Cour d'appel, 5 mars 1996, L. S. c/ Banque Industrielle de Monaco, C.

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Abstract🔗

Cautionnement

Vice de consentement - Dol : preuve non rapportée par la caution (art. 971, al. 2 du CC) - Limites - Montant déterminé ; emploi de termes généraux - Dette provenant du solde débiteur comprenant le principal et les intérêts échus - Intérêts conventionnels postérieurs à la clôture exclus à défaut d'engagement du titulaire du compte

Résumé🔗

La caution solidaire, à concurrence de la somme de 100 000,00 F de tous engagements pris par le titulaire d'un compte courant ouvert dans les livres d'une banque ne saurait exciper que son consentement aurait été vicié par le dol commis par celle-ci, lequel ne se présume point et doit être prouvé, ainsi qu'en dispose l'article 971 alinéa 2 du Code civil, étant donné qu'elle n'établit nullement que la situation financière du débiteur principal était irrémédiablement compromise au moment de la signature de son cautionnement et de ce qu'elle avait fait de la solvabilité de celui-ci, la condition déterminante de son engagement, en sorte qu'elle ne saurait prétendre que la banque n'aurait recherché que l'obtention d'une garantie supplémentaire dans l'unique dessein de lui faire supporter la dette de son débiteur principal.

L'engagement de caution souscrit, étant conçu en termes généraux il s'ensuit que le montant dû par celle-ci s'applique à toutes les sommes pouvant être dues par le débiteur principal sur le solde définitif, en principal et intérêts échus, apparaissant lors de la clôture du compte courant, en raison de l'indivisibilité d'un tel compte.

La banque apparaît donc créancière du solde débiteur du compte à la date de sa clôture, à l'encontre de la caution solidaire du seul fait de la défaillance non contestée du débiteur principal, dès lors que son montant ne dépasse pas la limite de la garantie donnée par cette même caution.

En revanche, la clôture de ce compte ayant mis fin à son fonctionnement, son solde débiteur, n'aurait pu, tout au plus, qu'être productif, tant à l'égard du débiteur principal que de la caution qui ne saurait être tenue au-delà des obligations de ce dernier, que d'intérêts au taux légal, dès lors qu'il n'est pas justifié, en l'espèce, d'une acceptation expresse ou implicite par son titulaire d'un taux conventionnel postérieurement à sa clôture.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé, suivant exploit du 18 novembre 1994, par I. L.-S., d'un jugement rendu le 30 avril 1992 par le Tribunal de Première Instance de Monaco dans le litige l'opposant à la Banque Industrielle de Monaco, et signifié le 27 octobre 1994.

Les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel.

G. C., exerçant le commerce à Monaco, sous l'enseigne « Import-Export C. G », était titulaire d'un compte courant ouvert dans les livres de la société anonyme de droit monégasque dénommée « Banque Industrielle de Monaco », en abrégé BIM.

Aux termes de la convention d'ouverture de ce compte, en date du 14 octobre 1988, la Banque se réservait le droit, « sans donner les motifs de sa décision » : de mettre fin audit compte moyennant un préavis de huit jours par lettre recommandée.

Selon acte sous seing privé en date à Monaco du 9 novembre 1988, I. L.-S. se portait caution solidaire à concurrence de la somme de 100 000 francs, de tous engagements pris par G. C. envers la BIM, déclarant par ailleurs affecter, à titre de nantissement au profit de cet établissement, la somme de 100 000 francs portée au crédit de son compte de dépôt à terme venant à échéance le 3 novembre 1989.

Par ailleurs selon actes sous seing privé en date à Monaco des 12 avril et 11 juillet 1989, J.-L. M. se portait successivement caution solidaire pour les sommes respectives de 20 860 francs et de 75 000 francs, de tous engagements pris par G. C. envers la BIM.

