Cour d'appel, 6 juillet 1993, (Sté International Glass Management ou SAM Univerre et V. c/ SAM Crédit Foncier de Monaco

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Abstract🔗

Cessation de paiement

Action en responsabilité du syndic contre le tiers - Exception d'irrecevabilité soulevée par le tiers (rejet) - Portée non limitative des articles 451 et 505 du Code de Commerce

Résumé🔗

Le syndic dispose des pouvoirs les plus étendus pour assurer la sauvegarde des intérêts des créanciers.

Si l'article 451 du Code de commerce prévoit entre autres, que le syndic « a également qualité pour agir en responsabilité contre les tiers qui ont soutenu artificiellement le crédit du débiteur », cette énumération n'est pas limitative, l'article 505 du même Code qui dispose : « le concordat peut expressément réserver les actions appartenant à la masse, telles que... les actions en responsabilité contre les tiers... », ne fait aucune référence à l'article 451 ;

Son caractère général résulte de sa rédaction même, l'énumération des actions qu'il contient étant précédée du mot « telles » indiquant par là qu'il ne s'agit que d'exemples non limitatifs ;

Son application ne saurait donc être limitée par les termes de l'article 451, les deux articles dont s'agit étant autonomes l'un par rapport à l'autre.

C'est ainsi, à juste titre, que les premiers juges ont rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la banque, qui assignée en responsabilité par le syndic pour avoir cessé de consentir à une société ses concours financiers, suivant les accords des parties, avait soutenu que l'action en responsabilité engagée contre elle n'était pas une action « réservée » par l'article 505 cet article étant indissociable à l'article 451 du même code.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 4 juillet 1991 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant la SAM Univerre (devenue depuis SAM International Glass Management) et L. V., ès qualités de syndic au règlement judiciaire de la SAM Univerre, au Crédit Foncier de Monaco (en abrégé Crédit Foncier de Monaco).

Les faits sont abondamment et précisément rapportés, ainsi que la procédure, les moyens et les prétentions des parties, dans la décision attaquée, à laquelle la Cour se réfère expressément, ainsi qu'aux écritures échangées en appel.

Il suffit de rappeler que la SAM Univerre exerçait à Monaco une activité de négoce international portant essentiellement sur le verre industriel. Cette activité, par sa nature même, nécessitait le concours d'établissements bancaires.

Par une lettre du 20 juin 1986, dont le contenu est rapporté dans la décision déférée et dont le caractère contractuel n'est pas contesté, le Crédit Foncier de Monaco, auprès duquel la SAM Univerre était titulaire d'un compte courant depuis décembre 1984, consentait à ladite SAM Univerre diverses lignes de crédit, autorisation de découvert et caution. La SAM Univerre fournissait, pour sa part, diverses garanties.

Il était expressément précisé dans ce document : « les facilités ci-dessus sont consenties pour une durée d'une année éventuellement renouvelable, d'accord parties. »

Courant décembre 1986, l'expert comptable de la SAM Univerre faisait parvenir à la Banque une situation de la Société annonçant une perte de 1 300 000 F.

Au vu des explications fournies, la Banque maintenait toutefois son concours à Univerre.

Le 26 mai 1987, Univerre adressait au Crédit Foncier de Monaco son bilan au 31 décembre 1986 faisant apparaître une perte nette de 4 076 682 F en raison de créances irrécupérables pour un montant de 2 897 000 F.

Le 5 juin 1987, le Crédit Foncier de Monaco adressait à Univerre une lettre recommandée avec avis de réception, dont le texte est intégralement reproduit dans la décision attaquée, par laquelle, pour l'essentiel, le Crédit Foncier de Monaco faisait part de son étonnement devant cette situation imprévue et réclamait la fourniture de garanties pour un montant au moins égal à 4 000 000 de F. Le Crédit Foncier de Monaco concluait cette lettre en ces termes : « Faute d'avoir satisfait à ces exigences, nous vous signifions par la présente que nous mettrons fin, le 19 juin 1987, aux concours que nous consentons à votre société. »

La SAM Univerre n'ayant pu offrir l'intégralité des garanties exigées, le Crédit Foncier de Monaco cessait son concours financier.

