Cour d'appel, 10 décembre 1996, G. c/ SAM Crédit Lyonnais

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Responsabilité du commettant ; art. 1231 al. 4 du Code civil

- Infraction (abus de confiance) commise par le préposé d'une banque

- Exonération du commettant (non) : faute commise dans l'exercice des fonctions du préposé.

Résumé🔗

Dès lors qu'un préposé a été irrévocablement condamné pour abus de confiance, son commettant ne peut s'exonérer de sa responsabilité que si l'auteur de l'infraction a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses fonctions.

Il résulte des pièces versées aux débats que les arguments du préposé ont été réalisés dans les locaux de l'agence bancaire dont il était directeur et pendant les heures normales d'ouverture de cette agence ; qu'ils se sont matérialisés par des opérations bancaires, telles que retraits de sommes, virements sur des comptes, établissements de bordereaux ; que ce préposé a trouvé dans l'exercice de ses fonctions l'occasion et les moyens de sa faute.

Le délit d'abus de confiance commis par ce directeur n'implique pas qu'il ait agi hors du cadre de ses fonctions, au sens de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil, la victime des détournements étrangère à la commission de l'infraction, ayant pu être fondée à croire qu'elle traitait avec celui-ci en sa qualité de préposé à la banque.

Dès lors, la banque ne saurait utilement s'exonérer de sa responsabilité civile engagée en vertu des dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 22 juin 1995 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant J. G. à la société Crédit Lyonnais.

Les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

L. G. était titulaire de deux comptes ouverts à l'agence du Crédit Lyonnais de Monaco-Condamine dirigée par Y. C.

Sa fille, J. G., disposait d'une procuration sur ces deux comptes portant les numéros 1645 K et 47813 Z.

L. G. est décédée le 20 février 1989, laissant comme seuls héritiers ses enfants J. G. et A. G., lequel a donné le 22 février 1989 procuration générale à sa sœur J. pour recueillir la succession de leur mère.

Le 4 juillet 1988, J. G. constatait sur les relevés des comptes deux débits respectivement de 144 000 francs et 16 000 francs au profit de F. R. S'en étant étonnée auprès du directeur de l'agence, il lui fut répondu qu'il s'agissait d'une erreur.

D'autres faits identiques ayant été constatés, des poursuites pénales furent engagées à l'encontre d'Y. C.

À l'issue de cette procédure, la Cour, par arrêt du 5 avril 1993, confirmatif en ce qui concerne J. G. et confirmé par arrêt de la Cour de révision du 30 juin 1993, a, notamment, déclaré Y. C. coupable d'abus de confiance au préjudice de J. G., l'a condamné à une peine d'emprisonnement et d'amende, a confirmé la condamnation d'Y. C. à payer à J. G., à titre de dommages-intérêts, la somme de 160 000 francs avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1988.

Par ce même arrêt, la Cour, réformant la décision des premiers juges, ramenait à deux fois un franc le montant des dommages-intérêts accordés au Crédit Lyonnais, également partie-civile.

Ne pouvant obtenir d'Y. C. le paiement des dommages-intérêts mis à sa charge, J. G., par acte du 3 février 1993, a fait assigner le Crédit Lyonnais devant le Tribunal de Première instance de Monaco sur la base des dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil, en sa qualité de commettant d'Y. C.

Par le jugement attaqué, le Tribunal a débouté J. G. de l'ensemble de ses prétentions.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu, pour l'essentiel, qu'Y. C. ayant commis un abus de fonctions, la responsabilité de son employeur ne pouvait être engagée sur le fondement de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil.

J. G. a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, elle rappelle en premier lieu, qu'Y. C. a été condamné pour un abus de confiance commis à son encontre et que les juridictions répressives ont expressément retenu qu'elle-même ou sa mère n'avaient pas eu connaissance des agissements délictueux de C.

Elle soutient que les allégations de la banque selon lesquelles elle aurait participé aux agissements d'Y. C. se heurtent à l'autorité absolue de la chose jugée au pénal.

Subsidiairement, sur ce point, elle fait observer que la banque se contente d'allégations qui ne sont fondées que sur les déclarations de C. qui ont été écartées par les juges pénaux.

En deuxième lieu, après avoir analysé une abondante jurisprudence française, J. G. expose :

  • que les faits litigieux se sont déroulés dans les locaux de la banque ;

  • qu'Y. C. a agi en sa qualité de directeur de l'agence du Crédit Lyonnais ;

  • que les opérations litigieuses ont été réalisées par des moyens mis à la disposition d'Y. C. par son commettant ;

  • que les faits se sont déroulés pendant les heures normales d'ouverture de la banque ;

  • que, dans ces conditions, elle pouvait légitimement croire qu'Y. C. agissait dans l'exercice de ses fonctions.

En troisième lieu, et subsidiairement, J. G. soutient que le Crédit Lyonnais a fait preuve de négligence en ne contrôlant pas suffisamment les opérations effectuées au sein de l'agence de la Condamine, permettant ainsi la réalisation de nombreuses malversations. Elle estime en conséquence que la responsabilité de la banque pourrait être retenue sur la base des articles 1229 et 1230 du Code civil.

