Cour d'appel, 16 décembre 1997, Société RJ Richelmi c/ Cie d'assurances Zurich, C. M. veuve B. R.

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Abstract🔗

Accident du travail

Travail temporaire : victime - Utilisateur occasionnel : tiers responsable en tant que commettant de l'auteur fautif de l'accident - Recours de l'assureur-loi de l'employeur temporaire contre l'utilisateur occasionnel, tiers responsable

Résumé🔗

Dès lors que la chute mortelle, sur un chantier, survenue à un ouvrier, travailleur temporaire, résulte d'un manquement aux règles de sécurité, imputable au préposé d'une entreprise, qui utilisait occasionnellement les services de la victime, il s'en suit que celle-ci, responsable en tant que commettant sur le fondement des dispositions de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil, doit être considérée, non point comme l'employeur de la victime mais comme un tiers, au sens de l'article 13, alinéa 1er, de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, ce qui autorise l'assureur-loi de l'employeur, l'entreprise de travail temporaire, à réclamer à l'utilisateur occasionnel, tiers entièrement responsable de l'accident, l'intégralité des prestations et indemnités servies aux héritiers de la victime.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par la société anonyme monégasque dénommée Richelmi d'un jugement (R. 2595) rendu le 25 janvier 1996 par le Tribunal de première instance.

Les faits, la procédure les prétentions et moyens des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision entreprise et aux écritures échangées en appel.

M. B. R. a été victime le 2 mars 1996 d'un accident du travail, des suites duquel il est décédé le lendemain 3 mars 1996, alors qu'employé en qualité de « boiseur compagnon professionnel » par la société anonyme monégasque d'intervention, en abrégé M.I., il avait été mis par cette dernière société à la disposition de la société Richelmi pour travailler sur un chantier situé en France, à Beausoleil où il fait une chute d'un échafaudage sur lequel il s'était hissé pour transporter un madrier.

Poursuivi devant le Tribunal correctionnel de Nice pour délit d'homicide involontaire et emploi d'un salarié sur un échafaudage non conforme, ce dernier étant dépourvu de toute protection, F. K., délégataire de responsabilité de la société Richelmi, a été déclaré coupable de ces délits et condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 francs d'amende par jugement du 28 janvier 1994, devenu définitif.

Suivant exploit du 15 septembre 1994, (instance n° 292 du rôle de 1994), C.-M. veuve B. R. M. C. agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'administratrice légale de ses enfants mineures A., P. et S., a fait assigner la compagnie Zurich Assurances, assureur-loi de la société M.I., employeur de son défunt mari, pour faire déclarer celle-ci tenue des conséquences de la faute inexcusable commise par ladite société et obtenir une majoration de la rente viagère qui lui avait été allouée, par application de l'article 30 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958.

Par jugement (R 2601) du 25 janvier 1996, devenu définitif, le Tribunal de première instance a :

  • déclaré que l'accident du travail dont a été victime M. B. R. ne résultait pas d'une faute inexcusable de la société M.I.

  • déclaré satisfactoire l'offre de la compagnie Zurich, assureur-loi de ladite société, de régler à C.-M., veuve B. R., une rente annuelle de 34 808,28 francs correspondant à 30% du salaire de son défunt époux, à compter du 3 mars 1993 et condamné, en tant que de besoin, cette compagnie au paiement de ladite rente.

  • débouté C.-M. veuve B. R. de sa demande dirigée contre la compagnie Zurich, sur le fondement de l'article 30 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958.

À la suite de l'assignation dirigée à son encontre par C.-M. veuve B. R., la compagnie Zurich Assurances a, pour sa part, suivant exploit du 11 novembre 1994 (instance n° 292 du rôle de 1994), fait appeler, au contradictoire de la demanderesse initiale, la société Richelmi en intervention forcée aux fins de s'entendre déclarer responsable de la faute inexcusable dont s'est rendu coupable son préposé F. K. et seule tenue de verser la majoration de rente réclamée par C.-M. veuve B. R..

