Cour d'appel, 11 mars 1997, B. veuve C. c/ P.-B.

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Abstract🔗

Donation

Don manuel - Pacte adjoint : condition d'hébergement - Preuve non rapportée (article 1188 du Code civil) (1) - Révocation - Absence des conditions exigées par l'article 820 du Code civil (inexécution des charges - ingratitude) (3)

Preuve

Convention : pacte adjoint - article 1188 du Code civil (non) - Simple engagement unilatéral - Commencement de preuve par écrit (art. 1194 du Code civil) : conditions de vraisemblance non établie (2)

Résumé🔗

Le don manuel, comme toute autre donation, peut être affecté de clauses, appelées pacte adjoint, par lesquelles le donateur en accord avec le donataire règle les conditions de la donation qu'il a consentie.

En l'espèce, eu égard au montant de la donation concernée qui excède la somme de 7 500 francs, la preuve d'un tel pacte adjoint au don manuel, pacte qui est une convention, doit être rapportée par la donatrice qui s'en prévaut, conformément aux règles édictées par les articles 1188 et suivants du Code civil, dès lors que son existence est déniée par les donataires. (1)

Or, d'une part, les lettres manuscrites des donataires, déclarant réserver à la donatrice la jouissance en commun avec eux sa vie durant de leur appartement, lesquelles n'expriment qu'un engagement unilatéral de leur part envers la donatrice, ne sauraient constituer la preuve par écrit du pacte adjoint, tel que l'exige l'article 1188 susvisé ; d'autre part, les lettres dont s'agit, bien qu'elles émanent des donataires, contre lesquels la demande est formée, ne sauraient pas davantage valoir comme commencement de preuve, au sens de l'article 1194 du Code civil, dès lors qu'étant susceptibles d'être interprétées aussi bien dans le sens, que leur attribue la donatrice (condition déterminante du don manuel) que dans le sens que lui opposent les donateurs (témoignage de reconnaissance), leur caractère équivoque est exclusif de la condition de vraisemblance du fait allégué exigée par ce texte. (2)

Par ailleurs la donatrice n'établit nullement les faits qui constitueraient l'ingratitude des donataires à son égard, étant relevé qu'en tout état de cause, le comportement de ceux-ci (qui n'ont pas respecté leur engagement d'hébergement), n'entre dans aucun des cas limitativement énumérés par l'article 820 du Code civil.

Il convient en conséquence, de débouter la demanderesse de sa demande en révocation de donation tant pour inexécution des charges que pour cause d'ingratitude. (3)


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel relevé le 20 octobre 1995 par S. B. veuve C. d'un jugement rendu le 29 juin 1995 par le Tribunal de première instance dans un litige l'opposant aux époux P.-B.

Les faits, la procédure, les prétentions et moyens des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel ;

S. B. veuve C. a remis à ses neveux, les époux P.-B., à titre de dons manuels, diverses sommes d'argent pour un montant total de 510 000 francs au moyen, d'une part, de la remise de deux chèques établis à leur ordre en date des 25 novembre 1980 et 5 janvier 1981 pour un montant respectif de 60 000 francs et 10 000 francs et d'autre part, d'un virement bancaire sur leur compte d'un montant de 440 000 francs.

Aux termes de deux lettres manuscrites en date du 23 décembre 1980, les époux P.-B. ont reconnu à leur donatrice, le droit de jouir de leur appartement sa vie durant, une telle obligation étant, en outre, transmise à leurs héritiers.

Faisant état de ce que les deux lettres susvisées caractérisaient un pacte adjoint au don manuel dont les époux P.-B. avaient bénéficié - qui en avait été la condition déterminante - et de ce que ces derniers qui avaient accepté de l'héberger dans leur appartement en lui en remettant les clés pendant la période d'avril 1980 à mars 1991, lui en avait refusé l'accès depuis lors, en installant un verrou supplémentaire à la porte d'entrée sans lui en donner la clé, S. B. veuve C., agissant sur le fondement de l'article 820 du Code civil, a, suivant exploit du 27 septembre 1993 fait assigner les époux P.-B. d'une part, en révocation du don manuel qu'elle leur avait consenti tant pour inexécution de l'obligation d'hébergement mise à leur charge que pour cause d'ingratitude, d'autre part, en restitution de la somme de 510 000 francs montant de ce don ainsi que des biens mobiliers lui appartenant et garnissant leur appartement tout en sollicitant, par ailleurs leur condamnation au paiement d'une somme de 10 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive.

