Cour d'appel, 3 octobre 1995, SAM BIS c/ Consorts B.

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Abstract🔗

Commerçants

Entreprise de travail intérimaire - Entreprise de fourniture, ayant un caractère commercial : application de la législation des baux commerciaux aux locaux où s'exerce son activité

Baux commerciaux

Entreprise de travail intérimaire : application de la législation des baux commerciaux - Action en validation de congé : prescription de deux ans.

Résumé🔗

Une entreprise de travail intérimaire qui fournit des prestations de service à des employeurs manquant momentanément de main-d'œuvre, constitue une entreprise de fourniture, revêtant un caractère commercial au sens de l'article 2 du Code de commerce, étant donné qu'en sélectionnant et en contrôlant dans des spécialités diverses, un personnel dont elle garantit la qualification à ses utilisateurs et en prenant en charge l'ensemble des obligations sociales résultant de ce recrutement, elle fournit à ses clients des prestations qui lui sont propres, de sorte que dans les locaux loués pour son activité, elle exploite un fonds de commerce et bénéficie de la législation particulière relative aux baux commerciaux ; il s'ensuit que l'action en validation d'un congé exercée plus de deux ans après celui-ci se trouve prescrite en application de l'article 31 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948.


Motifs🔗

La Cour

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 17 mars 1994 par le Tribunal de Première Instance de Monaco dans le litige opposant les époux B. à la SAM Bis SA ;

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

Par acte du 1er août 1967, la SAM Safas a donné en location à la SAM Bis SA divers locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble O. à Monaco. Le bail, d'une durée de trois, six ou neuf ans, était consenti pour « société de fournitures de toutes prestations de service et main-d'œuvre et tous commerces s'y rapportant ».

Par acte notarié du 19 janvier 1982, la SAM Safas a vendu à G. B. et son épouse, née I. L. B., les locaux loués ;

Après une première procédure à laquelle les parties se réfèrent longuement, mais qui ne présente plus aucun intérêt actuellement, les époux B., par acte du 31 juillet 1987, ont fait délivrer à leur locataire un congé à effet du 31 juillet 1988 ;

Par acte du 5 mai 1992, les époux B. ont fait assigner la SAM Bis devant le Tribunal de Première Instance aux fins de validation du congé, d'expulsion de la société locataire et de paiement de dommages-intérêts, soutenant pour l'essentiel que le bail liant les parties relevait du droit commun et non de la législation spéciale des baux commerciaux, la société Bis n'effectuant, selon eux, aucun acte de commerce et n'exploitant pas un fonds de commerce dans les lieux loués ;

Par le jugement déféré, du 17 mars 1994, le Tribunal a déclaré inapplicables en la cause les dispositions de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 sur les loyers commerciaux ; constaté que la société Bis a été laissée en possession des lieux à l'expiration du bail conclu le 1er août 1967 ; dit et jugé que la location, censée avoir été conclue à l'année à compter du 1er août 1976, a pris fin le 31 juillet 1988 ; ordonné sous astreinte et avec le bénéfice de l'exécution provisoire, l'expulsion de la société Bis des locaux loués ; débouté les parties de leurs autres demandes ;

La SAM Bis, qui a exécuté le jugement assorti de l'exécution provisoire, en a relevé appel ;

À l'appui de son appel, la SAM Bis rappelle en premier lieu les termes de l'article 2 du Code de commerce selon lequel « sont des actes de commerce par nature : toutes entreprises de location de meubles, toutes entreprises de manufacture, de commission, de transport par terre ou par eau, toutes entreprises de fourniture, d'agence, bureau d'affaires, établissement de vente à l'encan, de spectacles publics, toutes opérations de change, banque et courtage ».

Elle fait valoir que le bail du 1er août 1967 lui a expressément été consenti en tant que « société de fourniture de toutes prestations de services et main-d'œuvre et tous commerces s'y rapportant ».

Elle affirme que son activité entre dans le cadre de l'article 2 du Code de commerce et qu'elle exerce donc dans les lieux des actes de commerce par nature ;

En deuxième lieu, elle expose que son activité d'entreprise de travail temporaire implique, contrairement ce qu'ont admis les premiers juges, l'existence d'une clientèle consistant en des employeurs potentiels et des candidats à l'emploi ;

En troisième lieu, elle relève que les termes du bail sont caractéristiques d'un bail commercial et que les propriétaires, jusqu'en 1985, se sont toujours référés à la législation commerciale, y compris pour lui donner congé ;

En quatrième lieu, elle ajoute qu'elle est une société cotée en bourse, inscrite au répertoire du Commerce et soumise au régime fiscal des commerçants ;