Le 9 juillet 1987, le Tribunal de Première Instance constatait la cessation des paiements de la SAM Univerre, qui était admise au bénéfice du règlement judiciaire par jugement du 19 mai 1988.

Le 5 juillet 1988, l'assemblée des créanciers votait l'acceptation des offres concordataires et la mise en œuvre « de la faculté prévue à l'article 505 du Code de Commerce, aux termes duquel le concordat peut expressément réserver les actions appartenant à la masse telles que... les actions en responsabilité contre les tiers... le profit de ces actions devant être distribué entre tous les créanciers à titre de dividende concordataire. »

Par jugement du 1er décembre 1988, le Tribunal homologuait le concordat et désignait L. V. en qualité de commissaire à l'exécution de ce concordat, précisant qu'il devrait, le cas échéant, répartir le produit de l'action engagée suivant assignation du 3 novembre 1988 entre les créanciers à titre de dividende concordataire.

Par acte du 3 novembre 1988, en effet, la SAM Univerre, devenue en cours de procédure International Glass Management, et L. V., d'abord en qualité de syndic du règlement judiciaire, puis de commissaire à l'exécution du concordat, ont fait assigner le Crédit Foncier de Monaco devant le Tribunal de Première Instance aux fins d'obtenir le paiement de la somme de 3 532 000 F assortie de ses intérêts légaux à compter de la date de l'assignation ;

Par le jugement déféré, du 4 juillet 1991, le Tribunal a :

  • déclaré l'action engagée par le syndic recevable en la forme ;

  • au fond, débouté L. V., ès qualités de représentant des créanciers ayant pris part au concordat de la Société Univerre, de ses demandes ;

  • débouté le Crédit Foncier de Monaco de sa demande reconventionnelle ;

  • condamné la Société International Glass Management aux dépens ;

La SAM International Glass Management et L. V., ès qualités, ont relevé appel de cette décision.

À l'appui de leur appel, ils affirment en premier lieu que l'action, introduite en vertu des dispositions de l'article 505 du Code de commerce, est recevable.

Rappelant le texte de cet article, qui dispose notamment que le concordat peut expressément réserver les actions appartenant à la masse, telles que... les actions en responsabilité contre les tiers... qui auraient été engagées avant l'Assemblée ou qui seront engagées par la suite, ils exposent que ce droit n'est en aucune façon limité et qu'il n'existe aucun lien entre ce texte et l'article 451 du même code.

En deuxième lieu, ils soutiennent que le contrat qui liait la SAM Univerre au Crédit Foncier de Monaco était un contrat à durée indéterminée, du seul fait qu'il était « éventuellement renouvelable ». Ils en déduisent que le Crédit Foncier de Monaco n'avait pas la possibilité de mettre un terme à ce contrat dans un délai si bref, de nature à mettre en péril les intérêts d'Univerre.

En troisième lieu, ils prétendent que la banque ne pouvait ignorer la situation réelle de l'entreprise et notamment le caractère « irrécupérable » de la créance « Spectrum » d'un montant de 2 900 000 F environ. Ils soutiennent que la difficulté résultant de cette situation n'était qu'apparente, dans la mesure où, par ailleurs, Univerre avait amélioré sa gestion et disposait d'un carnet de commandes rempli.

Ils rappellent qu'Univerre avait réussi à réunir une partie importante des nouvelles garanties demandées par le Crédit Foncier de Monaco.

Ils en déduisent que le Crédit Foncier de Monaco a commis une faute en cessant d'apporter son concours à Univerre.

