Cour d'appel, 5 juillet 1994, P. c/ H.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Procédure civile

Déclinatoire de compétence - Étranger ayant « conservé » un domicile de droit et de fait dans son pays (non) - Existence de ce domicile conservé antérieurement à l'action en justice

Résumé🔗

Le terme « conservé » employé par l'article 4 du Code de procédure civile disposant que les tribunaux monégasques ne peuvent connaître des actions relatives à l'état d'un étranger lorsque cet étranger décline leur compétence conformément à l'article 262 du Code de procédure civile et justifie avoir conservé dans son pays un domicile de droit et de fait devant les juges duquel la demande pourrait être utilement portée, n'implique nullement que le domicile dont l'étranger se prévaut soit antérieur à son départ de son pays ; il suffit que ce domicile existe antérieurement à l'action en justice, c'est-à-dire en l'espèce à l'assignation en divorce.

Cependant le fait pour cet étranger de retourner dans son pays où il n'a aucun intérêt professionnel et de s'y installer dans un appartement meublé, sans justifier de l'existence d'un domicile de droit, apparaît comme un subterfuge à l'action en divorce intentée par son conjoint et non comme la conséquence de son intention d'y fixer son principal établissement.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 24 mars 1994 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant les époux H.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus au jugement déféré et aux écritures échangées en appel :

H., de nationalité australienne et P., de nationalité allemande, ont contracté mariage en République Fédérale d'Allemagne le 11 février 1977, pays dans lequel ils se sont établis avant de fixer leur domicile conjugal à Monaco.

Le 11 août 1993, P. a présenté une requête en divorce devant le Président du Tribunal de Première Instance de Monaco puis dûment autorisée a fait assigner son mari devant le tribunal par exploit du 28 décembre 1993.

Par le jugement déféré, le tribunal faisant droit au déclinatoire de compétence formulé par le mari sur la base de l'article 4 du Code de procédure civile s'est déclaré incompétent pour statuer sur l'action en divorce et a déclaré P. irrecevable en sa demande de mesures provisoires.

Il estimait pour en décider ainsi que H. justifiait d'une habitation en Australie caractérisant un domicile de droit et de fait lors de l'introduction de la demande en divorce par l'épouse le 28 décembre 1993.

P. a relevé appel de cette décision.

À l'appui de son appel, elle expose en premier lieu qu'en matière de divorce, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel est situé le domicile conjugal fixé en l'espèce à Monaco et que c'est par application de ce principe que son mari avait déposé une requête en divorce devant le Président du Tribunal de Première Instance de la Principauté le 14 décembre 1992 suivie d'une comparution des époux devant le magistrat conciliateur le 21 janvier 1993.

Elle soutient en deuxième lieu que les premiers juges ont fait une inexacte appréciation de l'article 4 du Code de procédure civile en estimant que ce texte n'impliquait pas nécessairement l'existence d'un domicile antérieurement à l'action en divorce alors que, selon l'appelante, le terme « conservé » impliquerait que ce domicile n'ait pas cessé d'exister depuis le jour où H. a quitté l'Australie.

Elle fait grief en troisième lieu aux premiers juges d'avoir apprécié l'existence du domicile au jour du dépôt de la requête qui constitue le premier acte de la procédure.

Elle se défend d'avoir reconnu l'existence d'un domicile en Australie dont elle soutient qu'il ne s'agirait que d'une résidence de fait pour les besoins de la cause.

Elle sollicite en conséquence la réformation du jugement entrepris et, sauf évocation, le renvoi de l'affaire devant le tribunal.

L'intimé sollicite quant à lui la confirmation du jugement au motif qu'il justifie d'un domicile en Australie à partir du mois d'octobre 1993, antérieurement à l'assignation en divorce, qu'il s'agirait du domicile conjugal, qu'il a valablement saisi la juridiction australienne d'une action en divorce.

Sur ce,

Considérant que l'article 4 du Code de procédure civile relatif à la compétence des tribunaux monégasques dispose qu' « ils ne peuvent connaître des actions relatives à l'état d'un étranger lorsque cet étranger décline leur compétence conformément à l'article 262 et justifie avoir conservé dans son pays un domicile de droit et de fait devant les juges duquel la demande pourrait être utilement portée » ;

Considérant que le pays visé par l'article 4 est celui dont l'étranger possède la nationalité, en l'espèce l'Australie ;

Considérant que le terme « conservé » employé par l'article 4 n'implique nullement que le domicile dont l'étranger se prévaut soit antérieur à son départ de son pays mais qu'il suffit que ce domicile existe antérieurement à l'action en justice ;

Considérant que H. justifie par les pièces qu'il verse aux débats disposer d'un domicile de fait en Australie depuis le 15 octobre 1993, c'est-à-dire antérieurement à l'action dont P. a saisi le tribunal par l'exploit introductif du 28 décembre 1993, la procédure préalable ne pouvant juridiquement être assimilée à cette action ;

Considérant cependant que le retour de P. dans son pays où il n'avait aucun intérêt professionnel et son installation dans un appartement de deux pièces meublé apparaît comme un subterfuge à l'action en divorce intentée par son épouse le 11 août 1993 et non comme la conséquence de son intention d'y fixer son principal établissement ;

Considérant que H. ne peut tirer aucun argument sérieux au plan de la qualification du domicile, de la sommation qu'il a fait délivrer à son épouse le 5 novembre 1993 d'avoir à le rejoindre en Australie alors qu'il n'ignorait pas que depuis le 8 mars 1993 date d'une requête en séparation de corps P. était régulièrement autorisée à résider seule au domicile conjugal à Monaco, cette autorisation ayant été renouvelée lors de la requête en divorce qu'elle a présentée le 11 août 1993 ;

Considérant que H. n'établit pas l'existence d'un domicile de droit en Australie, les deux documents qu'il produit en photocopie relatifs à l'exportation vers les États-Unis d'échantillons de pâtés de même que les attestations de sa fille et d'une ancienne relation retrouvée à son arrivée en Australie selon qu'il avait manifesté l'intention de créer une société d'import-export de denrées alimentaires n'étant ni significatifs ni déterminants de la réalité de la fixation en Australie de son principal établissement ;

Considérant dès lors qu'il y a lieu, réformant le jugement entrepris, de dire que les juridictions de la Principauté sont compétentes pour connaître de l'action en divorce intentée par P. et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal de première instance afin qu'il soit statué au fond ce qu'il appartiendra ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Infirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 24 mars 1994,

Dit et juge que les juridictions de la Principauté de Monaco sont compétentes pour connaître de l'action en divorce intentée par P. à l'encontre de son époux H.,

Déboute ce dernier de ses demandes,

Renvoie la cause et les parties devant le Tribunal de première instance pour qu'il soit statué au fond ce qu'il appartiendra,

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Carrasco, proc. gén. ; Mes Sbarrato et Escaut, av. déf. ; Palmero, av.

  • Consulter le PDF