Cour d'appel, 10 décembre 1996, État de Monaco c/ SA LAB, Betume Setame, SAM Pastor, Société Monégasque d'assainissement, UAP

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Abstract🔗

Référés

Extension d'une mesure expertale : déjà ordonnée à d'autres parties : recevabilité - Caractère conservatoire ; préservation des intérêts du demandeur - Déroulement de l'expertise au contradictoire de toutes les parties dont la responsabilité pourrait être encourue - Absence de préjudice au principal de la demande

Résumé🔗

Étant constant que l'ordonnance de référé attaquée a rejeté une demande d'extension de l'expertise, que cette juridiction avait précédemment ordonnée, à deux autres parties susceptibles de voir leur responsabilité engagée, à la suite de nuisances provoquées par l'évacuation de fumées provenant d'une usine d'incinération, il s'avère que la mesure sollicitée présente à l'évidence un caractère conservatoire, qui est une des finalités du référé, la préservation des intérêts du demandeur justifiant en effet que les opérations d'expertise se déroulent au contradictoire des parties dont elle envisage d'engager la responsabilité.

Le juge des référés ne saurait priver un plaideur d'une telle faculté, sauf à se livrer à un examen a priori du fond et à ne pas reconnaître la liberté de choix dont tout justiciable dispose pour exercer la défense de ses intérêts.

Enfin, la demande formulée par le demandeur ne préjudicie en rien au principal, étant observé au surplus qu'il n'apparaît pas qu'une instance au fond ait été engagée.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel interjeté le 9 octobre 1995 par l'État de Monaco contre une ordonnance de référé du 25 septembre 1995 rendue entre ce dernier et la SA LAB, le bureau d'études Betume Setame, la SAM Pastor, la SMA et l'UAP.

Les faits, la procédure, les prétentions et moyens des parties peuvent être ainsi résumés, référence étant faite pour le surplus à l'ordonnance déférée et aux écritures échangées en appel.

Par assignation du 21 juillet 1995, l'État de Monaco a sollicité que les ordonnances de référé des 12 juillet 1990 et 8 juillet 1992 soient déclarées communes à la SA LAB et au bureau d'études Betume Setame.

Par ordonnance de référé du 12 juillet 1990, intervenue à la suite de l'assignation de la SAM Pastor à l'encontre de l'État de Monaco et de la SMA, M. Deswarte avait été nommé en qualité d'expert avec mission de déceler les troubles et nuisances provenant des émanations de l'usine d'incinération de la SMA, d'en préciser l'origine, d'en évaluer les préjudices et d'indiquer les mesures techniques aptes à y mettre fin.

L'ordonnance du 8 juillet 1992 avait étendu la mission de l'expert au contradictoire de toutes les parties. L'assignation en référé du 21 juillet 1995 était motivée par le souci de l'État de Monaco de voir réservés tous recours en garantie éventuels contre la SA LAB et le bureau d'études Betume Sesame, l'État de Monaco ayant conclu avec la première nommée un marché de travaux pour la construction et la mise en service d'un ensemble de traitement d'évacuation et de contrôle des fumées et avec le second un marché d'ingénierie pour la conception dudit ensemble.

Selon l'État de Monaco, ces recours en garantie éventuels ne pourraient être exercés que si préalablement les opérations d'expertise définies dans les ordonnances des 12 juillet 1990 et 8 juillet 1992 pouvaient se dérouler au contradictoire de la SA LAB et du bureau d'études Betume Sesame qui n'avaient pu, selon lui, apporter jusqu'à présent les solutions indispensables au fonctionnement normal des équipements de l'usine d'incinération et avaient donc vraisemblablement manqué à leurs obligations respectives.

Dans sa décision du 25 septembre 1995, le juge des référés n'a pas fait droit à la demande de l'État de Monaco en indiquant que celui-ci s'était abstenu de solliciter une mesure d'investigation sur les manquements éventuels de la SA LAB et du bureau d'études Betume Setame et en précisant que l'État de Monaco ne pouvait, dans le cadre d'un référé, solliciter l'examen des responsabilités qui n'entraient pas dans le cadre des investigations de l'expert.

Dans son acte d'appel, l'État de Monaco fait observer qu'il est inopérant, comme l'a constaté le premier juge, que la mise en fonctionnement du système incriminé ait eu lieu à compter de juillet 1993 et en tout état de cause, postérieurement aux ordonnances de référé des 12 juillet 1990 et 8 juillet 1992.

