Cour d'appel, 21 juin 1994, État de Monaco c/ The Chase Manhattan Bank NA

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Abstract🔗

Convention internationale

Liens contractuels institués entre les personnes morales de droit international (principe) - Droits directs prévus au profit des ressortissants des États signataires - Application par le juge - Convention fiscale franco-monégasque contenant certaines règles directement applicables aux particuliers

Taxes sur la valeur ajoutée

Succursale à Monaco - Assujettissement à la TVA à Monaco - Règles de territorialité applicables : en application de la convention fiscale franco-monégasque (art. 7 à 14) - Application du Code monégasque des taxes sur le chiffre d'affaires

Résumé🔗

Une convention internationale est par essence un contrat entre des personnes morales de droit international et n'a pour objectif naturel que de lier les États signataires dans leurs rapports ; ce n'est que s'il résulte de la convention que tel est son but, que ce texte crée des droits directs au profit des ressortissants des États signataires, ou crée des obligations à leur charge.

Une disposition d'un accord international doit être considérée par le juge comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n'est subordonnée dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur.

Si la plupart des dispositions des articles 7 à 14 de la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, établissent, ainsi qu'il résulte de leur objet et de leur texte même, des règles directement applicables aux particuliers, il ne saurait en être de même des articles 15, 17 et 25 invoqués par l'État de Monaco, tel est à l'évidence le cas de l'article 25 qui institue un organe mixte, à caractère consultatif, destiné à proposer des solutions aux difficultés pouvant surgir entre les deux États signataires ; il en est de même de l'article 17 qui prévoit le partage entre les deux États des ressources provenant de certaines taxes ; de la même manière l'article 15 n'a pour but que d'obliger la Principauté de Monaco à instituer des taxes sur le chiffre d'affaires ou des taxes de remplacement et à les appliquer sur son territoire sur les mêmes bases et les mêmes tarifs qu'en France.

Une entreprise privée siégeant à Monaco où elle est assujettie à la TVA, est fondée dans sa prétention à bénéficier de la déduction de cette taxe, dans le cadre des règles de territorialité, c'est-à-dire en ne prenant en compte que les prestations de services rendues à partir de l'établissement de Monaco sans référence aux opérations de la succursale française que l'administration monégasque n'a vocation ni à contrôler ni à taxer, de sorte qu'il ne saurait être fait application de la convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963 mais des dispositions du Code monégasque des taxes sur le chiffre d'affaires et de son annexe, telles qu'elles résultent des ordonnances souveraines intervenues en la matière, prises pour la mise en œuvre de l'article 15 susvisé, conformément à la constitution. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu à interprétation de la convention franco monégasque du 18 mai 1963 ; L'entreprise privée dont s'agit est fondée à voir sa succursale monégasque imposée sur les seules bases de la législation fiscale monégasque et en particulier, en l'espèce, à voir appliquer les articles 33 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires et A 80 et A 89 de son annexe, aucune disposition de ces textes ne prévoyant qu'il soit tenu compte pour le calcul de la TVA de recettes perçues hors du territoire monégasque par un établissement distinct de celui considéré.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 31 octobre 1991 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant la société américaine The Chase Manhattan Bank NA à l'État de Monaco.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision attaquée et aux écritures échangées en appel ;

Le 1er juin 1984, la société américaine The Chase Manhattan Bank NA, régulièrement autorisée, a ouvert à Monaco une succursale qu'elle a exploitée jusqu'au 20 décembre 1990. L'activité de cet établissement bancaire consistait principalement, mais non exclusivement, dans la gestion de fortunes.

Fiscalement, l'établissement monégasque de la Chase Manhattan était, ainsi qu'il est constant, assujetti à la TVA.

Il n'est pas contesté que la Banque était fondée à bénéficier du droit à déduction de la TVA conformément aux dispositions de l'article 33 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires. Toutefois, certaines opérations étant soumises à la TVA alors que d'autres échappaient au champ d'application de cette taxe, la déduction ne devait être que partielle, les opérations exonérées de TVA ne pouvant donner lieu à déduction.

