Cour d'appel, 3 mars 1997, D. c/ Ministère Public

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Abstract🔗

Procédure pénale

Compétence du juge répressif limité à sa saisine - Pouvoir de qualifier exactement les faits - Exclusion des faits étrangers à la poursuite - Même fait insusceptible d'entraîner double déclaration de culpabilité

Usure

Éléments constitutifs de l'article 357 du Code pénal - Répression erronée prévue par ce texte (C. pén., art. 26, 5°) - Interprétation du juge favorable au prévenu

Résumé🔗

La juridiction de jugement doit donner aux faits dont elle est saisie leur exacte qualification, elle ne peut néanmoins ni opérer une dénaturation ni retenir des faits autres que ceux contenus dans sa saisine ; en constatant que le prévenu s'était livré à une véritable activité professionnelle de prêteur sans être titulaire d'une autorisation administrative, les premiers juges ont statué sur des faits étrangers à la poursuite ; en déclarant, en outre, que les faits déférés étaient constitutifs à la fois du délit d'usure et d'une activité professionnelle sans autorisation, les premiers juges ont fait une application erronée de la loi ; en effet, en l'absence d'un texte spécifique, un même fait ne peut donner lieu à une double déclaration de culpabilité. Ainsi le prévenu ne devait être jugé que sur les seuls faits d'usure

À cet égard le prévenu ne saurait se prévaloir de sa bonne foi eu égard au caractère démesuré des taux pratiqués (30,144 %, 49,831 %, 37,536 %, 26,491 %). Ce dernier était, en effet, intellectuellement capable d'appréhender l'énorme différence existant entre les taux qu'il consentait et ceux pratiqués par les établissements bancaires.

Il résulte en réalité des éléments du dossier, qu'il a implicitement profité de l'état de nécessité, dans lequel se trouvaient les personnes qui s'adressaient à lui dans la mesure où elles ne pouvaient plus bénéficier d'un quelconque concours bancaire. Ainsi, le délit d'usure est constitué.

La répression de cette infraction est erronée en ce qu'elle vise le chiffre 5 de l'article 26 du Code pénal, alors que les amendes prévues audit article ne s'étalent que du chiffre 1 à 4.

En l'absence d'indications sur la volonté du législateur, il convient d'interpréter les dispositions de l'article 357 du Code pénal dans le sens le plus favorable au prévenu, en retenant l'amende correspondant au chiffre 1.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur les appels interjetés le 8 novembre 1996 par le Ministère public et A. D. contre un jugement du Tribunal correctionnel du 29 octobre 1996 qui a condamné ce dernier à la peine d'amende de 50 000 francs pour usure et exercice d'une activité professionnelle sans autorisation et qui a, quant à l'action civile, ordonné une expertise comptable.

Les faits, la procédure et les prétentions des parties peuvent être ainsi résumés :

À la suite d'une dénonciation de Mme G. contre A. D. pour des faits d'usure aux dépens de son fils P., une enquête était diligentée par les services de police aux termes de laquelle il apparaissait qu'A. D., ambulancier au CHPG, avait mis en place un système de prêts octroyés à des collègues de travail ou à leurs proches, prêts qu'il finançait lui-même par des fonds lui provenant d'un héritage.

Requise par les enquêteurs à titre de sachant, la société GOGENEC fournissait des informations qui révélaient que les prêts suivants avaient été consentis à des taux très élevés :

  • prêt à P. G. de 85 000 francs : mensualités de 3 799 francs, soit un taux d'intérêts de 30,144 % ;

  • prêt à L. N. de 10 000 francs : mensualités de 1 075 francs, soit à un taux d'intérêts de 49,831 % ;

  • prêt à D. J.-M. de 80 000 francs, taux d'intérêts de 27,742 % ;

  • prêt à S. D. de 5 000 francs, mensualités de 590 francs, soit un taux d'intérêts de 37,536 % ;

  • prêt à P. P. de 13 000 francs, mensualités de 1 245 francs, soit un taux d'intérêts de 26,491 %.

Il apparaît à la lecture des documents fournis par le prévenu que ce dernier a omis de prendre en compte l'amortissement du capital généré par le versement des mensualités.

À l'audience du Tribunal correctionnel, seul P. G. s'est constitué partie civile en sollicitant le remboursement des intérêts excessifs.

