Cour d'appel, 6 juin 1995, C. c/ Société Polymat.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Avocat

Obligations envers son client - Manquement action forclose - Responsabilité de l'avocat

Responsabilité civile

Avocat - Devoir de conseil - Manquement : action forclose

Résumé🔗

L'avocat défenseur est tenu envers ses clients d'un devoir de conseil, ainsi que de l'obligation de l'assister et de le défendre au mieux de ses intérêts.

Manque à son devoir de conseil et à son obligation de mettre son client en mesure de faire valoir ses droits, l'avocat-défenseur qui, au su d'un rapport d'expertise révélant des vices rédhibitoires dont son client est la victime, n'a pas informé celui-ci de l'urgence qui s'attachait à intenter une action, en résultant, eu égard au délai de forclusion de trois mois par l'article 1490 du Code civil.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 11 juin 1993 par le Tribunal de Première Instance de Monaco dans le litige opposant la SAM Polymat à R. C.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

Courant 1981, la SAM Polymat confiait à la SAM SODIAV la réalisation et le montage d'appareils distributeurs de boissons.

Des anomalies ayant été constatées par les clients dans le fonctionnement de ces appareils, la SAM Polymat refusait de payer à la SAM SODIAV un certain nombre de factures et chargeait Maître R. C., avocat-défenseur, d'introduire une procédure de référé. Par ordonnance du 26 mars 1982, le Président du tribunal de première instance désignait en qualité d'expert M. Henri O'Callaghan avec mission, pour l'essentiel, de rechercher si les appareils en question présentaient des vices de conception ou des défauts de fabrication les rendant impropres à leur usage normal et, le cas échéant, de fournir tous éléments permettant d'évaluer le montant du préjudice subi par la SAM Polymat.

Sans attendre le dépôt du rapport d'expertise, la SAM SODIAV, par acte du 28 mai 1982, faisait assigner la SAM Polymat devant le Tribunal en paiement du solde du prix des appareils. Dans cette procédure, Maître R. C. déposait, au nom de la SAM Polymat, le 6 octobre 1982, des conclusions tendant au sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport de l'expert O'Callaghan.

L'expert, qui s'était adjoint un sapiteur, déposait son rapport le 2 décembre 1983.

Ce n'est que le 15 juin 1988, soit près de 5 ans plus tard, que Maître C., pour la SAM Polymat, se fondant sur le rapport de l'expert, déposait des conclusions par lesquelles il demandait reconventionnellement le paiement par la SAM SODIAV d'une somme de 583 222,90 francs en réparation des divers préjudices subis.

Le Tribunal rendait, le 11 mai 1989, un jugement par lequel il déclarait notamment la société Polymat irrecevable en sa demande reconventionnelle, celle-ci ayant été formée hors du délai prescrit par l'article 1490 du Code civil, soit plus de trois mois à compter du dépôt du rapport d'expert révélant les vices cachés.

Cette décision était confirmée par arrêt de la Cour du 8 mai 1990.

Par acte du 30 septembre 1991, la SAM Polymat, estimant que Maître R. C. avait commis une faute professionnelle l'ayant conduite à se voir opposer la prescription de trois mois prévue par l'article 1490 du Code civil, a fait assigner cet avocat-défenseur devant le Tribunal de Première Instance en paiement d'une somme de 800 555,78 francs représentant selon elle les préjudices de toutes sortes étant résultés de la faute alléguée.

Par le jugement déféré du 11 juin 1993, le Tribunal a, pour l'essentiel, condamné Maître C. à payer à la SAM Polymat la somme de 310 211,83 francs, outre 5 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Maître R. C. a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, il expose en premier lieu que la Société Polymat avait eu connaissance des vices rédhibitoires affectant les appareils dès les premières livraisons intervenues, selon la société Polymat elle-même, en octobre 1981. Il rappelle qu'il n'a été contacté pour la première fois par la société Polymat que le 19 mars 1982, en vue d'introduire une action en référé. Il relève qu'à cette date le délai de forclusion de trois mois institué par l'article 1490 du Code civil était déjà expiré. Il en déduit que sa responsabilité professionnelle ne peut en aucune façon se trouver engagée.