Pour le calcul de cette déduction, et à défaut de pouvoir individualiser avec précision des opérations simples ouvrant droit à déduction et des opérations simples n'ouvrant pas droit à déduction, les assujettis sont autorisés, en application des dispositions des articles A 80 et A 89 de l'annexe au Code des taxes sur le chiffre d'affaires, à déduire une fraction de la TVA qui a grevé les biens constituant des immobilisations égale au montant de cette taxe multiplié par le rapport existant entre le montant annuel des recettes afférentes à des opérations ouvrant droit à déduction et le montant annuel des recettes afférentes à l'ensemble des opérations réalisées.

Le pourcentage de déduction ainsi déterminé s'applique à la TVA qui a grevé l'ensemble des frais et charges de l'entreprise. Cette méthode, dite du prorata, exposée dans leurs écritures par les deux parties ne fait l'objet d'aucune contestation, ni dans son principe, ni dans sa technique.

En sa qualité d'assujettie partielle à la TVA, la Chase Manhattan a déclaré aux services fiscaux monégasques son chiffre d'affaires réalisé en Principauté et a calculé la déduction de la TVA qui lui était facturée par ses fournisseurs en appliquant le prorata déterminé comme exposé ci-dessus et sur la seule base des prestations effectuées à partir de l'établissement monégasque. Le prorata ainsi calculé par la Banque s'élevait à 66 % en 1984, 50 % en 1985, 88 % en 1986 et 91 % en 1987.

Bénéficiaire d'un crédit de TVA déductible mais non imputable à la fin de chaque période, l'établissement monégasque de la Chase Manhattan a présenté à l'Administration, le 24 avril 1985, une demande de remboursement du crédit de TVA portant sur le montant de la taxe déductible non imputable à la fin du mois de mars 1985 et s'élevant à la somme totale de 1 881 638,31 F. Cette demande ayant été rejetée par l'Administration en raison d'une contestation sur la méthode de calcul du prorata de déduction, la Banque renouvela sa demande en janvier 1988 et obtint, par décision du directeur des services fiscaux du 29 janvier 1988, le remboursement d'une partie du crédit de TVA qui n'était pas contestée.

Continuant d'être en situation créditrice de TVA, l'établissement monégasque de la Chase Manhattan demandait, le 25 avril 1988, le remboursement partiel du crédit de taxe déductible apparaissant à la fin du premier trimestre 1988, soit 400 000 F ainsi que l'allocation d'intérêts moratoires sur les sommes dont elle avait précédemment réclamé le remboursement.

N'ayant pas obtenu satisfaction, la société The Chase Manhattan Bank NA a fait assigner devant le Tribunal de première instance de Monaco l'État de Monaco, représenté par M. le Ministre d'État, et le directeur des services fiscaux, aux fins, pour l'essentiel, de les voir condamner, in solidum, à lui rembourser les sommes de 1 881 638,31 F et 400 000 F augmentées de leurs intérêts au taux légal à compter respectivement des 24 avril 1985 et 25 avril 1988, avec capitalisation desdits intérêts.

Par le jugement attaqué, le Tribunal de première instance a :

  • Condamné l'État de Monaco à payer à la société anonyme de droit américain The Chase Manhattan Bank NA :

· la somme de 940 819,31 F avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 1988,

· la somme de 400 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 1989,

  • Dit que les intérêts au taux légal de la somme de 940 819,31 F échus du 8 janvier 1988 au 29 mars 1989 sont eux-mêmes devenus productifs d'intérêts au taux légal à compter de cette dernière date ;

  • Débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

  • Laissé les dépens à la charge de l'État de Monaco ;

L'état de Monaco a relevé appel de cette décision ;

À l'appui de son appel, l'État expose à titre préliminaire que la Chase Manhattan a non seulement une succursale à Monaco, mais également une succursale en France.

Il soutient qu'en application de l'article 15 de la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, le prorata de déduction ne doit pas être établi séparément en France et à Monaco sur la base des opérations réalisées respectivement dans chacun des deux États, mais doit faire l'objet d'un seul calcul sur la base de l'ensemble des opérations réalisées tant en France qu'à Monaco, selon la règle dite du « prorata unique ».

L'État de Monaco fait valoir en premier lieu que le Code des taxes sur le chiffre d'affaires qui régit à Monaco la question de la TVA, édicté par voie d'Ordonnances Souveraines ne procède pas de la Loi, mais directement de la Convention fiscale susvisée.

Il considère que le litige soumis aux premiers juges nécessitait l'interprétation de la Convention fiscale, et notamment de ses articles 15, 17 et 25.

