Cour d'appel, 12 novembre 1996, M. c/ D.-B.

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Abstract🔗

Contrats et obligations

Effet des obligations - Exécution de bonne foi (art. 989 du CC) - Clause attribuant un avantage excessif

Résumé🔗

La clause insérée dans l'engagement de location selon laquelle « les sommes versées ne seront pas restituées au preneur et ce, pour quelque motif que ce soit », constitue manifestement un avantage excessif au détriment du locataire et crée un déséquilibre notoire entre les obligations respectives des contractants, étant le seul bénéficiaire de cette clause, le bailleur ne peut être considéré de bonne foi dans l'exécution dudit engagement de location.

Dans ces conditions, celui-ci devra en application de l'article 989 du Code civil procéder à la restitution de ces sommes.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel interjeté le 19 avril 1995 par M. M. contre un jugement du tribunal de première instance du 16 février 1995, signifié le 6 avril 1995.

Les faits, la procédure et les moyens des parties peuvent être ainsi résumés, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux conclusions échangées en appel.

À la suite d'un contrat intitulé « engagement de location » du 9 novembre 1990 conclu entre l'agence B., mandataire de M. M. et Mme B., et relatif à un appartement de quatre pièces, cette dernière versait à ladite agence les sommes de :

  • 82 500 francs en chèque,

  • 25 815 francs en chèque,

  • 36 000 francs en espèces.

Le 10 décembre 1990, Mme B. renonçait à cette location, étant précisé que la prise en possession des lieux avait été fixée au 1er décembre 1990, le bail prenant effet à compter du 1er janvier 1991.

Par assignation du 27 février 1992, Mme B. demandait que :

  • J. B. soit condamné à lui rembourser la somme de 9 000 francs versée à titre de caution relative au studio précédemment loué par elle jusqu'au 30 novembre 1990 dans l'immeuble « Q. C. ».

  • J. B. et M. M. soient condamnés in solidum à lui verser toutes les sommes versées le 9 novembre 1990 concernant l'engagement de location de l'appartement, soit 144 315 francs.

M. M. demandait alors reconventionnellement que Mme B. soit condamnée à lui payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résiliation anticipée du contrat et celle de 10 000 francs pour « dommages-intérêts compensatoires pour faire valoir ses droits en justice ».

Dans son jugement du 16 février 1995, le tribunal de première instance a condamné M. M. à payer à Mme B. la somme de 82 500 francs et a débouté les deux parties du surplus de leurs demandes.

Les premiers juges ont motivé leur décision en précisant que :

  • l'engagement de location du 8 novembre 1990 valait contrat de bail.

  • Mme B., en résiliant de manière anticipée ce contrat ne pouvait réclamer le remboursement des sommes versées alors puisqu'aux termes d'une clause dudit contrat, il est stipulé que « les sommes versées au moment de la signature ne seront pas restitués au preneur pour quelque cause que ce soit ».

  • toutefois, la somme de 82 500 francs versée à titre de caution devait être remboursée par le bailleur car la conservation de celle-ci par ce dernier, eu égard à la résiliation, n'aurait aucune cause juridique.

Dans son acte d'appel, M. M. sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande en dommages-intérêts et demande en conséquence que Mme B. soit condamnée à lui payer la somme de 121 638 francs, non compris celle de 15 000 francs en remboursement des frais engagés pour faire valoir ses droits en justice.

L'appelant demande en outre que lesdites sommes soient compensées avec celle de 82 500 francs, au paiement de laquelle il a été condamné à payer en vertu du jugement attaqué.

À l'appui de ses prétentions, M. M. explique qu'il a réglé à l'agence B. une commission de 33 000 francs alors que la location consentie à Mme B. ne lui a rapporté que la somme de 40 815 francs et que n'ayant pu relouer l'appartement qu'à compter du 1er avril 1991, il a supporté un manque à gagner équivalent à un trimestre de loyer, soit 82 500 francs.

M. M. soutient ainsi qu'il est donc fondé à solliciter l'allocation d'une indemnité de 121 638 francs à titre de dommages-intérêts pour réparer les préjudices suivants causés par la résiliation du bail par Mme B. :

  • manque à gagner (un trimestre de loyer)

27 500 x 3 = 82 500 F

  • remboursement de la commission d'agence

33 000 F HT (39 138 F TTC)

Dans ses conclusions du 3 octobre 1995, Mme B. sollicite la confirmation du jugement entrepris mais forme appel incident et demande que M. M. soit condamné à lui payer les sommes de :

  • 61 815 francs (36 000 F + 25 815 F),

correspondant aux fonds indûment conservés par M. M. et l'agence B.

  • 50 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis notamment du fait de la rétention de sommes pendant plusieurs années.