Suivant lettre recommandée du 20 juillet 1989, la BIM avisait G. C. de ce qu'elle entendait procéder à la clôture de son compte et le mettait en demeure de régler la somme de 94 757,39 francs, montant du solde débiteur dudit compte, arrêté au 20 juillet 1989.

Par lettres recommandées du même jour la BIM dénonçait à J.-L. M. et à I. L.-S., en leur qualité de cautions solidaires, la mise en demeure adressée à son débiteur principal.

Ces mises en demeure étant restées sans effet, suivant exploit en date du 18 janvier 1991, la Banque Industrielle de Monaco faisait assigner G. C., I. L.-S. et J.-L. M. en paiement solidaire de la somme de 147 397,14 francs, montant du solde débiteur du compte courant de G. C., arrêté au 30 novembre 1990, majoré des agios et intérêts de droit, outre celle de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :

  • condamné G. C. à payer à la Banque Industrielle de Monaco la somme de 94 757,39 francs, montant en principal et intérêts conventionnels échus du solde débiteur de son compte avec intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 1989 ;

  • dit qu'I. L.-S. et J.-L. M. seront solidairement tenus, avec G. C., envers la Banque Industrielle de Monaco, en leur qualité de cautions, du paiement respectif des sommes suivantes :

  • 100 000 francs pour ce qui concerne I. L.-S.

  • 20 860 francs pour ce qui concerne J.-L. M.

  • condamné solidairement G. C., I. L.-S. et J.-L. M. à payer à la Banque Industrielle de Monaco, la somme de 9 000 francs à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.

À l'appui de son appel, I. L.-S. soutient, pour l'essentiel, en reprenant tout d'abord l'argumentation développée devant les premiers juges :

  • que son engagement de caution doit être déclaré nul dès lors qu'il n'avait eu d'autre cause que de permettre à la BIM qui connaissant l'état d'insolvabilité de son débiteur principal, G. C., l'obtention d'une garantie supplémentaire pour lui permettre de recouvrer sa créance à l'égard de ce dernier ;

  • que le comportement de la banque démontre qu'il y a eu manœuvre dolosive de la part de celle-ci sur laquelle pesait un devoir d'information à l'égard de la caution.

Elle fait, en outre, valoir, à titre subsidiaire, de nouveaux moyens aux termes desquels, pour l'essentiel :

  • d'une part, son engagement de caution se trouvait limité au seul montant de la somme principale due à la banque par G. C., à l'exclusion de tout intérêt conventionnel, non prévu dans l'acte ;

  • d'autre part, qu'il n'a pas été tenu compte du nantissement qu'elle avait consenti à la Banque pour garantir sa caution ;

  • enfin, qu'elle avait de justes raisons de s'opposer à la demande de la BIM, en sorte qu'aucune condamnation à des dommages-intérêts ne pouvait être prononcée à son encontre.

Elle demande en conséquence à la Cour, réformant le jugement entrepris :

  • de déclarer nul et de nul effet l'acte de cautionnement souscrit le 9 novembre 1988,

  • à titre subsidiaire, de dire et juger que ledit acte ne pouvait produire effet qu'à concurrence de la somme due en principal par G. C. à l'exclusion de tout intérêt conventionnel,

  • de dire et juger, en outre, qu'il appartiendra à la BIM de prendre en considération le nantissement d'espèces qu'elle avait consenti à son profit,

  • de dire et juger, enfin, n'y avoir lieu à condamnation d'aucune somme, à son encontre, à titre de dommages-intérêts.

La Banque Industrielle de Monaco, intimée, sollicite la confirmation du jugement déféré en exposant pour l'essentiel :

  • en premier lieu, que la dame L.-S. ne saurait exciper de la nullité de son engagement de caution, dès lors qu'elle ne rapporte nullement la preuve d'une quelconque manœuvre dolosive de la Banque à son égard, d'autant qu'elle avait maintenu le crédit accordé à G. C., postérieurement à l'engagement de caution de la dame L.-S. à cet effet, pour ne le dénoncer que neuf mois après ;

  • en second lieu, que son engagement de caution s'étendait au paiement des intérêts applicables au solde débiteur du compte courant de G. C. ainsi que cela résulte de l'acte de caution lui-même.

