Cour d'appel, 17 février 1998, Société Silvatrim c/ A.

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Abstract🔗

Contrat de travail

Déclassement d'un salarié, à la suite d'une sanction disciplinaire - Demande de réintégration devant la juridiction des référés - Incompétence du juge des référés - Compétence du Tribunal de travail

Référés

Demande de réintégration d'un salarié, sanctionné - Incompétence du juge des référés

Résumé🔗

La réintégration demandée au juge des référés par un salarié, qui avait été sanctionné disciplinairement par une mesure de déclassement, apparaît de nature à préjuger de la solution à donner par la juridiction du fond, en rendant inopérant l'exercice même du pouvoir disciplinaire de l'employeur, dont le contrôle échappe à la connaissance du juge des référés, lorsque, comme en l'espèce, la justification de la sanction est en cause.

Il s'ensuit qu'en ordonnant, dans ces circonstances, la réintégration de ce salarié dans le poste dont il venait d'être exclu, à titre de sanction, le premier juge a excédé ses pouvoirs, en matière de référé, en l'absence de justification d'un trouble manifestement illicite.

Au surplus, un tel litige, ayant trait au pouvoir disciplinaire de l'employeur que lui conférait sa fonction de direction, ressortissait à la compétence d'attribution exclusive du Tribunal du travail, conformément aux dispositions de l'article 54, alinéa 19, de la loi n° 446 du 16 mai 1946, cette juridiction étant seule appelée à connaître, ainsi qu'en dispose l'article 1er de ce texte, de tous les différends qui peuvent s'élever à l'occasion du contrat de travail entre les employeurs et les salariés.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel interjeté par la société anonyme monégasque dénommée Silvatrim d'une ordonnance de référé en date du 6 mai 1997.

Les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

N. A., salarié de la société Silvatrim et délégué du personnel auprès de ladite société, s'est vu notifier, suivant lettre en date du 7 octobre 1996, par son employeur, à titre de sanction disciplinaire, sa rétrogradation du poste de conducteur de machine (extrudeur), de niveau III, échelon B (Coefficient 220) qu'il occupait, à celui d'agent de production de 4e degré (Coefficient 155).

N. A. ayant refusé ce changement d'affectation, estimant injustifiée la mesure disciplinaire dont il faisait l'objet, la société Silvatrim l'avisait, par courrier du 24 octobre 1996, qu'en l'état de son refus de se soumettre à cette sanction qu'elle considérait comme une faute grave, elle soumettait sa demande de licenciement à l'autorisation de la commission prévue par l'article 16 de la loi n° 456 du 19 juillet 1947.

Cette commission ayant refusé d'autoriser le licenciement de N. A., la société Silvatrim invitait ce dernier à reprendre son travail, suite à sa mise à pied, au nouveau poste qui lui avait été affecté, à titre de sanction disciplinaire.

Faisant état de ce qu'aucune modification de son contrat de travail ne pouvait être imposée à un salarié protégé, en cas de refus de sa part, N. A. a, suivant exploit du 7 février 1997 saisi le juge des référés aux fins d'obtenir sa réintégration à son poste de travail initial ainsi que le maintien de ses conditions de travail antérieures, notamment quant à son salaire, au motif que l'attitude de son employeur constituait une voie de fait entraînant pour lui un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.

Par l'ordonnance entreprise, le magistrat des référés a ordonné, à effet du 8 octobre 1996, la réintégration de N. A. dans son poste d'extrudeur (Coefficient 220, Niveau III, Échelon B).

Pour statuer ainsi, le premier juge a, pour l'essentiel, relevé :

En premier lieu, que la rétrogradation litigieuse constituait une modification du contrat de travail par l'employeur sans l'acceptation du salarié, laquelle devait être nécessairement assimilée à un licenciement ;

En second lieu, qu'un tel licenciement ayant été refusé par la commission compétente, il s'ensuivait que la modification du contrat par le seul employeur devait être considérée comme non avenue, en sorte qu'en imposant à N. A. les effets de cette mutation antérieurement décidée, la société Silvatrim avait commis une voie de fait, qu'il y avait urgence à faire cesser, ce, à titre conservatoire, sans préjudice de la décision pouvant être ultérieurement adoptée par la juridiction compétente du fond, quant à la légitimité de la sanction intervenue.

La société Silvatrim, réitérant les moyens qu'elle avait soulevés devant le premier juge, a fait, pour l'essentiel, valoir au soutien de son appel ;

En premier lieu, que le magistrat des référés ne pouvait connaître du litige opposant les parties, celui-ci ayant trait à l'appréciation de la sanction de déclassement dont avait fait l'objet un salarié, laquelle ressortait de la compétence exclusive du Tribunal du travail, juge du fond, appelé à connaître de tous les litiges liés au contrat de travail ;

En second lieu, que la société Silvatrim n'a fait qu'user du droit, que lui reconnaît la législation du travail, d'exercer son pouvoir disciplinaire en sanctionnant A. à la suite des fautes qu'il avait commises dans l'exécution de son contrat, en sorte que ce dernier ne pouvait exercer un recours contre la mesure disciplinaire de son employeur que devant la juridiction du travail ;

En troisième lieu, qu'en usant de son droit de sanctionner son employé, la société Silvatrim n'a commis aucune voie de fait à l'encontre de celui-ci, qui aurait été susceptible de justifier la compétence du juge des référés, lequel n'avait en aucun cas, le pouvoir de considérer comme nulle, la sanction prise par cette société, cette appréciation relevant du juge du fond.

