Cour d'appel, 5 janvier 1999, Compagnie d'assurances Sprinks c/ SCI des Révoires

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Abstract🔗

Assurances

Clause de garantie subséquente - Subordonnant celle-ci à la formulation de la réclamation du tiers lésé dans un temps limité et à l'obligation de payer une prime supplémentaire - Nullité de cette clause : absence de cause

Résumé🔗

La Compagnie d'assurances Sprinks, assureur de la SCI des Révoires, a résilié le contrat d'assurance avec effet au 1er janvier 1996 ; le 14 décembre 1995 la SCI des Révoires a sollicité de son assureur - qui le lui a refusé - l'application de la clause de garantie subséquente prévue à l'article 4 des conventions spéciales de la police d'assurance, laquelle est ainsi rédigée :

« En cas de cessation de la garantie par suite de son expiration à l'échéance, ou après sinistre, de même qu'en cas de cessation définitive d'activité du souscripteur, celui-ci ou toute personne y ayant intérêt pourra demander le maintien des garanties pour toutes réclamations formulées après expiration ou résiliation du contrat, et ce moyennant la prime fixée ci-après.

La garantie subséquente demeurera en vigueur dans le délai de 2 ans suivant la date de résiliation, sauf pour les chantiers ouverts après la résiliation du contrat. »

Par cette clause, l'assureur a entendu limiter le maintien de la garantie résultant de la police résiliée aux réclamations formulées par le tiers lésé pendant un délai de deux ans à compter de la fin du contrat et moyennant le paiement d'une prime supplémentaire.

Cependant, les primes visées par l'assuré en cours de contrat ont pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s'est produit pendant la période de validité du contrat.

Dès lors, toute clause qui tend à subordonner cette garantie à la formulation de la réclamation du tiers lésé pendant un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré, comme à assujettir cette garantie à une obligation de payer une prime supplémentaire est génératrice d'une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite, car elle aboutit à priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'une circonstance qui ne lui est pas imputable, puisque la date de la réclamation par le tiers lésé ne dépend que de lui et à créer un avantage dépourvu de cause au profit de l'assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie.

La jurisprudence française invoquée par l'appelante et à laquelle il peut être utilement fait référence, puisque le contrat d'assurance qui est soumis à l'appréciation de la cour, relève du droit français, a confirmé ce principe.

Il s'en suit que la clause litigieuse doit être déclarée nulle et le jugement réformé.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur les défenses à exécution provisoire et sur l'appel formés par la compagnie d'assurances Sprinks d'un jugement du Tribunal de Première Instance en date du 15 mai 1997.

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties à la décision déférée et aux écritures échangées en appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

Saisi par la société civile immobilière des Révoires d'une action tendant à obtenir de la compagnie d'assurances Sprinks le bénéfice de la garantie subséquente prévue au contrat du 22 mai 1992, résilié par l'assureur à compter du 1er janvier 1996, le tribunal y ayant fait droit a, par le jugement entrepris, condamné la compagnie Sprinks à ratifier avec ladite société un avenant constatant cette mise en garantie aux charges et conditions prévues, pour toutes réclamations formulées à compter du 1er janvier 1996 ainsi qu'à lui payer la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont, pour l'essentiel, relevé :

En premier lieu, que l'article 4 des conventions spéciales de la police prévoyait la possibilité pour le souscripteur ou toute personne y ayant intérêt de demander le maintien des garanties pour toutes réclamations formulées après expiration ou résiliation du contrat, notamment « en cas de cessation de la garantie par suite de son expiration à l'échéance » ;

En second lieu, que le contrat d'assurances ayant cessé ses effets par suite de son expiration pour cause de non renouvellement à l'échéance du 31 décembre 1995, la société des Révoires était fondée à revendiquer l'application de cette clause auprès de son assureur qui était tenu de l'exécuter.

  • À l'appui de ses défenses, la compagnie d'assurances soutient que la ratification de l'avenant constituerait un risque important en l'absence de garanties financières de la société des Révoires.

