Cour d'appel, 11 février 1997, B. c/ SAM « Christian »

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Abstract🔗

Vente

Nullité - Erreur sur la substance : tableau vendu attribué erronément

Vice de consentement

Erreur sur la substance : tableau vendu attribué erronément - Annulation de la vente

Résumé🔗

Si la mention « attribué à Cornelis Verelst », figurant au catalogue de la vente, démontre que les parties avaient accepté un aléa sur l'authenticité du tableau il n'en demeure pas moins que cette mention impliquait que cette œuvre avait été exécutée à l'époque de Cornelis Verelst, soit entre 1667 et 1734.

Dans la mesure où il résulte du rapport d'expertise que le tableau a été peint à une époque sensiblement postérieure (après 1780) à celle de Cornelis Verelst, il est ainsi établi que l'acquisition a été faite par l'acquéreur dans la conviction erronée que le tableau avait été exécuté, en tout état de cause, par un peintre hollandais contemporain de Cornelis Verelst.

Il convient dans ces conditions d'annuler la vente conformément aux dispositions des articles 965 et 1152 du Code civil.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel interjeté le 24 novembre 1994 par M. B. contre un jugement du Tribunal de première instance du 6 octobre 1994, signifié le 28 octobre 1994 ;

Les faits, les prétentions et les moyens des parties peuvent être ainsi résumés, référence étant faite pour le surplus au jugement déféré ainsi qu'aux écritures échangées en appel ;

Dans le cadre d'une vente aux enchères organisée le 2 décembre 1989 par la SAM « Christies », M. B. se portait acquéreur, pour le prix de 94 350 francs, d'un tableau, représentant un bouquet de fleurs, « attribué à Cornelis Verelst », selon la mention contenue dans le catalogue diffusé à l'occasion de cette vente ;

Par courrier du 7 mai 1990, M. B. manifestait à la SAM Christies son intention d'annuler la vente et de restituer le tableau en indiquant qu'il ne s'agissait pas d'une œuvre exécutée entre 1667 et 1734 mais après 1800 ; à l'appui de son argumentation, M. B. joignait un rapport d'expertise du professeur M. de Milan ;

La venderesse refusait de reprendre le tableau en faisant valoir qu'elle n'avait pas procédé par voie d'affirmation quant à la désignation du peintre puisqu'elle avait fait porter dans le catalogue la mention « attribué à ... » ; par ailleurs Christies conseillait à M. B. de s'adresser à un expert connu, en l'occurrence le Professeur S. S. ;

Ce dernier concluait que le tableau avait été peint entre 1690 et 1730 mais qu'il ne pouvait être formellement attribué à Cornelis Verelst, et qu'à défaut il était de Hardime (1672-1737) ;

Faute d'avoir obtenu une réponse de Christies sur le fond de sa requête, M. B. l'assignait en sollicitant l'annulation du procès-verbal d'adjudication du 2 décembre 1989 et la restitution par Christies du prix de vente et la condamnation de cette dernière à lui payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Le Tribunal de première instance a débouté M. B. en indiquant que la mention « attribué à Cornelis Verelst » signifiait que l'acquéreur du tableau ne pouvait avoir la conviction que ce peintre en fût l'auteur mais seulement que ce dernier pouvait en être l'auteur ;

Les premiers juges ont par ailleurs estimé que M. B. n'avait pas rapporté la preuve que le tableau incriminé ne pouvait en aucun cas être attribué à Cornelis Verelst et qu'il ne démontrait donc pas l'existence d'une erreur sur une qualité substantielle de l'œuvre acquise ;

À l'appui de son appel, R. B. soutient que ce tableau vendu comme attribué à Cornelis Verelst (1667-1734) ne peut pas être de cet artiste en raison de la différence de siècle existant entre l'époque où le peintre a vécu et exercé son art (fin XVIIe et début du XVIIIe siècle) et celle pendant laquelle le tableau aurait été effectivement peint (début du XIXe siècle), selon l'expert privé M. ;

Il fait grief au tribunal de l'avoir néanmoins débouté de ses demandes au motif qu'il n'établissait pas de façon certaine que ce tableau ne pouvait pas être attribué à V. ;

En conséquence, il sollicite :

  • la réformation du jugement en faisant valoir, d'une part, que le recours à une autre expertise privée, celle du Dr. S. S., consulté sur les indications de la société Christies elle-même, démontre que ce tableau ne peut pas être attribué à Cornelis Verelst même si l'œuvre pouvait être datée du XVIIIe siècle, d'autre part, que la demande d'une expertise judiciaire permettra de déterminer la période à laquelle le tableau a été peint ;

  • l'annulation du contrat de vente conformément à l'exploit introductif d'instance ;

  • à titre subsidiaire, avant dire droit au fond, la désignation d'un expert judiciaire ;

  • la condamnation de la société Christies au paiement de la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;

