Cour d'appel, 22 juin 1993, Compagnie d'Assurances Continental of New York c/ Office Maritime Monégasque

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Commettant :

- Acte volontaire du préposé : absence de responsabilité du commettant.

Fait personnel :

- Manutention de caisses non dangereuse pour le préposé :

- Absence de faute de l'employeur.

Résumé🔗

Bien que l'acte volontaire de mise à feu d'une fusée, ayant causé une explosion dommageable, ait été commis par les préposés d'une entreprise effectuant l'entreposage de fusées d'artifice contenues dans des caisses, et qu'il soit survenu sur les lieux et le temps du travail, il ne saurait pour autant engager la responsabilité du commettant, dès lors que ses préposés ont agi, en cette circonstance, sans son autorisation, à des fins étrangères à leurs attributions et se sont ainsi placés hors des fonctions auxquelles ils étaient employés, l'entreposage, au demeurant non réglementé n'étant nullement en relation directe avec le dommage.

Il ne peut être reproché à l'entreprise d'avoir commis une négligence grave dans son fonctionnement étant donné que la manutention des caisses en carton faisant l'objet d'un emballage de bonne qualité ne présentait pas en elle-même un danger particulier qui soit de nature à faire encourir une faute dans le choix ou dans la surveillance de ses préposés pour l'exécution d'une tâche qu'ils accomplissaient quotidiennement.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par la Compagnie d'Assurances Continental of New York d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 9 janvier 1993 ;

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

La SAM « Office Maritime Monégasque » transitaire en douane est locataire de locaux dans l'immeuble dénommé « Les Industries » à Fontvieille dont elle utilise le quai de chargement ;

Le 3 mai 1985 au cours d'un chargement de fusées pyrotechniques qu'elle avait au préalable dédouanées et provisoirement entreposées dans ses locaux, deux explosions suivies d'incendies survenaient sur ce quai et endommageaient notamment la façade de l'immeuble voisin « Le Mercator » ;

La copropriété de cet immeuble ayant été dédommagée par son propre assureur, celui-ci, la Compagnie Continental of New York subrogé dans les droits et actions de son assurée, a assigné devant le Tribunal de première instance de Monaco la SAM « Office Maritime Monégasque » et ses assureurs les Compagnies Le Continent et Allianz en paiement de dommages-intérêts sur le fondement des articles 1229 et 1231, alinéa 4, du Code civil ;

Par le jugement déféré, le tribunal a débouté la Compagnie Continental of New York de son action et la SAM « Office Maritime Monégasque » de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

Il estimait - après avoir relevé que les actions en responsabilité du fait personnel et du fait d'autrui n'étaient pas exclusives l'une de l'autre en sorte qu'elles pouvaient être intentées cumulativement - que le sinistre ayant trouvé sa cause dans la mise à feu dans des circonstances indéterminées d'une fusée d'artifice au cours du chargement sur le quai prévu à cet effet d'engins pyrotechniques dont la SAM « Office Maritime Monégasque » était dépositaire en sa qualité de transitaire en douane, aucune faute en relation avec ses obligations de dépositaire n'était établie, notamment à raison de l'entreposage de cette marchandise dans ses locaux, en l'absence de toute infraction à une réglementation applicable qui soit en relation directe avec le dommage ;

Il estimait par ailleurs, que la responsabilité du fait d'autrui n'était pas davantage établie dès lors qu'à supposer qu'un préposé de la SAM « Office Maritime Monégasque » ait été l'auteur de la mise à feu de la fusée, ce préposé aurait alors agi sans autorisation, à des fins étrangères à ses attributions et se serait ainsi placé hors des fonctions auxquelles il était employé, rendant inapplicables au commettant les dispositions de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil ;

Au soutien de son appel tendant à la réformation du jugement déféré, la Compagnie Continental of New York fait grief aux premiers juges d'avoir procédé à une inexacte appréciation des faits de la cause ;

Elle soutient d'une part que l'expertise judiciaire a établi que la mise à feu de la fusée à l'origine du sinistre a été le fait d'un préposé de l'Office Maritime Monégasque - en état d'ébriété - et que dès lors l'employeur est responsable par application des dispositions de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil ;

Elle soutient d'autre part que la responsabilité de l'Office Maritime Monégasque est encore engagée par son fait personnel au motif que cette société n'aurait pas dû entreposer dans un immeuble, 890 kgs d'engins explosifs, même en l'absence de réglementation spécifique ;

Elle demande en conséquence à la Cour de :

  • constater que l'Office Maritime Monégasque a commis une négligence grave constitutive de faute en entreposant une quantité excessive d'engins explosifs dans un immeuble, ce qui a intensifié l'explosion ;

