Cour d'appel, 12 mars 1996, F. c/ Banque nationale de Paris

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Abstract🔗

Lettre de change

Acceptation du tiré - Absence de contrepassation du porteur sur le compte du tireur - Action directe du porteur contre le tiré accepteur (art. 93 CC) : action non prescrite (art. 144 C de commerce)

Résumé🔗

Étant constant qu'une lettre de change, acceptée par le débiteur dans le cadre de son activité commerciale, tirée sur lui par son fournisseur, a été escomptée par une banque qui en est devenue porteur, et est revenue impayée à son échéance, il s'ensuit que cette banque qui n'avait pas contre-passé la lettre de change litigieuse sur le compte courant en cours de fonctionnement du fournisseur encore « in bonis », en avait conservé la propriété.

Dès lors, en sa qualité de tiers porteur légitime, ladite banque se trouvait autorisée à en poursuivre le recouvrement par la voie de l'action cambiaire à l'encontre du tiré-accepteur, conformément aux dispositions de l'article 93 du Code de commerce, son action ayant été exercée dans le délai imparti par l'article 144 alinéa 1er du même code.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel relevé le 17 octobre 1994 par C. F. d'un jugement rendu le 7 juillet 1994 par le Tribunal de première instance.

Les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties peuvent être relatés ainsi qu'il suit, étant fait référence pour le surplus au jugement déféré et aux conclusions échangées en appel :

C. F., exploitant en nom personnel, à Monaco, un fonds de commerce d'import-export de matériel électrique, sous l'enseigne « C. » a, dans le cadre de son activité commerciale, accepté une lettre de change d'un montant de 188 799 francs, à échéance du 30 septembre 1992, tirée sur elle par son fournisseur, la société à responsabilité limitée de droit français dénommée Côte d'Azur Éclairage, que cette dernière avait remise à l'escompte à sa banque.

La société anonyme de droit français dénommée Banque nationale de Paris, en abrégé BNP devenue porteur de cet effet, qu'elle avait escompté et qui était revenu impayé à son échéance, mettait en demeure C. F. de lui régler le montant, par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 octobre 1992.

Cette mise en demeure étant restée infructueuse, la Banque nationale de Paris a suivant exploit en date du 13 septembre 1993, fait assigner C. F. en paiement de la somme de 188 799 francs, montant de cette lettre de change, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 1992, outre celle de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts, pour résistance abusive.

Le Tribunal de première instance, par le jugement déféré, a :

  • condamné C. F. à payer à la Banque nationale de Paris, la somme de 188 799 francs avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 1992,

  • débouté la Banque nationale de Paris du surplus de ses demandes.

À l'appui de son appel, C. F. soutient, dans le dernier état de ses conclusions, successivement et pour l'essentiel :

  • que la Banque nationale de Paris ayant procédé à la contrepassation de la lettre de change revenue impayée au débit du compte courant de la société Côte d'Azur Éclairage alors que celle-ci était in bonis et son compte non encore clôturé, cette contrepassation valait paiement, en sorte que cette banque, privée de son recours cambiaire, ne pouvait plus poursuivre le recouvrement de cet effet à son encontre,

  • que la preuve de cette contrepassation est établie par la déclaration de créance en date du 26 avril 1993, adressée par la Banque nationale de Paris à Maître Pellier, représentant des créanciers de la liquidation des biens de la société Côte d'Azur Éclairage, aux termes de laquelle cette banque a produit au passif de cette société, pour la somme de 741 496,48 francs, montant du solde débiteur du compte courant de cette dernière, dans lequel était expressément inclus le montant de la lettre de change litigieuse,

  • que cette contrepassation a été effectuée au cours du fonctionnement de ce compte courant, dès lors que celui-ci, qui n'a été clôturé que le 11 mars 1993, présentait, à la date du 12 janvier 1993, un solde débiteur comprenant le montant de cette même lettre de change,

  • que le fait que cette lettre de change n'ait jamais été isolée sur un compte spécial « impayés » dans l'attente de son éventuel paiement, démontre la volonté de la Banque d'en effectuer la contrepassation,

  • qu'enfin, à supposer, comme le prétend la Banque nationale de Paris, que celle-ci n'ait pas eu l'intention de contrepasser l'effet litigieux, il lui appartenait d'agir à bref délai à son encontre, alors qu'elle a été assignée devant le Tribunal plus de dix-huit mois après la mise en demeure de payer en date du 15 octobre 1992.

En conséquence, C. F. sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris tout en formant une demande incidente tendant à la condamnation de la Banque nationale de Paris à lui payer la somme de 50 000 francs, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive.

La Banque nationale de Paris, intimée, a, pour sa part, conclu à la confirmation du jugement déféré en faisant valoir, dans le dernier état de ses conclusions, successivement et pour l'essentiel :

  • en premier lieu qu'elle n'a pas, pendant le fonctionnement du compte courant de la société Côte d'Azur Éclairage, procédé à la contrepassation de la lettre de change revenue impayée à son échéance du 30 septembre 1992,

  • que si le montant de cet effet a été porté au débit de ce compte à la date du 5 octobre 1992, en raison des programmes informatiques de la banque conçus pour ce type d'opération, il n'en demeure pas moins qu'elle avait annulé cette écriture comptable le 6 octobre 1992 en recréditant ce compte de la même somme.