En deuxième lieu, il prétend que la notion de vices cachés n'est apparue que tardivement dans le déroulement de la procédure litigieuse, et pour la première fois dans des conclusions de la Société SODIAV en date du 20 octobre 1988. Il explique que la SAM Polymat ne l'avait jamais chargé d'introduire contre la société SODIAV une action tendant à la voir déclarer responsable d'un préjudice causé par des défectuosités des appareils livrés, mais qu'il avait été chargé d'assurer sa défense dans une instance introduite le 4 juin 1982, soit après l'expiration du délai de l'article 1490, tendant à voir déclarer son état de cessation des paiements.

Il précise que ce n'est que pour résister à cette demande et pour éviter à sa cliente de payer les sommes qui lui étaient réclamées qu'il avait soulevé l'inexécution par la société SODIAV de ses obligations contractuelles, et non l'existence de quelconques vices cachés. Il fait valoir sur ce point, que l'avocat ne peut être tenu pour responsable du choix des moyens invoqués.

En troisième lieu, il prétend qu'aucune absence de diligence ne peut lui être reprochée.

À cet effet, il déclare que dès réception du rapport de l'expert O'Callaghan, il avait, par lettre du 19 décembre 1983, convoqué l'Administrateur délégué de la SAM Polymat pour décider des suites à donner à ce rapport.

Il prétend que cet Administrateur lui aurait déclaré préférer rechercher une solution transactionnelle au litige, alors surtout que les sociétés Polymat et SODIAV étaient assurées par la même compagnie. Il précise avoir alors entamé des pourparlers avec l'avocat de la société SODIAV et affirme qu'à la suite de longues discussions ils étaient sur le point de parvenir à un accord. Il relève qu'en l'état des instructions reçues de son client, il ne lui aurait pas été possible de prendre une autre initiative procédurale sans engager sa responsabilité. Il fait observer de plus qu'il n'avait reçu de sa cliente ou de sa compagnie d'assurances aucune provision lui permettant de faire face à d'éventuels frais de procédure. Il déclare enfin que ce n'est que le 9 juin 1984 que la SAM Polymat lui a fourni les éléments précis permettant d'assigner utilement la société SODIAV.

En quatrième lieu, et subsidiairement, il soutient que la SAM Polymat n'était aucunement certaine d'obtenir en justice les sommes qu'elle réclamait, tant il est vrai qu'elle envisageait sérieusement une transaction avec la société SODIAV pour un montant de 200 000 francs.

En cinquième lieu, et plus subsidiairement, il conteste le montant des sommes mises à sa charge par les premiers juges, faisant observer d'une part que la SAM Polymat elle-même a fait preuve d'une carence coupable et, d'autre part qu'il n'a commis lui-même aucun abus de procédure.

En sixième lieu, il conteste le bien-fondé des demandes formulées par la SAM Polymat et tendant à l'augmentation, à divers titres, des dommages-intérêts accordés par les premiers juges.

Il demande en conséquence à la Cour :

  • d'infirmer le jugement entrepris ;

  • de dire qu'il n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité professionnelle et de le décharger en conséquence de toute condamnation ;

  • de dire qu'il n'a utilisé aucun moyen dilatoire et de le décharger en conséquence de toute condamnation à ce titre ;

  • de débouter la SAM Polymat (et non la société SODIAV comme indiqué par erreur), de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

  • subsidiairement d'ordonner la comparution personnelle des parties ;

  • de condamner aux dépens la société Polymat (et non la société SODIAV comme indiqué par erreur) ;

La SAM Polymat, pour sa part, expose en premier lieu que Maître C. était chargé, en sa qualité d'avocat-défenseur, d'effectuer dans les délais légaux tous les actes de procédure, et, en sa qualité d'avocat plaidant, de conseiller, assister et défendre les intérêts de sa cliente.