  • constater que G. G., employé de l'Office Maritime Monégasque a commis une faute dans l'exercice de ses fonctions ;

  • dire et juger que l'Office Maritime Monégasque est responsable sur le fondement de l'article 1231, alinéa 4, du Code civil ;

  • dans le cas contraire, constater que la faute commise par G. G. se cumule avec la négligence de son employeur dans la survenance du sinistre et retenir la responsabilité de l'Office Maritime Monégasque sur le fondement des articles 1229 et 1230 du Code civil ;

  • condamner l'Office Maritime Monégasque « in solidum » avec les Compagnies Le Continent et Allianz au remboursement avec intérêts de droit à compter du jour du règlement, de la somme de 365 578,69 francs correspondant au paiement qu'elle a effectué à son assurée ainsi qu'au paiement sur la même solidarité de la somme de 30 000 francs à titre de frais irrépétibles d'instance ;

  • ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;

  • condamner sur la même solidarité les intimés aux dépens ;

L'Office Maritime Monégasque, tout en relevant dans le préambule de ses conclusions qu'il appartiendrait à la Cour de se prononcer sur le caractère subsidiaire ou cumulatif de la responsabilité du fait personnel par rapport à la responsabilité du fait d'autrui, se fondant sur un arrêt de la Cour de cassation française duquel il résulterait que la responsabilité du fait personnel ne pourrait être recherchée que si la responsabilité du fait d'autrui ne pouvait recevoir application, conclut néanmoins à la confirmation du jugement déféré, en soutenant qu'aucune faute ne pourrait lui être reprochée tant à titre personnel qu'en sa qualité de dépositaire alors qu'elle était dessaisie de surcroît de la marchandise par la signature, la veille de l'accident, de la feuille de route au profit du transporteur, qu'à titre de commettant puisqu'il n'était nullement établi que l'auteur de la mise à feu de la fusée fût son préposé et qu'en toute hypothèse en agissant de la sorte il se serait placé hors des fonctions auxquelles il était employé ainsi que le tribunal l'a relevé ;

Estimant l'appel abusif, l'Office Maritime Monégasque sollicite par voie d'appel incident, la condamnation de la Compagnie Continental of New York au paiement d'une somme de 50 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

La Compagnie « Le Continent » assureur de l'Office Maritime Monégasque pour sa responsabilité civile à l'exclusion tant des risques résultant de la détention et de la manutention d'explosifs que des risques d'incendie et d'explosion survenant dans les locaux - dont l'assuré est locataire - conclut à la confirmation du jugement entrepris et à titre subsidiaire à l'absence de garantie lui incombant ; elle sollicite en outre la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 30 000 francs à titre de frais irrépétibles, ainsi que sa condamnation aux dépens ;

La Compagnie d'Assurance Allianz qui garantit les risques « Incendie ou Explosion » que l'Office Maritime Monégasque peut occasionner aux tiers lorsque le sinistre a pris naissance dans les biens assurés ou dans les locaux loués par l'assuré et qui relève que l'explosion et l'incendie ont eu lieu sur le quai de chargement c'est-à-dire en dehors des locaux visés au contrat, conclut à la confirmation du jugement entrepris et au paiement d'une somme de 30 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui occasionne l'appel abusif de cette compagnie d'assurances ;

Concluant en réponse, l'appelante réitère sa demande en soutenant que l'explosion n'a été rendue possible qu'en raison d'une erreur de manutention ou d'un défaut de surveillance des préposés de l'Office Maritime Monégasque chargés par leur employeur de cette manutention, en relation causale directe avec leur état d'ébriété lors du chargement, état ni imprévisible, ni irrésistible, ni constitutif d'une force majeure extérieure au commettant et révélant une défectuosité grave dans le fonctionnement interne de l'entreprise ;

Sur ce,

Considérant que le moyen de procédure invoqué par la SAM « Office Maritime Monégasque » dans les motifs de ses conclusions et qu'elle fonde sur un arrêt de la Cour de cassation française duquel il résulterait que, contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal, la responsabilité du fait personnel serait subsidiaire à la responsabilité du fait d'autrui est inopérant dès lors que la SAM « Office Maritime Monégasque » sollicite dans le dispositif de ses conclusions la confirmation du jugement entrepris sans tirer aucun parti du moyen procédural qu'elle a soulevé, étant observé que l'arrêt cité par l'intimée n'a pas la portée qu'elle lui attribue ;

Considérant au fond qu'il ressort clairement des constatations matérielles et des témoignages analysés par l'expert que seuls se trouvaient à proximité immédiate de l'explosion, le chauffeur de la Société Sonitram, F. B., G. G. et T. Z., préposés de la SAM « Office Maritime Monégasque » tous trois décédés dans l'incendie qui a ravagé le quai, tandis que le chef de quai R. G. également préposé de la SAM « Office Maritime Monégasque » se trouvait sur la frange et trois chauffeurs tout à fait en dehors de l'explosion ;