Il prétend que les premiers juges ne pouvaient, comme ils l'ont fait, interpréter eux-mêmes la Convention, cette interprétation relevant de la seule compétence du Ministre d'État, dans la mesure où elle touche directement aux relations interétatiques et à l'ordre public international.

Il en déduit que le tribunal devait surseoir à statuer pour que soit soumise au Gouvernement la question préjudicielle de l'interprétation de la Convention.

Il relève toutefois au passage que l'interprétation du Gouvernement est déjà connue puisque c'est celle qu'il adopte dans la présente instance, sur la base d'un avis de la Commission mixte instituée par l'article 25 de ladite Convention ;

En deuxième lieu, l'État soutient que l'interprétation de la Convention donnée par les premiers juges, à la supposer possible, serait erronée et contradictoire.

Au soutien de cette affirmation, il rappelle qu'il résulte tant des articles 15 et 17 de la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963, rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance Souveraine n° 3037 du 19 août 1963, que de la Convention douanière du même jour, rendue exécutoire à Monaco par l'Ordonnance Souveraine n° 3038, que les deux États ont entendu assurer entre leurs territoires la libre circulation des biens et des services.

Il déclare que l'absence de frontière douanière entre les deux États implique, pour éviter toute fraude, que soient retenus de part et d'autre les mêmes mécanismes d'application de la TVA.

Il relève que chaque législation nationale prévoit des bases et des tarifs identiques en matière de TVA et que l'assiette, le taux, ainsi que les règles de territorialité sont les mêmes.

Il prétend que l'exigence de la continuité territoriale entre Monaco et la France emporterait, au regard de la TVA, d'une part, le principe de la neutralité de l'impôt et, d'autre part, la mise en œuvre d'un régime commun de déduction, sans la moindre considération de la localisation des entreprises, à Monaco ou en France

Il en déduit que l'article 15 de la Convention fiscale, qui prévoit l'application de la TVA dans les deux états sur les mêmes bases et les mêmes tarifs, implique  « de plano »  l'existence d'un prorata unique.

Il ajoute que la nécessité d'un prorata unique résulterait également de la limitation de l'autonomie budgétaire de chacun des deux États, conséquence de l'existence entre eux d'un compte de partage établi en application de l'article 17 de la Convention fiscale.

Il fait observer sur ce point que la libre disposition des recettes de la TVA par chacun des États n'est pas définie en fonction de la localisation des encaissements, mais par référence à une quote-part déterminée par un accord entre les deux parties.

Il affirme enfin que la règle du prorata unique, dont il relève qu'elle a été adoptée par la Commission mixte établie par l'article 25 de la Convention fiscale, est seule susceptible d'éviter les fraudes et déclare, qu'en tout état de cause, l'Administration monégasque ne peut se soustraire à ses obligations internationales en adoptant, dans ses rapports avec les contribuables, une interprétation des textes qui serait contraire à celle retenue par la Commission mixte.

Il conclut sur ce point que le tribunal de première instance a méconnu les dispositions de l'article 15 de la Convention fiscale dont il a fait une interprétation erronée et contradictoire ; qu'il a méconnu l'existence et le rôle de la Commission mixte instituée par l'article 25 de ladite Convention et qu'il a méconnu l'interprétation commune de cette Convention donnée par les deux États au sein de la Commission mixte.

En troisième lieu, répondant à un moyen soulevé par la Chase Manhattan, l'État de Monaco, tout en admettant que certaines dispositions de la Convention fiscale, telles celles contenues dans les articles 17 et 25, n'ont pour objet que de réglementer les rapports entre les États signataires et, de ce fait ne peuvent être invoquées dans un litige concernant un particulier, estime que d'autres dispositions sont directement applicables et opposables, aux ressortissants desdits États.

Il soutient que tel est le cas de l'article 15 qui dispose : « les taxes sur le chiffre d'affaires et les taxes de remplacement sont appliquées dans la Principauté sur les mêmes bases et aux mêmes tarifs qu'en France ».

Il expose que l'Ordonnance Souveraine n° 3037, du 19 août 1963 aurait rendu la Convention fiscale directement exécutoire en Principauté.

Il relève que l'article 15 est particulièrement précis et prétend que les premiers juges, après avoir justement admis qu'ils devaient examiner le litige au regard de la réglementation monégasque, qu'elle soit de source interne ou conventionnelle, ne s'étaient référés qu'au seul Code des taxes sur le chiffre d'affaires, négligeant de prendre en compte la Convention.

