Cour d'appel, 15 mai 1995, Hoirs P. c/ SAM Jimaille

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Abstract🔗

Contrats - Obligations

Contrat de louage - Obligations du bailleur (C. civ., art. 1553) - Locataire privé de la jouissance d'une partie des locaux

Copropriété

Action d'un copropriétaire contre le Syndicat - Partie commune : effondrement d'un mur - Inutilisation d'une partie des locaux appartenant au copropriétaire

Résumé🔗

En application de l'article 1559 du Code civil, le bailleur est tenu de mettre à la disposition de son locataire un local en bon état d'entretien et de lui assurer le clos et le couvert, de sorte qu'il est tenu de réparer le préjudice occasionné au locataire par l'effondrement d'un mur - partie commune d'une copropriété, effondrement qui a rendu inutilisable une partie des locaux loués.

Le locataire qui a exécuté son obligation contractuelle est donc fondé à invoquer le préjudice découlant de l'inexécution partielle.

De son côté le bailleur est fondé à être relevé et garanti par le syndicat de la copropriété qui avait la garde et l'entretien du mur effondré, partie commune.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour est saisie des appels relevés par R. D., veuve P. et J. P. d'une part et par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « L. M. » d'autre part, d'un jugement du tribunal de première instance en date du 6 janvier 1994.

Considérant que ces appels qui concernent la même décision doivent être joints dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Les faits, la procédure, les moyens et prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, référence étant faite pour le surplus au jugement déféré et aux écritures échangées en appel :

L'un des murs du local donné à bail par les dames P. à la SAM Jimaille s'étant partiellement effondré à la suite d'un glissement de terrain situé en amont du local, cette société qui avait été autorisée à saisir-arrêter entre ses propres mains toutes sommes appartenant aux dames P. à concurrence de 500 000 francs les a assignées devant le tribunal de première instance en validation de la saisie-arrêt et en paiement in solidum de la somme de 460 238,20 francs avec intérêts en réparation des troubles et privations de jouissance qu'elle aurait subis par suite de cet effondrement outre celle de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts complémentaires pour résistance abusive.

Les dames P. ont à leur tour assigné en intervention forcée la cocopropriété de l'immeuble « L. M. » dans lequel est situé le local aux fins d'être relevées et garanties de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre du chef de la société Jimaille au motif que le mur effondré constituait une partie commune.

Par le jugement déféré, le tribunal a joint lesdites instances, déclaré les dames P. tenues de garantir les conséquences dommageables du trouble de jouissance de leur locataire, les a condamnées conjointement à payer à la société Jimaille la somme de 195 869 francs à titre de dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter du jour du jugement, débouté la société Jimaille du surplus de ses demandes et les dames P. de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, condamné le syndicat de la copropriété de l'immeuble « L. M. » à relever et garantir les dames P. de la condamnation prononcée à leur encontre en principal et intérêts ainsi qu'aux dépens.

Pour statuer ainsi sur la demande principale de la société Jimaille, les premiers juges ont estimé que les dames P., tenues d'assurer à leur locataire l'usage paisible des lieux loués, en vertu de l'article 1559,3e du Code civil devaient être condamnées - conjointement en leur qualité de propriétaires indivises du local - à indemniser la société Jimaille des troubles occasionnés par l'effondrement partiel du mur extérieur des locaux loués devenus inutilisables sur une superficie de 225 m2.

Sur l'appréciation de ce préjudice, le tribunal a estimé que cette société ne pouvait imputer à ses seules bailleresses le retard dans l'exécution des travaux de remise en état des locaux dès lors qu'il lui appartenait devant leur carence de solliciter en temps utile l'indemnisation à laquelle elle prétend qui concerne la réduction du loyer en proportion de la surface rendue inutilisable ; le tribunal a ainsi alloué de ce chef une somme de 150 000 francs à la société Jimaille qui en avait réclamé 310 238,28 francs.

