Cour d'appel, 11 novembre 1996, P. c/ Ministère public et N.

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Abstract🔗

Non-représentation d'enfant

Absence d'une décision de justice exécutoire statuant sur la garde - Délit de l'article 294 du Code pénal non constitué - Requalification des faits en délit prévu par l'article 292 du Code pénal

Enlèvement d'enfant sans fraude ni violence

Non-représentation d'enfant au parent, en droit de le réclamer et de le garder - Délit de l'article 292 du Code pénal constitué

Résumé🔗

L'article 294 du Code pénal prévoit et punit le fait par le père ou la mère d'enlever, de détourner ou de refuser de représenter un mineur à la condition que cet enlèvement, détournement, ou non-représentation ait lieu en violation d'une décision de justice exécutoire, ayant statué sur la garde de ce mineur.

En l'espèce, un arrêt de la Cour d'appel confirmatif d'une ordonnance du juge tutélaire, accordant le droit de visite au père sans se prononcer sur la garde de l'enfant ne peut conférer un fondement à la poursuite, de sorte que les faits reprochés par le Ministère public ne sauraient constituer le délit de non-représentation d'enfant, en l'absence de l'un de ses éléments constitutifs.

En revanche de tels faits entrent dans les prévisions de l'article 292 du Code pénal, lequel, conçu en termes généraux, ne comporte ni réserve ni restriction et punit de peines correctionnelles aussi bien celui qui, sans fraude, ni violence, enlève ou détourne un mineur que celui qui dans les mêmes conditions, le détourne, notamment en ne le représentant pas à ceux qui tiennent de la loi le droit de le réclamer et de le garder.

À cet égard, il apparaît que la mère, de nationalité française, laquelle avait reconnu l'enfant né à Monaco, devant le Consul de France, en même temps que le père, exerçait seule l'autorité parentale sur cet enfant, en application des dispositions de l'article 374 du Code civil français, applicable en la cause, s'agissant de l'état des personnes ; et qu'elle tenait ainsi de la loi le droit de le réclamer et de le garder.

Il s'en suit qu'il y a lieu, après information du jugement déféré, de requalifier les faits en retenant le père dans les liens de cette prévention du délit d'enlèvement de mineur sans fraude ni violence prévu et réprimé par l'article 292 du Code pénal.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur les appels principal et incident respectivement interjetés par la partie civile C. P. et le Ministère public les 13 et 19 juin 1996 à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal correctionnel le 11 juin 1996 ayant relaxé J.-F. N. du délit de non-représentation d'enfant.

Considérant que les faits, objet de la présente information peuvent être relatés comme suit :

  • le 29 juillet 1995, C. P. déposait plainte à la Sûreté publique de Monaco contre J.-F. N. père de leur enfant naturel commun F. X. né à Monaco le 7 novembre 1990.

Elle exposait que J.-F. N. agissant dans le cadre de l'exercice de son droit de visite fixé par arrêt de la Cour d'appel de Monaco du 16 juin 1995 confirmant l'ordonnance du juge tutélaire du 23 mai 1995, avait pris l'enfant en charge le 29 juillet 1995 à 9 heures à son domicile à Monaco et ne l'avait pas ramené à 18 heures comme prévu, en précisant qu'il lui avait téléphoné chez elle vers 18 heures pour lui indiquer que leur enfant se trouvait en Suisse avec lui et qu'elle ne le reverrait plus.

Une information était ouverte sur réquisitions du Ministère public à l'encontre de J.-F. N., du chef du délit de non-représentation d'enfant, lequel, par l'effet d'un mandat d'arrêt décerné à son encontre le 3 janvier 1996 était inculpé de ce chef et renvoyé devant le Tribunal correctionnel par ordonnance du juge d'instruction du 22 février 1996.

C'est dans cet état de la procédure que cette juridiction a rendu le jugement entrepris.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont successivement relevé « que le délit prévu par l'article 294 du Code pénal ne punit que ceux qui enlèvent ou détournent un mineur ou refusent de le représenter que dans le cas où il a été statué sur la garde de ce mineur par décision de justice exécutoire » alors, « qu'en l'espèce, il résulte tant des motifs que du dispositif de l'arrêt du 16 juin 1995 servant de base à la prévention que ni le juge tutélaire, ni la Cour d'appel n'ont statué sur la garde de l'enfant naturel F. X. N. ».