Considérant qu'il est établi par le rapport d'expertise que l'explosion n'est pas due à une cause accidentelle mais à un acte volontaire de l'une des personnes présentes qui a mis à feu une fusée d'artifice que le chauffeur de la Société de transport Sonitram, - venu prendre en charge ce matériel pyrotechnique composé de 24 cartons - tenait entre ses mains pour une raison indéterminée ;

Considérant dès lors que l'acte volontaire de mise à feu de la fusée n'a pu être le fait que de G. ou de Z. tous deux préposés de la SAM « Office Maritime Monégasque » et d'eux seuls ;

Considérant que bien que cet acte volontaire soit survenu sur les lieux et dans le temps du travail, il ne saurait pour autant engager la responsabilité de la SAM « Office Maritime Monégasque » en sa qualité de commettant dès lors que ses préposés ont agi dans cette circonstance, sans son autorisation, à des fins étrangères à leurs attributions et se sont ainsi placés hors des fonctions auxquelles ils étaient employés ;

Considérant que la décision du tribunal a également écarté à juste titre la responsabilité de la SAM « Office Maritime Monégasque » en ce qui concerne l'entreposage, au demeurant non réglementé, qui n'est pas en relation directe avec le dommage ;

Considérant sur le moyen invoqué en appel et tiré d'une négligence grave dans le fonctionnement interne de l'entreprise en ce qu'elle a confié des opérations de manutention d'objets dangereux à des préposés en état d'ébriété, qu'il ressort du rapport d'expertise que les caisses en carton abritant les fusées constituaient un emballage de bonne qualité ; qu'en outre ces fusées étaient composées de poudre noire, inerte et insensible aux chocs ;

Considérant dès lors que leur manipulation ne présentait pas en elle-même un danger particulier et qu'il ne saurait être reproché à la SAM « Office Maritime Monégasque » une faute dans le choix ou dans la surveillance de ses préposés pour l'exécution d'une tâche qu'ils accomplissaient quotidiennement ; que l'alcoolémie de G. et de Z., révélée par des analyses pratiquées « post-mortem », n'est pas de nature à caractériser une faute personnelle à l'encontre de l'employeur qui avait pris le soin de faire surveiller toute opération de chargement par un chef de quai et alors que celui-ci, présent à proximité et blessé par l'explosion, n'avait remarqué aucun comportement anormal de la part de ces préposés ;

Considérant qu'aucune faute personnelle n'est donc établie à l'encontre de la SAM « Office Maritime Monégasque » ;

Qu'il s'ensuit que la demande subsidiaire de l'appelante ne saurait prospérer, le cumul des fautes invoqué ne pouvant exister en l'absence d'une faute de l'intimée ;

Considérant qu'en l'absence de responsabilité de la SAM « Office Maritime Monégasque », les demandes formulées par l'appelante à l'encontre des compagnies d'assurances « Le Continent » et « Allianz » sont sans fondement et qu'il y a lieu d'en débouter la Compagnie Continental of New York ;

Considérant enfin que l'appelante ayant succombé dans ses prétentions, il n'y a pas lieu de lui allouer les dommages-intérêts qu'elle sollicite au titre de remboursement de ses frais ;

Considérant en définitive que le jugement déféré doit être confirmé et la Compagnie Continental of New York déboutée de ses demandes ;

Sur les appels incidents,

Considérant que l'appel de la Compagnie Continental of New York ne revêt pas un caractère manifestement abusif et qu'il y a lieu de débouter la SAM « Office Maritime Monégasque » de son appel incident en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que la connaissance par l'appelante des contrats d'assurances liant la SAM « Office Maritime Monégasque » aux compagnies Le Continent et Allianz ne suffit pas à caractériser un abus de procédure de sa part, à l'égard de ces compagnies d'assurances dès lors que cette connaissance ne permettait pas « de plano » à l'appelante d'en faire une analyse certaine et définitive ;

Que les compagnies « Le Continent » et « Allianz » doivent donc être déboutées de leurs appels incidents respectifs ;

Considérant que l'appelante qui succombe doit être condamnée aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute la Compagnie d'Assurances Continental of New York de son appel,

Confirme le jugement du Tribunal de première instance en date du 9 janvier 1992,

Déboute les intimés de leurs appels incidents respectifs.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Blot, Léandri et Sbarrato av. déf. ; Chevalier et Peronnet av. C. Paris.

Note🔗

Cet arrêt confirme un jugement du 9 janvier 1992.

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