Aux termes du même exploit, elle sollicite, pour le cas où elle serait tenue au règlement de cette majoration de rente, que la société Richelmi soit condamnée à la relever et garantir du montant de la condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre, de ce chef.

La société Richelmi a conclu au rejet des demandes dirigées à son encontre, en faisant observer, en réplique, que la société M.I. demeurait tenue en sa qualité d'employeur de la victime des conséquences de la faute inexcusable qui aurait été éventuellement commise, en relevant par ailleurs, qu'en l'espèce, aucune faute inexcusable ne saurait lui être reprochée, les circonstances de l'accident excluant une telle faute en raison de la propre faute de la victime.

Par jugement (R. 2595) du 25 janvier 1996, dont est appel, le Tribunal de première instance a :

  • déclaré la société anonyme monégasque dénommée Richelmi, en sa qualité de civilement responsable de F. K., responsable de l'accident du travail dont a été victime M. B. R. le 2 mars 1993.

  • condamné ladite société à rembourser à la compagnie Zurich Assurances les prestations et indemnités dont celle-ci a fait l'avance à l'occasion de cet accident outre celles qu'elle sera amenée à verser aux ayants droit de la victime.

Au soutien de son appel, la société Richelmi fait valoir, pour l'essentiel :

Que c'est à tort que les premiers juges ont considéré qu'elle devait être qualifiée de tiers responsable de l'accident du travail survenu à M. B. R.

Qu'en effet, une telle qualification méconnaît l'existence du contrat la liant à la société M.I. dont l'objet était une prestation de services incluant non seulement le coût de la main-d'œuvre mise à sa disposition mais également la prise en charge de la couverture du risque accident du travail.

Qu'en l'espèce, admettre que l'assureur-loi puisse être remboursé par la société Richelmi du montant des prestations et indemnités versées aux ayants droit de la victime serait méconnaître le principe de l'assurance puisque dans le secteur particulier des prestataires de services, cela reviendrait à dire que l'assureur-loi n'aurait à fournir aucune garantie puisque dans tous les cas, il pourrait se retourner contre l'entreprise délégataire.

En définitive, la société Richelmi demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de dire qu'elle ne peut être considérée comme tiers responsable et que l'ensemble des conséquences dommageables de l'accident du travail survenu le 2 mars 1994 doit être définitivement supporté par la compagnie Zurich Assurances dans le cadre du contrat souscrit par la société M.I.

La compagnie Zurich Assurances ayant, dans un premier temps soulevé l'irrecevabilité de l'appel de la société Richelmi, la Cour, par arrêt du 22 avril 1997, a déclaré la société Richelmi recevable en son appel et renvoyé la compagnie Zurich Assurances à conclure sur le fond.

La compagnie Zurich Assurances a sollicité la confirmation du jugement entrepris, en faisant observer, pour l'essentiel :

  • en premier lieu, que c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré la société Richelmi responsable de l'accident du travail dont a été victime M. B. R., en sa qualité de civilement responsable de son préposé F. K.

  • en second lieu, que la faute commise par ce dernier revêtait un caractère inexcusable, dès lors quelle avait pour cause la non-conformité de l'échafaudage aux normes de sécurité et l'absence de vérification de son montage avant son utilisation.

  • en troisième lieu, que cette faute ne pouvait être imputée à la société M.I., employeur de la victime, dès lors que celle-ci l'avait mise à la disposition de l'entreprise Richelmi, laquelle était un tiers par rapport à cette même victime à laquelle elle n'était liée par aucun contrat de travail.