En cinquième lieu, déduisant de ce qui précède que la loi n° 490 du 24 novembre 1948 est seule applicable à la location litigieuse, elle soutient qu'en application de l'article 31 de ladite loi, l'action exercée par les propriétaires est prescrite pour avoir été engagée plus de deux après la date du congé ;

En sixième lieu, et enfin, elle déclare que l'exécution du jugement attaqué, assorti de l'exécution provisoire et d'une astreinte, lui a causé un préjudice considérable qu'elle estime à 500 000 francs ;

Elle demande en conséquence à la Cour :

  • d'infirmer la décision entreprise ;

  • de condamner les époux B. au paiement de 500 000 francs en réparation de leur préjudice, sous réserve de l'indemnité d'éviction qu'elle se réserve de solliciter par ailleurs ;

  • de les condamner aux entiers dépens ;

Les époux B., pour leur part, soutiennent que le bail du 1er août 1967 est de nature purement civile ;

Ils prétendent en effet, en premier lieu, que la société Bis ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait exploité dans les lieux un fonds de commerce depuis au moins trois ans comme l'exige l'article 1er de la loi n° 490 ;

En deuxième lieu, ils estiment, au vu de l'autorisation administrative accordée à la société Bis, que celle-ci n'est qu'une agence limitant ses activités à Monaco à des prestations de main-d'œuvre et de services, ce qui, selon eux, n'entre pas dans le cadre des actes de commerce définis par les articles 2 et 3 de la loi n° 490 ;

En troisième lieu, et en conséquence, ils affirment que, la loi n° 490 n'étant pas applicable en la cause, leur action ne saurait se trouver prescrite par l'effet de cette loi ;

Ils demandent en définitive à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris ;

  • de débouter la société Bis de toutes demandes, fins et conclusions ;

  • de la condamner aux dépens ;

Ceci étant exposé,

La Cour,

Considérant que la SAM Bis SA avait installé dans les lieux loués une entreprise de travail intérimaire dont l'activité consiste à fournir aux employeurs, clients de la société, manquant momentanément de personnel une main-d'œuvre composée de salariés, également clients de la société, choisie et rétribuée par elle pendant la durée des placements ;

Que la nature de cette activité est constante et corroborée tant par les autorisations administratives accordées à la SAM Bis SA que par les termes mêmes du bail litigieux ;

Que la réalité de l'exploitation est attestée par les factures adressées à ses clients et régulièrement versées aux débats par la société Bis ;

Considérant, qu'une « entreprise de fourniture » est commerciale, au sens de l'article 2 du Code de commerce, même quand elle fournit des prestations de services ;

Qu'à cet égard, il convient de distinguer du travail d'autrui, qui n'est pas un objet de commerce, les prestations propres de la société Bis ;

Qu'en effet, en sélectionnant et en contrôlant, dans des spécialités diverses, un personnel dont elle garantit la qualification à ses utilisateurs et en prenant en charge l'ensemble des obligations sociales résultant de ce recrutement, la SAM Bis SA fournit à ses clients des prestations qui lui sont propres ;

Considérant en conséquence que la SAM Bis SA exploitait un fonds de commerce dans les lieux loués et que c'est à tort que les premiers juges ont refusé de lui accorder le bénéfice de la législation particulière relative aux baux commerciaux ;

Considérant qu'aux termes de l'article 31 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, applicable en l'espèce, toutes les actions exercées en vertu de ladite loi se prescrivent par deux ans ;

Que l'assignation, aux fins de validation du congé du 31 juillet 1987 n'a été délivrée que le 5 mai 1992, soit plus de deux ans après ledit congé ;

Considérant que l'action irrégulièrement engagée par les époux B. a causé à la SAM Bis SA un préjudice d'autant plus important que le jugement frappé d'appel, et qui sera infirmé, a été exécuté ;

Que ce préjudice, indépendant de celui susceptible de donner lieu à une éventuelle indemnité d'éviction, sera équitablement réparé par l'allocation, à titre de dommages-intérêts, d'une somme de 150 000 francs ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

  • Infirme le jugement déféré du 17 mars 1994 ;

  • Dit la location litigieuse soumise à la loi n° 490 du 24 novembre 1948 ;

  • Déclare prescrite l'action intentée par les époux B. par assignation du 5 mai 1992 ;

  • Condamne les époux B. à payer à la Société Anonyme Monégasque Bis SA à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive la somme de 150 000 francs ;

  • Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

  • Condamne les époux B. aux dépens de première instance et d'appel ;

Composition🔗

MM. Sacotte prem. Prés. ; Serdet prem. Subst. Proc. Gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Lorenzi av. déf.

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement du Tribunal de Première Instance du 17 mars 1994.

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