Cour d'appel, 29 novembre 1994, Dame D. c/ Hoirie F.

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Abstract🔗

Testament

Testateur - Étranger - Forme du testament : option entre loi monégasque et loi nationale (1) - Trust - Testament : constitution d'un trust - Acte authentique nécessaire sous peine de (2)

Résumé🔗

Dès lors qu'il ressort des éléments de la cause qu'un mariage a été régulièrement célébré et transcrit à l'étranger (ancienne Malaisie britannique) entre une française et un sujet britannique et que selon la loi britannique, alors en vigueur, l'étrangère épousant un sujet britannique acquerrait de ce fait la nationalité britannique, celle-ci, qui justifiait de cette qualité dont elle se prévalait, était fondée à rédiger en Principauté un testament en la forme britannique, les étrangers pouvant, selon leur choix, y tester dans les formes prévues par la loi monégasque, ou selon les formes admises par leur loi nationale (1).

Étant constant que la testatrice a clairement exprimé sa volonté de réaliser la transmission et la dévolution de ses biens essentiellement en instituant un trust dans son testament, dactylographié en langue anglaise et établi selon la forme de sa loi nationale, il s'en suit qu'en application de l'article 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, modifiant la loi n° 207 du 12 juillet 1935, à défaut de revêtir la forme authentique, le « trust constitué doit être déclaré nul et de nul effet, la succession devant dans ces conditions être réglée » ab intestat «.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 30 avril 1992 par le tribunal de Première Instance de Monaco, dans le litige opposant W. D. à J. F., épouse D., L. F., épouse K., I. F. et A. F.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être exposés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel.

G. M. B. est née le 9 juin 1900 à Saigon (Viet-Nam), alors colonie française, de parents eux-mêmes français. Le 28 novembre 1929, elle a épousé à Penang (Malaisie), alors colonie britannique, W. J. H., dont la nationalité britannique est incontestée, selon le rite catholique en l'église de l'Assomption.

Les époux H. fixèrent en 1954 leur domicile conjugal à Monaco. W. H. devait y décéder le 12 décembre 1979.

G. H. est décédée à Monaco, le 26 juillet 1986 en l'état d'un testament du 5 juillet 1977.

Ce testament, dactylographié, est rédigé en langue anglaise et établi selon la forme britannique.

Ce document se compose de cinq parties essentielles :

En premier lieu, un préambule par lequel M. G. H. se déclare sujet britannique domiciliée à Monaco et demande que ses volontés reçoivent effet selon les lois de la Principauté.

En deuxième lieu, une série de dispositions instituant son époux comme seul héritier au cas où il lui survivrait plus de vingt et un jours. W. H. étant prédécédé, ces dispositions sont caduques.

En troisième lieu, des dispositions par lesquelles, en cas de prédécès de son époux, la testatrice institue sa belle-sœur, W. F. D., en qualité de » Executrix and Trustee «. Elle précise le sens du mot » my Trustee «. Elle donne et lègue à son » trustee « tous ses biens » en trust « (»Upon Trust «), à charge pour elle de vendre les biens, de payer diverses dépenses et d'affecter le reste des liquidités disponibles aux » trusts « suivants :

  • la moitié » in trust « à W. F. D.,

  • le reste » in trust « à parts égales entre L. K. et J. D.,

En quatrième lieu, des dispositions très précises concernant les pouvoirs du » trustée « et les conditions de rémunération de tout autre » executor « ou » trustée « professionnel qui pourrait être amené à intervenir.

En cinquième lieu, figurent les signatures de la testatrice et de deux témoins.

Par acte du 16 avril 1987, J. F. épouse D., L. F., épouse K., I., C. F. et A. F., neveux et nièces de la défunte et se disant seuls héritiers, ont fait assigner W. D. devant le Tribunal de Première Instance de Monaco aux fins de voir déclarer nul le document du 5 juillet 1977 et d'être déclarés seuls habiles à recueillir, » ab intestat «, la succession de G. M. H.

Par le jugement déféré, du 30 avril 1992, le Tribunal a :

  • déclaré nul et de nul effet le trust constitué par M. G. B., Veuve H., selon acte non authentique du 5 juillet 1977,

  • dit que la succession de celle-ci, à défaut d'autres dispositions testamentaires connues, serait réglée » ab intestat «,

  • débouté W. D. de ses demandes d'envoi en possession et de condamnation des hoirs F.,

Condamné W. D. aux dépens.