Considérant que C. P. fait successivement valoir, au soutien de son appel et pour l'essentiel :

À titre principal, que les faits reprochés à J.-F. N. constituent le crime d'enlèvement d'enfant prévu et réprimé par les articles 290 et 291 du Code pénal, en sorte qu'infirmant le jugement entrepris, la Cour devra se déclarer incompétente.

À titre subsidiaire, si la Cour estime que le délit de non-représentation est constitué, celle-ci devra infirmer le jugement dont s'agit en condamnant le prévenu à une peine d'emprisonnement assortie d'un mandat d'arrêt.

Elle sollicite, en outre la condamnation de J.-F. N. à lui payer la somme de 1 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une astreinte de 10 000 francs par jours de retard jusqu'à ce que l'enfant lui soit rendu.

Elle réclame enfin, à titre de complément de réparation de son préjudice, que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir, aux frais du prévenu, dans le journal Nice-Matin, éditions de Monaco et de Menton ainsi que dans les journaux suisses, La Tribune de Genève et La Suisse.

Considérant que, pour sa part, le Ministère public expose, pour l'essentiel, à l'appui de son appel, que C. P. qui avait la garde de l'enfant, en sa qualité de mère naturelle, l'ayant reconnu, en application de la loi française, le délit de non-représentation d'enfant était parfaitement constitué à l'égard de J.-F. N.

Il requiert, en conséquence, la réformation du jugement entrepris, et la condamnation de ce prévenu à la peine d'un an d'emprisonnement du chef du délit prévu et réprimé par l'article 294 du Code pénal, un mandat d'arrêt devant être, en outre, décerné à son encontre.

Considérant que J.-F. N. fait observer, quant à lui, que le délit de non-représentation n'étant pas établi à son encontre, il convient de confirmer purement et simplement le jugement querellé ;

Sur ce,

  • Quant à l'action publique :

Considérant que l'article 294 du Code pénal prévoit et punit le fait par le père ou la mère d'enlever, de détourner ou de refuser de représenter un mineur qu'à la condition que cet enlèvement, détournement, ou non-représentation ait lieu en violation d'une décision de justice exécutoire ayant statué sur la garde de ce mineur ;

Considérant, qu'en l'espèce, l'arrêt de la Cour d'appel du 16 juin 1995 dont se prévalent tant la partie civile que le Ministère public comme fondement de la poursuite, a confirmé l'ordonnance du juge tutélaire accordant à J.-F. N. un droit de visite sur son fils mineur sans se prononcer sur la garde de cet enfant que réclamait C. P., au motif que sa demande n'avait pas été soumise au premier juge ;

Considérant que ni le juge tutélaire, ni la Cour d'appel n'ont statué sur la garde de l'enfant naturel F. X. N., en sorte que les faits reprochés par le Ministère public à J.-F. N. ne sauraient constituer le délit de non-représentation d'enfant, en l'absence de l'un de ses éléments constitutifs ;

Considérant, par ailleurs, que ces mêmes faits, ne constituent en aucune manière, ainsi que l'a soutenu la partie civile, le crime prévu par l'article 290 du Code pénal et aggravé en raison de l'âge des enfants par l'article 291 du même code, cette disposition supposant qu'il y a eu emploi de la fraude ou de la violence ;

Attendu, en revanche, que ces faits tels qu'ils ont été constatés entrent dans les prévisions de l'article 292 du Code pénal, lequel, conçu en termes généraux, ne comporte ni réserve ni restriction et punit de peines correctionnelles aussi bien celui qui, sans fraude ni violence, enlève ou détourne un mineur, que celui qui, dans les mêmes conditions, le détourne, notamment en ne le représentant pas à ceux qui tiennent de la loi le droit de le réclamer et de le garder ;

Considérant, à cet égard, qu'il n'est pas contesté que C. P., de nationalité française, a reconnu l'enfant F. X., né à Monaco, par déclaration effectuée le 24 janvier 1991 devant le Consul de France à Monaco, en même temps que son ex-concubin, qu'ainsi elle exerçait seule l'autorité parentale sur cet enfant, en application des dispositions de l'article 374 du Code civil français, applicable en la cause, s'agissant de l'état des personnes ;