C. M. veuve B. R. a déclaré s'en rapporter à justice.

Sur ce,

Considérant qu'aux termes de l'article 13, alinéa 5, de la loi n° 636 du 11 janvier 1958 sur les accidents du travail, l'employeur ou son assureur dispose d'une action directe, conformément aux règles du droit commun, contre le tiers responsable de l'accident à l'effet de poursuivre le remboursement des prestations servies à la victime, au titre des indemnités mises par la loi à la charge de l'employeur ;

Considérant qu'il convient, dès lors, pour la mise en œuvre de cette action directe, de déterminer si la société Richelmi à l'encontre de laquelle l'action de la compagnie Zurich assurances est exercée, peut être qualifiée de tiers par rapport à la victime M. B. R. ;

Considérant, à cet égard, que l'accident du travail dont s'agit est survenu alors que M. B. R., employé en qualité de maçon par la société de travail temporaire dénommée M.I. avait été mis à la disposition de la société Richelmi à l'effet d'accomplir, pour le compte de cette dernière une mission sur un chantier dont elle avait la direction ;

Considérant que l'activité de travail temporaire est caractérisée par l'établissement d'une relation triangulaire entre l'employeur, c'est-à-dire l'entreprise de travail temporaire, le salarié intérimaire et l'entreprise utilisatrice chez laquelle le salarié temporaire est envoyé en mission ;

Qu'il convient de relever que le travailleur temporaire est lié à l'entreprise de travail temporaire par un contrat de travail tandis qu'un contrat commercial de prestation de services est conclu entre cette dernière et l'entreprise utilisatrice, étant ici précisé, qu'aucun contrat n'existe entre le travailleur temporaire et l'entreprise utilisatrice ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société Richelmi, n'étant pas l'employeur du travailleur temporaire M. B. R., mais son utilisateur occasionnel, doit être considérée comme un tiers, au sens de l'article 13, alinéa 1er, de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, ce qui autorisait la compagnie Zurich Assurances à lui réclamer le remboursement des indemnités servies à la victime pour le compte de son employeur, la société M.I. ;

Considérant qu'il résulte des circonstances de l'accident litigieux, que celui-ci est survenu par suite de la non-conformité de l'échafaudage sur lequel se trouvait M. B. R., ainsi que de l'absence de vérification de son montage avant son utilisation ; que la faute résultant de ce manquement aux règles de sécurité étant imputable au préposé de la société Richelmi, qui avait la direction et le contrôle du chantier - lequel a été condamné par jugement du tribunal correctionnel de Nice du 28 janvier 1994 pour homicide involontaire - il s'ensuit que ladite société doit être déclarée responsable des conséquences dommageables de cet accident du travail, en sa qualité de commettant, sur le fondement des dispositions de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil ;

Considérant qu'il s'ensuit que la compagnie Zurich Assurances, en sa qualité d'assureur-loi de la société M.I., employeur de M. B. R., était fondée à obtenir de la société Richelmi, tiers entièrement responsable de l'accident litigieux, le remboursement de l'intégralité des prestations et indemnités servies à cette victime ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence de confirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions ;

Considérant que cependant le tribunal ne s'étant pas prononcé sur le caractère inexcusable de la faute dont il était saisi, il convient, y ajoutant, de constater qu'une telle appréciation ne relevait pas de sa compétence de juge du droit commun, dans le cadre de la présente instance, dès lors qu'il était saisi en application de l'article 13 de la loi n° 636 du 11 janvier 1958, mais de la compétence exclusive de la juridiction des accidents du travail et des règles particulières de procédure instituées par cette même loi ;

Considérant enfin que la société Richelmi, qui a succombé dans l'ensemble de ses prétentions, doit être condamnée aux entiers dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • déboute la société anonyme monégasque dénommée R.J. Richelmi des fins de son appel.

  • confirme, en toutes ses dispositions, le jugement (R. 2595) du Tribunal de première instance en date du 25 janvier 1996.

Et y ajoutant,

  • constate que le Tribunal n'était pas compétent pour statuer sur le caractère inexcusable de la faute de l'employeur ou des personnes qu'il s'était substituées, dans le cadre de la présente procédure.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. Proc. Gén. ; Mes Sbarrato, Pastor, Karczag-Mencarelli av. déf. ; Tamisier av. bar. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme en partie le jugement rendu le 25 janvier 1996.

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