Cour d'appel, 16 mai 1995, SAM Jimaille c/ A.

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Abstract🔗

Sociétés commerciales

Administrateur - Révocation par l'assemblée générale - Absence de motifs graves. - Nullité de la résolution - Modification des statuts. Statuts attribuant compétence à l'assemblée générale extraordinaire - Annulation de la résolution prise par l'assemblée générale ordinaire

Résumé🔗

C'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résolution d'une assemblée générale des actionnaires d'une société commerciale par laquelle celle-ci outrepassant ses pouvoirs a révoqué un administrateur, en l'absence de faits graves et imprévus, alors que cette question n'était pas inscrite à l'ordre du jour.

La demande d'un actionnaire en annulation d'une résolution de l'assemblée générale ordinaire modifiant une disposition des statuts relative aux modalités de cession des actions, se trouve recevable et fondée dès lors que cette modification était réservée par les statuts à une assemblée générale extraordinaire.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM Jimaille d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 6 janvier 1994 auquel il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, qui a prononcé la nullité de la résolution de l'assemblée générale ordinaire de la société Jimaille en date du 23 novembre 1990 ayant décidé la révocation du mandat d'administrateur de F. A., Président-Délégué et celle de l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement le même jour ayant décidé la modification de l'article 8 des statuts de la société, constaté la résolution au 23 novembre 1990 du contrat de conseiller technique de F. A., condamné la société Jimaille à payer à ce dernier la somme de 130 000 francs à titre de dommages-intérêts, dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Pour en décider ainsi les premiers juges ont estimé :

- en premier lieu que si la révocation du mandat d'administrateur même non inscrite à l'ordre du jour de l'assemblée générale pouvait être prononcée pour des faits graves révélés en cours de séance, il ressortait des éléments de la cause qu'aucun fait de cette nature n'avait été révélé à l'encontre d'A. au cours de l'assemblée en sorte que sa révocation n'était pas justifiée ;

- en second lieu qu'une modification des statuts était statutairement de la compétence d'une assemblée générale extraordinaire ;

- en troisième lieu que les relations contractuelles ayant lié les parties depuis l'année 1987 et qui étaient concrétisées par l'hébergement à titre provisoire du bureau de consultant en textile animé par F. A. et par ses travaux de consultant auprès de la société avaient été rompues abusivement en l'état de la seule décision unilatérale du Conseil d'administration.

Au soutien de son appel tendant à la réformation du jugement la société Jimaille fait grief aux premiers juges :

- de n'avoir pas retenu comme étant un fait grave révélé à l'assemblée générale par les commissaires aux comptes lors de la séance du 23 novembre 1990 l'accroissement du déficit de la société de 521 559 francs pour l'exercice 1988 à 1 141 478,23 francs pour l'exercice 1989 qu'elle impute à la gestion de son administrateur et Président-Délégué A. ;

- d'avoir prononcé la nullité de la résolution relative à la modification des statuts alors que la société, informée par ses commissaires aux comptes de la nécessité de convoquer une assemblée générale extraordinaire, n'a pas donné suite à cette modification ;

- d'avoir constaté la résolution à ses torts du contrat la liant à F. A. alors qu'elle était libre de ne pas avoir recours à ses services puisqu'A. exerçait une profession libérale et que l'hébergement de son bureau par la société se faisait à titre précaire ;

- d'avoir rejeté sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive qu'elle évalue en appel à la somme de 50 000 francs.

F. A. conclut pour sa part longuement à la confirmation du jugement entrepris sauf du chef des dommages-intérêts qu'il estime devoir être portés à la somme de 1 000 000 de francs en ce qui concerne le préjudice consécutif à sa révocation d'administrateur, à celle de 200 000 francs pour son éviction des locaux et à celle de 120 000 francs pour la rupture du contrat de conseiller technique.

En réponse, la société Jimaille insiste sur le fait que contrairement à ce qu'il soutient, F. A. a été impliqué dans la gestion de la société en qualité de Président du Conseil d'administration à compter du 25 février 1988 ; estimant en outre que le contrat de prestations était entaché de fraude et n'avait pas été soumis à l'approbation de l'assemblée générale, la société Jimaille en sollicite la nullité et poursuit la condamnation d'A. à la restitution avec intérêts de droit de tous les honoraires versés du 25 février 1988 au 23 novembre 1990 ; elle demande en outre la fixation par voie d'expertise de l'indemnité d'occupation due pour cette même période.