W. D. a relevé appel de cette décision par acte du 29 juillet 1992 (appel n° 93-14).

Les hoirs F. ont eux-mêmes interjeté appel de ce même jugement par acte du 10 mai 1994 (appel n° 94-121).

À l'appui de ses prétentions, W. D. expose en premier lieu que G. H., née française, avait acquis la nationalité britannique par son mariage avec W. H., de nationalité britannique. Elle précise sur ce point que le mariage religieux célébré en Malaisie, alors colonie britannique, selon le rite catholique, est valable tant selon la loi Malaise que selon les lois française, anglaise et monégasque.

Elle prétend que, par ce mariage, G. B. a acquis automatiquement la nationalité britannique de son époux, faisant observer qu'elle a toujours été détentrice d'un passeport et de documents d'identité britanniques.

En deuxième lieu, W. D. prétend que, du fait de la nationalité britannique de G. H., celle-ci était habilitée à rédiger son testament selon la forme anglaise, soutenant au surplus que son testament devrait être reconnu valable tant au regard de la loi anglaise qu'à celui de la loi française ou de la loi monégasque.

En troisième lieu, elle soutient que, malgré les termes employés, le testament litigieux n'a pas eu pour objet la constitution d'un » trust «. Elle prétend en effet que les termes » trust « et » trustée « n'ont été utilisés que par facilité de langage pour désigner un » exécuteur testamentaire « disposant en droit anglais de pouvoirs plus étendus que son homologue français ou monégasque.

Elle affirme également que les dispositions du testament sont exclusives de la notion de » trust « dans la mesure où les fonctions de l'appelante devront cesser dès que l'administration de la succession sera achevée. Sur ce point, elle soutient même que le paragraphe 4 du testament serait superfétatoire dans la mesure où aucun trust ne serait constitué.

En quatrième lieu, elle prétend que, même au cas où le testament serait constitutif d'un trust, ce n'est pas pour autant que la succession devrait être réglée ab intestat. Elle soutient que dans cette hypothèse, les volontés exprimées dans le testament devraient être respectées.

En cinquième lieu, elle fait observer que les hoirs F. ne sauraient se prévaloir d'une ordonnance de refus d'envoi en possession du 13 octobre 1986, cette décision n'ayant aucune autorité de chose jugée.

En sixième lieu, elle fait valoir que l'appel incident formé par les hoirs F. par des conclusions du 29 mars 1993 serait irrecevable en application de l'article 429 du Code de procédure civile.

En septième lieu, et enfin, elle affirme que l'appel des hoirs F. est dilatoire et lui cause un préjudice certain.

Elle demande en définitive à la Cour, outre de dire et juger divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt, mais pourraient seulement constituer des motifs :

  • d'infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré que l'écrit du 5 juillet 1977 était constitutif d'un » trust « alors qu'il l'instituait seulement exécuteur testamentaire ;

  • de l'infirmer également en ce qu'il a déclaré que la succession devait être réglée ab intestat, contrairement à la volonté exprimée par la défunte ;

  • de dire le testament valable et d'envoyer W. D. en possession des biens composant la succession ;

  • de dire irrecevable l'appel incident formé par les hoirs F. dans leurs conclusions du 29 mars 1993 ;

  • de débouter les hoirs F. de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

  • de les condamner in solidum au paiement de la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et vexatoire ;

  • de les condamner aux dépens ;

Les hoirs F., pour leur part, rappellent en premier lieu que G. B. était née française. Ils font observer que si elle a effectivement épousé un sujet britannique en Malaisie, ce mariage, célébré selon le rite catholique, n'aurait pas conféré à l'épouse la nationalité britannique dans la mesure où, selon eux, seul un mariage contracté selon le rite anglican serait de nature à produire de plein droit des effets civils, les mariages célébrés selon d'autres rites ne pouvant produire d'effets civils qu'à condition d'avoir donné lieu à une formalité de » registrar «, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ils prétendent en conséquence que G. B. n'aurait pas acquis la nationalité britannique.

