Cour d'appel, 5 juillet 1996, F. c/ SCI Tindim, F.

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Abstract🔗

Succession

Retrait successoral - Condition : nécessité d'une cession de l'universalité ou d'une quote-part de l'hérédité - Cession de droits relatifs à un bien déterminé : condition non remplie

Résumé🔗

Aux termes de l'article 710 du Code civil, pour qu'il y ait lieu à retrait successoral, il faut que le cohéritier ait cédé « son droit à la succession » c'est-à-dire à l'universalité ou à une quote-part de l'hérédité mobilière ou immobilière, en sorte que par l'abandon général ou partiel de ses droits successifs, le cédant mette en ses lieu et place d'héritier, un tiers qui aura ainsi le droit de venir au partage de succession et de s'immiscer dans les affaires de famille du défunt.

Il n'en est pas de même lorsque la cession porte seulement sur les droits indivis appartenant à l'héritier dans un bien déterminé, dès lors que dans ce cas, l'acquéreur qui n'est qu'un simple ayant cause particulier du cédant, s'avère dépourvu de toute qualité pour concourir au partage de la succession.

Pour apprécier si la cession litigieuse porte sur un bien déterminé ou sur l'ensemble ou une quote-part de la succession concernée, il convient de se placer à la date non de cette cession mais de l'ouverture de cette succession, donc avant toute opération de partage, compte devant être tenu, pour cette appréciation, de tous les biens compris dans la masse successorale, quel qu'ait pu être leur sort entre l'ouverture de la succession et la cession critiquée.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel relevé le 24 mai 1995 par J. F. d'un jugement rendu le 6 avril 1995 par le Tribunal de Première Instance.

Les faits, la procédure, les prétentions et moyens des parties peuvent être relatés ainsi qu'il suit, étant fait référence pour le surplus au jugement déféré et aux conclusions échangées en appel :

V. P. est décédé, ab intestat, le 14 septembre 1927, laissant pour seuls héritiers ses quatre enfants légitimes, M., M., R. et H. P.

À son décès, dépendaient de sa succession, notamment trois immeubles situés dans la Principauté de Monaco :

  • le premier, anciennement dénommé « villa T. », dans lequel est exploité un fonds de commerce d'hôtel à l'enseigne « B. ».

  • le second, dénommé « Villa M. » ;

  • le troisième, dénommé « Villa M. ».

Suivant acte authentique dressé le 20 octobre 1959 par Maître Jean-Charles Rey, Notaire à Monaco, M. P. veuve F., M. P. veuve R., R. P. et H. P., ont vendu la totalité de l'immeuble « Villa M. » leur appartenant indivisément pour le tout, et divisément chacun pour un quart, et s'en sont partagés le prix dans cette proportion.

Entre temps, R. P. décédait le 5 février 1962, laissant pour lui succéder son frère, H. P., ainsi que ses deux sœurs, M. P. veuve F. et M. P. veuve R. chacun pour un tiers.

M. P. veuve R. décédait le 19 décembre 1973, laissant pour héritière sa fille légitime née d'un premier lit, C. D. épouse G. D.

M. P., veuve F. décédait le 9 novembre 1976, laissant pour héritiers ses deux enfants légitimes, Y. F. épouse G. et J. F., chacun pour moitié.

Y. F. épouse G. et J. F. ont, selon acte sous seing privé en date du 4 mars 1977, déposé par acte du même jour au rang des minutes de Maître Jean-Charles Rey, Notaire à Monaco, procédé au partage des biens dépendant de la succession de leur mère, aux termes duquel, la première obtenait les droits indivis appartenant à sa mère dans l'immeuble « Villa M. », soit un tiers, tandis que le second, se voyait attribuer les droits indivis appartenant à sa mère, soit un tiers, dans l'immeuble dans lequel est exploité l'hôtel B.

Suivant acte authentique en date du 21 octobre 1977, dressé par Maître Jean-Charles Rey, notaire à Monaco, M. D. épouse G. D., Y. F. épouse G. et H. P., ont vendu la totalité de l'immeuble « Villa M. » leur appartenant indivisément pour le tout et divisément chacun pour un tiers, et s'en sont partagés le prix dans la même proportion.

Selon acte authentique en date du 10 juin 1983, dressé par Maître Jean-Charles Rey, Notaire à Monaco, C. D., épouse G. D. a vendu à J. F., les droits indivis lui appartenant dans l'immeuble B., soit un tiers en sorte qu'après cette cession, ce dernier détenait désormais les deux tiers des droits indivis portant sur ledit immeuble, tandis qu'H. P. détenait le tiers restant.

H. P. décédait le 10 mars 1985, laissant pour seule héritière sa fille légitime, N. P. épouse F., laquelle, aux termes d'un acte authentique dressé le 18 mars 1992 par Maître Paul-Louis Aureglia, a vendu à la société civile immobilière dénommée Tindim, le tiers des droits indivis lui appartenant dans l'immeuble « le B. », moyennant le prix de 13 000 000 de francs.

Selon exploit en date du 3 décembre 1992, J. F. a fait assigner N. P., épouse F., et la société Tindim, à l'effet de faire constater son droit d'exercer le retrait successoral concernant la vente intervenue entre celles-ci le 18 mars 1992 ainsi que son offre de rembourser le prix de cette vente, et ce en application des dispositions de l'article 710 du Code civil.