En définitive, la société Silvatrim demande à la Cour d'infirmer l'ordonnance entreprise, et statuant à nouveau, de déclarer que le juge des référés était incompétent pour connaître de la demande de réintégration qui lui était soumise.

N. A. a conclu à la confirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a ordonné sa réintégration, en faisant observer, pour l'essentiel ;

En premier lieu, que c'est, à juste titre, que le juge des référés a ordonné sa réintégration à son poste initial, dès lors que la société Silvatrim ne pouvait lui imposer unilatéralement la modification de son contrat de travail, au prétexte d'une sanction disciplinaire, qui équivalait à son licenciement, lequel a été refusé par la commission apte à l'autoriser ;

En second lieu, que ladite société en lui ayant imposé une modification substantielle de ses conditions de travail, malgré son statut de salarié protégé, avait incontestablement commis à son égard, une voie de fait et qu'il appartenait au juge des référés de faire cesser le trouble manifestement illicite que cette modification avait engendré.

Il a, en revanche, conclu à la réformation, par voie d'appel incident, de cette même ordonnance, en ce qu'elle n'avait pas fait droit à sa demande tendant au prononcé d'une astreinte, en exposant que cette mesure serait seule de nature à contraindre son employeur à procéder à sa réintégration effective, en sorte qu'il sollicite que la décision de confirmation de la Cour soit assortie d'une astreinte de 1 000 francs par jour de retard, notamment quant au règlement des salaires qui lui sont dus.

Sur ce,

Considérant qu'il résulte des pièces produites, que N. A. a fait l'objet, à l'initiative de la société Silvatrim, d'une procédure disciplinaire ayant abouti à son déclassement à compter du 8 octobre 1996, celui-ci ayant été rétrogradé du poste de conducteur de machine (extrudeur) de niveau III, échelon B (Coefficient 220) à celui d'agent de production de 4e degré (Coefficient 155) ;

Qu'il est, par ailleurs, établi par ces mêmes pièces, que ladite société qui se proposait de licencier ce salarié, délégué du personnel, au regard de la faute grave résultant, selon elle, de son refus persistant de rejoindre le nouveau poste auquel elle l'avait disciplinairement affecté, n'a pas obtenu d'assentiment de la Commission pour effectuer ce licenciement, en sorte qu'elle y ait ultérieurement renoncé, le contrat de travail de N. A. se poursuivant au sein de la société Silvatrim ;

Considérant que si, aux termes de l'article 414 du Code de procédure civile, le président du Tribunal de première instance peut, en cas d'urgence et en toute matière, ordonner toutes mesures, c'est à la condition que celles-ci ne préjudicient pas au principal ;

Considérant, à cet égard, qu'il convient de relever que le litige opposant les parties nécessitait que soit apprécié si les faits reprochés à ce salarié, fut il protégé, étaient ou non de nature à justifier la sanction prise à son encontre par son employeur dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire ;

Considérant que de la sorte, la mesure de réintégration sollicitée par N. A. ne pouvait être ordonnée par le juge des référés, sans qu'il préjuge de la solution à donner par la juridiction du fond ;

Qu'en l'état des faits allégués à son encontre, la réintégration de ce salarié dans le poste dont il venait d'être exclu, pour des faits considérés par son employeur comme fautifs, aurait pour effet de rendre inopérant l'exercice même du pouvoir disciplinaire de l'employeur dont le contrôle échappe à la connaissance du juge des référés lorsque, comme en l'espèce, la justification de la sanction est en cause ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en ordonnant, dans ces circonstances, la réintégration de N. A. dans le poste dont il venait d'être exclu, à titre de sanction, le premier juge a excédé ses pouvoirs en matière de référé, en l'absence de justification d'un trouble manifestement illicite ;

Considérant, au surplus, qu'un tel litige ayant trait au pouvoir disciplinaire de l'employeur que lui conférait sa fonction de direction, ressortait de la compétence d'attribution exclusive du tribunal du travail, conformément aux dispositions de l'article 54 alinéa 19 de la loi n° 446 du 16 mai 1946, cette juridiction étant seule appelée à connaître, ainsi qu'en dispose l'article 1er de ce texte, de tous les différends qui peuvent s'élever à l'occasion du contrat de travail entre les employeurs et les salariés ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance de référé entreprise, et statuant à nouveau, de dire qu'il n'y avait pas lieu à référé, en la matière ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • Infirme l'ordonnance de référé en date du 6 mai 1997 ;

  • Et statuant à nouveau ;

  • Dit n'y avoir lieu à référé ;

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. : Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pasquier-Ciulla, Pastor, av. déf. ; Rieu, av. bar. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt infirme une ordonnance de référé rendue le 6 mai 1997.

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