J.-L. M., également intimé, constatant qu'aucune demande n'était formulée à son encontre par l'appelante, a conclu, pour sa part, à la confirmation du jugement querellé.

G. C. n'ayant pas comparu et n'ayant pas été cité à personne, la Cour, par arrêt du 13 juin 1995 a, en application de l'article 217 du Code de Procédure Civile, ordonné sa réassignation pour l'audience du 10 octobre 1995 à laquelle il a persisté à faire défaut.

Sur ce,

En la forme,

Considérant qu'en l'état du défaut de G. C., régulièrement réassigné, le présent arrêt sera réputé contradictoire à l'égard de tous les intimés, en application des dispositions de l'article 217 du Code de Procédure Civile ;

Considérant, quant à la nullité de la signification du jugement déféré, que si la dame L.-S. a soulevé ce moyen dans les motifs de son acte d'appel, elle ne l'a pas repris dans son dispositif lequel seul saisit la Cour, étant par ailleurs relevé, qu'ayant interjeté appel dans le délai légal à compter de cette signification, elle est sans intérêt à s'en prévaloir ;

Au fond,

Considérant en ce qui concerne le moyen tiré de la nullité de son engagement de caution, que l'appelante ne produit aucune pièce à l'appui de cette prétention ;

Qu'à cet égard, ainsi que l'ont, à juste titre, relevé les premiers juges, la dame L.-S. ne saurait exciper que son consentement aurait été vicié par le dol commis par la BIM, lequel ne se présume point et doit être prouvé, ainsi qu'en dispose l'article 971 alinéa 2 du Code civil ;

Qu'en effet, elle n'établit nullement que la situation financière de G. C., débiteur principal, était irrémédiablement compromise au moment de la signature de son cautionnement et de ce qu'elle avait fait de la solvabilité de celui-ci, la condition déterminante de son engagement, en sorte qu'elle ne saurait prétendre que la banque n'aurait recherché que l'obtention d'une garantie supplémentaire dans l'unique dessein de lui faire supporter la dette de son débiteur principal ;

Que, par ailleurs, il convient d'observer, ici, que la BIM n'a dénoncé la convention de compte courant la liant à G. C. qu'à la date du 20 juillet 1989, soit plus de huit mois après l'engagement de la caution ;

Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de débouter I. L.-S. de ce chef de demande, le jugement entrepris devant être confirmé sur ce point ;

Considérant, en ce qui concerne le moyen tiré de la limitation de son engagement de caution au montant du principal de la dette de G. C. envers la BIM, qu'il convient de relever que l'engagement de caution souscrit par la dame I. L.-S. était conçu en termes généraux, en sorte que le montant dû par celle-ci s'appliquait à toutes les sommes pouvant être dues par le débiteur principal sur le solde définitif, en principal et intérêts échus, qui apparaîtrait lors de la clôture du compte courant, en raison de l'indivisibilité d'un tel compte ;

Considérant, à cet égard que le solde débiteur du compte courant de G. C. s'élevait à la somme de 94 757,59 francs au 20 juillet 1989, date de sa clôture, qu'il s'ensuit que la BIM est créancière de cette somme, à l'encontre de la dame L.-S., en sa qualité de caution solidaire, du seul fait de la défaillance non contestée du débiteur principal, dès lors que son montant ne dépasse pas la limite de la garantie donnée par cette même caution ;

Considérant, qu'en revanche, la clôture de ce compte ayant mis fin à son fonctionnement, son solde débiteur n'aurait pu, tout au plus, qu'être productif, tant à l'égard du débiteur principal que de la caution qui ne saurait être tenue au-delà des obligations de ce dernier, que d'intérêts au taux légal, dès lors qu'il n'est plus justifié, en l'espèce, d'une acceptation expresse ou implicite par son titulaire, G. C., d'un taux conventionnel postérieurement à sa clôture ;