Par le jugement déféré, le Tribunal de première instance a :

  • débouté S. B. veuve C. de l'ensemble de ses demandes ;

  • condamné celle-ci à payer aux époux P.-B. la somme de 5 000 francs, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

  • donné acte aux époux P.-B. de leur offre d'exécuter les termes de leur engagement unilatéral de réserver à S. B. veuve C. un droit de jouissance, sa vie durant, de leur appartement.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont, pour l'essentiel, relevé :

En premier lieu, que la cause d'ingratitude invoquée par la demanderesse ne pouvait être retenue, en l'espèce, dès lors qu'aucun des cas caractérisant l'ingratitude visés par l'article 320 du Code civil ne pouvait être imputé aux donataires ;

En second lieu, que les époux P.-B. ayant contesté que la donation qui leur avait été consentie aurait été effectuée sous condition, S. C. ne rapportait pas la preuve de l'existence de la condition dont elle aurait assorti sa donation, les deux lettres manuscrites du 23 décembre 1980 par lesquelles les donataires reconnaissaient à celle-ci le droit d'être hébergée dans leur appartement, sa vie durant, ne constituant qu'un engagement unilatéral et indépendant du don manuel dont ils avaient bénéficié ;

En troisième lieu, que S. C. avait obtenu la restitution des biens mobiliers, garnissant l'appartement des époux P.-B., qu'elle revendiquait ;

Au soutien de son appel, S. C. veuve B. fait, pour l'essentiel, valoir :

En premier lieu, que les lettres manuscrites établies par les époux P.-B. sont constitutives d'un pacte adjoint au don manuel qu'elle leur avait consenti comme étant destinées à créer une charge en contrepartie des sommes d'argent qu'ils avaient reçues de leur tante ;

Qu'en effet, compte tenu du fait que ses lettres avaient été rédigées pendant la période où sont intervenus les dons manuels et de ce que leur contenu révélait, sans aucune équivoque, que les donataires s'engageaient à héberger leur donatrice en contrepartie de la donation qui leur avait été faite par celle-ci, en sorte que ce droit à jouissance de l'appartement qu'ils avaient acquis, en partie à l'aide des sommes d'argent qui leur avaient été données, ne pouvait être que la condition exigée par S. C. veuve B. pour leur octroyer un tel avantage financier ;

Que, par ailleurs, il est habituel, lorsque le don émane d'une personne âgée et seule, que celle-ci qui entend s'assurer de la présence et de soins de ses proches, assortisse sa donation d'une obligation de cohabitation et de soins devant lui être fournie par son donataire.

En second lieu, que les époux P.-B., n'ayant pas respecté leur engagement commun constituant un pacte adjoint aux dons dont ils étaient bénéficiaires, et ayant, par ailleurs, par leur attitude injurieuse manifesté leur ingratitude, elle s'avère fondée à solliciter la révocation de sa donation ;

En définitive, elle demande à la Cour :

  • de constater que les époux P.-B. n'ont pas respecté l'obligation mise à leur charge dans le cadre du don manuel qu'elle leur avait consenti et qu'ils ont, en outre manifesté leur ingratitude à son égard ;

  • de prononcer la révocation de cette donation ;

  • de condamner, en conséquence, les époux P.-B. à lui restituer la somme de 510 000 francs, montant de ladite donation ;

  • de condamner également les époux P.-B. à lui restituer les biens mobiliers lui appartenant et garnissant leur appartement sis à Monaco ;

  • de les condamner, enfin, à lui payer la somme de 25 000 francs, à titre de dommages-intérêts ;

Les époux P.-B. ont conclu au rejet de l'appel formé par S. C. veuve B. et à la confirmation, dans l'ensemble de ses dispositions, du jugement entrepris, à l'exclusion de celle la condamnant à leur payer la somme de 5 000 francs, à titre de dommages-intérêts, que, par voie d'appel incident, ils demandent à la Cour d'élever à la somme de 20 000 francs pour procédure abusive tant en première instance qu'en appel ;

Ils font observer pour l'essentiel ;

Quant à la révocation de la donation,

Que les dons manuels que leur avait consentis S. C. veuve B. n'étaient assortis d'aucune charge ou condition, ceux-ci ayant été matérialisés par deux chèques et un virement bancaire sans être accompagnés d'aucun acte mentionnant l'existence d'une telle charge ou condition ;

Que ce n'est qu'après les deux premiers dons de sommes d'argent, et de façon tout à fait indépendante, qu'ils ont octroyé unilatéralement à leur tante, en témoignage de leur reconnaissance, un droit de jouissance en commun avec eux de l'appartement acquis à Monaco ;

Qu'ainsi, aucune condition n'ayant été posée par leur tante pour sa donation, celle-ci ne pouvait donc être révoquée pour non-exécution des charges, inexistantes en la cause ;

Que, par ailleurs, S. B. ne saurait pas davantage se prévaloir d'une quelconque cause d'ingratitude, à son égard, aucun des cas prévus par l'article 820 du Code civil n'étant caractérisé à leur encontre, en l'état des pièces produites ;

Qu'enfin, ils n'ont jamais entendu se soustraire à leur engagement unilatéral d'héberger leur tante et demandent qu'acte leur soit donné de leur offre d'accueillir, à nouveau, leur tante dans leur logement ;