Que par ailleurs, elle a, le même jour, porté le montant de cet effet impayé au débit d'un compte d'attente portant le n° 992415-73 intitulé « impayés non garantis », que ce faisant, elle a expressément exclu cette créance du compte courant de la société Côte d'Azur Éclairage, marquant ainsi sa volonté de ne procéder à aucune contrepassation concernant ce même effet.

Qu'enfin, la preuve de l'absence de contrepassation résulte du fait que, lors de sa clôture intervenue le 12 février 1993, le compte courant de ladite société s'élevant à 539 354,65 francs n'incluait pas le montant de cette lettre de change.

En second lieu, que la contrepassation de cette lettre de change qu'elle n'a effectuée qu'après la clôture du compte et le jugement de mise en liquidation judiciaire de la société Côte d'Azur Éclairage n'avait constitué qu'une simple opération comptable l'autorisant à conserver la propriété de ce titre et par là même son recours cambiaire à l'encontre de C. F., qu'elle a exercé dans le délai imparti par l'article 144 alinéa 1er du Code de commerce.

Sur ce,

Considérant qu'en cas de non-paiement d'un effet de commerce escompté, le banquier escompteur a le choix entre inscrire sa créance cambiaire au débit du compte courant du client remettant ou la laisser hors de ce compte pour en poursuivre le recouvrement contre les signataires de cet effet, qu'un tel choix ne peut résulter, en raison du caractère facultatif de toute contrepassation, que d'une volonté délibérée et non d'une simple opération matérielle, ne révélant pas l'intention d'opter pour une voie ou pour l'autre ;

Considérant qu'il résulte, à cet égard, de l'extrait du compte courant de la société Côte d'Azur Éclairage en date du 10 octobre 1992, produit aux débats, que la Banque nationale de Paris, après avoir débité ce compte du montant de l'effet impayé à la date du 5 octobre 1992, a annulé cette écriture le lendemain, 6 octobre 1992, en le créditant à nouveau de la même somme ;

Qu'en l'état de la programmation autorisée des écritures bancaires concernant notamment les débits de compte et de leur gestion informatique, on ne saurait valablement, à propos d'une telle opération de débit, considérée isolément, comme en l'espèce, en inférer l'intention concrète de la Banque de contrepasser l'effet, dès lors que cette dernière, en procédant à l'annulation de cette opération dès le lendemain, a, par là même, manifesté sa volonté réelle et consciente de ne pas contrepasser cet effet ;

Considérant que, par ailleurs, le caractère définitif d'une telle volonté est clairement établi par la décision prise par la BNP de porter le même jour, le montant de la lettre de change au débit d'un compte spécial portant le numéro 992415-73 intitulé « impayés non garantis » dont la production aux débats révèle qu'il était affecté à l'enregistrement à son débit du montant des effets impayés et à son crédit du paiement de tout ou partie de ces effets, s'agissant ainsi d'un compte d'attente, simple cadre comptable qui récapitulait les créances de la banque sans en assurer le règlement ;

Considérant qu'en outre, il résulte de l'arrêté de compte courant en date du 12 février 1993, versé aux débats, que le solde final dudit compte, auquel il était mis fin ce même jour, ne mentionnait pas à son débit le montant de la lettre de change dont s'agit, ce qui démontre, si besoin en était, qu'elle n'avait jamais été contrepassée pendant la durée du fonctionnement du compte de la société Côte d'Azur Éclairage ;

Considérant qu'enfin la contrepassation de cette même lettre de change effectuée par la BNP, après la clôture dudit compte et à la suite de la mise en liquidation judiciaire du remettant, la société Côte d'Azur Éclairage, ainsi que cela ressort de sa déclaration de créance en date du 26 avril 1993, n'a fait que traduire le montant intégral de sa créance, telle qu'elle était établie au jour du jugement déclaratif par la balance du compte courant rectifié, par le report au débit du crédit de l'effet impayé, s'agissant, par là même, d'une simple opération comptable ne pouvant valoir paiement, dès lors qu'elle n'a été effectuée que postérieurement à la clôture du compte ;

Considérant qu'il s'ensuit que la BNP, qui n'avait pas contrepassé la lettre de change litigieuse sur un compte courant en cours de fonctionnement et dont le titulaire était encore  « in bonis », en avait ainsi conservé la propriété, ce qui l'autorisait, en sa qualité de tiers porteur légitime, d'en poursuivre le recouvrement par la voie de l'action cambiaire à l'encontre de C. F., tiré accepteur, conformément aux dispositions de l'article 93 du Code de commerce, dès lors qu'elle a exercé cette action dans le délai imparti par l'article 144 alinéa 1er du même code ;

Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;

Considérant que C. F. ayant succombé dans l'ensemble de ses prétentions, il convient de la débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts et de la condamner aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

  • confirme en toutes ses dispositions le jugement du 7 juillet 1994,

  • déboute C. F. exerçant le commerce sous l'enseigne C. de l'ensemble de ses demandes.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. Prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Pastor, Sbarrato av. déf. ; Benhamou av. barreau de Nice

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement rendu le 7 juillet 1994 du Tribunal de Première instance. Les articles 93 et 144 alinéa 1er énoncés, disposent respectivement :

Article 93 : Par l'acceptation le tiré s'oblige à payer la lettre de change à l'échéance. À défaut de paiement, le porteur, même s'il est le tireur a contre l'accepteur une action directe, résultant de la lettre de change pour tout ce qui peut être exigé en vertu des articles 118 et 119.

Article 144 alinéa 1er : Toutes actions résultant de la lettre de change contre l'accepteur se prescrivent par trois ans à compter de la date de l'échéance.

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