Cour d'appel, 5 janvier 1999, R. c/ F.

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Abstract🔗

Baux commerciaux

Locataire courtier d'assurances

- Activité commerciale

Clause attribuant au bail un caractère civil

- Nullité de ladite clause

- Droit du bailleur à un pas de porte

Résumé🔗

R. R. exerce depuis plus de trois ans, dans un local qui lui a été donné en location une activité de courtier d'assurances donnant lieu à des opérations de courtage que la loi répute actes de commerce par nature ; l'accomplissement de ces actes de commerce à titre de profession habituelle lui confère la qualité de commerçant ; R. dispose d'une clientèle qui lui est propre, d'une enseigne ainsi que des éléments corporels nécessaires à l'exercice de son commerce dans les lieux loués.

Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a jugé que R. exploitait dans le local un fonds de commerce au sens de l'article 1er de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 et que le renouvellement du bail obéissait aux dispositions de cette loi, sans égard pour des accords contractuels contraires prohibés par ladite loi selon lesquels une clause intitulée « utilisation » attribuait, de la commune volonté des parties, un caractère civil au bail et écartait expressément l'application de la loi n° 490, de sorte - comme il avait été spécifié - qu'aucun pas de porte n'avait été payé à la signature du contrat.

Si la nullité encourue affecte les dispositions de la clause « utilisation » en ce qu'elles font échec à l'application du statut des baux commerciaux, cette nullité ne saurait atteindre les autres dispositions de cette clause au caractère divisible, lesquelles déterminent les obligations des parties dans l'hypothèse - aujourd'hui réalisée - de la reconnaissance du caractère commercial du bail.

R. R. savait en concluant le bail qu'un pas de porte ne lui avait pas été demandé au regard de la nature civile que les parties avaient entendu conférer au bail et en conséquence de la liberté pour le bailleur de disposer de son bien, mais que dans l'hypothèse où ce bail se trouverait soumis à la loi n° 490 qui ouvre droit à la propriété commerciale, il s'était engagé à payer ce pas de porte - habituellement versé en vertu d'un usage constant contre contrepartie des avantages obtenus.

Rien n'interdit que son paiement intervienne en cours de bail dès lors que tant le principe que les modalités de ce paiement ont été prévus d'un commun accord au moment de la location.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur les appels, principal et incident, relevés par R. R. et I. F. d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 17 avril 1997.

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits ; de la procédure, des moyens et des prétentions des parties au jugement déféré et aux écritures échangées en appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

Saisi par I. F. d'une action tendant à titre principal à faire valider un congé donné à son locataire sur le fondement d'un bail dont elle demande que soit reconnu le caractère civil et à titre subsidiaire à obtenir le paiement d'un pas de porte de 857.520 francs contractuellement prévu, le Tribunal, par le jugement, déféré s'est déclaré compétent, a rejeté les demandes formées à titre principal par I. F., prononcé la nullité de la clause visant le caractère civil du bail, dit que R. R. était en droit de se prévaloir des dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux, l'a condamné au paiement de la somme de 857 520 francs et l'a débouté du surplus de ses demandes.

Pour en décider ainsi, les premiers juges ont estimé qu'en dépit de la qualification civile donnée au bail par les parties, il leur appartenait de rechercher si le preneur exploitait un fonds de commerce dans les lieux loués depuis au moins trois ans auquel cas ce bail devait relever de la loi n° 490 précitée.

À cet égard, ils ont relevé que R. R. exerçait à titre de profession habituelle dans les lieux, l'activité de courtier d'assurances depuis plus de trois ans à la date du congé délivré le 22 juin 1994, qu'il avait donc la qualité de commerçant laquelle était en outre corroborée par son inscription au répertoire du commerce et de l'industrie en sorte qu'il était en droit de se prévaloir de la loi susvisée lui conférant un droit au renouvellement du bail.

Les premiers juges ont par ailleurs déclaré valable les dispositions du bail prévoyant dans cette hypothèse le paiement d'un pas de porte par le preneur.

R. R. a formé appel de ce dernier chef, demandant à la Cour de déclarer nulle l'entière clause du bail intitulée « Utilisation » et de réformer en conséquence le jugement déféré qui l'a condamné au paiement du pas de porte qui y était stipulé.

Il fait valoir que le Tribunal ne pouvait sans se contredire annuler la clause en ce qu'elle faisait obstacle à l'application de la loi sur les baux commerciaux et la valider en ses effets.

Il soutient en outre que la propriété commerciale s'acquiert par l'effet de la loi et que le bailleur ne peut en cours de bail imposer les conditions d'acquisition de cette propriété.

Il estime en conséquence que la clause de pas de porte est dépourvue de cause.

Il prétend avoir été contraint d'accepter cette clause pour pouvoir demeurer dans les locaux qu'il occupait depuis 1986 dans le cadre d'une autorisation que lui avait donnée I. F. dont le locataire en titre était J. M.

Il relève enfin que le montant excessif du pas de porte demandé sans rapport avec la faible superficie du local (17 m2) et avec son emplacement, n'a d'autre but que de l'empêcher de demander le renouvellement du bail.

I. F. sollicite quant à elle, dans le dernier état de ses écritures, la réformation du jugement qui a écarté la nature civile du bail ; à titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation de la décision.

Elle demande en outre la condamnation de R. R. au paiement d'une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

Elle fait valoir que la commune intention des parties, exprimée dans le contrat de bail aurait du conduire à lui reconnaître un caractère civil.

