Cour d'appel, 28 février 1995, Époux S. c/ C. et Société en nom collectif C. et D.

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Abstract🔗

Baux commerciaux

Apport en société d'un fonds de commerce - Assimilation à la cession d'un droit au bail - Clause d'Interdiction d'apport : Nullité - art. 32 bis de la loi n° 490

Résumé🔗

En application de l'article 32 bis alinéa 1er de la loi n° 490 du 24 novembre 1948, la clause du bail qui interdit de manière générale et absolue tout apport en société du fonds de commerce est nulle, un tel apport étant assimilé à une cession du bail.

La clause du bail qui subordonne toute cession du droit au bail, y compris à l'acquéreur du fonds de commerce, à l'agrément préalable du bailleur, dans la mesure où elle a pour conséquence de soumettre la cession du bail à la volonté exclusive du bailleur, constitue une véritable clause d'interdiction générale et absolue prohibée par la loi.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 3 février 1994 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant les époux S. à M. C. et à la SNC C. et D.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

Par acte notarié du 25 avril 1991, Y. S. a vendu à M. C. un fonds de commerce de bar-glacier à Fontvieille.

Par acte sous seings privés du 30 août 1991, Y. S. et son épouse J. B., propriétaires des murs, ont consenti à M. C. un bail commercial des locaux où était exploité le commerce.

Aux termes de ce bail, les locaux étaient loués exclusivement pour l'exploitation d'un commerce de bar-glacier (vente de glaces industrielles, salon de thé, salades composées) à l'enseigne « L. L. » et pour jouissance personnelle conforme à leur destination.

Une clause générale du contrat interdisait au preneur toute cession du bail et toute sous-location.

Cependant il était dérogé à cette interdiction dans la mesure où une autre clause prévoyait que « le preneur pourra, après agrément du bailleur (lequel entend expressément intervenir aux actes et en avoir copie sans frais) céder son droit au présent bail, mais seulement à l'acquéreur de son fonds de commerce... toute autre cession, comme tout apport à une société est interdit ».

Par acte sous seings privés du 21 juillet 1992, M. C. et D. D. ont constitué entre eux une société en nom collectif SNC C. et D. « ayant pour objet social la fabrication artisanale et industrielle de glaces, l'achat, la vente en gros, demi-gros, l'importation et l'exportation, le courtage, la distribution de produits glacés et de tous éléments se rapportant à ces produits, la fourniture des équipements, matériels et installations se rapportant à la fabrication et la vente de glaces, l'étude de projets, la mise en place, le développement et l'animation d'un réseau de promotion des produits ci-dessus désignés, l'exploitation directe ou indirecte de tout fonds de commerce se rapportant auxdites activités.

Par ce même acte, M. C. faisait apport à la société du fonds de commerce » L. L. « y compris le droit au bail des locaux. Cet apport faisait l'objet de deux publications au Journal de Monaco, les 11 et 18 septembre 1992.

Par sommation du 16 septembre 1992, les époux S., faisant état d'un refus verbal du 7 août 1992, s'opposaient à cet apport et invitaient M. C. à se conformer aux clauses du bail dans le délai d'un mois sous peine de mettre en œuvre la clause résolutoire figurant au contrat.

Le 12 octobre 1992, une assemblée générale de la SNC C. et D. décidait de modifier les statuts en ce sens que l'objet social s'étendait désormais à » l'exploitation directe ou indirecte de tous fonds de commerce se rapportant auxdites activités, ainsi que l'exploitation d'un bar avec l'annexe de salon de thé et service de salades composées, sous réserve de l'obtention préalable, pour chaque fonds de commerce, de l'accord des autorités compétentes «.

Cette modification était publiée au Journal de Monaco le 27 novembre 1992 et déposée au Greffe général le 24 novembre 1992.

Le 4 décembre 1992, les époux S. saisissaient le juge des référés aux fins de voir constater la résiliation du bail. Par ordonnance du 4 mars 1993, le juge des référés, estimant que la validité de la clause invoquée par les demandeurs faisait l'objet d'une contestation sérieuse, disait n'y avoir lieu à référé.

Par acte du 7 avril 1993, les époux S. faisaient assigner M. C. et la SNC C. et D. devant le Tribunal de première instance aux fins, pour l'essentiel, de voir constater la résiliation du bail du fait de l'irrégularité de la cession et pour défaut d'exploitation de toute activité dans les lieux loués.