À l'audience du 3 février 1997, le Ministère public a indiqué que le Tribunal correctionnel ne pouvait, compte tenu des termes de la prévention, condamner M. A. D. au délit d'exercice d'une profession sans autorisation ; qu'en outre la seule qualification envisageable aurait été celle d'exercice illégal de la profession de banquier instituée par la loi française du 24 janvier 1984 étant observé néanmoins que cette infraction ne peut être poursuivie que par les tribunaux français.

Le Ministère public a, en conséquence, requis la condamnation du prévenu sur le seul délit d'usure.

A. D. a fait plaider, quant à lui, qu'il n'avait pas conscience des taux qu'il pratiquait, ne sachant pas d'ailleurs les calculer.

En définitive le prévenu sollicite sa relaxe ou à défaut une diminution de sa peine.

Sur ce,

Sur l'action publique :

Considérant que si la juridiction de jugement doit donner aux faits dont elle est saisie leur exacte qualification, elle ne peut néanmoins ni opérer une dénaturation ni retenir des faits autres que ceux contenus dans sa saisine ;

Qu'en constatant qu'A. D. s'était livré à une véritable activité professionnelle de prêteur sans être titulaire d'une autorisation administrative, les premiers juges ont statué sur des faits étrangers à la poursuite ;

Qu'en déclarant, en outre, que les faits déférés étaient constitutifs à la fois du délit d'usure et d'une activité professionnelle sans autorisation, les premiers juges ont fait une application erronée de la loi ;

Qu'en effet, en l'absence d'un texte spécifique, un même fait ne peut donner lieu à une double déclaration de culpabilité ;

Considérant ainsi qu'A. D. devait être jugé que sur les seuls faits d'usure ;

Considérant à cet égard que le prévenu ne saurait se prévaloir de sa bonne foi eu égard au caractère démesuré des taux pratiqués ;

Que ce dernier était, en effet, intellectuellement capable d'appréhender l'énorme différence existant entre les taux qu'il consentait et ceux pratiqués par les établissements bancaires ;

Qu'il résulte en réalité des éléments du dossier qu'A. D. a implicitement profité de l'état de nécessité dans lequel se trouvaient les personnes qui s'adressaient à lui dans la mesure où elles ne pouvaient plus bénéficier d'un quelconque concours bancaire ;

Considérant ainsi que le délit d'usure est constitué à l'encontre d'A. D. ;

Considérant que la répression de cette infraction est erronée en ce qu'elle vise le chiffre 5 de l'article 26 du Code pénal alors que les amendes prévues audit article ne s'étalent que du chiffre 1 à 4 ;

Qu'en l'absence d'indications sur la volonté du législateur, il convient d'interpréter les dispositions de l'article 357 du Code pénal dans le sens le plus favorable au prévenu en retenant l'amende correspondant au chiffre 1 ;

Que dans ces conditions, il y a lieu, compte tenu des circonstances de la cause, de condamner A. D. à la peine d'amende de 3 000 francs ;

Considérant par conséquent, que le jugement sera réformé sur l'action publique ;

Sur l'action civile :

Considérant qu'en déclarant P. G. recevable en sa constitution de partie civile et en ordonnant une mesure d'expertise comptable, les premiers juges ont correctement apprécié cette demande ;

Qu'en revanche c'est à tort qu'ils ont déclaré la partie civile tenue de verser à l'expert une provision à titre d'avance, étant précisé en effet que cette dernière n'a pas sollicité cette mesure ;

Qu'il a donc lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué en mettant les frais d'expertise à la charge du prévenu ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant en matière correctionnelle,

  • Réforme le jugement du Tribunal correctionnel du 29 octobre 1996 sur l'action publique.

Statuant à nouveau,

  • Déclare A. D. coupable du délit d'usure.

En répression, vu l'article 357 du Code pénal,

  • Le condamne à la peine d'amende de 3 000 francs.

  • Réforme partiellement le jugement sur l'action civile en ce qu'il a déclaré la partie civile tenue de verser à l'expert une provision à titre d'avance.

  • Dit que les frais d'expertise seront supportés par le prévenu.

  • Condamne A. D. aux frais, qui comprendront ceux de l'expertise confiée à M. Melan.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Me Pasquier-Ciulla, av. déf.

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