Qu'il s'ensuit que J.-F. N. qui, à l'issue de l'exercice de son droit de visite, n'a pas représenté l'enfant à C. P. qui tenait de la loi le droit de le réclamer et de le garder, a commis le délit d'enlèvement de mineur sans fraude ni violence prévu et réprimé par l'article susvisé, en sorte qu'il convient, après avoir infirmé le jugement déféré, de requalifier les faits dans ce sens et de retenir J.-F. N. dans les liens de cette prévention ;

Considérant que par son comportement J.-F. N. a gravement troublé l'ordre public de la Principauté de Monaco, qu'il échet, en conséquence, en l'absence de circonstances atténuantes, de le condamner à la peine d'un an d'emprisonnement et de décerner mandat d'arrêt à son encontre ;

  • Quant à l'action civile :

Considérant que C. P. a subi un préjudice certain engendré par le fait qu'elle a été privée de la présence de son enfant depuis le mois de juillet 1995, alors qu'elle était investie de l'autorité parentale sur celui-ci ;

Que la Cour dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour condamner J.-F. N. à payer à C. P. la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts, de ce chef ;

Considérant, en revanche, que la demande tendant au retour de l'enfant ne saurait être accueillie dans le cadre de la présente instance pénale comme étant sans lien avec celle-ci ;

Qu'en outre, il n'y a pas lieu d'ordonner, à titre de réparation, la publication, non prévue par la loi, du présent arrêt de condamnation ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant en matière correctionnelle,

Infirme le jugement du Tribunal correctionnel en date du 11 juin 1996.

Statuant à nouveau,

  • Sur l'action publique :

  • Déclare J.-F. N. coupable du délit d'enlèvement d'enfant sans fraude ni violence, prévu et réprimé par l'article 292 du Code pénal.

  • En répression, le condamne à la peine d'un an d'emprisonnement.

  • Décerne mandat d'arrêt à son encontre.

  • Sur l'action civile :

  • Condamne J.-F. N. à payer à C. P. la somme de cent mille francs (100 000 francs), à titre de dommages-intérêts.

  • Déboute C. P. de toutes ses autres demandes.

  • Condamne J.-F. N. aux frais de première instance et d'appel.

Fixe au minimum la durée de la contrainte par corps.

Tribunal correctionnel

Audience du 11 juin 1996

Attendu qu'aux termes d'une ordonnance de M. le magistrat instructeur, en date du 22 février 1996, J.-F. N. a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :

« D'avoir à Monaco, le 29 juillet 1995, en méconnaissance de l'arrêt exécutoire de la Cour d'appel de Monaco en date du 16 juin 1995 statuant sur son droit de visite et les modalités de son exercice, omis de représenter son fils mineur F. X. à sa mère C. P. et de l'avoir enlevé ou détourné des mains de sa mère qui en a la garde,

Fait prévu et réprimé par l'article 294 du Code pénal » ;

Attendu que J.-F. N. n'a pas comparu, bien que régulièrement cité ; qu'il a d'ailleurs signé le récépissé de la citation transmise par la voie du Parquet ;

Attendu que le Tribunal n'ayant pas fait droit à sa demande écrite, transmise par son conseil maître Licari, avocat, en vue d'être dispensé de comparaître en personne, il y a lieu de statuer par défaut à son encontre ;

Attendu que C. P., confirmant sa constitution de partie civile à l'audience, demande au Tribunal, par conclusions du 4 juin 1996, de retenir la culpabilité de N. tout en se déclarant incompétent au profit du tribunal criminel après requalification des faits qu'elle considère constitutifs des infractions prévues et punies par les articles 280, 290 et 291 du Code pénal ;

Qu'à titre subsidiaire, elle poursuit la condamnation de J.-F. N. aux plans pénal et civil, en sollicitant le paiement de 1 000 000 de francs à titre de dommages-intérêts et la publication du jugement à intervenir dans divers organes de presse ;

Qu'elle demande, en outre que J.-F. N. soit condamné à lui remettre l'enfant F.-X. sous astreinte de 10 000 francs par jour jusqu'au retour de l'enfant ;

