Cour d'appel, 15 février 1994, Société SOPROCI c/ La Banque Industrielle de Monaco

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Contrat d'ouverture de crédit consentie par une banque rupture, en raison de la cessation de paiements de celle-ci - Responsabilité contractuelle de la banque - Dommages-intérêts dus au client - Production de la créance de dommages-intérêts au passif

Résumé🔗

Les syndicats d'une banque qui en raison de son état de cessation de paiements, mettent fin, sans respecter le délai de préavis prévu, à l'ouverture de crédit qu'elle avait consentie à un client, engagent la responsabilité contractuelle de celle-ci, de sorte que ce client est en droit de demander des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'inexécution du contrat et de produire au passif de la banque en application de l'article 448-2° du Code de commerce.


Motifs🔗

La Cour,

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

La Cour statue sur l'appel relevé le 2 mars 1993 par la SARL SOPROCI, d'un jugement rendu le 28 janvier 1993 par le tribunal de première instance, maintenant le rejet de la production de ladite société au passif de la Banque industrielle de Monaco.

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel, il suffit de rappeler les éléments suivants :

La SARL SOPROCI qui avait obtenu de la Banque industrielle de Monaco à la suite de deux conventions passées en 1989 une ligne de crédit de 3 000 000 de F à échéance du 28 février 1990 suivie d'un crédit supplémentaire de deux millions de francs à échéance du 30 septembre 1990, a vu rejeter sa production de 3 000 000 de F au passif de la Banque industrielle de Monaco dont la cessation des paiements avait été judiciairement constatée par jugement du 2 février 1990 et dont la liquidation de biens a été prononcée par jugement du 14 février 1991, tant par les syndics que par ordonnance du juge-commissaire de ladite liquidation.

Le tribunal régulièrement saisi par la SARL SOPROCI d'une réclamation faite contre la décision de rejet prise par le juge commissaire, à l'égard de sa production tendant à être admise, à titre chirographaire au passif de la Banque industrielle de Monaco pour une somme ramenée à deux millions de francs à titre de dommages-intérêts suivant conclusions du 2 juin 1992 a, dans le jugement déféré, débouté la SARL SOPROCI de sa réclamation et maintenu le rejet de sa production.

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont estimé que la Banque industrielle de Monaco à compter du jour de la déclaration de la cessation des paiements, soit le 2 février 1990, ne pouvait plus procéder à des paiements par chèques ni dispenser légalement de crédit, toute activité bancaire ayant cessé, et qu'en conséquence le refus de paiement des chèques présentés à la banque ne constituait pas pour la Banque industrielle de Monaco la faute correctionnelle sur laquelle se fondait la société SOPROCI pour justifier sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice que le non-paiement des chèques émis avant le 2 février 1990, mais présentés postérieurement à cette date, lui a causé.

Au soutien de son appel, la société SOPROCI rappelle qu'étant bénéficiaire auprès de la Banque industrielle de Monaco d'une ligne de crédit d'un montant total de cinq millions de francs auquel la Banque pouvait mettre fin à tout moment sous la seule obligation de respecter un préavis de huit jours, elle s'était vue notifier par une lettre de l'Administrateur provisoire de l'établissement bancaire du 29 janvier 1990, reçue en réalité le 5 février suivant, qu'elle devait s'abstenir d'émettre des chèques sur son compte ouvert à la Banque industrielle de Monaco.

Que néanmoins, forte de l'ouverture de crédit dont elle bénéficiait, la société SOPROCI a continué à tirer des chèques jusqu'à la date de réception de ladite lettre, soit le 5 février, lesquels chèques, au nombre de 38, représentant une somme de 1 706 197,37 F ont été refusés lors de leur présentation.

Qu'elle fait valoir que ce comportement de la Banque qui a opté pour ne pas exécuter les obligations contractuelles découlant pour elle de la convention d'ouverture de crédit, est incontestablement fautif et que la défaillance du contractant déclaré en état de cessation de paiement n'est pas une cause exonératrice de responsabilité.

Qu'en conséquence le non-respect par la Banque industrielle de Monaco de la convention d'ouverture de crédit est générateur d'un préjudice certain évalué à deux millions de francs de dommages-intérêts dont le montant doit être produit au passif de la Banque.

La société intimée soutient que la société SOPROCI a bénéficié, non pas d'ouverture de crédit, mais d'une ligne de crédit par découvert en compte courant et qu'en conséquence, en raison même de l'existence d'une ouverture de crédit, la société appelante ne saurait mettre en cause une quelconque responsabilité contractuelle de la Banque.

Elle sollicite donc de la Cour la confirmation du jugement querellé.

Ceci étant exposé, la Cour,

Considérant qu'il est constant que l'Administrateur provisoire de la Banque industrielle de Monaco, nommé par décision de la commission bancaire le 26 janvier 1990 a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 1990, reçue le 5 février 1990, fait connaître à la société SOPROCI la fermeture des guichets et la suspension des paiements, entraînant immédiatement le rejet des chèques déjà tirés et en cours de présentation ;

Considérant qu'il résulte des éléments de la cause que les syndics nommés par jugement du tribunal de première instance en date du 2 février 1990 constatant la cessation des paiements de la Banque industrielle de Monaco n'ont pas entendu opter pour la continuation de l'ouverture de la ligne de crédit consenti sous forme d'un découvert en compte courant de 3 000 000 de F, selon lettre d'accord du 28 février 1989 ;

Qu'il suit qu'il a été mis fin à cet accord dès le 29 janvier 1990 sans qu'ait été respecté par la Banque le préavis de huit jours fixé par ladite lettre d'accord susvisée ;

Qu'ainsi, en cessant d'exécuter un contrat en cours les syndics ont engagé la responsabilité contractuelle de la Banque industrielle de Monaco contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ouvrant ainsi droit en faveur de la société SOPROCI, à des dommages-intérêts dont le montant devra être produit au passif, et ce, par application de l'article 448, 2e alinéa du Code de commerce ;

Considérant, sur le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société SOPROCI du fait de l'inexécution d'un contrat en cours, que l'appelant ne produit aux débats aucune pièce justificative à l'appui de sa demande en paiement de 2 000 000 de F ;

Considérant néanmoins qu'il apparaît, au vu des circonstances de la cause, que la société SOPROCI a dû recourir eu égard à l'impossibilité de mettre en œuvre la ligne de crédit promise, à des solutions empiriques et onéreuses pour faire face à ses engagements, entraînant une désorganisation financière de l'entreprise, et ternissant sa réputation commerciale auprès de certains créanciers ;

Qu'en l'état, ces éléments d'appréciation justifient l'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société SOPROCI d'un montant de 50 000 F ;

Considérant que l'intimée qui a succombé en appel devra supporter les dépens d'appel et de première instance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Infirme le jugement du tribunal de première instance en date du 2 mars 1993,

Statuant à nouveau, fixe la somme de 50 000 F de dommages-intérêts le montant que la société SOPROCI est autorisée à produire au passif de la Banque industrielle de Monaco.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions ;

Note🔗

Cet arrêt infirme le jugement du Tribunal de première instance du 2 mars 1993.

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