Cour d'appel, 22 juin 1993, M. c/ Époux P.

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Abstract🔗

Baux d'habitation

Exercice du droit de reprise :

- Congés : mentions obligatoires ;

- Droits du propriétaire issus d'une dévolution successorale : aucun délai pour agir en reprise.

Résumé🔗

Aux termes de l'article 28-2° de l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 modifiée par la loi n° 888 du 25 juin 1970 codifiant la législation relative aux conditions de location des locaux à usage d'habitation, le propriétaire qui veut exercer le droit de reprise doit à peine de nullité de la procédure, entre autres conditions :

« 2° - justifier qu'il tient ses droits, soit d'une dévolution successorale, soit d'un acte ayant acquis date certaine depuis au moins 6 ans au jour de la notification ; le délai de 6 ans est réduit à 3 ans si le propriétaire est de nationalité monégasque. »

Il s'ensuit, en l'espèce, que l'exercice du droit de reprise du propriétaire, lequel tient ses droits d'une dévolution successorale, n'est soumise à aucune condition de délai.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé le 4 décembre 1992 par J.-C. M., d'un jugement rendu le 29 octobre 1992 par le Tribunal de première instance, dans le litige opposant l'appelant aux époux P.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être exposés comme suit, référence étant faite pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel ;

Saisi par J.-C. M., dans le cadre de l'exercice d'un droit de reprise portant sur un appartement occupé par les époux P. auxquels un congé a été régulièrement notifié le 27 septembre 1993, le tribunal, par la décision déférée :

  • a constaté la nullité de la procédure diligentée par J.-C. M., propriétaire, aux fins de reprise d'un appartement loué aux époux P. à Monaco ;

  • a rejeté, en l'état, la demande de ce propriétaire et l'a condamné aux dépens ;

Pour statuer ainsi, les premiers juges ont estimé que M. ne procédait que par des affirmations pour établir la formalité substantielle prescrite par l'article 28-3° de l'ordonnance-loi n° 669, à peine de nullité de la procédure, à savoir que l'occupation du logement à reprendre réponde aux besoins normaux du bénéficiaire de la reprise, et que dès lors M., n'ayant pas démontré, ni même offert de le faire, qu'il avait satisfait au vœu du législateur sur ce point, devait se voir sanctionner par la nullité de la procédure ce qui entraînait le rejet en l'état de sa demande, sans examiner de surcroît l'autre moyen de nullité invoqué à savoir celui édicté par l'article 28-2° de l'ordonnance-loi susvisée ;

Au soutien de son appel, J.-C. M. fait valoir :

D'une part qu'il justifie par les actes notariés versés aux débats avoir acquis l'appartement litigieux par voie successorale en 1990, et donc à titre gratuit, et qu'en conséquence le délai de 6 ans prévu par l'article 28-2° de l'ordonnance-loi court, par référence à la loi française rédigée en termes identiques, à compter de la dernière acquisition à titre onéreux, soit en l'espèce à 1922 ;

D'autre part qu'il justifie que les locaux qu'il entend reprendre, même s'ils sont plus vastes que ceux qu'il occupait précédemment correspondent néanmoins à ses besoins normaux pour s'y installer ainsi que la famille qu'il compte fonder, sans que le tribunal prenne en compte comme il l'a fait, les conditions d'habitation actuelles ou passées du bénéficiaire ;

Qu'il estime en conséquence que les premiers juges ont fait une appréciation inexacte des circonstances de la cause et ont interprété les exigences de la loi de manière non conforme à la jurisprudence habituelle des juridictions monégasques statuant en la matière ;

L'appelant demande à la Cour de mettre à néant la décision entreprise, et la réformant, de dire et juger :

  • que l'action en reprise remplit les conditions fixées par l'article 28-2° et 3° de l'ordonnance-loi n° 669 tant en ce qui concerne le délai de 6 ans qui prend effet à compter de la dernière acquisition à titre onéreux, soit le 13 mars 1922, qu'en ce qui concerne les besoins normaux du bénéficiaire lesquels doivent être appréciés en fonction des conditions d'occupation offertes par le local objet de la reprise ;

  • que le congé délivré le 27 septembre 1990 pour le 30 septembre 1991 doit être validé ;

  • que les locataires doivent être, si besoin est, expulsés de corps et de biens dudit appartement sous astreinte de 1 000 francs par jour de retard ;

Les intimés reprenant leur exception de nullité de la procédure tirée de l'article 28-2° de l'ordonnance-loi susdite, constatent que M., en appel, persévère dans ses errements de première instance, en affirmant sans satisfaire aux exigences de l'article 28-3° du même texte, que les locaux objet de la reprise, correspondent à ses besoins normaux pour s'y installer avec la famille qu'il entend fonder ;