Sur quoi,

Attendu que le caractère exécutoire à l'égard des parties en cause de l'arrêt de la Cour du 16 juin 1995 visé par la prévention, sans être établi par les pièces de l'information, résulte des mentions d'un arrêt de cette Cour rendu entre les mêmes parties le 3 juin 1996 et régulièrement produit aux débats par la partie civile - ledit arrêt énonçant que la décision du 16 juin 1995 a été notifiée à C. P. conformément aux dispositions des articles 836 et suivants du Code de procédure civile, ce dont il peut être présumé qu'il a de même manière été notifié à J.-F. N. - ;

Attendu qu'aux termes de cet arrêt du 16 juin 1995, la Cour, saisie de l'appel d'une ordonnance du juge tutélaire ayant attribué à J.-F. N. un droit de visite sur son fils mineur F.-X. et déclaré irrecevable C. P. en sa demande tendant à la « confirmation » de son droit de garde, après avoir énoncé que C. P. possède la garde de fait du mineur, a estimé que « la question de fond soulevée par C. P. au sujet de la garde d'un enfant naturel n'a pas été soumise à un débat contradictoire » et a rejeté la demande formée par cette partie ;

Que la juridiction d'appel a par ailleurs confirmé l'ordonnance du juge tutélaire en ce qu'elle a accordé à J.-F. N. un droit de visite sur son fils mineur et a organisé les modalités d'exercice de ce droit, limité au territoire de la Principauté ;

Attendu que le délit prévu par l'article 294 du Code pénal ne punit ceux qui enlèvent ou détournent un mineur ou refusent de le représenter que dans le cas où il a été « statué sur la garde (de ce) mineur par décision de justice exécutoire » ;

Attendu qu'en l'espèce, il résulte tant des motifs que du dispositif de l'arrêt du 16 juin 1995 servant de base à la prévention que ni le juge tutélaire, ni la Cour d'appel n'ont statué sur la garde de l'enfant naturel F.-X. N. ;

Que les termes explicites de l'arrêt interdisent de considérer, comme le soutient la partie civile dans ses conclusions, que la Cour a « implicitement » statué sur la garde de l'enfant en le confiant à sa mère, d'autant qu'en droit monégasque l'exercice de la puissance paternelle appartient au père seul en cas de reconnaissance simultanée d'un enfant naturel par ses parents, sauf décision contraire du juge tutélaire ;

Attendu en conséquence que les éléments constitutifs de l'infraction reprochée ne sont pas réunis ;

Attendu que les autres infractions de nature criminelle que la partie civile demande au Tribunal de constater, après disqualification des poursuites, ne sont pas davantage caractérisées ; qu'en effet, l'article 280 du Code pénal n'apparaît pas correspondre au cas de l'espèce ; que pour leur part, les articles 290 et 291 du Code pénal supposent que le mineur ait été enlevé ou détourné par fraude ou violence, ces circonstances n'étant pas réunies en la cause puisque J.-F. N. a mis à profit un droit de visite qui lui était judiciairement reconnu pour s'abstenir ensuite de représenter le jeune F.-X. ;

Attendu en conséquence que J.-F. N. doit être renvoyé des fins de la poursuite ; que ce prévenu ayant été inculpé en cours d'information par l'effet d'un mandat d'arrêt décerné le 3 janvier 1996 et régulièrement notifié, il y a lieu d'ordonner la mainlevée de ce mandat avec toutes conséquences de droit ;

Attendu qu'en l'état de la relaxe de J.-F. N., la partie civile doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Le Tribunal,

Statuant par défaut,

Relaxe J.-F. N. des fins de la poursuite ;

Ordonne la mainlevée du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 3 janvier 1996 par le magistrat instructeur, avec toutes conséquences de droit ;

Déboute C. P. de l'ensemble de ses demandes ;

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Gardetto et Licari, av.

Note🔗

Cet arrêt a infirmé un jugement du tribunal correctionnel du 11 juin 1996 - également publié - lequel relaxait le prévenu du chef du délit prévu et réprimé par l'article 294 du Code pénal, pour les mêmes motifs que ceux énoncés par la Cour d'appel. Mais celle-ci a d'office requalifié les faits en retenant le délit prévu et réprimé par l'article 292 du Code pénal et en le condamnant à un an d'emprisonnement avec délivrance d'un mandat d'arrêt. Or, cette initiative a été sanctionnée par la Cour de révision : voir infra l'arrêt rendu par celle-ci le 24 février 1997.

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