Elle rappelle que, dès qu'elle a soupçonné l'existence d'un vice des appareils, elle a confié à Maître C. le soin d'intenter contre la société SODIAV l'action appropriée et que celui-ci a, en conséquence, dès le 26 mars 1982, obtenu en référé la désignation d'un expert. Elle relève que dans l'assignation en référé, rédigée par Maître C., le vice de conception et de fabrication était expressément invoqué.

Elle en conclut que Maître C. est mal fondé à prétendre que la question des vices cachés ne serait apparue que beaucoup plus tard dans le déroulement de la procédure. Elle rappelle que l'expert a conclu à l'existence de vices cachés. Elle souligne que le Tribunal, puis la Cour dans son arrêt du 8 mai 1990, ont jugé que l'action fondée sur les vices cachés aurait dû être intentée, par assignation ou par conclusions reconventionnelles, dans les trois mois du dépôt du rapport de l'expert, alors que des conclusions en ce sens n'ont été déposées que 5 ans plus tard. Elle conclut sur ce point à l'existence d'une faute engageant la responsabilité de Maître C.

En deuxième lieu, elle déclare n'avoir donné à Maître C. aucune instruction tendant à choisir une procédure plutôt qu'une autre et estime qu'il appartenait à l'avocat défenseur de choisir la procédure la mieux adaptée aux intérêts de sa cliente.

En troisième lieu, elle déclare que sa volonté de transiger, qu'elle ne conteste pas, n'empêchait pas Maître C. d'engager une instance dans le délai prévu par la loi. Elle relève que non seulement il ne l'a pas fait, mais qu'il a totalement omis, dans sa lettre du 19 décembre 1989, d'informer sa cliente de l'existence de ce délai, manquant ainsi à son devoir de conseil.

En quatrième lieu, elle conteste les allégations de Maître C. relatives à de prétendues réticences dans le paiement de provisions, alors que ces frais étaient pris en charge par une assurance.

En cinquième lieu, elle soutient que son préjudice, résultant de la faute de Maître C., ne consisterait pas seulement dans la perte d'une chance de succès, mais dans la privation d'un succès acquis. Elle déclare en effet que le Tribunal avait homologué le rapport de l'expert dont il n'aurait pu que tirer toutes les conséquences. Elle estime qu'au préjudice retenu par les premiers juges, doivent être ajoutées les sommes de 239 000 francs correspondant à son préjudice financier, de 69 947,50 francs au titre des intérêts versés par Polymat à SODIAV alors que cette dernière aurait dû être débitrice et non créancière et de 130 000 francs à titre de frais irrépétibles de procédure.

En sixième lieu, elle fait valoir qu'en soutenant devant les premiers juges une exception d'irrecevabilité dénuée de tout fondement, Maître C. aurait agi avec une intention dilatoire justement retenue par le Tribunal.

En septième lieu, et enfin, elle soulève la tardiveté de conclusions déposées par l'appelant le 15 février 1995 alors qu'une date prochaine était déjà fixée pour l'audience de plaidoiries.

Elle demande en conséquence à la Cour :

  • de rejeter les conclusions du 15 février 1995 ;

  • de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de condamner en outre Maître C. à lui payer les sommes de 239 000 francs, de 69 947,50 francs et de 130 000 francs ;

  • d'assortir les sommes dues de leurs intérêts à compter de la date de l'assignation avec anatocisme ;

  • de le condamner aux dépens ;

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant qu'il n'y a pas lieu de rejeter les conclusions déposées le 15 février 1995 par Maître C., la société Polymat ayant elle-même abondamment conclu après cette date ;

Considérant que l'avocat-défenseur est tenu envers ses clients d'un devoir de conseil, ainsi que de l'obligation de l'assister et de le défendre au mieux de ses intérêts ;

Considérant que Maître C. soutient que sa cliente ne l'avait pas chargé, à l'origine, d'intenter une action fondée sur l'existence de vices cachés ;

Qu'il prétend en effet que cette notion ne serait apparue dans la procédure que tardivement et que, dans ces conditions, les choix procéduraux qu'il avait faits ne pouvaient lui être reprochés ;

