Cour d'appel, 24 mars 1998, C. c/ Société Le Bistroquet, SCI Limdo

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Abstract🔗

Troubles de voisinage

Excédant les inconvénients normaux du voisinage - Cause : défaut d'insonorisation et de limitation de l'émission sonore - Antériorité de l'établissement nuisant : indifférente

Procédure civile

Compensation judiciaire - Demande formée en appel - Recevabilité en la forme - Rejet au fond : condition de l'article 1137 du Code civil (non)

Appel civil

Intervention forcée formée pour la première fois en appel - Irrecevabilité : article 432 du Code de procédure civile

Résumé🔗

Les nuisances sonores dépassant les sujétions particulières d'un voisinage commercial devant être acceptées, il s'ensuit que l'exploitant d'une discothèque a enfreint l'obligation à laquelle il était tenu de ne pas causer à son voisin des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, dès lors que ces troubles avaient pour origine, à la fois l'insuffisance de l'insonorisation des locaux lors de leur construction et des mesures prises pour éviter la propagation des bruits, en sorte qu'il doit être déclaré seul responsable de leurs conséquences dommageables à l'égard du voisin, sans se prévaloir de l'antériorité de son installation pour prétendre à se soustraire à toute responsabilité.

Une demande formée pour la première fois en appel tendant au prononcé de la compensation judiciaire entre les sommes réclamées à l'intimé en réparation de prétendus dommages et celles auxquelles il serait susceptible d'être condamné au profit de ce dernier, doit être déclarée recevable, en la forme, en application de l'article 431 alinéa 2 du Code de procédure civile, sauf à être rejetée au fond dès lors que les deux parties ne se trouvent pas débitrices l'une envers l'autre, au sens de l'article 1137 du Code civil.

Aux termes de l'article 432 du Code de procédure civile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 1135 du 16 juillet 1990, seule l'intervention volontaire est admise en cause d'appel. L'assignation en déclaration d'arrêt commun diligentée à l'encontre d'un tiers constitue une demande en intervention forcée contre celui-ci formée pour la première fois en cause d'appel. Il s'ensuit que ce tiers, ne peut être contraint, par l'effet d'une telle demande d'accepter le débat dans des conditions qui ne lui permettent pas de défendre ses droits.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel interjeté par A. C. d'un jugement rendu le 20 février 1997, par le Tribunal de première instance.

Les faits, la procédure, les prétentions et moyens des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus, à la décision entreprise et aux écritures échangées en appel :

La société en commandite par actions dénommée « Le Bistroquet » exploite un commerce de restaurant, sous la même enseigne, dont la salle est située au-dessus de la discothèque exploitée par A. C., sous l'enseigne « X-C. ».

Faisant état de ce que l'exploitation de cet établissement entraînait des nuisances excessives dues aux bruits et aux vibrations se faisant ressentir dans sa salle de restauration, la société « Le Bistroquet » a obtenu que soit prescrite une expertise, par ordonnance de référé du 11 mars 1993, à l'effet d'établir la nature et l'importance des nuisances sonores alléguées par elle, ainsi que de déterminer les travaux permettant d'y remédier.

Aux termes de son rapport déposé le 11 juillet 1994, l'expert Pascal Herteman ingénieur acoustique, a conclu, pour l'essentiel :

  • premièrement, qu'en fin de semaine (nuit du samedi au dimanche), le niveau sonore passe de 64 décibels au début, pour monter progressivement jusqu'à 72 décibels.

  • deuxièmement, qu'un tel niveau est excessif pour un établissement de nuit, les niveaux admis ne devant pas dépasser 55 décibels.

  • troisièmement, que la gêne apportée à la clientèle du restaurant est importante, d'autant qu'outre le bruit, les vibrations du sol sont nettement perceptibles au niveau des tables.

  • quatrièmement, que les travaux à entreprendre pour remédier à ces nuisances consisteront, d'une part, à renforcer l'isolation acoustique des structures, d'autre part, à limiter rémission sonore des installations de la discothèque.