En quatrième lieu, ils prétendent que le Crédit Foncier de Monaco a cessé de remplir ses obligations avant même le 19 juin 1987, refusant de payer des fournisseurs alors que les clients avaient eux-mêmes payé les marchandises, refusant d'exécuter des instructions de paiement de factures de transporteurs, et enfin, en bloquant le compte courant pour apurer sa propre créance.

Ils déduisent de l'ensemble de ces considérations, que le comportement fautif de la banque est la seule cause de la cessation d'activité de la SAM Univerre.

Ils demandent en conséquence à la Cour :

  • d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a refusé de faire droit à la demande d'Univerre ;

  • de condamner le Crédit Foncier de Monaco à payer à L. V. ès qualités la somme de 3 532 000 F à charge pour lui d'en répartir le montant entre les créanciers à titre de dividende concordataire ;

  • subsidiairement, d'ordonner une expertise ;

  • de condamner le Crédit Foncier de Monaco aux dépens ;

Le Crédit Foncier de Monaco, pour sa part, conclut en premier lieu à l'irrecevabilité de l'action engagée à son encontre. Il expose à cet effet que si l'article 505 du Code de commerce prévoit que « le concordat peut expressément réserver les actions appartenant à la masse, telles que... les actions en responsabilité contre les tiers... », l'article 451 du même code précise que le syndic « a également qualité pour agir en responsabilité contre les tiers qui ont soutenu artificiellement le crédit du débiteur... ».

Il soutient que ces deux articles sont indissociables ; que les actions en responsabilité contre les tiers auxquelles se réfère l'article 505 sont uniquement celles prévues par l'article 451. Il en déduit que, l'action engagée à son encontre par le syndic n'étant pas une action « réservée » par l'article 505, L. V. n'aurait aucune qualité pour agir.

En deuxième lieu, et subsidiairement sur le fond, le Crédit Foncier de Monaco déclare que le contrat qui le liait à Univerre était un contrat à durée déterminée dont le terme, en l'absence de renouvellement exprès, arrivait le 19 juin 1987.

Il soutient que, dans ces conditions, aucun délai de préavis n'était nécessaire.

En troisième lieu, il affirme n'avoir eu connaissance de la situation réelle de la Société Univerre qu'à la réception, fin mai 1987, du bilan de la Société. Il soutient en particulier avoir ignoré le caractère irrécupérable de la créance « Spectrum », alors que les dirigeants d'Univerre, qui, eux, étaient au courant de la situation de la Société Spectrum, appartenant au même groupe, n'avaient jamais fait état auprès de la Banque de la moindre difficulté sur ce point.

En quatrième lieu, il conteste les allégations des appelants selon lesquels la banque aurait cessé son concours dès avant le 19 juin 1987. Il précise qu'à compter du mois de mai 1987, il a seulement refusé de participer à des opérations nouvelles qui auraient pu avoir des échéances postérieures au 20 juin 1987. Il explique enfin que si certaines factures (New Glass en particulier) n'avaient pas été réglées alors que la Banque avait reçu la contrepartie, ce n'est que par le jeu du fonctionnement normal d'un compte courant dans lequel se fondent les différentes sommes encaissées ;

En cinquième lieu, et très subsidiairement, le Crédit Foncier de Monaco fait valoir que la cessation de son concours à la Société Univerre était sans aucun lien avec le préjudice allégué.

En sixième lieu, et enfin, le Crédit Foncier de Monaco invoque un préjudice moral et relève le caractère selon lui abusif de l'appel interjeté.

Le Crédit Foncier de Monaco demande en définitive à la Cour :

  • D'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par L. V., ès qualités.

  • De déclarer cette action irrecevable.

  • Subsidiairement, de confirmer le jugement entrepris.