En deuxième lieu, ils prétendent que, même si elle avait acquis la nationalité britannique, G. B. n'en aurait pas pour autant perdu la nationalité française, à défaut d'avoir manifesté son intention d'adopter la nationalité de son mari.

Ils estiment que, dans ce cas de figure, la nationalité française d'origine devrait prévaloir sur la nationalité britannique acquise. Ils en déduisent que seule la loi française serait applicable à la succession et que le testament, non conforme à cette loi, devrait être annulé.

En troisième lieu, ils relèvent qu'aucune conséquence ne peut être tirée de l'obtention par W. D. en Angleterre d'une décision de » probate «, ce document obtenu unilatéralement, faisant l'objet d'un recours en Angleterre, n'ayant pas fait l'objet d'un exequatur à Monaco et étant même contraire à une ordonnance du Président du Tribunal de Première Instance de Monaco refusant l'envoi en possession de W. D.

En quatrième lieu, et subsidiairement, ils soutiennent que les dispositions, indivisibles, du testament attaqué tendent bien à la constitution d'un » trust « dont la nullité est encourue en application de la loi du 27 février 1936.

Ils demandent en conséquence à la cour :

  • de déclarer recevables les appels, principal et incident,

  • de déclarer nul et de nul effet en tant que testament l'acte du 5 juillet 1977,

  • subsidiairement, de confirmer le jugement du 30 avril 1992,

  • de condamner W. D. à leur payer la somme de 10 000 francs à titre de frais irrépétibles,

  • de les condamner aux dépens,

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant que les instances inscrites au rôle sous les numéros 93-14 et 94-21 sont connexes ;

Qu'elles concernent les appels relevés par chacune des parties du même jugement du 30 avril 1992 n° 3459 ;

Qu'il y a lieu d'en prononcer la jonction, dans l'intérêt d'une meilleure administration de la justice ;

Considérant que W. D. conclut à l'irrecevabilité de l'appel incident qui aurait été formé par les hoirs F. dans des conclusions du 29 mars 1993 ;

Qu'il y a lieu de relever que des conclusions ainsi datées ne figurent pas au dossier de la procédure ;

Qu'en tout état de cause ce moyen serait sans effet, dès lors qu'un appel a été formé par les hoirs F. par un acte d'appel et assignation du 10 mai 1994, dont la validité n'est pas contestée ;

Qu'il y a lieu en conséquence de déclarer recevable l'appel des hoirs F. ;

Considérant que les droits anglais, français et monégasque reconnaissent la validité d'un mariage célébré à l'étranger dès lors qu'il est valable selon la loi du pays où il a été célébré ;

Que la validité du mariage dont s'agit doit donc être appréciée au regard de la seule loi alors en vigueur en Malaisie ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que le mariage de W. H. et G. B. a été célébré le 28 novembre 1929 en l'église catholique de Penang (Malaisie) alors colonie britannique ;

Que ce mariage a été régulièrement célébré en conformité avec le chapitre 109 du » Christian Marriage Enactment « de 1915, alors en vigueur dans la colonie, étant observé que ce texte vise toutes les églises chrétiennes, dont l'église catholique romaine ;

Que ce mariage a été régulièrement transcrit sur les registres de Penang (Malaisie) ;

Considérant que la validité du mariage des époux H.-B. est confirmée par deux » affidavit « délivrés par Nallini Pathmanathan, Avocat et Solicitor près la Haute Cour de Malaisie, dont rien ne permet de mettre en doute la compétence ;

Considérant en conséquence que la validité de ce mariage, qui n'a jamais fait l'objet d'aucune contestation du vivant des époux, ne saurait être remise en cause ;

Considérant qu'aux termes de la loi britannique alors en vigueur (article 10 de l'Acte du 7 août 1914 sur la nationalité britannique et le statut des étrangers) l'étrangère qui épouse un sujet britannique acquiert de ce fait la nationalité britannique ;

Considérant que la nationalité britannique de feu W. H. ne fait l'objet d'aucune contestation ;

Considérant qu'aucune disposition légale ne subordonne l'acquisition de la nationalité britannique à la célébration du mariage en Grande-Bretagne selon la loi britannique ;