Par le jugement dont appel, le Tribunal a :

  • débouté les époux S. de leur demande de résiliation du bail ;

  • déclaré nulles les clauses contenues au point 9 » destination commerciale « dudit bail interdisant l'apport en société du droit au bail et soumettant la cession dudit droit à l'agrément du bailleur ;

  • déclaré opposable à compter du 19 janvier 1994 aux époux S. l'apport fait par C. du droit au bail à la SNC C. et D. ;

  • dit en conséquence que la SNC C. et D. était désormais titulaire du droit au bail ;

  • dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

  • condamné les époux S. aux dépens ;

Par acte du 23 mars 1994, les époux S. ont relevé appel de cette décision et ont fait assigner devant la Cour M. C. et la SNC C. et D., prise en la personne de son liquidateur M. C., l'acte étant délivré à sa personne.

À l'appui de leur appel, les époux S. exposent en premier lieu que les dispositions contractuelles interdisant toute sous-location, tout apport en société ou toute cession réalisée sans l'agrément et l'intervention du bailleur ont été violées par le preneur.

Ils soutiennent que cette clause d'agrément et d'intervention à l'acte du bailleur est parfaitement licite et s'impose au locataire à peine de résiliation du bail.

Ils affirment que l'apport en société entraîne la création d'une personne morale distincte du locataire originel et donc un changement de locataire.

En deuxième lieu, ils affirment que la SNC C. et D. ne saurait soutenir qu'elle serait le successeur de M. C. dans son commerce, dans la mesure où son objet social serait beaucoup plus large et très différent de celui indiqué au bail.

En troisième lieu, ils soutiennent qu'à défaut d'avoir été autorisé par eux, l'apport en société, contraire au contrat, ne pouvait valoir cession du droit au bail mais pouvait s'analyser en une sous-location, elle-même interdite.

En quatrième lieu, sur la base d'un constat d'huissier du 23 octobre 1992, ils font valoir que le fonds de commerce ne serait plus exploité, même si quelques travaux ponctuels ont pu être effectués dans les lieux en novembre 1992. Ils ajoutent que cette absence d'exploitation a entraîné une dépréciation du fonds.

Relevant que la SNC C. et D. n'avait pas conclu en appel, les époux S. demandent à la Cour, outre d'ordonner des communications de pièces et de dire et juger divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt, alors qu'ils pourraient éventuellement constituer des motifs,

  • de constater la résiliation du bail,

  • d'ordonner l'expulsion de M. C., de la SNC C. et D. et de tous occupants en la forme habituelle et sous astreinte,

  • de débouter M. C. de ses demandes,

  • de condamner M. C. et la SNC C. et D. au paiement de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts,

  • de les condamner aux dépens.

M. C., pour sa part, invoque en premier lieu l'article 32 bis de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 qui dispose notamment : » Est nulle et de nul effet toute clause qui aurait pour objet d'interdire au preneur de céder son bail à son successeur dans l'exploitation du fonds de commerce «.

Il soutient, sur la base d'une jurisprudence étrangère, que la clause qui interdit toute cession à une société ou qui aurait pour effet de rendre la cession impossible à toute catégorie d'acquéreurs serait nulle.

En deuxième lieu, il prétend que l'apport en société ne peut être assimilé à une cession du bail et que la clause d'agrément et d'intervention figurant au bail doit être interprétée restrictivement et limitée au cas de cession proprement dite, et non pas étendue au cas d'apport en société.

En troisième lieu, il affirme que la SNC C. et D. est bien le successeur de M. C. dans son commerce. Il rappelle que toutes les publicités légales ont été effectuées et que les statuts de la société ont été modifiés pour faire apparaître clairement que son objet comprenait l'exploitation du bar, salon de thé et services de salades composées.

En quatrième lieu, il déclare que l'exploitation du commerce n'a pas été abandonnée mais seulement interrompue pendant la période creuse d'hiver pour permettre la réalisation de travaux. Il invoque en ce sens un constat d'huissier du 16 février 1993 faisant état de la présence de deux ouvriers électriciens, et l'attestation de l'expert comptable B. selon laquelle le commerce aurait dégagé du chiffre d'affaires durant la première quinzaine d'août 1992. Il soutient en conséquence avoir rempli toutes ses obligations.