Elle demande en définitive à la Cour :

  • d'infirmer la décision entreprise ;

  • de dire le Crédit Lyonnais responsable des agissements de son préposé sur la base de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil et tenu d'en réparer l'entier préjudice ;

  • subsidiairement, de retenir sa responsabilité sur la base des articles 1229 et 1230 du Code civil ;

  • de condamner en tout cas le Crédit Lyonnais à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 160 000 francs assortie de ses intérêts au taux légal à compter du 22 juin 1988 ;

  • de le condamner au paiement de 50 000 francs pour résistance abusive ;

  • de le débouter de toutes ses demandes ;

  • de le condamner aux dépens.

Le Crédit Lyonnais, pour sa part, soutient en premier lieu que J. G. se serait sciemment livrée à une opération dite de « face à face » organisée par Y. C. pour percevoir des intérêts « hors normes ». Pour étayer cette affirmation, la banque se réfère aux déclarations faites par Y. C. au cours de l'instruction.

En deuxième lieu, la banque prétend que l'autorité de la chose jugée au pénal serait limitée aux seuls faits, c'est-à-dire, selon elle, à la culpabilité d'Y. C. et à « la réalisation d'une opération de face à face réalisée avec le concours du client ».

En troisième lieu, le Crédit Lyonnais expose, se référant à une jurisprudence de la Cour de cassation française, que la responsabilité du commettant ne peut être retenue lorsque :

  • le préposé a agi sans autorisation.

  • le préposé a agi à des fins étrangères à ses attributions ;

  • le préposé s'est placé hors des fonctions auxquelles il était employé.

Il affirme que ces conditions sont remplies en l'espèce, alors surtout qu'Y. C. a commis une infraction pénale et que J. G., loin d'avoir été dupée aurait sciemment participé aux agissements répréhensibles.

En quatrième lieu, le Crédit Lyonnais soutient que le moyen tiré de sa responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle serait irrecevable comme soutenu pour la première fois en appel. Subsidiairement, il déclare que J. G. n'apporte aucune preuve d'une faute personnelle de la banque.

En cinquième lieu, et enfin, le Crédit Lyonnais estime que l'appel de J. G. revêt un caractère abusif.

Il demande en conséquence à la Cour :

  • de débouter J. G. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

  • de confirmer le jugement entrepris ;

  • de condamner J. G. au paiement de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

  • de la condamner aux dépens.

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant que par son arrêt, définitif, du 5 avril 1993, Y. C. a été, notamment, déclaré coupable d'abus de confiance au préjudice de J. G. et a été condamné à payer à celle-ci la somme de 160 000 francs, outre intérêts légaux, qu'il avait détournée ;

Considérant que cette condamnation implique nécessairement que J. G. n'a en aucune façon participé aux faits commis par Y. C.

Qu'il résulte d'ailleurs expressément de l'arrêt susvisé, régulièrement versé aux débats et auquel le Crédit Lyonnais était lui-même partie, que J. G. et sa mère avaient été tenues dans l'ignorance de la destination donnée par Y. C. à la somme de 160 000 francs retirée des comptes ;

Que, pour prétendre établir le contraire, le Crédit Lyonnais se contente d'invoquer des déclarations faites par Y. C. au cours de l'information et qui ont été écartées par les juges pénaux ;

Considérant qu'il n'est pas contesté qu'au moment des faits, Y. C. était salarié du Crédit Lyonnais employé en qualité de directeur d'une agence de cette banque ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1231 alinéa 4 du Code civil, les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ;

Considérant que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses fonctions ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que les agissements d'Y. C. ont été réalisés dans les locaux de l'agence bancaire dont il était directeur et pendant les heures normales d'ouverture de cette agence ;

Qu'ils se sont matérialisés par des opérations bancaires telles que retraits de sommes, virement sur des comptes, établissements de bordereaux ;

Qu'Y. C., préposé du Crédit Lyonnais, a trouvé dans l'exercice de ses fonctions l'occasion et les moyens de sa faute ;

Considérant que le délit d'abus de confiance commis par Y. C. n'implique pas qu'il ait agi hors du cadre de ses fonctions, au sens de l'article 1321 alinéa 4 du Code civil, J. G., étrangère à la commission de l'infraction, ayant pu être fondée à croire qu'elle traitait avec celui-ci en sa qualité de préposé à la banque ;

Considérant que, dès lors, la banque ne saurait utilement s'exonérer de sa responsabilité civile engagée en vertu des dispositions de l'article 1231 alinéa 4 du code civil ;

Considérant en conséquence, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens des parties, qu'il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de condamner le Crédit Lyonnais à réparer le préjudice causé à J. G. par la faute d'Y. C. ;

Considérant que la résistance du Crédit Lyonnais n'est pas manifestement abusive, malicieuse ou dilatoire ;

Qu'il n'y a pas lieu à l'allocation de dommages-intérêts de ce chef ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la principauté de Monaco,

  • Infirme le jugement entrepris du 22 juin 1995.

  • Dit la société Crédit Lyonnais responsable des agissements de son préposé Y. C. et tenue d'en réparer les conséquences.

  • Condamne la société Crédit Lyonnais à payer à J. G. la somme de 160 000 francs assortie de ses intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1988.

  • Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

M.M. Sacotte Prem. Prés. ; Serdet Subst. Proc. Gén. ; Monteccuco Gref. en chef ; Mes Pasquier-Ciulla, Léandri av. déf.

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement du 22 juin 1995 qui avait débouté Mme J. G. de sa demande de responsabilité et dommages-intérêts contre la banque le Crédit Lyonnais, en sa qualité de commettant de l'auteur de l'infraction.

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