Le tribunal lui a alloué en outre une indemnité de 45 869 francs en réparation du préjudice résultant pour elle du transfert d'une partie du stock de marchandises dans un autre local ainsi que d'une gêne dans l'exercice de son activité.

Quant à la demande en garantie des hoirs P., le tribunal a estimé sur le fondement d'une expertise amiable effectuée au contradictoire de toutes les parties que celles-ci n'avaient pas discuté que les désordres étaient imputables à l'effondrement d'un mur constituant une partie commune et qu'à ce titre le syndicat de la copropriété en avait la garde et devait veiller à sa conservation et à son entretien en bon état de réparations ; le tribunal a déclaré le syndicat de la copropriété responsable des dommages causés par l'effondrement de ce mur aux parties privatives des dames P., et l'a condamné à les relever et garantir des condamnations mises à leur charge.

1 - Au soutien de leur appel parte in qua, les dames P. font grief aux premiers juges :

  • en premier lieu de ne pas avoir répondu aux conclusions dans lesquelles elles ont développé leurs explications sur l'absence d'un préjudice subi par la société Jimaille qui avait, selon elles, décidé de cesser définitivement son exploitation dans les locaux loués qu'elle n'a conservés que dans l'espérance d'une opération financière liée à un éventuelle expropriation ou à un rachat par un promoteur, espoir déçu qui l'a conduite à demander une résiliation amiable du bail puis devant le refus opposé par les dames P., à ne plus payer le loyer qu'elle a été condamnée à régler par un jugement définitif du 13 juin 1991. Selon les appelantes l'action en dommages-intérêts introduite par la société Jimaille aurait pour but de ne pas payer le loyer des 2e, 3e et 4e trimestres 1992 afin de compenser la condamnation prononcée par le jugement précité.

  • en second lieu de les avoir déboutées de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts alors que les faits démontreraient le caractère abusif de l'action intentée par la société Jimaille.

Les appelantes sollicitent en conséquence la réformation du jugement entrepris de ces chefs.

Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « L. M. » qui soutient n'avoir pas eu connaissance du rapport d'expertise amiable reprend l'argumentation développée par les appelantes selon lesquelles la société Jimaille n'aurait subi aucun trouble de jouissance dès lors qu'elle avait décidé de transférer définitivement ses locaux ; en outre la copropriété estime à titre subsidiaire, que l'indemnité allouée par le tribunal est excessive.

La société Jimaille a conclu à la confirmation du jugement entrepris par les dames P. à la condamnation de ces dernières et du syndicat des copropriétaires au paiement d'une somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

2 - Au soutien de son appel, le syndicat de la copropriété de l'immeuble « L. M. » fait valoir, après avoir relevé qu'il n'avait pas eu communication en première instance des documents sur lesquels était fondée la demande en intervention forcée :

  • en premier lieu que la société Jimaille n'avait pas l'intention de poursuivre son exploitation dans les locaux de l'immeuble « L. M. » puisqu'elle avait transféré la totalité de ses activités dans un local qu'elle avait loué à Fontvieille,

  • en deuxième lieu que la société Jimaille a attendu quatre ans et demi avant d'entamer une procédure ce qui démontrerait l'absence de troubles de jouissance,

  • en troisième lieu que le retard dans la remise en état des lieux est consécutif à la réticence et au « pointillisme » des dames P.

L'appelant sollicite en conséquence l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation in solidum des dames P. et de la société Jimaille à lui payer une somme de 30 000 Francs à titre de dommages-intérêts.

La société Jimaille à conclu à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation in solidum du syndicat des copropriétaires et des dames P. au paiement d'une somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif.