Elle soutient que la clause prévoyant le paiement d'un pas de porte en cas de reconnaissance d'un bail commercial ne contrevient pas aux dispositions de la loi n° 490 et qu'il n'est que la contrepartie, licite, de l'obtention par le preneur du droit au bail commercial.

SUR CE :

Considérant que le bail litigieux qui a été dénoncé par la bailleresse le 22 juin 1994 avec effet au 31 décembre 1994, a été conclu entre les parties le 21 décembre 1990 pour une durée de trois ans, renouvelable par tacite reconduction par période annuelle ;

Que la destination du local loué avait été convenue d'un commun accord des parties à l'usage exclusif de bureau administratif pour l'exercice par le preneur de l'activité de courtier d'assurances ;

Qu'une clause du contrat intitulée « Utilisation » a conféré de la commune volonté des parties un caractère civil au bail et a écarté expressément l'application de la loi n° 490, de sorte que - y a-t-il été spécifié - aucun pas de porte n'a été payé à la signature du contrat ;

Que cette clause a en outre précisé que si le bail avait eu un caractère commercial, un pas de porte aurait été convenu comme contrepartie de la concession par le bailleur de la propriété commerciale, que la valeur de ce pas de porte aurait été égale à vingt fois le montant annuel du loyer en vigueur au jour de l'obtention de la propriété commerciale et qu'il aurait été exigible dès cette obtention ;

Considérant que R. R. exerce depuis plus de trois ans dans ce local une activité de courtier d'assurances donnant lieu à des opérations de courtage que la loi répute actes de commerce par nature ;

Que l'accomplissement de ces actes de commerce à titre de profession habituelle lui confère la qualité de commerçant ;

Que le bail a été conclu par R. R. pour l'exercice de son activité commerciale ;

Qu'enfin au regard des pièces produites, R. R. dispose d'une clientèle qui lui est propre, d'une enseigne ainsi que des éléments corporels nécessaires à l'exercice de son commerce dans les lieux loués ;

Considérant dès lors, que c'est à juste titre que le tribunal a jugé que R. R. exploitait dans le local loué un fonds de commerce au sens de l'article 1 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 et que le renouvellement du bail obéissait aux dispositions de cette loi, sans égard pour des accords contractuels contraires prohibés par ladite loi ;

Considérant que si la nullité encourue affecte les dispositions de la clause « Utilisation » en ce qu'elles font échec à l'application du statut des baux commerciaux, cette nullité ne saurait atteindre les autres dispositions de cette clause au caractère divisible, lesquelles déterminent les obligations des parties dans l'hypothèse - aujourd'hui réalisée - de la reconnaissance du caractère commercial du bail ;

Considérant que la circonstance que la bailleresse ait autorisé dans le passé son ancien locataire, J. M. à partager ce local avec R. R. n'est pas de nature à le soustraire à l'exécution d'une convention nouvelle à laquelle il a été partie ;

Considérant que le paiement d'un pas de porte n'est pas prohibé par la loi ;

Considérant que l'appelant ne rapporte pas la preuve d'une contrainte ou d'un vice quelconque de son consentement ;

Considérant que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ;

Considérant que R. R. savait en concluant le bail qu'un pas de porte ne lui avait pas été demandé au regard de la nature civile que les parties avaient entendu conférer au bail et en conséquence de la liberté pour le bailleur de disposer de son bien, mais que dans l'hypothèse où ce bail se trouverait soumis à la loi n° 490 qui ouvre droit à la propriété commerciale, il s'était engagé à payer ce pas de porte, habituellement versé en vertu d'un usage constant comme contrepartie des avantages obtenus ;

Considérant que rien n'interdit que son paiement intervienne en cours de bail dès lors que tant le principe que les modalités de ce paiement ont été prévus d'un commun accord au moment de la location ;

Considérant que l'évaluation du pas de porte a été prévue au contrat ; que R. R. n'est pas fondé à la remettre en cause ;

Considérant que le caractère commercial du bail rendant applicable les accords des parties, il y a lieu de confirmer le jugement déféré qui a condamné R. R. au paiement de la somme de 857 520 francs au titre du pas de porte ;

Considérant sur la demande en paiement de dommages intérêts formée par I. F. pour appel abusif, que R. R. qui n'a pu se méprendre de bonne foi sur l'étendue de ses droits ayant été éclairé par le jugement déféré sur ceux-ci et qui n'a fait valoir aucun moyen sérieux au soutien de son appel a commis une faute ayant fait dégénérer en abus l'exercice de cette voie de recours et a occasionné un préjudice certain à I. F. qui s'est trouvée contrainte d'assurer sa défense en justice ;

Que ce préjudice sera réparé par l'allocation à I. F. d'une somme de 50 000 francs à titre de dommages intérêts compte tenu des éléments d'appréciation dont la Cour dispose et au paiement de laquelle il y a lieu de condamner R. R. ;

Que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges :

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute R. R. et I. F. de leurs appels parte in qua respectifs ;

Confirme le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 17 avril 1997 ;

Condamne R. R. à payer à I. F. une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Composition🔗

Mme François, Vice-prés. ; Mlle Le Lay, prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot et Pastor, av. déf. ; Michel, av. ; Hoang, av. bar de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du Tribunal de première instance du 17 avril 1997.

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