  • Au soutien de son appel, l'assureur fait valoir :

  • En premier lieu, que l'application de la garantie subséquente n'est qu'une faculté pour l'assureur qui a le droit d'en refuser l'application,

  • En deuxième lieu, que cette garantie n'est pas prévue en cas de résiliation du contrat par l'assureur,

  • En troisième lieu, que le droit français auquel est soumis le contrat, répute non écrite une telle clause,

  • En quatrième lieu, qu'en toute hypothèse, la garantie ne saurait couvrir des sinistres déclarés antérieurement à la résiliation du contrat, sous peine pour l'assureur d'avoir à prendre en charge deux fois le même sinistre ; elle rappelle à ce propos que la SCI des Révoires a déjà obtenu le plein de sa garantie pour un sinistre antérieur,

  • En cinquième lieu, qu'en cas de couverture de sinistres antérieurs à la résiliation, l'aléa fait défaut puisque le risque est déjà réalisé,

  • En sixième lieu, que cette clause remet en cause le droit pour l'assureur de résilier le contrat annuellement en violation des dispositions de l'article L. 113-12 du Code des assurances ;

  • En septième lieu que sa résistance n'est pas abusive ;

L'appelante demande en conséquence à la Cour à titre principal de débouter la SCI des Révoires de sa demande visant à l'application d'un avenant facultatif pour l'assureur, et à titre subsidiaire, de dire et juger qu'il y a absence d'aléa en ce que la SCI des Révoires entend appliquer la garantie à un sinistre déclaré antérieurement à la résiliation du contrat, de déclarer nulle la clause litigieuse conclue pour garantir un tel risque, de condamner cette société à lui payer 35 000 francs à titre de frais irrépétibles.

Soutenant dans des conclusions ultérieures que la preuve du caractère contractuel des conventions spéciales n'est pas rapportée, faute pour la SCI des Révoires d'en produire un exemplaire signé par les deux parties, et subsidiairement que cette société n'a formulé aucune réclamation ni allégué aucun sinistre nouveau ayant une cause différente, dans le délai de deux ans prévu à la convention et qu'elle s'est assurée pour les risques découlant de sa responsabilité civile promoteur auprès de l'UAP, l'appelante conclut à l'absence d'objet de la demande ;

La société des Révoires s'oppose aux défenses et sollicite la confirmation du jugement déféré, en toutes ses dispositions ainsi que la condamnation de la compagnie d'assurances Sprinks au paiement de la somme de 100 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour appel abusif, en faisant observer :

  • Qu'il résulte de la lecture de la clause relative au maintien de la garantie après l'expiration de la police, que l'assuré disposait de la faculté d'en demander l'application sans que l'assureur puisse la refuser, dès lors que ses conditions de mise en œuvre étaient réunies, comme en l'espèce ;

  • Que cette clause était applicable, quelle que soit la cause de la résiliation ;

  • Qu'en outre, elle n'avait rien de contraire aux dispositions de l'article L. 113-2 du Code français des assurances qui sont étrangères à l'aménagement éventuel d'une garantie postérieurement à la résiliation ;

  • Que la mise en jeu de la garantie subséquente a été limitée contractuellement aux réclamations formulées postérieurement à la date de résiliation du contrat, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, en sorte qu'elle ne fait nullement disparaître l'aléa sans lequel le contrat d'assurance serait nul.

