Cour d'appel, 20 juin 1995, Sté CIFER c/ dame A.

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Abstract🔗

Appel civil

Jugement - Dispositif ne tranchant pas le principal - Irrecevabilité de l'appel

Jugement

Voie de recours - Irrecevabilité de l'appel - Dispositif ne tranchant pas le principal - Moyen d'ordre public soulevé d'office

Résumé🔗

Les premiers juges, ayant rejeté une fin de non-recevoir, ne mettant pas fin à l'instance (du fait qu'ils ont déclaré inapplicable la clause compromissoire contenue dans un règlement de copropriété) et ayant ordonné une mesure d'instruction consistant en une mise en état du dossier, n'ont tranché dans le dispositif du jugement entrepris aucune partie du principal.

Les conditions d'exercice de l'appel étant d'ordre public lorsqu'elles touchent à la nature des jugements susceptibles d'être déférés à la juridiction du second degré, il appartient à la cour de relever d'office le moyen pris de la recevabilité de l'appel.

En conséquence en l'état des motifs susvisés, l'appel n'est point recevable sur la base des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 14 avril 1994 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant la Société anonyme monégasque CIFER à M.-F. A. épouse R. ;

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel ;

M.-F. A. épouse R. occupe depuis 1988 en vertu d'un bail en date du 11 janvier 1988 consenti par la SAM CIFER un local situé au rez-de-chaussée de l'immeuble E. à Monaco pour y exploiter une officine de pharmacie avec exercice des activités annexes ;

Le bail fait expressément référence au règlement de l'immeuble et notamment à son article 16 avec comme obligation de ne laisser pénétrer aucun véhicule dans la Cour de service en dehors des heures précisées dans le cahier des charges-règlement de copropriété ;

M.-F. A.-R. qui soutient que la voie privée accédant à sa pharmacie est en permanence utilisée comme lieu de stationnement, à l'exception du samedi et du dimanche, par des véhicules appartenant soit à la société CIFER, soit à des corps de métiers employés par elle ou encore à des personnes lui rendant visite, a, par acte du 16 septembre 1992, fait assigner la SAM CIFER aux fins d'entendre dire et juger que, sur le fondement des articles 989, 997 et suivants du Code civil, elle est tenue de respecter les prescriptions de l'article 16 du cahier des charges-règlement de copropriété de l'immeuble prescrivant l'interdiction de stationnement des véhicules sur les voies privées, cour de service et accès ;

Elle demandait au Tribunal de dire que la société CIFER sera tenue de veiller au respect de cette interdiction sous astreinte comminatoire de 5 000 francs pour toute nouvelle infraction qui serait constatée et sollicitait enfin, outre l'exécution provisoire, la condamnation de ladite société à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés ;

La société CIFER concluait que la demanderesse n'apportait aucun élément probant permettant d'établir le non-respect des dispositions de l'article 16 de ce cahier des charges-règlement de copropriété et sollicitait son débouté et sa condamnation à lui payer la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

La SAM CIFER invoquait en outre les dispositions en chapitre III du bail et le chapitre « litiges » du règlement de copropriété instituant une clause compromissoire pour connaître des difficultés de toute nature susceptibles de naître entre copropriétaires ;

Elle faisait état enfin d'un rectificatif intervenu le 30 octobre 1992, au cahier des charges relatif à l'article 16 ;

Par le jugement attaqué, le Tribunal, qui estimait qu'il y avait lieu à réouverture des débats, a :

  • déclaré inapplicable la clause compromissoire visée au chapitre « litiges » du règlement de copropriété-cahiers des charges du 13 décembre 1974 ;

  • dit que M.-F. A.-R. devra justifier de la propriété des véhicules visés par les constats d'huissier dont elle se prévaut au soutien de sa demande et de l'éventuel lien de droit existant entre les propriétaires desdits véhicules de la SAM CIFER ;

  • renvoyé à cet effet la cause et les parties à une audience ultérieure.

Au soutien de son appel, la SAM CIFER fait valoir pour l'essentiel :

  • que l'instance engagée par M.-F. R. est irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir en raison du fait que les locaux occupés par elle ne sont absolument pas concernés par le problème du stationnement de véhicules dans la voie privée litigieuse car sa pharmacie n'est pas desservie par cette voie, ce qu'un simple transport sur les lieux permettrait de vérifier ;

  • qu'il n'est pas justifié par la demanderesse d'un quelconque préjudice résultant du prétendu trouble de jouissance et que les constats effectués dans les parties privatives appartenant à la Société CIFER doivent être écartés des débats faute d'avoir été judiciairement autorisés ;

  • que M.-F. R., n'ayant pas rapporté la preuve de l'imputabilité à la Société CIFER du trouble de jouissance qu'elle prétend avoir subi, doit être déboutée de ses demandes, le Tribunal ne pouvant suppléer sa carence en ordonnant, après réouverture des débats, que soit justifiée par elle de la propriété des véhicules visés par les constats ;

  • que la liste des propriétaires des véhicules fournie par l'intimée fait ressortir que la société CIFER n'est en aucune façon propriétaire de ceux-ci ;

Dans de nouvelles écritures en date du 25 avril 1995, la société CIFER soutient encore :

  • qu'elle est fondée à opposer à M.-F. R. le jeu de la clause compromissoire figurant dans le règlement de la copropriété en vertu des dispositions du bail liant les parties ;

  • que sur la preuve des faits, il appartient à l'intimée de rapporter la preuve que la défaillance de l'obligation de jouissance paisible des lieux est le fait exclusif de la société bailleresse ;

  • que sur l'évocation sollicitée par l'intimée, ses conditions de mise en application ne sont pas réunies en l'espèce et qu'il convient de maintenir au profit des parties la garantie essentielle du double degré de juridiction alors surtout qu'en cause d'appel M.-F. R. présente de nouvelles prétentions ;

  • très subsidiairement, pour la période antérieure au 4 septembre 1992, date à laquelle l'article 16 du règlement de copropriété a été modifié, qu'il est établi par plusieurs attestations que la présence de véhicules en stationnement sur le passage privé ne constituait aucune gêne pour l'exploitation de divers commerces donnant sur la voie privée ;

  • que la copropriété a à se plaindre du comportement sans gêne de certains clients de la pharmacie comme le démontrent les attestations produites ;

  • que M.-F. R. ne rapporte pas la preuve de la relation directe devant exister entre le stationnement abusif et sa perte d'exploitation.

