaxe ;

Qu'en effet, l'émission du chèque de 114 596,35 deutsches marks avait, aux termes de l'accord du 4 mai 1997, pour contrepartie le retrait de la traite à échéance du 2 juin 1997, d'un montant de 309 256,90 deutsches marks, en sorte qu'il était fondé à faire défense à la banque Paribas de payer ledit chèque dès lors que la société A. F. n'avait pas exécuté son obligation en présentant cette traite à l'encaissement ;

Qu'il sollicite, en conséquence, la confirmation du jugement attaqué ;

Sur ce :

Sur l'action publique :

Considérant qu'aux termes de l'article 331 du Code pénal, est passible des peines de l'escroquerie, celui qui, de mauvaise foi, a fait défense au tiré de payer ;

Que l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance souveraine n° 1876 du 13 mai 1936 dispose qu'il n'est admis d'opposition au paiement du chèque par le tireur qu'au cas de perte, de vol, d'utilisation frauduleuse ou bien de mise en règlement judiciaire ou liquidation de biens du porteur ;

Considérant, qu'en l'espèce, R. E., en faisant opposition au paiement du chèque qu'il avait émis, en dehors des cas limitativement énumérés par l'article 32, alinéa 2 de l'ordonnance susvisée, a commis le délit qui lui était reproché, lequel était constitué tant dans son élément matériel, que dans son élément intentionnel, sa mauvaise foi résultant de ce qu'il avait connaissance que son opposition avait été faite hors des cas susvisés ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, réformant le jugement entrepris, de ce chef, de déclarer R. E. coupable du délit d'opposition irrégulière au paiement du chèque de 114 596,35 deutsches marks qu'il avait émis le 20 août 1997 ;

Que, compte tenu des circonstances atténuantes existant en la cause et de la qualité de délinquant primaire du prévenu, il échet de le condamner à la peine de 10 000 francs d'amende avec sursis ;

Sur l'action civile :

En la forme :

Considérant que si le chèque litigieux a été libellé à l'ordre d'E. A., il demeure que celui-ci figure dans l'accord du 4 mai 1997 justifiant ce chèque, en qualité de représentant de la société A. F. ; qu'il s'ensuit que la constitution de partie civile de ladite société doit être déclarée recevable ;

Au fond :

Considérant, quant à la demande en paiement du chèque de 114 596,35 deutsches marks, qu'il résulte des pièces produites, que R. E. a accepté la traite de 309 256,90 deutsches marks tirée sur la société M. en sa qualité de représentant de ladite société ;

Qu'en émettant le chèque litigieux, devant compenser le retrait de cet effet ; il a également agi pour le compte de cette même société, ainsi qu'il l'a déclaré à l'audience de la Cour ;

Considérant qu'en l'état de l'accord auquel les parties se sont référées, R. E. ne saurait donc être condamné au paiement du chèque susvisé, dès lors qu'il n'était pas personnellement débiteur de la créance en paiement de laquelle il avait émis le chèque et que l'action en paiement du montant dudit chèque ne pouvait être dirigée que contre la société M., seule débitrice de l'obligation que ce chèque avait pour objet d'éteindre ;

Qu'il convient, en conséquence, de déclarer la société A. F. irrecevable en son action en paiement du montant du chèque de 114 596,35 deutsches marks ;

Considérant, quant à l'action en paiement de dommages-intérêts, que la société A. F. ne rapporte pas la preuve, en l'espèce, de l'existence d'un préjudice dont elle aurait été victime et résultant directement du délit reproché au prévenu, en sorte qu'elle doit être déboutée de ce chef ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS ;

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, statuant en matière correctionnelle,

  • Infirme le jugement du tribunal correctionnel en date du 20 mars 1998 ;

Et, statuant à nouveau,

  • Déclare R. E. coupable du délit qui lui est reproché ;

  • En répression, le condamne à la peine de dix mille francs d'amende avec sursis, l'avertissement prescrit par l'article 395 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné ;

Sur l'action civile :

  • Déclare la société A. F. irrecevable en sa demande en paiement du chèque de 114 596,35 deutsches marks.

  • La déboute de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

  • Condamne R. E. aux frais de première instance et d'appel ;

  • Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Composition🔗

MM. Landwerlin, prem. Prés. ; Mlle Le Lay, prem. subs. proc. gén. ; Mes Brugnetti, Escaut, av. déf.

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement du tribunal correctionnel du 20 mars 1998.

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