  • Qu'en ce qui concerne le renforcement de l'isolation, le traitement portera sur la désolidarisation des cloisons avec la salle haute, le renforcement des parois verticales de la discothèque dans la partie située sous le restaurant par un complexe de plaques de plâtre et de laine de verre, ainsi que le renforcement du plafond de la discothèque par un faux plafond composé de plaques de plâtre et de laine de verre.

  • Qu'en ce qui concerne la limitation du niveau du bruit, celle-ci sera réalisée par l'installation dans la discothèque d'un appareil limiteur de bruit.

  • Que le coût des travaux de mise en conformité s'élèvera à 409 170 francs TTC, tandis que celui de l'appareil installé est estimé à 35 580 francs TTC.

  • cinquièmement, que concernant le préjudice subi par la société « Le Bistroquet », que celle-ci a estimé à 788 400 francs par an en perte de chiffre d'affaires, soit 2 365 000 francs pour la période de trois ans ayant couru depuis le début des nuisances sonores, il convient de ne pas prendre comme base le chiffre d'affaires mais la perte des bénéfices.

Se référant aux constatations et aux conclusions du rapport de l'expert Herteman dont elle a sollicité l'homologation, la société « Le Bistroquet » a, suivant l'exploit du 14 juin 1995, fait assigner A. C. au paiement de la somme de 2 365 200 francs, au titre du préjudice qu'elle a subi du fait des nuisances sonores produites par son établissement, ainsi qu'en exécution, sous astreinte, des travaux nécessaires pour y mettre fin.

Par le jugement entrepris, le Tribunal de première instance a :

  • homologué le rapport déposé le 11 juillet 1994 par l'expert Pascal Herteman ;

  • déclaré A. C. responsable du préjudice subi par la société en commandite par actions dénommée « Le Bistroquet » du fait de nuisances sonores provenant de la discothèque l'X-C. ;

  • condamné, en conséquence, A. C. à effectuer les travaux nécessaires pour mettre fin à ces nuisances, tels que préconisés par l'expert en page 9 de son rapport, et ce, dans les trois mois de la signification du jugement ;

  • dit qu'à l'expiration de ce délai, A. C. sera tenu au paiement d'une astreinte provisoire de 1 000 francs par jour de retard pendant un délai de deux mois, passé lequel il sera à nouveau fait droit ;

  • condamné A. C. à payer à la société « Le Bistroquet » la somme de 400 000 francs à titre de dommages-intérêts chiffrés à ce jour ;

  • déclaré A. C. irrecevable en sa demande reconventionnelle et l'a condamné aux dépens.

A. C. fait valoir, pour l'essentiel, au soutien de son appel :

1) Quant à la demande de la société Le Bistroquet :

  • en premier lieu, que c'est à tort, que les premiers juges ont homologué le rapport de l'expert Herteman ;

Qu'en effet, ce rapport n'a pas été établi dans le respect des règles fixées par l'ordonnance n° 10885 du 12 mai 1993 fixant les conditions d'application de l'article 1er de la loi n° 834 du 8 décembre 1967 en ce qui concerne les limites d'intensité des bruits de voisinage, notamment quant au calcul des valeurs admises de l'émergence.

Que, par ailleurs, l'expert n'a pas précisé dans son rapport la méthode de mesure et l'appareillage de mesure qu'il a utilisés pour établir l'intensité du bruit provenant de la discothèque, lesquels devaient être conformes aux prescriptions de la norme NF5 31010, ainsi qu'en dispose l'article 2 de l'arrêté ministériel n° 93-291 relatif à la limitation d'intensité des bruits du voisinage.

  • en second lieu, que c'est de manière infondée, que les premiers juges ont retenu que les mesures effectuées par l'expert judiciaire leur permettaient d'affirmer que le niveau sonore généré par l'établissement l'X-C. entraînait un trouble anormal du voisinage pour le restaurant Le Bistroquet, celui-ci devant être apprécié en fonction des circonstances de temps et de lieu.