La SAM CIFER sollicite en conséquence de la Cour de mettre à néant le jugement entrepris et de la recevoir en son moyen d'irrecevabilité pris en ses diverses branches ; en tant que de besoin, ordonner un transport sur les lieux aux fins de vérifier si la présence de véhicules automobiles stationnant sur la voie privée de la galerie marchande constitue un obstacle à la libre circulation des piétons se rendant à la pharmacie de M.-F. R. et générateur d'une perte d'exploitation ; dire n'y avoir lieu à application de l'article 433 du Code de procédure civile sur l'évocation ;

Très subsidiairement, sur le fond, la SAM CIFER sollicite le déboutement de M.-F. R. ;

M.-F. A. épouse R., intimée, demande à la Cour, outre de dire et juger divers points qui ne relèvent pas du dispositif d'un arrêt, mais en constitueraient, éventuellement, des motifs :

  • de condamner la SAM CIFER à lui payer la somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel dilatoire ;

  • de faire application de l'article 433 du Code de procédure civile sur l'évocation et de condamner la SAM CIFER à lui payer la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice consécutif au trouble de jouissance dont elle est victime ;

  • de condamner l'appelante à respecter les termes et clauses du bail sous astreinte définitive de 5 000 francs pour toute nouvelle infraction qui serait constatée, sauf à liquider celle d'ores et déjà applicable par référence aux constats dressés pour une somme de 65 000 francs ;

L'intimée fait essentiellement valoir, après avoir rappelé les relations de droit existant entre les parties et la chronologie des faits :

  • que, contrairement à ce que soutient la SAM CIFER, la pharmacie exploitée par elle est bien concernée par un problème de stationnement sur cette voie privée ;

  • que les constatations faites par voie d'huissier établissent que le stationnement des véhicules sur cette voie constitue bien une atteinte aux conditions de jouissance du lot privatif donné à bail ;

  • que la pérennité de ces infractions rend les conditions d'accès à la pharmacie particulièrement difficiles voire même dangereuses en raison du charroi des véhicules ;

  • que la preuve ayant été rapportée de ce que les propriétaires des véhicules en stationnement irrégulier ont un lien avec la SAM CIFER, la cause est en état d'être jugée au fond en application des dispositions de l'article 433 du Code de procédure civile, étant relevé que l'officier ministériel avait établi ses constats dans la voie ouverte à toute personne devant se rendre à la pharmacie et qu'il ne pouvait y avoir donc atteinte aux droits de la SAM CIFER ;

Sur ce,

Considérant que par la décision déférée, les premiers juges, après avoir énoncé dans leur motivation qu'il y avait lieu à réouverture des débats, se sont bornés d'abord à déclarer inapplicable la clause compromissoire visée au Chapitre « litiges » du règlement de copropriété-cahier des charges du 13 décembre 1974, ensuite à dire que la demanderesse devra justifier de la propriété des véhicules visés par les constats d'huissier dont elle se prévaut au soutien de sa demande et de l'éventuel lien de droit existant entre les propriétaires desdits véhicules et la SAM CIFER ;

Considérant que ce faisant, les premiers juges, ayant rejeté une fin de non-recevoir, ne mettant pas fin à l'instance, et ordonné une mesure d'instruction consistant en une mise en état du dossier, n'ont tranché dans le dispositif du jugement entrepris aucune partie du principal ;

Considérant que les conditions d'exercice de l'appel étant d'ordre public lorsqu'elles touchent à la nature des jugements susceptibles d'être déférés à la juridiction du second degré, il appartient à la Cour de relever d'office le moyen pris de l'irrecevabilité de l'appel ;

Considérant en conséquence que par les motifs susvisés l'appel interjeté par la SAM CIFER à l'encontre du jugement rendu le 14 avril 1994 par le Tribunal de première instance de Monaco n'est pas recevable sur la base des dispositions de l'article 423 du Code de procédure civile ;

Considérant que l'appel principal étant déclaré irrecevable, il ne saurait être fait droit à la demande d'évocation présentée par l'intimée dans ses écritures du 7 mars 1995 ;

Considérant que la SAM CIFER n'ayant commis aucun abus dans l'exercice d'une voie de recours, la demande de dommages-intérêts de M.-F. A.-R. doit être rejetée ;

Considérant que les dépens d'appel qui ne comprendront pas le coût des constats d'huissier dont le sort sera réglé par la décision sur le fond doivent être supportés par la SAM CIFER ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens et prétentions des parties,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Dit irrecevable en l'état l'appel formé le 10 janvier 1995 par la Société anonyme monégasque CIFER contre le jugement rendu le 14 avril 1994 par le Tribunal de première instance de Monaco ;

Déboute la Société anonyme monégasque CIFER et M.-F. A.-R. de leurs demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. Mme Escaut et Leandri av. déf.

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