Selon l'appelant, en effet, il possède un intérêt manifeste à ce que les constatations de l'expert s'effectuent au contradictoire de toutes les parties concernées afin de pouvoir, le cas échéant, les leur opposer dans le cadre d'une instance au fond.

Dans ses conclusions du 9 janvier 1996, la SA LAB sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée.

L'intimée rappelle que la SA LAB ayant contracté avec l'État de Monaco un marché de travaux le 30 décembre 1991, ne saurait être amenée à suivre des opérations d'expertise ordonnées à la suite de la requête de la SAM Pastor de juillet 1989 qui se plaignait de troubles de voisinage causés, selon elle, par des fuites et émanations provenant de l'usine d'incinération exploitée par la SMA.

La SA LAB indique, par ailleurs, que le procès-verbal de réception des travaux par elle réalisés en date du 14 décembre 1993 ne comportait que des réserves pour des nuisances sonores auxquelles il a été remédié et qui sont sans rapport avec les fuites et émanations acides irritantes dont la SAM Pastor s'est plainte depuis l'origine.

L'intimée rappelle que lors de l'assignation du 21 juillet 1995 elle avait soulevé l'incompétence du juge des référés au motif que la mesure sollicitée préjudiciait au principal car ne pouvaient lui être déclarées communes des ordonnances de référé intervenues avant le marché de travaux la liant à l'État de Monaco.

La SA LAB soulève que l'État de Monaco a admis en définitive que le contexte des deux ordonnances de 1990 et 1992 était différent de celui dont il se prévalait.

L'intimée conclut enfin à la condamnation de l'appelant au versement d'une somme de 20 000 francs au titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire.

Dans leurs écritures du 30 avril 1996 et 28 mai 1996, la SAM Pastor et la SMA déclaraient s'en rapporter à justice, tout comme l'UAP qui a fait part de cette intention par l'intermédiaire de son conseil, maître Sbarrato, lors de l'audience du 28 mai 1996.

Le bureau d'études Betume Setame est défaillant, quoique réassigné par acte du 24 janvier 1996.

Sur ce,

Considérant qu'il est constant que tant le marché d'ingénierie du 10 avril 1990 conclu entre l'État de Monaco et le bureau d'études Betume Setame que le marché de travaux passé le 30 décembre 1991 entre l'État de Monaco et la SA LAB avaient, pour objet, de remédier aux désordres engendrés par le rejet des fumées de l'usine d'incinération, désordres dénoncés par la SAM Pastor dès juillet 1989 ;

Qu'en effet, il s'agissait, pour ces sociétés, de concevoir et de construire un ensemble de traitement complémentaire d'évacuation et de contrôle des fumées issues des trois fours d'incinération exploités par la SMA ;

Qu'il apparaît ainsi que l'intervention de ces deux sociétés concerne des faits de la même nature que ceux ayant entraîné les deux instances en référé sanctionnées par les ordonnances des 10 avril 1990 et 30 décembre 1991 ;

Considérant, par ailleurs, que la mesure sollicitée par l'État de Monaco présente à l'évidence un caractère conservatoire qui est une des finalités du référé, la préservation de ses intérêts lui imposant en effet de voir les opérations d'expertise se dérouler au contradictoire des parties dont elle envisage d'engager la responsabilité ;

Que le juge des référés ne saurait priver un plaideur d'une telle faculté, sauf à se livrer à un examen a priori du fond et à ne pas reconnaître la liberté de choix dont tout justiciable dispose pour exercer la défense de ses intérêts ;

Considérant enfin que la demande formulée par l'État de Monaco ne préjudicie en rien au principal, étant observé au surplus qu'il ne résulte pas du dossier qu'une instance au fond ait été engagée ;

Qu'il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance de référé du 25 septembre 1995 ;

Considérant par ailleurs, qu'eu égard à cette infirmation, la demande en dommages-intérêts de la SA LAB devient sans objet étant précisé que la preuve du préjudice et du lien de causalité n'était nullement rapportée ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • Infirme l'ordonnance de référé du 25 septembre 1995.

Statuant à nouveau, tous droits et moyens des parties demeurant réservés :

  • Déclare communes à la société SA LAB et au bureau d'études Betume Setame les dispositions des deux ordonnances de référé des 12 juillet 1990 et 8 juillet 1992.

  • Ordonne que les opérations d'expertise menées par M. Deswarte soient suivies désormais au contradictoire des deux sociétés susnommées.

  • Déboute la SA LAB de sa demande en dommages-intérêts.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Pastor, Léandri, Karczag-Mencarelli, Escaut, Sbarrato, av. déf. ; Charrière, av. bar de Nice.

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