F. A. souligne dans ses écritures du 22 novembre 1994 le caractère abusif et vexatoire de sa révocation puisque durant ses fonctions de Président du Conseil d'administration du 25 février 1988 au 5 avril 1989 puis de celle du Président-délégué du mois d'avril 1989 au mois de novembre 1990 les décisions sociales avaient été prises de concert avec J. M., administrateur-délégué qui lui, n'a pas été l'objet de révocation ; il rappelle que les conventions le liant à la société Jimaille dataient de 1987 et qu'elles avaient été ratifiées de longue date par la société, enfin que les associés étaient parfaitement informés de la situation de la société notamment par les rapports du Conseil d'administration depuis le 15 avril 1988.

Dans de nouvelles conclusions, la société Jimaille chiffrant sa demande en remboursement des honoraires versés à A. depuis le 25 février 1988 sollicite la condamnation de ce dernier au paiement d'une somme de 300 521 francs avec intérêts de droit.

Répliquant sur ce point, F. A. a conclu à l'irrecevabilité de cette demande comme étant nouvelle en appel.

Sur ce,

Sur la révocation du mandat d'administrateur :

Considérant que l'article 30 des statuts de la société Jimaille prévoit que :

la révocation d'un administrateur, bien que ne figurant pas à l'ordre du jour, peut être soumise à un vote de l'assemblée, lorsque des faits graves se sont révélés au cours de la réunion et qu'il y a, pour la société, un intérêt pressant à révoquer un mandataire indigne de confiance. «

Considérant que l'assemblée générale réunie le 23 novembre 1990 a révoqué F. A. au vu des comptes de l'exercice clos 1989 qu'elle a déclaré ne pas approuver et a décidé de faire procéder à un audit sur sa gestion ;

Considérant que ces comptes présentés aux actionnaires tant par le rapport du Conseil d'administration que par les commissaires aux comptes font apparaître un déficit de 1 871 117 francs malgré la progression du chiffre d'affaires ainsi qu'une nette augmentation des frais d'exploitation consécutifs pour une grande part au financement de l'aménagement des nouveaux locaux de la société à Fontvieille et à la poursuite du paiement des loyers des anciens locaux dans l'espérance d'une cession avantageuse du droit au bail ;

Considérant que le transfert de la société à Fontvieille a été approuvé par l'assemblée générale du 16 mai 1988 et également par celle du 6 mars 1989 ; que cette dernière assemblée, informée par le rapport du Conseil d'administration dont F. A. était le président du résultat déficitaire de l'exercice 1988 (- 521 559,40 francs), de la diminution du chiffre d'affaires de 1 700 000 francs, des charges locatives accrues par suite du transfert de la société à Fontvieille et des travaux d'aménagement s'y rapportant de l'ordre de 4 000 000 de francs a néanmoins approuvé les comptes et donné quitus aux administrateurs ;

Considérant qu'au cours de cette assemblée, les actionnaires avaient déclaré étudier les moyens de renforcer les capitaux permanents de la société, en complément d'une augmentation de capital décidée par une assemblée générale ordinaire du 16 mai 1988 mais jamais réalisée ;

Considérant que les actionnaires ont encore été informés des mauvais résultats d'exploitation par un procès-verbal du Conseil d'administration du 11 décembre 1989 qui analysait la situation de l'année 1989 et qui prévoyait la nécessité pour la prochaine assemblée générale de se prononcer sur la continuation de l'activité de la société en raison de la perte totale du capital social ;

Considérant dès lors que la dégradation de la situation de la société amorcée en 1988 s'est poursuivie à la connaissance des actionnaires ;

Considérant qu'aucune révélation de faits graves rendant urgent et salutaire le départ de F. A. n'a été faite en séance, l'audit auquel l'assemblée générale avait décidé de faire procéder, à supposer qu'il ait abouti, n'ayant même pas été communiqué dans le cadre du présent procès ;

Considérant enfin que les dispositions de l'article 23 de l'ordonnance souveraine du 5 mars 1895 ont été respectées puisque les assemblées générales des 16 mai 1988, 6 mars 1989 et 23 novembre 1990 ont comporté à leur ordre du jour l'autorisation prévue par ledit article et qu'elles ont accordé cette autorisation après avoir entendu les explications des administrateurs ; que dès lors aucune fraude ne peut être reprochée de ce chef à A., contrairement à ce que soutient l'appelante ;

Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer la décision du tribunal qui a prononcé la nullité de la résolution par laquelle l'assemblée générale outrepassant ses pouvoirs a révoqué F. A. en l'absence de faits graves et imprévus alors que cette question n'était pas inscrite à l'ordre du jour ;

Considérant que le préjudice moral qui en est résulté pour l'intimé a été justement évalué par le tribunal à la somme de 30 000 francs compte tenu des éléments d'appréciation dont la Cour dispose ;

Considérant dès lors que la décision du tribunal doit être confirmée de ce chef et l'appel incident formé par A. doit être rejeté.