Par jugement du 6 avril 1995, le tribunal a :

  • débouté J. F. de l'ensemble de ses demandes.

  • débouté N. P. de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont, pour l'essentiel retenu que les conditions du retrait successoral n'étaient pas réunies, en l'espèce, l'article 710 du Code civil supposant qu'un héritier ait cédé à titre onéreux à un tiers, « son droit à la succession », c'est-à-dire, la totalité ou une quote-part de ses droits indivis sur celle-ci et non pas sur un bien déterminé en dépendant, comme cela a été le cas, pour la vente par N. P. épouse F. à la société Tindim du tiers des droits indivis lui appartenant dans l'immeuble « le B. ».

Au soutien de son appel, J. F., fait valoir, pour l'essentiel, aux termes de ses dernières écritures judiciaires :

  • que l'immeuble « le B. » constituant le seul bien dépendant de la succession de V. P., c'est la totalité de ses droits indivis sur cet immeuble que N. P. épouse F. a cédé à la société Tindim, ce qui l'autorise à se prévaloir du retrait successoral de l'article 710 du Code civil, dès lors que la venderesse a fait entrer dans l'indivision successorale, une personne étrangère à celle-ci.

En conséquence, il demande à la Cour, infirmant le jugement entrepris, de faire droit à sa demande de retrait successoral et à son offre de rembourser à N. P. épouse F. le prix de vente que lui a réglé la société Tindim.

N. P. épouse F., intimée, a, pour sa part, sollicité la confirmation du jugement déféré en exposant, pour l'essentiel, que la cession de sa part indivise sur l'immeuble « le B. » n'a nullement trait à la totalité ou à une quote-part de sa part héréditaire dans la succession de V. P. mais ne concerne qu'une cession à titre particulier de ses droits indivis dans un bien déterminé de cette succession, en sorte qu'elle ne saurait être l'objet d'un retrait successoral.

La société Tindim, également intimée, a, pour sa part, conclu à la confirmation du jugement querellé, en soutenant, pour l'essentiel, que la cession qui lui a été consentie par N. P. épouse F. ne concerne aucunement l'intégralité ou une quote-part des droits successifs de celle-ci mais seulement ses droits indivis dans un bien immobilier ayant dépendu de la succession de V. P., en sorte qu'il ne saurait y avoir lieu, dans ce cas, à retrait successoral.

Sur ce,

Considérant qu'aux termes de l'article 710 du Code civil, pour qu'il y ait lieu à retrait successoral, il faut que le cohéritier ait cédé « son droit à la succession » c'est-à-dire à l'universalité ou à une quote-part de l'hérédité mobilière ou immobilière, en sorte que par l'abandon général ou partiel de ses droits successifs, le cédant mette en ses lieu et place d'héritier, un tiers qui aura ainsi le droit de venir au partage de succession et de s'immiscer dans les affaires de famille du défunt ;

Considérant qu'il n'en est pas de même lorsque la cession porte seulement sur les droits indivis appartenant à l'héritier dans un bien déterminé, dès lors que dans ce cas, l'acquéreur qui n'est qu'un simple ayant cause particulier du cédant, s'avère dépourvu de toutes qualités pour concourir au partage de la succession ;

Considérant que pour apprécier si la cession litigieuse porte sur un bien déterminé ou sur l'ensemble ou une quote-part de la succession de V. P., il convient de se placer à la date non de cette cession mais de l'ouverture de la succession dont s'agit, donc avant toute opération de partage, compte devant être tenu, pour cette appréciation, de tous les biens compris dans la masse successorale, quelqu'ait pu être leur sort entre l'ouverture de la succession et la cession critiquée ;

Considérant, à cet égard, qu'il est établi par les pièces versées aux débats, non contestées par les parties, qu'à la date de son décès, la succession de V. P. comprenait notamment trois immeubles situés à Monaco, et que ses héritiers ont successivement procédé à la vente de leurs droits indivis sur deux de ces immeubles dont ils se sont partagés le prix en ne maintenant dans l'indivision que l'immeuble dans lequel est exploité un hôtel à l'enseigne « le B. » ;

Considérant qu'en l'état de deux partages partiels successifs dont a fait l'objet la succession de V. P., la cession par N. P. de ses droits indivis dans l'immeuble « le B. » ne pouvait donner lieu au retrait successoral, les conditions d'application de l'article 710 du Code civil n'étant pas réunies, en l'espèce, dès lors que cette cession portait sur un bien déterminé de la succession dont s'agit et non pas sur l'universalité ou une quote-part de celle-ci ;

Considérant, en outre, qu'il ne saurait être tenu compte des considérations d'équité avancées par J. F. au soutien de son action, celles-ci allant à l'encontre des dispositions de l'article précité qu'il appartenait aux juges d'appliquer au présent litige en mettant fin à la contestation conformément aux règles de droit qui lui étaient applicables ;

Considérant que c'est donc, à bon droit, que les premiers juges ont débouté J. F. de l'ensemble de ses demandes, en sorte que le jugement déféré devra être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que les dépens suivront la succombance de l'appelant ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • Déboute J. F. des fins de son appel.

  • Confirme, en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Première Instance en date du 6 avril 1995.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. Prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Blot, Léandri, Karczag-Mencarelli av. déf.

Note🔗

Cet arrêt confirme un jugement du Tribunal de Première Instance du 6 avril 1995.

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