Considérant cependant que Maître C., à la demande de sa cliente, rédigeait dès le 19 mars 1982 une assignation en référé dans laquelle il soulignait que les appareils livrés par la société SODIAV « présentaient tous d'importants vices de conception et de fabrication... » ;

Que, dans la procédure intentée contre sa cliente par la société SODIAV le 28 mai 1982, il concluait, le 6 octobre 1982, au sursis à statuer jusqu'au dépôt du rapport de l'expert chargé de déterminer les éventuels vices affectant les appareils ;

Considérant dès lors qu'il ne saurait être sérieusement soutenu que la notion de vices cachés aurait été étrangère à la procédure jusqu'en 1988 ;

Que, par là même, les allégations relatives à des instructions qui auraient été données par la SAM Polymat à son avocat quant à des choix procéduraux différents sont inopérantes ;

Considérant qu'il ne peut non plus être soutenu que l'action fondée sur l'existence de vices cachés aurait été prescrite dès avant que Maître C. ait été consulté par la SAM Polymat, celle-ci ayant déjà connaissance de ces vices ;

Qu'il apparaît en effet que ces vices, du fait de leur technicité, n'ont été mis en évidence que par le rapport de l'expert O'Callaghan qui dut pour cela faire appel à un sapiteur, ainsi que l'ont successivement retenu le tribunal de première instance et la cour, dans son arrêt du 8 mai 1990 ;

Considérant qu'il est constant qu'au dépôt du rapport de l'expert, Maître C. a adressé à sa cliente une lettre datée du 19 décembre 1983, régulièrement versée aux débats ;

Que par cette lettre, qui annonçait le dépôt du rapport, Maître C. indiquait à sa cliente qu'il lui appartenait de prendre l'initiative d'assigner la société SODIAV devant le Tribunal de Monaco et l'invitait, après avoir pris connaissance du rapport, à rédiger une note d'observations en vue d'une réunion à intervenir ;

Qu'aucune mention n'est faite dans cette lettre de l'urgence particulière tenant à l'existence d'un bref délai susceptible d'entraîner une forclusion ;

Considérant que de ce seul fait, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner plus avant les griefs formulés par la SAM Polymat à l'encontre de son avocat, il résulte que Maître C. a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de mettre sa cliente en mesure de faire valoir ses droits ;

Considérant que la forclusion opposée à la SAM Polymat dans son procès avec la société SODIAV et l'irrecevabilité de ses demandes reconventionnelles qui en fut la conséquence trouvent leur origine dans la faute professionnelle relevée ci-dessus à l'encontre de Maître C., qui devra supporter les conséquences du préjudice subi de ce fait par la SAM Polymat ;

Considérant, sur le montant du préjudice, que les premiers juges, par des motifs que la Cour adopte, ont relevé à juste titre que les sommes réclamées à titre de préjudice financier ne représentaient qu'une créance hypothétique, incertaine en ses principe et montant ;

Que c'est également à bon droit qu'ils ont décidé que les demandes formulées à titre d'intérêts et de frais irrépétibles étaient étrangères aux manquements professionnels de Maître C. ;

Qu'en définitive ils ont exactement fixé à 310 211,83 francs le montant du préjudice de la SAM Polymat ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de condamner Maître C. à payer à la SAM Polymat cette somme ;

Considérant que Maître C. n'a pas fait preuve dans la présente procédure d'un comportement manifestement abusif, malicieux ou dilatoire ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de le condamner de ce chef au paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que les sommes mises à la charge de Maître C. porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt qui en fixe le montant ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Confirme le jugement entrepris du 11 juin 1993, sauf en ce qu'il a condamné Maître C. au paiement de 5 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Le réformant de ce chef et y ajoutant, dit que la somme de 310 211,83 francs portera intérêt au taux légal à compter de la date du présent arrêt ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Lorenzi, Sanita av. déf. ; Jourdan av. bar. de Paris.

Note🔗

Cet arrêt confirme un jugement du 11 juin 1993.

  • Consulter le PDF