Sur la modification des statuts :

Considérant que l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement le 23 novembre 1990 a décidé au titre des questions diverses une modification de l'article 8 des statuts de la société Jimaille touchant aux modalités de cession des actions ;

Considérant cependant que cette faculté est réservée aux termes de l'article 34 desdits statuts à une assemblée générale extraordinaire ;

Considérant dès lors que l'assemblée du 23 novembre 1990 n'avait pas qualité pour procéder à cette modification et que la demande d'annulation de cette résolution formée par F. A., actionnaire de la société est recevable et fondée car bien que le Conseil d'administration ait décidé d'envisager la convocation d'une assemblée générale extraordinaire pour se conformer aux statuts, la délibération prise irrégulièrement au cours de l'assemblée ordinaire du 23 novembre 1990 n'a pas pour autant été annulée ;

Considérant que la décision du tribunal doit donc être confirmée.

Sur la rupture des relations contractuelles :

Considérant que pour juger que la société Jimaille n'était pas en droit de dénoncer unilatéralement les accords qui la liaient à F. A., le tribunal a fait référence à l'arrêt du 17 décembre 1991 rendu sur appel d'une ordonnance de référé, sans justifier autrement sa décision ;

Considérant qu'il apparaît avoir ainsi fait application du principe de l'autorité de la chose jugée alors que l'arrêt précité ayant la même nature que l'ordonnance attaquée n'avait pas cette autorité au principal et qu'il ne pouvait donc à lui seul servir de fondement à la décision des premiers juges qui disposaient d'une plénitude de juridiction sur le fond ;

Considérant que cette décision doit en conséquence être reformée sur ce point ;

Considérant que les relations contractuelles ayant lié les parties à compter de l'année 1987 ont été librement consenties par elles et définies par l'échange de lettres des 15 mai et 24 juin 1987 ;

Qu'il ressort de ces correspondances que la société Jimaille s'est engagée à inclure dans la contrepartie des prestations qu'elle demandait à F. A., consultant en textile, l'hébergement provisoire et précaire du bureau d'études qu'il animait ;

Que la réalité des prestations de consultant technique assurées par A. auprès de la société Jimaille est suffisamment établie par l'échange de lettres précité ainsi que par l'émission trimestrielle de notes d'honoraires payées par la société ;

Que la nullité de ce contrat n'est pas établie dès lors que les assemblées générales des 16 mai 1988, 6 mars 1989, 23 novembre 1990 ont accordé l'autorisation prévue par l'article 23 de l'ordonnance souveraine du 5 mars 1895 ;

Considérant qu'en l'absence de terme prévu dans ce contrat à exécution successive, la société Jimaille aussi bien que F. A. avait le droit d'y mettre fin unilatéralement ;

Considérant que cette rupture - dont la réalité n'est plus contestée par A. - a eu pour conséquence de mettre fin à l'hébergement provisoire et précaire du bureau d'études, cet hébergement constituant contractuellement une contrepartie des prestations de consultant ;

Considérant toutefois que la brutalité de la rupture et son caractère vexatoire sont constitutifs d'une faute justifiant l'allocation de dommages-intérêts que la Cour a les éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 50 000 francs au paiement de laquelle il y a lieu de condamner la société Jimaille ;

Que la décision du tribunal doit être réformée de ce chef et qu'il y a lieu de débouter F. A. de son appel incident ;

Considérant que la société Jimaille n'est pas fondée à demander une révision du montant de l'indemnité d'occupation payée par F. A. pour l'hébergement de son bureau d'études car après avoir accepté les versements faits par l'intimé sans contestation ni réserve donnant ainsi son accord sur le montant de ladite indemnité, rien ne l'autorise aujourd'hui à venir contester l'exécution d'un accord auquel elle a souscrit pendant plus de trois ans ;

Considérant que la société Jimaille qui succombe dans son appel doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que cette société doit être condamnée aux dépens.