M. C. demande en conséquence à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris ;

  • de débouter les époux S. de toutes leurs prétentions ;

  • de les condamner aux dépens.

La SNC C. et D., enfin, bien que régulièrement assignée à la personne de son liquidateur, M. C., n'a pas constitué avocat-défenseur ;

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant que la SNC C. et D. qui n'a pas constitué avocat-défenseur, a été régulièrement assignée à la personne de son liquidateur ;

Que le présent arrêté sera donc réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties ;

Considérant que l'apport en société d'un fonds de commerce est assimilé à une cession ;

Considérant que l'article 32 bis alinéa 1er de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 dispose : » Est nulle de nul effet toute clause qui aurait pour objet d'interdire au preneur de céder son bail à son successeur dans l'exploitation du fonds de commerce « ;

Considérant que la clause du bail qui interdit de manière générale et absolue tout apport en société est donc nulle ;

Considérant que la clause du bail qui subordonne toute cession du droit au bail, y compris à l'acquéreur du fonds de commerce, à l'agrément préalable du bailleur ne peut être analysée en une simple clause restrictive de cession de bail ;

Que, dans la mesure où elle a pour conséquence de soumettre la cession à bail à la volonté exclusive du bailleur, elle constitue une véritable clause d'interdiction générale et absolue prohibée par la loi ;

Que cette clause est donc également nulle ;

Considérant que la disposition du bail prévoyant l'intervention du bailleur à l'acte de cession, incluse entre parenthèses dans la clause analysée ci-avant, ne jouit vis-à-vis de celle-ci d'aucune autonomie et se trouve dépourvue de sens en l'absence d'agrément du bailleur ;

Qu'ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, elle doit suivre le sort de la clause annulée ;

Considérant qu'il ne peut être sérieusement contesté que la SNC C. et D. soit » l'acquéreur « du fonds de commerce ;

Que l'argumentation développée par les époux S. sur le sens de l'expression » successeur dans le commerce « est sans conséquence sur la solution du litige, cette expression ne figurant pas dans le bail ;

Considérant qu'ainsi la cession du droit au bail réalisée par l'apport en société concrétisé par l'acte du 21 juillet 1992 est valable ;

Qu'en conséquence le moyen tiré d'une prétendue sous-location prohibée doit être écarté ;

Considérant qu'en application de l'article 1530 du Code civil, l'apport en société d'un droit au bail, ou sa cession, doit être signifié au propriétaire ;

Qu'il est constant qu'une telle signification n'a pas été faite en l'espèce, une simple information verbale ou la publicité légale ultérieure ne pouvant suppléer la signification prévue par la loi ;

Considérant que l'absence de signification n'a pour effet que de rendre la cession inopposable au bailleur ;

Qu'en outre cette signification n'est soumise à aucune condition de délai et peut donc être effectuée à tout moment ;

Que les premiers juges ont relevé que toutes pièces nécessaires à une information complète des époux S. quant au transfert du droit au bail leur avaient été communiquées avec leurs conclusions du 19 janvier 1994 ;

Qu'ils en ont à bon droit déduit qu'à cette date l'obligation mise à la charge du locataire était remplie ;

Considérant que les pièces versées aux débats ne permettent pas d'établir un défaut d'exploitation du commerce dans les lieux loués ;

Considérant qu'en effet, si un constat d'huissier atteste qu'à la date du 23 octobre 1992, l'établissement » L. L. " était fermé depuis le 16 août 1992, un autre constat atteste que le 16 février 1993, des travaux d'électricité étaient en cours ;

Que s'il apparaît que L. L., à l'instar de nombreux commerces de la Principauté, a été fermé pendant la période de moindre fréquentation touristique, rien ne permet en l'état d'affirmer que cette fermeture se serait anormalement prolongée ni que le fonds serait depuis lors inexploité ;

Que la dissolution de la SNC C. et D. à compter du 23 février 1994 n'implique pas par elle-même l'abandon de l'exploitation du fonds ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la communication des pièces dont les intimés n'entendent pas se prévaloir et qui, au surplus, seraient sans effet sur la solution du litige ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de débouter les époux S. des fins de leur appel ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant par arrêt réputé contradictoire,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement attaqué, du 3 février 1994 ;

Déboute les époux S. de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

Note🔗

Cet arrêt confirme en toutes ses dispositions un jugement du 3 février 1994.

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