Considérant en ce qui concerne le moyen tiré de la non-prise en compte par les premiers juges du nantissement du compte de dépôt à terme ouvert par la dame L.-S. dans les livres de la BIM, qu'il résulte des termes de l'acte de cautionnement du 9 novembre 1988, que celle-ci, à l'effet de garantir son engagement envers cette banque, lui avait donné en gage la somme de 100 000 francs déposée sur ce compte ;

Que s'agissant d'un gage portant sur des espèces, la somme ainsi déposée était devenue, en raison de sa nature fongible, la propriété de la BIM à l'égard de laquelle la dame L.-S. ne disposait plus que d'un droit de créance du même montant ;

Considérant que la compensation de créances réciproques non sujettes à discussion quant à leur exigibilité et à leur liquidité, comme en l'espèce, s'opère de plein droit, à concurrence de la plus faible, à l'instant où la seconde vient à échéance ;

Considérant, à cet égard, que la créance de la BIM à l'encontre de la dame L.-S. est venue à échéance le 28 juillet 1989, par l'effet de la clôture du compte courant de G. C. et de la mise en demeure adressée à cette dernière suivant lettre recommandée en date du 20 juillet 1989 ;

Qu'il en résulte, conformément aux dispositions des articles 1138 et 1139 du Code Civil, que la compensation légale s'est opérée à cette même date, entre cette créance de la BIM et la créance réciproque de la dame L.-S. d'un montant de 100 000 francs résultant de son dépôt à terme, de sorte que la créance de la BIM d'un montant inférieur à celle de la dame L.-S. était éteinte et ne pouvait donc produire aucun intérêt du fait de sa disparition à la date du 28 juillet 1989 ;

Considérant, en ce qui concerne la condamnation au paiement de dommages-intérêts prononcée par le jugement déféré à l'encontre de la dame L.-S., que les circonstances de la cause, telles que précédemment énumérées, démontrent que celle-ci ne saurait se voir reprocher une quelconque faute susceptible de faire dégénérer en abus son droit d'ester en justice, ses moyens de défense ne constituant pas des actes de malice, de mauvaise foi ou une erreur grossière équivalant au dol, que le jugement entrepris devra donc être réformé de ce chef ;

Considérant, enfin, que ni la dame L.-S., ni la Banque Industrielle pour le Commerce n'obtenant l'adjudication de la totalité de leurs demandes, il y a lieu de partager les dépens par moitié entre les parties ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant par arrêt réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties,

  • Confirme le jugement déféré du 30 avril 1992 en ce qu'il a constaté la validité du cautionnement souscrit par I. L.-S. au profit de la Banque Industrielle de Monaco.

  • Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,

  • Constate que I. L.-S. est créancière de la Banque Industrielle de Monaco de la somme de cent mille francs (100 000 francs), au titre de son compte de dépôt à terme.

  • Constate que la Banque Industrielle de Monaco est créancière d'I. L.-S. de la somme de quatre-vingt-quatorze mille sept cent cinquante sept francs cinquante neuf centimes (94 757,59 francs) montant du solde débiteur du compte courant de G. C.

  • Constate, qu'après compensation entre ces sommes, I. L.-S. ne reste plus rien devoir à la Banque Industrielle pour le Commerce.

Déboute la Banque Industrielle de Monaco de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive à rencontre d'I. L.-S.

  • Déboute les parties du surplus de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

  • Fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront partagés par moitié entre I. L.-S. et la Banque Industrielle de Monaco.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. Prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Sbarrato, Lorenzi, Brugnetti av. déf. ; Guetta av. barreau de Nice.

Note🔗

Cet arrêt réforme en partie le jugement du Tribunal de Première Instance du 30 avril 1992.

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