Subsidiairement sur ce point, l'État de Monaco prétend que seuls les États contractants seraient qualifiés pour déterminer si leur intention, en rédigeant l'article 15 de la Convention, était d'en faire une disposition directement applicable créant des droits et des obligations pour les contribuables, ou de le limiter aux rapports interétatiques. Il soutient que cette question préjudicielle devrait être soumise au Gouvernement.

En quatrième lieu, et à titre subsidiaire, l'État de Monaco soutient que la banque ne peut se prévaloir de la théorie dite « des secteurs distincts d'activités ».

Il rappelle que, pour qu'il puisse y avoir secteurs distincts d'activités, il est indispensable qu'il y ait pluralité d'activités et que ces activités soient soumises à des dispositions distinctes au regard de la TVA.

Il relève que la Chase Manhattan exerce la même activité bancaire en France et à Monaco et que les réglementations française et monégasque sur la TVA sont exactement identiques, même si elles résultent de textes distincts.

En cinquième lieu, l'État de Monaco prétend qu'au cas où l'autonomie de la succursale monégasque de la Chase Manhattan serait reconnue, cette banque, au lieu de pouvoir prétendre à un remboursement, se trouverait débitrice, dans la mesure où les intérêts crédités par la succursale française au profit de la succursale monégasque devraient être considérés comme du chiffre d'affaires exonéré de TVA, ce qui modifierait le prorata au détriment de la succursale monégasque.

En sixième lieu, et toujours subsidiairement, l'État de Monaco soutient qu'il ne peut être condamné au paiement d'intérêts moratoires, ceux-ci n'étant pas prévus en matière fiscale par le Code des taxes sur le chiffre d'affaires, ni par l'Ordonnance du 28 avril 1828 à laquelle il renvoie.

Il prétend qu'à défaut de texte sur ce point, il ne peut être fait application ni de la réglementation française, ni, surtout, de l'article 1008 du Code civil qui ne serait pas applicable en matière fiscale.

L'État de Monaco demande en conséquence à la Cour :

  • avant dire droit, de renvoyer au Gouvernement Princier la question préjudicielle relative à l'interprétation des articles 15, 17 et 25 et du protocole additionnel à la Convention fiscale du 18 mai 1963, ainsi que des conséquences qui en découlent ;

  • d'infirmer le jugement entrepris ;

  • de débouter la Chase Manhattan Bank NA de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

  • de la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

  • La Chase Manhattan Bank NA pour sa part, prétend essentiellement que sa succursale monégasque était assujettie à la TVA à Monaco et qu'à ce titre elle doit bénéficier de la déduction de la TVA qui a grevé ses opérations, dans le cadre des règles de territorialité, c'est-à-dire en ne prenant en compte que les prestations de services rendues à partir de l'établissement de Monaco, sans aucune référence aux opérations de la succursale française, que l'Administration monégasque n'a vocation ni à contrôler, ni à taxer.

Elle estime, de ce fait, n'être soumise qu'à la loi monégasque, laquelle ne prévoit en aucune façon l'application d'un prorata unique.

Au soutien de sa position, la Chase Manhattan fait valoir en premier lieu que les stipulations d'une Convention internationale ne peuvent être invoquées dans un litige concernant un particulier dès lors qu'elles ne créent que des obligations entre les États signataires et qu'elles n'ont pas pour objet de créer des droits ou des obligations dont les justiciables pourraient se prévaloir.

Citant une jurisprudence étrangère, elle affirme que ce n'est que s'il résulte de la Convention que tel est son but, que ce texte crée des droits directs au profit des citoyens des États signataires.

Elle expose que la Convention fiscale franco-monégasque comporte à la fois des dispositions directement applicables, telles que celles contenues dans les articles 7 à 14, et des dispositions qui ne sont pas d'application directe et dont la mise en œuvre a nécessité, de la part de l'État, l'intervention d'actes ultérieurs.

Elle soutient que les articles 15 et 17, invoqués par l'État de Monaco, relatifs à l'instauration de taxes sur le chiffre d'affaires et à la répartition entre la France et Monaco du produit de ces taxes, ne concernent que les rapports entre les États contractants et ne peuvent être invoqués devant les tribunaux ni par les contribuables, ni par l'administration fiscale.