Quant à la revendication de certains des biens mobiliers garnissant leur appartement et appartenant à leur tante, que celle-ci est absolument infondée, en l'espèce, dès lors que celle-ci en a repris possession ;

Sur ce,

Considérant que S. B. veuve C. n'invoque en cause d'appel, aucun moyen nouveau et ne produit aucune pièce nouvelle, en sorte que la Cour statuera sur le présent litige dans les termes où les parties l'ont soumis aux premiers juges ;

Considérant qu'il est constant que S. B. a versé, à titre de don manuel, la somme de 510 000 francs aux époux P.-B. pour leur permettre de payer une partie du prix d'achat d'un appartement sis à Monaco où ils demeurent ;

Qu'en revanche, les époux P.-B. contestent formellement que cette donation, ainsi que le prétend l'appelante, aurait été effectuée sous la condition de l'héberger, sa vie durant, dans leur appartement ;

Considérant que selon les allégations de S. B., cette charge résulterait d'un pacte adjoint au don manuel qu'elle leur avait consenti, lequel serait constitué par deux lettres manuscrites en date du 23 décembre 1980, aux termes desquelles les époux P.-B. déclaraient respectivement lui réserver la jouissance en commun avec eux, sa vie durant, de leur appartement à Monaco ;

Considérant que le don manuel, comme toute autre donation, peut être affecté de clauses, appelées pacte adjoint, par lesquelles le donateur en accord avec le donataire règle les conditions de la donation qu'il a consentie ;

Considérant, qu'en l'espèce, eu égard au montant de la donation concernée qui excède la somme de 7 500 francs, la preuve d'un tel pacte adjoint au don manuel, pacte qui est une convention, doit être rapportée par la donatrice qui s'en prévaut, conformément aux règles édictées par les articles 1188 et suivants du Code civil, dès lors que son existence est déniée par les donataires ;

Considérant, à cet égard, que d'une part, les lettres manuscrites par les époux P.-B., qui ne constituent qu'un engagement unilatéral de leur part envers S. B., ne sauraient constituer la preuve par écrit du pacte adjoint, telle que l'exige l'article 1188 susvisé ;

Que, d'autre part, les lettres dont s'agit, bien qu'elles émanent des donataires contre lesquels la demande est formée, ne sauraient pas davantage valoir comme commencement de preuve, au sens de l'article 1194 du Code susvisé, dès lors qu'étant susceptibles d'être interprétées aussi bien dans le sens que leur attribue S. B. que dans le sens que lui opposent les époux P.-B., leur caractère équivoque est exclusif de la condition de vraisemblance du fait allégué exigée par ce texte ;

Considérant, par ailleurs, que S. B. n'établit nullement les faits qui constitueraient l'ingratitude des époux P.-B. à son égard, étant relevé qu'en tout état de cause, le comportement de ceux-ci n'entre dans aucun des cas limitativement énumérés par l'article 820 du Code civil ;

Considérant qu'il convient en conséquence, de débouter S. B. de sa demande en révocation de donation tant pour inexécution des charges que pour cause d'ingratitude et de confirmer le jugement entrepris, de ces chefs ;

Considérant, en outre, qu'ainsi que l'ont relevé, à bon droit, les premiers juges, la demande de S. B. tendant à la restitution de biens mobiliers garnissant l'appartement des époux P. ne saurait prospérer ;

Qu'en effet, il est établi par les pièces produites, que S. B. a, aux termes d'un protocole d'accord intervenu le 11 juin 1992, obtenu des époux P.-B. la restitution des meubles lui appartenant dont elle a assuré le déménagement vers sa résidence située à Peymeinade dans le département des Alpes-Maritimes ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence de débouter S. B. de sa demande en restitution et de confirmer, de ce chef, le jugement déféré ;

Considérant, enfin, que S. B. ayant contraint par son appel les époux P.-B. à ester à nouveau en justice pour y défendre leurs droits, leur a causé un préjudice certain dont l'indemnisation doit être fixée à la somme de 10 000 francs, eu égard aux éléments d'appréciation dont la cour dispose ;

Considérant, en revanche, que S. B. ayant succombé dans l'ensemble de ses prétentions, il convient de la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et de la condamner aux entiers dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la principauté de Monaco,

  • Déboute S. B. des fins de son appel.

  • Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du Tribunal de première instance en date du 29 juin 1995.

  • Condamne S. B. à payer aux époux P.-B. la somme de dix mille francs (10 000 frs), à titre de dommages-intérêts.

Composition🔗

MM. Sacotte Prem. Prés. ; Serdet Prem. Subst. Proc. Gén. ; Montecucco Greffier en chef ; Mes Sbarrato, Pastor av. déf. ; Gardetto av. ; Garcia av. bar. de Grasse.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du 22 février 1996.

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