Qu'en effet, en l'espèce, ces deux commerces sont situés dans un quartier proche du Casino où sont exploités de nombreux établissements de nuit, tels que discothèques, pianos-bars, restaurants, lesquels sont nécessairement bruyants par l'effet de la musique d'ambiance qui y est diffusée ; qu'en outre, l'X-C. et Le Bistroquet sont situés dans des locaux dont les structures n'ont pas été prévues pour assurer un isolement acoustique suffisant, ainsi que l'a relevé l'expert.

  • en troisième lieu, qu'en faisant l'acquisition du restaurant Le Bistroquet, la gérante de la société du même nom connaissait l'existence de la discothèque l'X-C. située en-dessous de son commerce et ne pouvait ignorer les nuisances susceptibles d'être engendrées par cet établissement.

Que, par ailleurs, la société Le Bistroquet a, pour une grande part, contribué aux dommages dont elle se plaint par les travaux de transformation qu'elle a entrepris dans ses locaux.

  • en quatrième lieu, que l'estimation de son préjudice, que la société Le Bistroquet a fixé à la somme de 2 365 200 francs en prenant pour base la perte de son chiffre d'affaires, s'avère manifestement erronée.

Qu'en effet, seule la parte de bénéfices doit être prise en compte, soit 5 % du chiffre d'affaires, étant, par ailleurs, précisé que les nuisances sonores ne sont perceptibles que les vendredi et samedi soirs, et seulement à partir d'une heure du matin ;

2) Quant à sa demande reconventionnelle :

Que c'est à tort, que les premiers juges ont cru devoir déclarer irrecevable une telle demande, dès lors que celle-ci tendait à obtenir la compensation judiciaire entre la demande en réparation formée par la société Le Bistroquet et les sommes qui lui étaient dues par ladite société, au titre du préjudice matériel que lui avaient causé les travaux de transformation entrepris dans le restaurant « Le Bistroquet ».

Qu'en effet, l'article 382 du Code de procédure civile admet la recevabilité des demandes reconventionnelles lorsqu'elles tendent à obtenir le bénéfice de la compensation.

En définitive, A. C. demande à la Cour :

Au principal, d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu d'homologuer le rapport de l'expert et de débouter la société « Le Bistroquet » de l'ensemble de ses demandes.

À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour retiendrait une part de responsabilité à son encontre, d'ordonner la compensation entre l'indemnité susceptible d'être mise à sa charge au profit de la société « Le Bistroquet » et les sommes qui lui sont dues par celle-ci en réparation de son préjudice matériel dont le montant s'élève à 710 617,17 francs.

La société « Le Bistroquet » a conclu à la confirmation du jugement déféré, en toutes ses dispositions, déclarant faire siens les motifs qui y sont énoncés, tout en sollicitant la condamnation d'A. C. à lui payer la somme de 50 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour appel abusif et dilatoire.

Faisant état de ce que la société civile immobilière dénommée « Limdo » avait donné à bail à usage commercial, les locaux dans lesquels la société « Le Bistroquet » exploite son activité de restaurant et de ce que les travaux de transformation entrepris dans lesdits locaux par sa locataire avaient endommagé leur isolation, en sorte que l'évolution du litige serait susceptible d'impliquer la mise en cause de cette bailleresse, A. C. a, suivant exploit en date du 7 octobre 1997, fait appeler la société Limdo en intervention forcée et en déclaration d'arrêt commun, tout en sollicitant la jonction avec celle objet de son appel.

La société Limdo a conclu à l'irrecevabilité de la demande d'intervention forcée formée à son encontre par A. C., en faisant observer, pour l'essentiel, que faute d'avoir été diligentée en première instance, celle-ci ne pouvait être faite pour la première fois, en cause d'appel, sous peine de méconnaître le principe du double degré de juridiction.

Elle a, par ailleurs, sollicité la condamnation d'A. C. à lui payer la somme de 150 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive.

La société « Le Bistroquet » a conclu à l'irrecevabilité de la demande en intervention dirigée contre la société Limdo, seule l'intervention volontaire étant admise en appel, par application de l'article 130 du Code de procédure civile.