  • 20 000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires correspondant aux frais engagés pour faire valoir ses droits en justice.

L'intimée fait valoir en premier lieu que l'argument relatif à la commission versée par le bailleur à l'agence est inopérant dans la mesure où ladite commission est étrangère aux rapports contractuels existant entre bailleur et locataire.

À l'appui de son appel incident, Mme B. souligne que le bail n'a jamais reçu le moindre commencement d'exécution et qu'ainsi les sommes de 36 000 Francs et 25 815 francs qu'elle a versées devront lui être remboursées en sus de celle de 82 500 francs fixée par les premiers juges.

Dans ses écritures du 9 janvier 1996, l'appelant sollicite l'adjudication de son acte d'appel et de ses précédentes conclusions.

À cet égard, il souligne que Mme B. se considérait bien comme locataire de l'appartement dont s'agit.

M. M. indique ne pas connaître le versement de 36 000 francs en espèces dont l'existence n'est pas prouvée par la production d'un reçu.

Enfin, l'appelant réaffirme qu'en résiliant de manière anticipée le contrat de bail, Mme B. a engagé sa responsabilité et dont donc être tenue à réparer le préjudice causé au propriétaire.

Dans ses conclusions du 26 mars 1996, Mme B. sollicite l'adjudication de ses précédentes écritures en indiquant que M. M. est mal fondé à nier l'existence du versement en espèces de 36 000 francs alors que cette réalité résulte non seulement du jugement lui-même, mais des propres conclusions de l'intéressé en date du 22 octobre 1992, signifiées en première instance.

Sur ce,

Sur les demandes de M. M. :

Considérant qu'il ne saurait être fait droit à la demande de l'intéressé concernant le remboursement de la commission par lui versée à l'agence B. dans la mesure où ce versement est intervenu dans le cadre de relations contractuelles auxquelles Mme B. était totalement étrangère ;

Qu'en application de l'article 1020 du Code civil, il y a donc lieu de débouter M. M. de ce chef ;

Considérant par ailleurs que M. M. ne peut pas davantage invoquer l'existence d'un manque à gagner résultant de l'inoccupation de son appartement pendant trois mois qui trouverait son origine dans la résiliation anticipée du bail par Mme B. ;

Qu'en effet, même si l'engagement de location du 9 novembre 1990 vaut bail, cet engagement ne contient aucune clause définissant les délais et les formalités de la résiliation ;

Que par conséquent M. M. ne rapporte pas la preuve du caractère anticipé de cette résiliation, étant précisé en outre que celle-ci est intervenue avant la prise d'effet du bail fixée, d'un commun accord, par les parties, au 1er janvier 1991 dans l'engagement de location ;

Qu'il convient donc de débouter M. M. de ce chef ;

Qu'enfin la demande de ce dernier concernant la couverture de ses frais de justice n'est pas fondée, Mme B. n'ayant pris aucune part tant dans la réalisation que dans l'étendue de ce préjudice allégué ;

Sur les demandes de Mme B. :

Considérant que la clause insérée dans l'engagement de location selon laquelle « les sommes versées ne seront pas restituées au preneur et ce, pour quelque motif que ce soit » constitue manifestement un avantage excessif au détriment du locataire et crée un déséquilibre notoire entre les obligations respectives des cocontractants ;

Qu'étant le seul bénéficiaire de cette clause, M. M. ne peut être considéré de bonne foi dans l'exécution dudit engagement de location ;

Que dans ces conditions, ce dernier devra, en application de l'article 989 du Code civil, procéder à la restitution de la somme de 61 815 francs avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision, M. M. ayant pu se méprendre sur la portée exacte de la clause ci-dessus mentionnée ;

Considérant en revanche, que Mme B. n'est pas fondée à solliciter l'allocation d'une indemnité de 50 000 francs pour rétention de fonds pendant trois années dans la mesure où elle ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une faute de la part de son cocontractant dans la réalisation de ce préjudice dont elle n'établit ni l'étendue ni les modalités de calcul ;

Qu'enfin Mme B. doit être déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour la couverture de ses frais de justice car M. M. n'a aucunement participé tant dans la survenance que dans l'importance de ce préjudice allégué ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • réforme le jugement du 16 février 1995, sauf en ce qu'il a condamné M. M. à rembourser à Mme B. la somme de 82 500 francs avec intérêts au taux légal à compter du 27 février 1992.

Pour le surplus,

  • condamne M. M. à payer à Mme B. la somme de 61 815 francs avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

  • déboute les parties de leurs autres demandes.

Composition🔗

MM. Sacotte Prem. Prés. ; Serdet Prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Sbarrato, Léandri av. déf. ; Rossi av. bar. de Grasse

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