Audience du 6 janvier 1994

Le Tribunal,

Attendu que, par l'exploit susvisé, délivré à la société anonyme monégasque dénommée Jimaille, F. A. demande au Tribunal :

- de déclarer nulle et de nul effet l'assemblée générale ordinaire de ladite société réunie extraordinairement le 23 novembre 1990, en ce qu'elle a modifié l'article 8 des statuts de cette société en contravention avec les termes de l'article 26 subséquent faisant obligation d'indiquer sommairement l'objet de la réunion dans la convocation, ainsi qu'avec ceux de l'article 16 de l'Ordonnance du 5 mars 1895 ;

- de déclarer nulle et de nul effet la délibération prise au cours de l'assemblée générale ordinaire du 23 novembre 1990 et le procès-verbal du Conseil d'administration établi à la même date, en ce qu'il avait été demandé la révocation de son mandat d'administrateur, non inscrite à l'ordre du jour, en contravention avec les prescriptions de l'article 30 des statuts ;

- de condamner la société Jimaille à lui payer la somme de 1 million de francs en l'état de sa révocation abusive et vexatoire ;

- de condamner la société Jimaille à lui payer la somme de 300 000 francs à titre de sanction de la rupture unilatérale de son contrat de conseiller technique ;

- d'ordonner en outre l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

Que F. A. expose au soutien de ses demandes qu'il s'est vu confier par G. R., alors actionnaire principal de la société Jimaille, un poste d'attaché commercial de juin à décembre 1986 au sein de cette société, pour devenir, en janvier 1987, conseiller technique ;

Qu'il fut alors amené à ouvrir un bureau d'études, de marketing et de Conseil dans les locaux de la société Jimaille ;

Que le 8 mai 1989, alors détenteur de 25 % du capital social de la société, il était nommé président délégué ;

Attendu que le demandeur indique qu'à la suite d'une convocation du 15 octobre 1990 émanant du commissaire aux comptes, prévoyant l'ordre du jour pour chaque assemblée, une assemblée générale ordinaire s'est réunie le 23 novembre 1990 et a décidé la révocation du mandat d'administrateur et de président délégué d'A. en contravention avec l'article 30 de ses statuts ; que, de même, l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement décidait, le même jour, d'inclure, dans le cadre des questions diverses, » une modification à apporter aux statuts «, point pourtant non visé dans l'ordre du jour ;

Qu'enfin, un Conseil d'administration de la société Jimaille tenu le 23 novembre 1990 décidait également de supprimer l'hébergement dans ses locaux du bureau d'études d'A. ;

Attendu que la société Jimaille conclut au débouté de F. A. de ses demandes, et à sa condamnation à lui payer les sommes de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts et de 10 000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile français ;

Que cette société fait valoir :

- quant à la convocation, que l'avis de convocation du 15 octobre 1990 mentionnait en page 2 » modification éventuelle de la composition du Conseil d'administration « ;

- quant à l'ordre du jour, qu'il résulte des articles 30 alinéa 3,33 alinéa 4 des statuts et 10 de l'Ordonnance sur les sociétés anonymes, que la révocation d'un administrateur n'a pas besoin d'être inscrite à l'ordre du jour dès lors que des faits graves se sont révélés au cours de la réunion, et que la société doit avoir un intérêt pressant à révoquer un mandataire indigne de sa confiance ;

- quant à la modification des statuts, qu'elle est conforme aux dispositions des articles 32,34 alinéa 1er et 35 alinéa 2 des statuts ;

Qu'en outre, la défenderesse soutient qu'A. ne démontre nullement la nature et le quantum du préjudice qu'il prétend avoir subi du fait de sa révocation, et ne rapporte pas la preuve de la défaillance de la société dans ses engagements envers son cocontractant dans le cadre de son activité de conseiller technique ;

Attendu que F. A. réitère ses demandes aux motifs que les assemblées convoquées en suite de celles qui n'ont pu se réunir le 5 novembre 1990 avec l'ordre du jour visé à la convocation du 15 octobre 1990 et qui se sont tenues le 23 novembre 1990 sont entachées de nullité pour violation des prescriptions de l'article 30 des statuts, et alors que l'article 8 des mêmes statuts a été modifié sans qu'il soit satisfait aux dispositions des articles 16 et 17 de l'Ordonnance du 5 mars 1895 ;