Sur ce,

Considérant, en la forme, que les procédures d'appel et en intervention forcée diligentées à la requête d'A. C. étant unies par lien de connexité, il y a lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de les joindre pour être statué sur leur ensemble par un seul et même arrêt ;

Quant à la demande principale :

Considérant que bien que la société « Le Bistroquet » n'ait pas cru devoir préciser le fondement juridique de ses demandes, il apparaît, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que celles-ci sont implicitement mais nécessairement fondées sur la théorie des troubles du voisinage qui rend leur auteur responsable de plein droit des dommages causés à ses voisins, lorsqu'ils excèdent la mesure coutumière de ce que ceux-ci doivent supporter ;

Considérant que s'agissant de faits matériels, la preuve peut s'en faire par tous moyens, telles les constatations résultant du rapport de l'expert Herteman ;

Qu'à cet égard, A. C., ne saurait, utilement se prévaloir, en cause d'appel, des irrégularités dont serait entaché, selon lui, le rapport d'expertise, fussent-elles de nature à en entraîner la nullité, dès lors qu'il résulte de ses écritures de première instance, qu'il en a discuté le contenu en faisant valoir des défenses au fond devant les premiers juges sans en avoir soulevé la nullité, in limine litis, comme le lui imposaient les dispositions de l'article 264 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'en tout état de cause, il ne saurait être reproché à l'expert judiciaire, le non-respect des prescriptions de la loi n° 834 du 8 décembre 1967 ainsi que l'ordonnance n° 10885 du 12 mai 1993 en fixant les conditions d'application, cette législation ayant été édictée en vue de l'intérêt général, dans le but de réprimer les bruits troublant la tranquillité publique en créant une nouvelle infraction pénale ;

Considérant, quant au fond, sur la responsabilité, qu'il résulte du rapport d'expertise diligenté par l'ingénieur Herteman, au contradictoire des parties, que le bruit et les trépidations engendrées par l'exploitation de la discothèque « l'X-C. » occasionnent pour le restaurant « Le Bistroquet » une gêne dépassant par son intensité les inconvénients normaux du voisinage ;

Qu'à cet égard, l'expert a notamment relevé qu'en fin de semaine, dans la nuit du samedi au dimanche, le bruit qui provient du sol débute à minuit pour se prolonger en s'amplifiant jusqu'à 2 heures 30, le niveau d'ambiance passant de 64 à 72 décibels, alors que le niveau admis ne doit pas dépasser 55 décibels ;

Qu'il a, par ailleurs, observé que les écarts constatés représentant l'émergence du bruit atteignent des valeurs voisines au minimum de 10 décibels pour atteindre souvent 25 à 30 décibels et au-delà ;

Considérant que ces nuisances sonores dépassent, en tout état de cause, les sujétions particulières d'un voisinage commercial devant être acceptées, étant observé, qu'A. C. ne saurait se prévaloir de l'antériorité de son installation pour prétendre se soustraire à toute responsabilité ;

Considérant qu'il suit de là, qu'A. C. a enfreint l'obligation à laquelle il était tenu de ne pas causer à son voisin des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage, dès lors que ces troubles avaient pour origine, ainsi que l'a relevé l'expert dans son rapport, à la fois l'insuffisance de l'insonorisation des locaux lors de leur construction et des mesures prises pour éviter la propagation des bruits, en sorte qu'il doit être déclaré seul responsable de leurs conséquences dommageables à l'égard de la société « Le Bistroquet ».