Que, dès lors que le mariage est, comme dit ci-dessus, valable selon la loi du lieu où il a été célébré, le moyen tiré de l'absence prétendue de certaines formalités propres aux mariages anglais (formalité du » registrar «) est dénué de toute pertinence ;

Considérant au surplus qu'il résulte des pièces régulièrement versées aux débats que les Autorités publiques britanniques ont toujours considéré depuis son mariage G. H. comme sujet britannique, lui délivrant notamment des passeports faisant expressément mention de cette qualité ;

Considérant en conséquence que la nationalité britannique de G. H., jamais contestée de son vivant et unanimement reconnue par les autorités britanniques et monégasques, ne saurait sérieusement être remise en cause ;

Considérant qu'il importe peu que G. H. ait ou non conservé sa nationalité française d'origine ;

Que la nationalité française n'a aucun titre à bénéficier d'une prééminence sur la nationalité britannique ;

Que la testatrice elle-même, dans le document contesté, déclare expressément se prévaloir de sa nationalité britannique ;

Considérant que les étrangers peuvent à Monaco, tester, selon leur choix, dans les formes prévues par la loi monégasque, ou selon les formes admises par leur loi nationale ;

Que G. H., qui possédait la nationalité britannique, était fondée à rédiger son testament en la forme britannique ;

Considérant que le testament attaqué, rédigé selon un modèle classique, remplit, quant à sa forme, toutes les conditions de validité exigées par le droit anglais ;

Que cette validité, en la forme, est confirmée par les attestations régulièrement versées aux débats et par l'enregistrement (probate) qui en a été fait par les autorités britanniques compétentes ;

Considérant, quant au fond, que G. H., dans le préambule de son testament du 5 juillet 1977, demande expressément que celui-ci soit interprété et prenne effet conformément aux lois de la Principauté ;

Considérant que, par le testament susvisé, G. H. a incontestablement entendu régler sa succession au moyen de l'institution d'un » trust « ;

Qu'en effet, si aucun recours au » trust « n'était envisagé au cas où W. H. aurait été appelé à succéder à son épouse, il n'en est pas de même dans la seconde hypothèse envisagée par la testatrice ;

Qu'en effet, non seulement W. D. est clairement désignée comme » executrix and trustee «, mais surtout, il est précisé que les biens seront transmis et dévolus en » trust «, le mot » trust « étant par trois fois souligné dans le texte ;

Que les pouvoirs du ou des » trustees « sont définis et expliqués, leur remplacement et leur rémunération étant même prévus ;

Que les mots » trust « ou » trustee « sont employés à quatorze reprises dans la seule partie dispositive du testament ;

Que les pouvoirs conférés à W. D. ne peuvent se réduire à ceux d'un simple exécuteur testamentaire ;

Considérant que le quatrième paragraphe du testament ne saurait être regardé comme superfétatoire, dans la mesure où, tout au contraire, il comporte toutes les dispositions classiques relatives au fonctionnement d'un trust ;

Considérant qu'il apparaît ainsi que l'institution d'un » trust " est essentielle dans la volonté exprimée par la testatrice ;

Qu'il ne peut en être fait abstraction pour ne retenir qu'une partie de cette volonté ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, modifiant la loi n° 207 du 12 juillet 1935, la construction d'un trust ne peut être faite, à peine de nullité, que par acte authentique ;

Que le testament de G. H. ne revêtant pas la forme authentique, et sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les autres conditions fixées par la loi, c'est à juste titre que les premiers juges ont déclaré nul et de nul effet le trust constitué par G. H. et dit que la succession de celle-ci serait réglée ab intestat ;

Considérant qu'aucune des procédures n'est manifestement abusive malicieuse ou dilatoire ;

Qu'il n'est justifié d'aucun préjudice du fait desdites procédures ;

Qu'il n'y a donc pas lieu à l'allocation de dommages-intérêts de ces chefs ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Prononce la jonction des instances inscrites au rôle sous les n° 94-14 et 94-121 ;

Dit recevables les appels interjetés du jugement du 30 avril 1992 ;

Confirme en toutes ses dispositions ledit jugement ;

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Carrasco proc. gén. - Mes Leandri et Sbarrato av. déf, ; Lambert av. bar. de Nice.

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