Elle fait remarquer que la mise en œuvre de l'article 15 a nécessité, conformément aux articles 68 et 70 de la Constitution, l'intervention d'Ordonnances Souveraines qui ont établi le Code des taxes sur le chiffre d'affaires et son annexe.

Elle en conclut que seule cette législation monégasque est applicable en l'espèce et que toutes les questions soulevées par l'État de Monaco et portant sur l'interprétation de la Convention fiscale sont dénuées de pertinence.

En deuxième lieu, tout en rappelant que l'invocation de la Convention serait, selon elle, inopérante, elle déclare que l'article 15, qui prévoit une identité de bases et de tarifs pour l'application de la TVA n'implique nullement une unicité de prorata.

Elle explique qu'un prorata unique ne pourrait se concevoir que s'il existait entre la France et Monaco un système fiscal et un territoire fiscal uniques, soulignant au passage que la Convention fiscale ne comporte aucune disposition équivalant à celle de la Convention douanière qui institue un territoire douanier unique.

Elle estime également que le fait que la France et Monaco ne soient pas territoires d'exportation l'un vis-à-vis de l'autre, n'implique pas l'unité de leurs territoires.

Elle considère enfin sur ce point que la règle de territorialité qui régit sans conteste la détermination des montants de la TVA « d'amont » implique toute naturellement qu'elle régisse la détermination du prorata de déduction.

En troisième lieu, la Chase Manhattan, après avoir à nouveau rappelé qu'à son sens il n'y a pas lieu de faire application de la Convention, soutient qu'en toute hypothèse aucune question d'interprétation ne se pose et qu'aucune question préjudicielle ne doit être envisagée.

Invoquant une abondante jurisprudence étrangère, elle relève que la pratique du renvoi de l'interprétation des conventions internationales aux gouvernements a été abandonnée par la jurisprudence civile et administrative en France comme dans d'autres pays.

Elle expose que la Commission mixte, instituée par la Convention fiscale et dont l'État de Monaco invoque l'avis, n'est qu'un organe consultatif intervenant en cas de difficulté entre les États signataires, mais en aucune façon dans les litiges entre un État et l'un de ses contribuables.

Elle souligne que le renvoi à l'interprétation de l'État de Monaco alors que celui-ci est partie au procès serait contraire au principe fondamental de l'égalité des plaideurs et reviendrait à donner d'avance et dans tous les cas gain de cause à l'État.

Elle en déduit qu'il appartient au juge d'interpréter lui-même, le cas échéant, les Conventions internationales comme toutes les autres règles de droit.

En quatrième lieu, et à titre subsidiaire pour le cas où la thèse des prorata distincts ne serait pas retenue, elle prétend pouvoir bénéficier de la règle dite des « secteurs distincts ».

Elle fait valoir sur ce point que les succursales française et monégasque utilisaient des moyens différents, tenaient une comptabilité différente et étaient soumises à des lois fiscales différentes.

En cinquième lieu, et à titre très subsidiaire, au cas où serait retenu un prorata unique, et dans le cadre de la notion de secteurs distincts, la Chase Manhattan fait observer que les opérations internes entre les succursales d'une même entité ne pourraient être prises en compte pour la détermination du chiffre d'affaires ni, de ce fait, pour le calcul du montant des impositions.

En sixième lieu, et enfin, la Chase Manhattan rappelle que l'allocation d'intérêts moratoires découle d'un principe général posé par le droit civil. Elle affirme qu'en l'absence de tout texte dérogatoire particulier en matière fiscale, il y a lieu de faire droit à sa demande.

La Chase Manhattan Bank NA demande en conséquence à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris,

  • de débouter l'État de Monaco de toutes ses demandes, fins et conclusions,

  • de le condamner aux entiers dépens,

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant qu'une Convention internationale est par essence un contrat entre des personnes morales de droit International et n'a pour objectif naturel que de lier les États signataires dans leurs rapports ;

Que ce n'est que s'il résulte de la Convention que tel est son but, que ce texte crée des droits directs au profit des ressortissants des États signataires, ou crée des obligations à leur charge ;

Qu'une disposition d'un accord international doit être considérée par le juge comme étant d'application directe lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation, claire et précise qui n'est subordonnée dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur ;

Considérant que si la plupart des dispositions des articles 7 à 14 de la Convention fiscale établissent, ainsi qu'il résulte de leur objet et de leur texte même, des règles directement applicables aux particuliers, il ne saurait en être de même des articles 15, 17 et 25 invoqués par l'État de Monaco ;