Sur ce :

Considérant qu'il y a lieu d'ordonner la jonction des procédures ci-dessus rappelées, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;

Considérant que l'affaire étant en état d'être jugée au fond, il n'y a pas lieu d'examiner les défenses devenues sans objet ;

Considérant que le contrat litigieux du 22 mai 1992 n° 75/1 029 288 a été signé par l'assureur Sprinks et par le souscripteur, la société SEMI ainsi qu'il résulte du feuillet comptable intégré à la police ;

Que ce document comporte la mention suivante :

« Le présent feuillet comptable, les conditions personnelles ou particulières, les conventions spéciales et les conditions générales dont le souscripteur déclare avoir pris connaissance et reçu un exemplaire, font partie intégrante du contrat ; »

Que dès lors, le moyen tiré de l'absence de signature des conventions spéciales est sans portée ;

Considérant que le contrat garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle de la société SEMI et des sociétés de construction qu'elle a créées ou dont elle assume la gestion ;

Considérant que ce contrat qui s'applique à la société des Révoires, société immobilière gérée par la société SEMI a été conclu pour la période du 1er janvier au 31 décembre 1992, renouvelable annuellement par tacite reconduction, sauf dénonciation des parties ;

Considérant que l'assureur a résilié le contrat avec effet au 1er janvier 1996 ;

Considérant que le 14 décembre 1995, la société des Révoires a sollicité de son assureur - qui le lui a refusé -l'application de la clause de garantie subséquente prévue à l'article 4 des conventions spéciales de la police d'assurance laquelle est ainsi rédigée :

« En cas de cessation de la garantie par suite de son expiration à l'échéance, ou après sinistre, de même qu'en cas de cessation définitive d'activité du souscripteur, celui-ci ou toute personne y ayant intérêt pourra demander le maintien des garanties pour toutes réclamations formulées après expiration ou résiliation du contrat, et ce moyennant la prime fixée ci-après.

La garantie subséquente demeurera en vigueur pour les réclamations formulées dans le délai de 2 ans suivant la date de résiliation, sauf pour les chantiers ouverts après la résiliation du contrat. »

...........

Considérant que par cette clause, l'assureur a entendu limiter le maintien de la garantie résultant de la police résiliée, aux réclamations formulées par le tiers lésé pendant un délai de deux ans à compter de la fin du contrat et moyennant le paiement d'une prime supplémentaire ;

Considérant cependant que les primes versées par l'assuré en cours de contrat ont pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s'est produit pendant la période de validité du contrat ;

Que dès lors, toute clause qui tend à subordonner cette garantie à la formulation de la réclamation du tiers lésé pendant un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré comme à assujettir cette garantie à une obligation de payer une prime supplémentaire est génératrice d'une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite car elle aboutit à priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'une circonstance qui ne lui est pas imputable puisque la date de la réclamation par le tiers lésé ne dépend que de lui et à créer un avantage dépourvu de cause au profit de l'assureur qui aurait alors perçu des primes sans contrepartie ;

Considérant que la jurisprudence française invoquée par l'appelante et à laquelle il peut être utilement fait référence puisque le contrat d'assurance qui est soumis à l'appréciation de la Cour relève du droit français a confirmé ce principe ;

Considérant que la clause litigieuse doit donc être déclarée nulle et le jugement réformé ;

Que dès lors, l'ensemble des moyens tirés par l'assureur de l'inapplicabilité de la clause est sans portée ;

Considérant sur les dommages-intérêts, que chacune des parties s'étant méprise sur le sens et la portée de la clause invoquée, aucun dommages-intérêts ne peut être prétendu par elles ;

Que dès lors, il y a lieu d'une part, de réformer le jugement entrepris qui a condamné la compagnie Sprinks au paiement de la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts et d'autre part de rejeter les demandes réciproques des parties en paiement de dommages-intérêts formées devant la cour, chacune des parties devant supporter les effets de ses erreurs ;

Considérant que les dépens de première instance et d'appel devront être supportés par moitié par chacune des parties ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS :

La Cour d'Appel de la Principauté de Monaco,

  • Joint les instances n° de rôle 98-16 et 98-17 ;

  • Réforme le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 15 mai 1997 ;

  • Déclare nulle la clause dite de garantie subséquente ;

  • Déboute les parties de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. François, v. prés. ; Serdet, proc. gén. ; MesEscaut, Blot, Gardetto, av. déf. ; Rancon-Cavenel, av. bar. de Paris ; Michel, av.

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