Considérant, sur la réparation du préjudice, qu'il convient d'entériner les mesures proposées par l'expert dans son rapport, pour mettre fin aux troubles subis par la société « Le Bistroquet », lesquels consisteront à renforcer l'isolation phonique des structures ainsi qu'à limiter l'émission sonore ;

Que dès lors, c'est à bon droit, que les premiers juges ont condamné A. C. à procéder, sous astreinte, aux travaux préconisés par l'expert, en sorte que le jugement entrepris devra être confirmé de ce chef ;

Considérant qu'en revanche la somme de 400 000 francs allouée à la société « Le Bistroquet », au titre de l'indemnisation de son préjudice n'est justifiée par aucun document comptable probant ;

Qu'en effet, celle-ci s'est bornée à faire état, dans une lettre adressée à l'expert, de ce qu'elle avait subi une perte de chiffres d'affaires de 788 400 francs par an et qu'au regard des nuisances qu'elle avait subies pendant trois ans, son préjudice s'établissait à la somme de 2 365 200 francs ;

Considérant, à cet égard, ainsi que l'a fait observer l'expert, que le préjudice ne doit pas prendre comme base le chiffre d'affaires mais seulement la perte de bénéfices, laquelle n'est nullement précisée ;

Considérant qu'il s'ensuit, qu'en l'état de la carence de la société « Le Bistroquet » à administrer la preuve de la perte de bénéfices qu'elle a subie, du fait des troubles de jouissance engendrés par l'exploitation de la discothèque « l'X-C. », il convient de la débouter, en l'état, de sa demande en paiement, le jugement déféré devant être réformé, de ce chef ;

Quant à la demande reconventionnelle :

Considérant, en la forme, qu'il est de règle, en application de l'article 382 du Code de procédure civile, de n'admettre, incidemment à une instance, les demandes reconventionnelles que si celles-ci procèdent de la même cause que la demande principale, ou bien forment une défense contre cette demande, ou bien encore tendent à obtenir le bénéfice de la compensation judiciaire ;

Considérant, qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, par des motifs pertinents que la Cour adopte, que la demande reconventionnelle formée devant eux par A. C., ne répondait à aucune des conditions requises par ce texte, en sorte qu'ils l'ont, à bon droit, déclarée irrecevable ;

Considérant cependant, qu'en cause d'appel, celui-ci, aux termes de ses écritures, sollicite que soit prononcée la compensation judiciaire entre les sommes qu'il réclame à la société « Le Bistroquet » en réparation des dommages causés à son établissement par les travaux de transformation effectués par ladite société et celles auxquelles il serait susceptible d'être condamné au profit de cette même société ;

Considérant qu'une telle demande formée ainsi, pour la première fois, en appel, doit être déclarée recevable, en la forme, en application de l'article 431 alinéa 2 du Code de procédure civile ;

Considérant que, cependant, sur le fond, une telle demande ne peut qu'être rejetée ;

Qu'en effet, aux termes de l'article 1137 du Code civil, la compensation n'a lieu qu'entre deux personnes se trouvant débitrices l'une envers l'autre ;

Considérant qu'à cet égard, la société « Le Bistroquet » ne pouvant se prévaloir d'aucune créance indemnitaire à l'encontre d'A. C., par suite du rejet de sa demande en paiement de dommages-intérêts, dans le cadre de la présente instance d'appel, ce dernier ne se trouvant pas débiteur envers ladite société, ne saurait obtenir une compensation judiciaire quelconque dont la possibilité était par là même exclue ;

Quant à la demande en intervention forcée aux fins de déclaration d'arrêt commun :

Considérant tout d'abord, qu'aux termes de l'article 432 du Code de procédure civile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 1135 du 16 juillet 1990, seule l'intervention volontaire est admise en cause d'appel ;

Qu'il convient de rappeler, à cet égard, que lors de la discussion de ce texte devant le Conseil National, au cours de sa séance du 19 juin 1990, le rapporteur de la Commission de Législation a, tout d'abord, fait observer, que « la Commission de mise à jour des codes a confirmé son attachement aux deux principes du double degré de juridiction et de l'interdiction des demandes nouvelles » ;

Qu'il a, par ailleurs, retenu « en ce qui concerne l'intervention forcée, qui attrait un tiers aux débats le Nouveau Code de procédure civile français emploie une formule aussi large que possible pour en définir les conditions ; il suffit que l'évolution du litige implique la mise en cause » ;

Qu'il a, enfin, conclu : « la Commission de mise à jour des codes et celle de législation ont estimé préférable de s'en tenir aux normes actuelles » ;