Que tel est à l'évidence le cas de l'article 25 qui institue un organe mixte, à caractère consultatif, destiné à proposer des solutions aux difficultés pouvant surgir entre les deux États signataires ;

Qu'il en est de même de l'article 17 qui prévoit le partage entre les deux États des ressources provenant de certaines taxes ;

Que, de la même manière, l'article 15 n'a pour but que d'obliger la Principauté de Monaco à instituer des taxes sur le chiffre d'affaires ou des taxes de remplacement et à les appliquer sur son territoire sur les mêmes bases et les mêmes tarifs qu'en France ;

Que la mise en œuvre de cet article a nécessité, conformément à la Constitution, l'intervention ultérieure des Ordonnances Souveraines instituant le Code des taxes sur le chiffre d'affaires et son annexe ;

Que la longueur et la complexité de ces textes démontrent à l'évidence que l'article 15 de la Convention fiscale ne pouvait recevoir directement aucune application ;

Considérant qu'ainsi les articles 15, 17 et 25 de la Convention fiscale ne peuvent être invoqués dans le présent litige ;

Qu'en l'espèce, seules sont applicables les dispositions du Code des taxes sur le chiffre d'affaires et de son annexe, telles qu'elles résultent des Ordonnances Souveraines intervenues en la matière ;

Considérant que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu à interprétation de la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963 ;

Qu'il s'ensuit que doit être rejetée la demande de l'État de Monaco tendant à ce qu'il soit sursis à statuer jusqu'à interprétation de la Convention par le Gouvernement Princier ;

Que doivent également être écartés, comme non pertinents, les moyens des parties proposant diverses interprétations de ladite Convention ;

Considérant que la Chase Manhattan Bank NA est fondée à voir sa succursale monégasque imposée sur les seules bases de la législation fiscale monégasque, et en particulier, en l'espèce, à voir appliquer les articles 33 du Code des taxes sur le chiffre d'affaires et A 80 et A 89 de son annexe ;

Considérant qu'aucune disposition de ces textes ne prévoit qu'il soit tenu compte pour le calcul de la TVA de recettes perçues hors du territoire monégasque par un établissement distinct de celui considéré ;

Considérant que le montant des créances de la Chase Manhattan Bank NA, tel que déterminé par les premiers juges, ne fait l'objet d'aucune contestation sérieuse ;

Que si l'État de Monaco affirme que l'adoption d'un système de prorata distinct pourrait conduire à une réduction du prorata admissible du fait que les intérêts crédités en compte au profit de la succursale monégasque par la succursale française devraient être considérés comme du chiffre d'affaires exonéré de la TVA et donc augmenter le dénominateur de la fraction représentative du prorata, il ne formule de ce chef aucune demande ;

Qu'il y a lieu en conséquence de confirmer sur ce point la décision des premiers juges ;

Considérant qu'en l'absence de toute disposition particulière relative aux intérêts moratoires en matière fiscale, il y a lieu d'appliquer, comme l'a justement fait le tribunal, les règles de portée générale posées par les articles 1008 et 1009 du Code civil, étant observé que l'intimée, qui sollicite la confirmation du jugement, ne formule devant la Cour aucune demande complémentaire d'anatocisme ;

Considérant que les prétentions des parties relatives aux secteurs d'activité distincts, et les moyens qu'elles invoquent à leur soutien, ne sont présentées qu'à titre subsidiaire, au cas où la Cour aurait retenu le principe d'un prorata unique ;

Que tel n'étant pas le cas, ces demandes deviennent sans objet et n'ont pas à être examinées ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, partiellement substitués à ceux des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Statuant contradictoirement,

Vu l'arrêt du 29 juin 1993,

Dit n'y avoir lieu à interprétation de la Convention fiscale franco-monégasque du 18 mai 1963.

Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer.

Condamne l'État de Monaco à payer à la société The Chase Manhattan Bank NA :

· la somme de 940 819,31 F avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 1988,

· la somme de 400 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 1989.

Dit que les intérêts de la somme de 940 819,31 F échus du 8 janvier 1988 au 29 mars 1989 ont eux-mêmes produit intérêts au taux légal à compter de cette dernière date.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Carrasco, proc. gén. ; Mes Sanita, Clerissi av. déf. ; Derouin av. CA Paris.

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