Ceci étant exposé :

1 - Sur l'appel des dames P.,

Considérant qu'en application de l'article 1559 du Code civil, le bailleur est tenu de mettre à la disposition de son locataire un local en bon état d'entretien et de lui assurer le clos et le couvert ;

Considérant que le sinistre survenu le 27 octobre 1987 dans les locaux du 2e sous-étage de l'immeuble « L. M. » loué à la société Jimaille a eu pour conséquence de rendre inutilisable une partie de ceux-ci sur une superficie de 225 m2 ainsi qu'il ressort de l'expertise amiable établie au contradictoire de toutes les parties en cause ;

Considérant que la remise en état définitive des lieux a été achevée le 18 février 1992 ;

Considérant que durant cette période le bailleur n'a exécuté que partiellement son obligation tandis que le locataire a payé le loyer correspondant à une mise à disposition totale ;

Considérant que dans le cadre d'un contrat liant les parties le locataire qui a exécuté son obligation est fondé à invoquer un préjudice découlant de l'inexécution partielle de son obligation par le bailleur, hors toute référence à l'utilisation ou à la non-utilisation des locaux pendant cette période, circonstance étrangère aux obligations découlant du contrat ;

Considérant sur la répartition de ce préjudice que la société Jimaille qui avait demandé à juste titre une réfaction de son loyer en proportion de la surface indisponible a acquiescé à la décision du tribunal ayant ramené le montant réclamé à la somme de 150 000 francs ;

Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement de ce chef ;

Considérant par ailleurs qu'il résulte de l'expertise amiable versée aux débats que la société Jimaille s'est trouvée dans l'obligation de transférer dans un autre local une partie du stock de marchandises ayant engendré des frais et une gêne dans l'exercice de son activité et qu'il y a lieu de confirmer de ce chef également la décision du tribunal ;

Considérant enfin qu'en l'état de leur succombance les appelantes doivent être déboutées de leur appel concernant le paiement de dommages-intérêts et la décision du tribunal confirmée de ce chef ;

2 - Sur l'appel du syndicat des copropriétaires de l'immeuble « L. M. »,

Considérant que le syndicat des copropriétaires qui soutient n'avoir pas eu connaissance en première instance du rapport de l'expertise amiable à laquelle il a participé mais qui en a eu connaissance en cause d'appel reprend à son compte l'argumentation développée par les dames P. sur l'absence de préjudice subi par la société Jimaille ;

Considérant que pour les mêmes motifs que ceux ci-dessus exposés, il y a lieu de rejeter ce moyen et de confirmer le jugement entrepris ;

Considérant par ailleurs que le syndicat des copropriétaires conteste devoir relever et garantir les dames P. des condamnations mises à leur charge ;

Considérant cependant que le mur effondré est une partie commune et qu'à ce titre le syndicat de la copropriété qui en avait la garde et l'entretien est responsable ainsi que le tribunal l'a relevé, des dommages occasionnés aux parties privatives des dames P. donc aucun élément du dossier n'établit qu'elles auraient été à l'origine des lenteurs de la remise en état des lieux ;

Considérant que les dames P. doivent donc être relevées et garanties par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « L. M. » des condamnations mises à leur charge ;

Considérant que le syndicat des copropriétaires qui succombe en son appel doit être débouté de sa demande dirigée tant contre les dames P. que contre la société Jimaille ;

3 - Sur l'appel incident de la société Jimaille,

Considérant que cette société qui ne rapporte pas la preuve d'un préjudice doit être déboutée de son appel ;

Considérant que le syndicat des copropriétaires qui succombe en définitive doit être condamné aux dépens d'appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Joint les instances n° de rôle 94-112 (assignation du 27 avril 1994) et 94-120 (assignation du 10 mai 1994),

Confirme le jugement entrepris du 6 janvier 1994 en toutes ses dispositions,

Déboute les dames P. et le syndicat des copropriétaires de l'immeuble « L. M. » de leurs appels respectifs,

Déboute la SAM Jimaille de son appel incident,

Note🔗

Cet arrêt confirme en toutes ses dispositions un jugement du 6 janvier 1994.

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