Attendu que la société Jimaille invoque l'irrecevabilité des demandes de F. A., dès lors d'une part qu'à supposer nulle sa révocation, elle ne saurait entraîner la nullité de l'ensemble des résolutions des assemblées incriminées, et d'autre part que ce dernier ne peut à la fois solliciter à titre principal la nullité de sa révocation et des dommages-intérêts pour révocation abusive ;

Que l'article 8 des statuts est, contrairement aux prétentions du demandeur, demeuré inchangé puisque la société Jimaille, consciente de la nécessité de convoquer une assemblée générale extraordinaire pour ce faire, n'y a jamais procédé ;

Que la gestion de F. A. ayant été à l'origine des mauvais résultats de la société, celle-ci était en droit de procéder à sa révocation ;

Qu'enfin, concernant la rupture du contrat de conseiller technique, la défenderesse prétend que F. A. n'a jamais bénéficié, à titre salarié, d'aucun contrat, la société lui ayant uniquement consenti une occupation précaire d'un bureau dans ses locaux ;

Que la société Jimaille sollicite la comdamnation de celui-ci à lui payer la somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que, par d'ultimes écrits judiciaires, F. A. conclut au rejet des conclusions de la société Jimaille et sollicite, outre le bénéfice de son exploit introductif d'instance, la somme de 120 000 francs à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de conseiller technique, et celle de 200 000 francs, en l'état de deux arrêts respectivement rendus par la Cour d'appel, le 17 décembre 1991, et la Cour de révision, le 26 avril 1993, pour avoir été abusivement évincé des locaux.

Sur ce,

Attendu qu'il est constant que le 15 octobre 1990, P. O., commissaire aux comptes de la société Jimaille, agissant en application de l'article 25 des statuts, a convoqué l'ensemble des actionnaires de cette société en vue de la tenue d'une assemblée générale ordinaire le 5 novembre 1990 devant statuer sur les comptes de l'exercice 1989 et avec l'ordre du jour suivant :

Rapport du Conseil d'administration sur l'exercice clos le 31 décembre 1989 ;

Rapport des commissaires aux comptes sur le même exercice ;

Approbation des comptes ;

Quitus à donner aux administrateurs en fonction ;

Autorisation à donner aux administrateurs en conformité de l'article 23 de l'Ordonnance souveraine du 5 mars 1895 ;

Fixation des honoraires des commissaires aux comptes ;

Ratification des indemnités allouées au Conseil d'administration ;

Questions diverses ;

Que cette convocation prévoyait également la réunion d'une assemblée générale extraordinaire le même jour, avec comme ordre du jour :

Décision à prendre quant à la continuation ou la mise en dissolution de la société :

Questions diverses ;

Qu'enfin, à la demande d'un actionnaire détenant plus de 10% du capital social, il était prévu de tenir une assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement, dans le cas où la dissolution de la société ne serait pas décidée, avec l'ordre du jour suivant :

Examen et discussion sur la situation actuelle de la société et définition de la nouvelle stratégie commerciale ;

Modification éventuellement de la composition du Conseil d'administration ;

Questions diverses.

Que ces assemblées générales n'ayant pu se réunir, faute de quorum, à la date prévue, une nouvelle convocation était alors adressée aux actionnaires le 12 novembre 1990, aux mêmes fins que la précédente, pour le 23 novembre 1990 :

Attendu que le présent litige conduit en premier lieu le Tribunal à vérifier si, d'une part, l'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la société Jimaille pouvait valablement, lors de la réunion du 23 novembre 1990, décider la révocation du mandat d'administrateur de F. A., d'autre part, si l'assemblée générale ordinaire, réunie extraordinairement le même jour, pouvait valablement procéder à la modification de l'article 8 des statuts.