Ils concluent en conséquence à la confirmation du jugement déféré ;

Sur ce,

Considérant que l'ordonnance-loi n° 669 du 17 septembre 1959 est un texte dérogatoire au droit commun qui doit être interprété restrictivement ;

Considérant que l'article 28 alinéas 2 et 3 de ce texte auquel les parties font référence est ainsi rédigé, après modification par la loi n° 888 du 25 juin 1970 :

« Le propriétaire qui veut exercer le droit de reprise, doit à peine de la nullité de la procédure :

1° / justifier qu'il tient ses droits, soit d'une dévolution successorale, soit d'un acte ayant acquis date certaine depuis au moins six ans au jour de la notification ; le délai de 6 ans est réduit à trois ans si le propriétaire est de nationalité monégasque ;

2° / justifier que l'occupation du local répond pour lui ou le bénéficiaire de la reprise, à des besoins normaux ; »

Considérant qu'il est constant au vu des pièces non contestées versées aux débats que l'appelant tient ses droits sur le local objet de la reprise, par dévolution successorale suite au décès de sa grand-mère survenu en 1990 ;

Considérant que l'article 28-2° du texte susvisé n'exige, pour l'exercice du droit de reprise, aucune condition de délai dans le cas où, comme en l'espèce, le propriétaire tient ses droits d'une dévolution successorale ;

Que les délais de 6 ans ou 3 ans fixés par le même texte ne s'imposent qu'au propriétaire qui tient ses droits d'un acte autre qu'une dévolution successorale ;

Qu'en conséquence, J.-C. M. a satisfait à l'obligation mise à sa charge par l'alinéa 2e de cet article de loi pour exercer son droit de reprise ;

Considérant que l'appelant a établi qu'il était célibataire et âgé de 26 ans au jour de la notification aux locataires P., du congé pour reprise du local, qu'il avait quitté le domicile parental en 1989 pour se loger provisoirement dans un studio, puis en 1990 dans un deux pièces dans le même immeuble en échange d'un loyer de beaucoup supérieur à celui que lui versent les intimés ;

Qu'il est également constant que M., bénéficiaire de la reprise a perdu son emploi, a vu ses revenus diminuer et a l'intention de fonder une famille ;

Considérant que ce logement, objet de la reprise, se composant de trois chambres, d'un séjour en deux parties, d'une cuisine et d'une salle de bains, même s'il est plus spacieux que celui dont le bénéficiaire aurait en fait actuellement besoin, répond néanmoins, au vu des justifications produites, à un intérêt personnel et familial assez important pour être considéré comme légitime d'autant que l'appartement repris satisfait davantage les besoins normaux du propriétaire que celui occupé précédemment ;

Qu'en conséquence, et contrairement à ce qu'avaient estimé les premiers juges dans le jugement déféré, il y a lieu d'infirmer la décision critiquée et de constater que l'appelant a justifié que l'occupation du local, avec la famille qu'il entend fonder, correspond à ses besoins normaux conformément aux dispositions de l'article 28-3° de l'ordonnance-loi susdite ;

Considérant dès lors que le congé régulièrement notifié le 27 septembre 1990 aux époux P. locataires pour le 30 septembre 1991 est valable ;

Que les intimés, compte tenu des larges délais dont ils ont bénéficié, devront quitter les lieux litigieux dans les 30 jours du présent arrêt selon les modalités précisées au dispositif ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de prononcer d'astreinte journalière en cas de retard dans l'exécution de ladite décision ;

Considérant que les dépens de première instance et d'appel seront à la charge des intimés qui ont succombé ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Infirme le jugement déféré ;

Statuant à nouveau,

Dit et juge que J.-C. M. a satisfait aux obligations résultant de l'article 28 chiffres 2 et 3 de l'ordonnance-loi n° 669, modifiée par la loi n° 888 ;

Valide le congé notifié aux époux P. suivant acte du 27 septembre 1990 ;

Dit que les intimés devront quitter les lieux litigieux dans les 30 jours du présent arrêt ;

Ordonne, à défaut de ce faire, leur expulsion de corps et de biens, et celle de tous occupants de leur chef sans astreinte ;

Déboute l'appelant du surplus de son appel.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Léandri et Escaut av. déf.

Note🔗

Cet arrêt infirme un jugement du 29 octobre 1992 signifié le 1er décembre 1992, qui avait constaté la nullité de la procédure diligentée par le propriétaire lequel n'avait pas rapporté la preuve de ses allégations quant au fait prétendu d'une occupation correspondant à ses besoins normaux.

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