Considérant que l'assignation en déclaration d'arrêt commun diligentée par A. C. à l'encontre de la société Limdo constitue une demande en intervention forcée dirigée contre un tiers formée pour la première fois, en cause d'appel ;

Considérant que par l'effet d'une telle demande, la société Limdo ne peut pas être contrainte d'accepter le débat dans des conditions qui ne lui permettaient pas de défendre ses droits ;

Qu'à cet égard, il doit être constaté que la société Limdo est restée étrangère à la procédure de première instance et notamment à l'expertise à laquelle elle n'a pu apporter ses observations ;

Qu'il s'ensuit que la règle du double degré de juridiction et le principe du contradictoire constituant pour tout plaideur une garantie de ses intérêts qui relève de l'ordre public procédural, doivent être reconnus à la société Limdo, dès l'instant qu'elle a refusé de participer au fond du débat ;

Considérant qu'il convient, en conséquence, de déclarer irrecevable la demande en intervention forcée d'A. C., contre la société Limdo ;

Quant aux demandes en paiement de dommages-intérêts pour appel et demande en intervention forcée abusifs :

Considérant, en premier lieu, qu'A. C. ne peut être considéré comme ayant usé de la voie d'appel de manière dilatoire et fautive, dès lors qu'il a obtenu de la juridiction d'appel la réformation partielle de la décision rendue à son encontre par les premiers juges en sorte que la société « Le Bistroquet » doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts, de ce chef ;

Considérant, en second lieu, qu'A. C., ayant pu se méprendre sur l'étendue et la portée de ses droits en faisant appeler la société Limdo en déclaration d'arrêt commun, cette procédure ne revêt pas, au regard des circonstances de la cause, un caractère fautif, en sorte que la société Limdo doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts, de ce chef ;

Considérant qu'enfin, A. C., ayant succombé dans l'essentiel de ses prétentions, il y a lieu de la condamner aux entiers dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • joint les instances d'appel et en intervention forcée respectivement enrôlées sous les numéros 97/123 et 98/34.

  • confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 20 février 1997, en toutes ses dispositions, à l'exclusion de celle condamnant A. C. à payer à la société « Le Bistroquet » la somme de quatre cent mille francs, à titre de dommages-intérêts ;

Et statuant à nouveau, de ce chef,

  • déboute, en l'état, la société « Le Bistroquet » de sa demande en paiement de dommages-intérêts contre A. C.

  • déclare recevable, en la forme, la demande aux fins de compensation judiciaire formée en appel par A. C. et l'en déboute au fond.

  • déclare irrecevable la demande en intervention forcée aux fins de déclaration d'arrêt commun formée par A. C. à l'encontre de la société Limdo.

  • déboute la société « Le Bistroquet » et la société Limdo de leur demande respective en paiement de dommages-intérêts dirigée contre A. C.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet. prem. subst. proc. gén. ; Mes Lorenzi, Pastor, Escaut, av. déf. ; Cohen, av. bar. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme en partie le jugement du 20 février 1997. En ce qui concerne l'abstract (3) : La Cour a rappelé dans ses motifs les travaux préparatoires à la loi n° 1135 du 16 juillet 1990 en ces termes : « Qu'il convient de rappeler, à cet égard, que lors de la discussion de ce texte devant le Conseil National, au cours de sa séance du 19 juin 1990, le rapporteur de la commission de législation a, tout d'abord, fait observer, que » la Commission de mise à jour des Codes a confirmé son attachement aux deux principes du double degré de juridiction et de l'interdiction des demandes nouvelles « ; qu'il a, par ailleurs, retenu en ce qui concerne l'intervention forcée, qui attrait un tiers aux débats, le nouveau Code de procédure civile français emploie une formule aussi large que possible pour en définir les conditions ; il suffit que l'évolution du litige implique la mise en cause » ; qu'il a enfin conclu : « la Commission de mise à jour des Codes et celle de législation ont estimé préférable de s'en tenir aux normes actuelles ».

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