1. - Sur la révocation du mandat de F. A. :

Attendu que la demande de F. A. ne saurait, ainsi que le prétend la société Jimaille, être déclarée irrecevable dans la mesure où ce dernier peut valablement invoquer à la fois la nullité de la résolution de l'assemblée générale ordinaire ayant décidé sa révocation et prétendre à des dommages-intérêts qui auraient alors comme fondement le préjudice moral causé par cette décision ;

Attendu qu'il est de principe que seules peuvent être discutées par l'assemblée générale les questions inscrites à l'ordre du jour ;

Que, toutefois, l'article 30 des statuts de la société Jimaille prévoit une exception à ce principe : » (...) la révocation d'un administrateur, bien que ne figurant pas à l'ordre du jour, peut être soumise à vote de l'assemblée, lorsque des faits graves se sont révélés au cours de la réunion et qu'il y a, pour la société, un intérêt pressant à révoquer un mandataire indigne de sa confiance « ;

Attendu qu'en l'espèce, et bien que cette question n'ait pas été prévue à l'ordre du jour tel qu'arrêté ci-dessus, l'assemblée générale ordinaire réunie le 23 novembre 1990 avait bien compétence pour délibérer sur la révocation d'un administrateur, lequel, il convient de le rappeler, est révocable ad nutum ;

Mais attendu que si l'article 30 précité a donc expressément prescrit qu'un administrateur peut être révoqué même si cette question ne figure pas à l'ordre du jour, encore faut-il que le vote ait été nécessité par la révélation, en cours de séance, de faits graves justifiant l'urgence pour la société d'écarter un mandataire indigne de sa confiance ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal de cette assemblée que celle-ci a estimé, en première résolution, qu'en raison des réserves formulées dans les rapports du Conseil d'administration et des commissaires aux comptes, elle ne pouvait approuver, en l'état actuel, les comptes présentés et a décidé de charger un cabinet comptable de procéder à un audit de la gestion de la société afin de contrôler les opérations commerciales effectuées par son président F. A. ;

Qu'en deuxième résolution, l'assemblée a refusé le quitus à F. A. et, à la requête de trois actionnaires détenant plus de la majorité des actions, a voté la révocation du demandeur ;

Attendu que pour justifier la mesure prise à l'encontre de F. A., la société Jimaille fait état de la perte de plus des trois quarts du capital social et des résultats catastrophiques de l'année 1990 imputables selon elle à la gestion de celui-ci ;

Mais attendu que le rapport du Conseil d'administration du 6 mars 1989 à l'Assemblée générale réunie le même jour mentionne déjà l'existence d'une diminution du chiffre d'affaires en 1988 d'environ 14,69 % par rapport à 1987 et d'une perte de 521 559 francs ;

Que le procès-verbal du Conseil d'administration du 11 décembre 1989 confirme également la dégradation des résultats d'exploitation, faisant apparaître une perte de 2 146 000 francs et prévoyant déjà la nécessité pour l'Assemblée générale des actionnaires de se prononcer, à la clôture de l'exercice 1989, sur la continuation de l'activité de la société ;

Qu'en conséquence, les mauvais résultats d'exploitation de la société Jimaille étaient déjà connus de ses actionnaires avant le 23 novembre 1990 ; qu'il s'agissait donc de faits anciens et que la gestion de l'administrateur révoqué, à supposer qu'elle ait été susceptible de critiques, n'était pas ignorée des membres de l'Assemblée ; que, du reste, aucune révélation de fautes jusqu'alors insoupçonnées, n'a été faite au cours de l'Assemblée, laquelle a d'ailleurs procédé à la révocation de F. A. sans attendre le résultat de l'audit préalablement décidé ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que la révocation de F. A. n'est pas justifiée par un incident de séance, ayant revêtu les conditions de gravité et d'imprévu requises par l'article 30 précité des statuts ;

Attendu, en conséquence, que l'Assemblée générale n'a pas respecté les dispositions prévues par ledit article 30 et qu'elle a, dès lors, outrepassé ses pouvoirs en prononçant la révocation injustifiée d'un administrateur sur le champ, alors que cette question n'était pas inscrite à l'ordre du jour ;

Qu'il convient en conséquence de prononcer la nullité de la résolution incriminée ;

Attendu, quant à la demande de dommages-intérêts formée par A., que le Tribunal ne peut qu'indemniser le préjudice moral de celui-ci extérieur à la mesure d'éviction prise à son encontre, dont le montant doit être fixé à la somme de 30 000 francs, compte tenu des éléments de la cause.

II - Sur la modification des statuts.