  • De condamner les appelants au paiement de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

  • De les condamner aux dépens ;

Ceci étant exposé, la cour,

Sur la recevabilité :

Considérant que le syndic dispose des pouvoirs les plus étendus pour assurer la sauvegarde des intérêts des créanciers ;

Que si l'article 451 du Code de commerce prévoit entre autres, que le syndic « a également qualité pour agir en responsabilité contre les tiers qui ont soutenu artificiellement le crédit du débiteur », cette énumération n'est pas limitative ;

Considérant que l'article 505 du même code qui dispose : « le concordat peut expressément réserver les actions appartenant à la masse, telles que... les actions en responsabilité contre les tiers... », ne fait aucune référence à l'article 451 ;

Que son caractère général résulte de sa rédaction même, l'énumération des actions qu'il contient étant précédée du mot « telles » indiquant par là qu'il ne s'agit que d'exemples non limitatifs ;

Que son application ne saurait donc être limitée par les termes de l'article 451, les deux articles dont s'agit étant autonomes l'un par rapport à l'autre ;

Considérant que c'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont rejeté l'exception d'irrecevabilité ;

Sur le fond,

Considérant qu'il est constant que les obligations contractuelles des parties sont fixées par la lettre du 20 juin 1986 ;

Considérant que ce contrat précise textuellement : « les facilités ci-dessus sont consenties pour une durée d'une année éventuellement renouvelable, d'accord parties » ;

Que cette rédaction est parfaitement claire et implique qu'à défaut d'un nouvel accord des parties le contrat cesserait de plein droit à l'issue de sa durée déterminée d'une année, soit le 19 juin 1987 ;

Considérant qu'à défaut d'accord de renouvellement, le Crédit Foncier de Monaco était fondé à cesser tout concours à la Société Univerre dès le 19 juin 1987, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un quelconque motif, ni de respecter un quelconque délai de préavis ;

Considérant au surplus qu'il n'est nullement établi que la banque ait eu connaissance avant la réception du bilan 1986, intervenu fin mai 1987, du caractère irrécouvrable de la créance « Spectrum » d'un montant de 2 900 000 F environ ;

Qu'il y a lieu de relever au contraire que, courant décembre 1986, l'expert-comptable de la Société Univerre présentait une situation qui ne faisait apparaître qu'une perte de 1 300 000 F, et non de 4 000 000 de francs, sans exprimer la moindre réserve quant à la créance litigieuse ;

Que la banque a pu, à juste titre, se montrer surprise de la situation réelle de la Société Univerre et qu'il ne saurait lui être imputé à faute de ne pas avoir proposé le renouvellement pur et simple du contrat ;

Considérant qu'il n'est aucunement établi que la Banque aurait cessé de remplir ses obligations contractuelles avant le 19 juin 1987 ;

Qu'il ne peut, en particulier, lui être reproché d'avoir refusé de s'engager, à quelques jours de la fin du contrat, dans des opérations qui auraient dû produire leurs effets postérieurement à cette date ;

Qu'elle n'était pas tenue, non plus, de payer des fournisseurs avant la date prévue pour leur paiement, même si les clients avaient déjà payé la marchandise, le principe même du compte courant excluant l'affectation de telle recette à telle facture déterminée ;

Qu'enfin les appelants n'établissent aucune faute de la banque dans la gestion du compte courant de la Société Univerre ;

Considérant que la demande d'expertise est dénuée de pertinence alors qu'il apparaît en définitive à l'évidence, et par le simple examen de la chronologie des événements, que ce n'est pas la cessation des concours de la Banque qui a déterminé la cessation d'activité de la Société Univerre, mais bien la situation obérée de cette Société qui a déterminé le comportement de la Banque à son égard ;

Considérant que le Crédit Foncier de Monaco ne justifie d'aucun préjudice moral ou autre ;

Que l'appel n'est pas manifestement abusif, malicieux ou dilatoire ;

Qu'il n'y a pas lieu en conséquence d'allouer à l'intimée des dommages-intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS, et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

Déboute la Société International Glass Management (anciennement Univerre) et L. V., ès qualités, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Déboute le Crédit Foncier de Monaco de ses demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacotte, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Sanita, av. déf. ; Charles, av. bar Nice ; Neveu, av. CA de Paris.

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