La société Christies, qui sollicite la confirmation du jugement entrepris, répond tout d'abord sur la demande de désignation d'un expert judiciaire, qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel qui doit être rejetée ; et ensuite, sur la nouvelle expertise privée de R. B. fait état, qu'il s'agit sans doute en l'absence de toute communication de pièce nouvelle, de l'expertise du professeur S., faite sur la recommandation de la société Christies, dont il ressort que ledit tableau a bien été peint dans la période comprise entre 1670 et 1730 ce qui correspond à la période de production de V. (1667 à 1734), même si cet expert met en doute l'attribution de cette œuvre à ce peintre, et que dès lors, c'est à bon droit que la société Christies, qui avait des doutes sur la paternité de cette toile non signée, a pris la précaution de préciser que ledit tableau était « attribué à ... » ;

Par arrêt avant dire droit du 5 décembre 1995, la Cour d'appel commettait M. Turquin en qualité d'expert ;

Dans son rapport en date du 12 avril 1996, ce dernier concluait que le « tableau était d'une époque sensiblement postérieure (après 1780 en tout état de cause) à la date d'exécution que l'on est en droit d'attendre d'un tableau présenté comme attribué à Cornelis Verelst (1667-1734) », en soulignant que les nombreuses restaurations rendaient toute attribution incertaine ;

Par ailleurs, l'expert précisait que, selon les termes de l'avis aux acheteurs imprimé dans le catalogue de la vente du 2 décembre 1989, le tableau n'aurait pas dû être désigné comme « attribué à Cornelis Verelst » mais « comme à la manière de » : « œuvre exécutée dans le style de l'artiste mais d'une date plus récente » ;

Dans ses conclusions du 4 juin 1996, la SAM Christies sollicite le déboutement de M. B. et à titre subsidiaire l'organisation d'une autre expertise en faisant valoir à cet égard que le rapport Turquin contient des affirmations contradictoires ;

Selon l'intimée, l'expert ne peut pas conclure à une date d'exécution du tableau après 1780, alors qu'il constate lui-même que le tableau a été l'objet de nombreuses restaurations qui rendent son attribution incertaine ; à ce propos, la SAM Christies indique qu'il n'est pas exclu que la peinture d'origine ait été maquillée et reprise par des restaurateurs aux alentours des années 1800 ;

À l'appui de son argumentation, l'intimée rappelle que le professeur S. a indiqué qu'il n'était pas contestable que ce tableau ait été peint pendant la période où vivait Cornelis Verelst ;

Enfin, la SAM Christies indique que M. B., en sa qualité de spécialiste en peinture voire de négociant, ne pouvait ignorer le sens et la portée des réserves émises dans le catalogue ;

Dans ses écritures du 28 juin 1996, M. B. souligne que la mention « attribué à » laissait penser que s'il n'existait pas de garantie quant à l'auteur du tableau, il était cependant vraisemblable de lui en attribuer la paternité ;

Or, selon l'appelant, il résulte des expertises privées et du rapport de l'expert judiciaire que le tableau n'est pas avec certitude de l'époque du peintre considéré ;

Enfin, M. B. rappelle que la Cour, dans son arrêt avant dire droit, avait constaté que si la mention « attribué à » figurant au catalogue de vente montrait qu'il existait un doute sur l'authenticité du tableau, il n'en demeurait pas moins que cette clause impliquait au minimum que cette œuvre avait été réalisée à l'époque à laquelle Cornelis Verelst avait vécu ;

En définitive, M. B. sollicite l'adjudication de son acte d'appel ;

Sur ce,

Considérant que si la mention « attribué à » figurant au catalogue de la vente démontre que les parties avaient accepté un aléa sur l'authenticité du tableau, il n'en demeure pas moins que cette mention impliquait que cette œuvre avait été exécutée à l'époque de Cornelis Verelst, soit entre 1667 et 1734 ;

Que dans la mesure où il résulte du rapport d'expertise de M. Turquin que le tableau a été peint à une époque sensiblement postérieure (après 1780) à celle de Cornelis Verelst, il est ainsi établi que l'acquisition a été faite par M. B. dans la conviction erronée que le tableau avait été exécuté, en tout état de cause, par un peintre hollandais contemporain de Cornelis Verelst ;

Qu'il convient dans ces conditions d'infirmer le jugement du 6 octobre 1994 et d'annuler la vente en date du 2 décembre 1989 conformément aux dispositions des articles 965 et 1152 du Code civil, la SAM Christies devant ainsi restituer à M. B. la somme de 94 350 francs avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 1991, étant observé que ladite société a repris possession du tableau sans émettre une quelconque réserve sur son état ;

Considérant que l'appelant doit être débouté de sa demande en dommages-intérêts dans la mesure où il ne justifie pas de l'existence d'un préjudice ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance du 6 octobre 1994.

Statuant à nouveau,

Annule la vente en date du 2 décembre 1989 intervenue entre la SAM Christies et M. B. du lot n° 12 constitué d'un tableau intitulé « Bouquet de fleurs » de format 69 x 54.

Ordonne la restitution par la SAM Christies à M. B. de la somme de 94 350 francs avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 1991.

Déboute M. B. de sa demande en dommages-intérêts.

Composition🔗

MM. Sacotte Prem. Prés. ; Serdet Prem. Subst. Proc. Gén. ; Bardy Gref. en Chef-adj. Mes Karczag-Mencarelli et Brugnetti av. déf. ; Szepetowski av. bar. de Nice

Note🔗

Cet arrêt confirme l'ordonnance de référé en date du 3 janvier 1996.

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