Attendu que, lors de l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement le 23 novembre 1990 à 12 heures 30 à la demande d'un actionnaire réunissant plus de 10 % du capital social, cette assemblée a décidé une modification des statuts, à savoir l'article 8, dans le cadre des » questions diverses « ;

Attendu qu'il résulte de l'article 34 des statuts de la société Jimaille que » l'assemblée générale extraordinaire peut, sur l'initiative du Conseil d'administration, apporter aux statuts toutes modifications dont l'utilité est reconnue par lui (...) « ;

Attendu que l'assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement n'avait dès lors pas qualité pour procéder à cette modification, qui devait faire l'objet d'une réunion de l'assemblée générale extraordinaire, seule habilitée, en vertu de l'article 34 précité, à y procéder, alors surtout qu'ainsi qu'il vient d'être rappelé aucune proposition ne peut être soumise à l'assemblée si elle ne figure pas à l'ordre du jour, ce qui est le cas en l'espèce, en sorte que cette question ne pouvait être valablement discutée dans le cadre des » questions diverses " ;

Attendu qu'il y a lieu, en conséquence, de prononcer la nullité de la résolution unique relative à la modification de l'article 8 des statuts adoptée le 23 novembre 1990 par l'Assemblée générale ordinaire des actionnaires de la société Jimaille, réunie extraordinairement.

III. - Sur la rupture du contrat de Conseiller technique.

Attendu qu'il est constant que la société Jimaille et F. A. ont décidé d'entretenir des relations contractuelles en 1987 ;

Que cette société s'est engagée à inclure, en contrepartie des prestations qu'elle assurait au demandeur, consultant en textile, l'hébergement provisoire et à titre précaire du bureau d'études qu'il animait ;

Attendu qu'il résulte du procès-verbal de la réunion du Conseil d'administration en date du 23 novembre 1990 où F. A. était absent, que ce Conseil a décidé de supprimer l'hébergement accordé à ce dernier à titre provisoire et précaire en contrepartie de ses prestations à la société, devenues sans objet ni effet ;

Mais attendu, ainsi que l'a relevé la cour d'appel dans l'arrêt susvisé du 17 décembre 1991, confirmé par la Cour de révision le 26 avril 1993, ayant constaté l'incompétence du juge des référés pour statuer sur la demande d'expulsion des locaux mis à la disposition de la société Jimaille à F. A., que la dénonciation des accords contractuels ne pouvait être l'objet d'une décision unilatérale du Conseil d'administration réuni le 23 novembre 1990 ;

Que la réalité de ces accords apparaît suffisamment démontrée par l'émission régulière de notes d'honoraires mensuelles adressées par F. A. à la société Jimaille, établissant ainsi la constance et la permanence de ses travaux de consultant technique auprès de la défenderesse ;

Attendu que la rupture des relations contractuelles entre les parties, intervenue abusivement en l'état de la seule décision unilatérale du Conseil d'administration, a entraîné l'expulsion du demandeur des locaux où il était hébergé et que ces faits lui ont causé un préjudice certain qui devra être réparé par l'octroi d'une somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Qu'il y a lieu, en conséquence, de constater que la résolution du contrat est intervenue le 23 novembre 1990 à l'initiative de la société Jimaille et aux torts de celle-ci, et que F. A., qui a sollicité la condamnation de la défenderesse au paiement de dommages-intérêts, a implicitement renoncé à la poursuite dudit contrat ;

Attendu qu'à défaut d'urgence, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Que les dépens suivent la succombance.Par ces motifs,

Le Tribunal,

Statuant contradictoirement,

Prononce la nullité de la résolution de l'Assemblée générale ordinaire de la société anonyme monégasque dénommée Jimaille du 23 novembre 1990 ayant décidé la révocation du mandat d'administrateur de F. A., président-délégué ;

Prononce la nullité de la résolution de l'Assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement de la société Jimaille du 23 novembre 1990 ayant décidé la modification de l'article 8 des statuts de cette société ;

Constate la résolution au 23 novembre 1990 du contrat de conseiller technique de F. A. ;

Condamne la société Jimaille à payer à F. A. la somme de 130 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Confirme le jugement du tribunal de première instance en date du 6 janvier 1994 sauf du chef des dommages-intérêts ;

Le réformant sur ce point,

Condamne la SAM Jimaille à payer à F. A. la somme de 80 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Déboute F. A. de son appel incident ;

Déboute la société Jimaille des fins de son appel ;

Composition🔗

Mme François, v. prés. ff prés. ; Carrasco, proc. gén. ; Mes Pastor et Leandri, av. déf. ; Toquet, av. bar. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme pour l'essentiel un jugement du 6 janvier 1994 à la suite de l'arrêt.

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