Cour d'appel, 8 juin 1993, M. K. c/ E. M.

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Abstract🔗

Le criminel tient le civil en l'état

Pièce arguée de faux objet d'une constitution de partie civile, non versée aux débats :

- Aucune incidence sur le procès : règle écartée (art. 299 du Code de procédure civile).

Résumé🔗

Étant donné qu'une lettre arguée de faux, objet d'un dépôt de plainte avec constitution de partie civile de ce chef devant le juge d'instruction, n'est pas versée aux débats par celui qui entendait s'en servir, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de sursis à statuer en vertu de la règle « le criminel tient le civil en l'état », formée par son adversaire, puisqu'aucune conséquence ne peut en être tirée ni par les parties, ni par la Cour et que dans ces conditions le procès peut être jugé indépendamment de cette pièce conformément aux dispositions de l'article 299 du Code de procédure civile.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel d'une ordonnance rendue le 28 octobre 1991 par l'un des juges du Tribunal de première instance de Monaco statuant sur les mesures provisoires dans le cadre de l'instance en divorce opposant M. K. et E. M., épouse K. ;.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel ;

Par requête du 7 août 1991, E. M. a sollicité de Monsieur le Président du Tribunal de première instance l'autorisation de citer son époux M. K. aux fins de divorce.

Par ordonnance du même jour, le Président du Tribunal de première instance a fixé la date de la tentative de conciliation et autorisé E. M. à résider seule au domicile conjugal.

Par ordonnance du 19 septembre 1991, le Président du Tribunal, avec l'accord des parties, a fixé au 23 octobre 1991 la date de l'audience de conciliation.

Par l'ordonnance du 28 octobre 1991, dont appel, le juge conciliateur a :

  • autorisé E. M. à assigner M. K. devant le Tribunal de première instance aux fins de sa demande en divorce ;

Statuant sur les mesures provisoires :

  • condamné M. K. à payer à son épouse une pension alimentaire mensuelle de 25 000 francs ;

  • condamné M. K. à payer à son épouse une provision de 10 000 francs pour les frais de l'instance ;

  • constaté que M. K. ne s'opposait pas à ce qu'E. M. conserve à titre provisoire la jouissance du domicile conjugal, d'un véhicule Peugeot 205 et de bijoux pendant la durée de l'instance ;

  • dit que les demandes de restitution formulées relevaient de la liquidation du régime matrimonial des époux et qu'il ne saurait y être fait droit en l'état.

M. K. a relevé appel de cette décision. Par conclusions du 6 janvier 1993, il déclare expressément exclure du champ de son appel les dispositions de l'Ordonnance entreprise ayant refusé d'ordonner la restitution des biens mobiliers meublant le domicile conjugal.

À l'appui de sa demande, ainsi limitée, il prétend en premier lieu que c'est à tort que le Magistrat conciliateur a cru devoir relever qu'il ne s'opposerait pas à l'attribution du domicile conjugal à son épouse. Invoquant ses écritures en première instance et faisant valoir que le domicile conjugal constituait également son bureau de travail, il réitère sa demande d'attribution dudit domicile.

En deuxième lieu, il prétend que ses revenus ne lui permettent pas de faire face au versement de la pension fixée par le magistrat conciliateur. Il rappelle à cet effet qu'il a fait l'objet d'un licenciement en juin 1990 et que depuis cette date il ne perçoit qu'une indemnité de chômage de 23 742,60 francs, couvrant à peine ses besoins essentiels.

Il s'insurge contre les allégations de son épouse concernant d'autres ressources. Il affirme en particulier qu'il ne serait pas actionnaire des sociétés Ekman et Belhold Ltd, mais seulement gérant de ces sociétés. Il déclare à cette occasion n'être dans ces sociétés, et malgré les apparences, qu'un simple prête-nom. Il ajoute que les appartements qui constituent l'actif de ces sociétés n'ont, en toute hypothèse, jamais procuré aucun revenu. Il relève enfin que les éléments paraissant établir l'existence d'une aisance manifeste, voire d'un train de vie élevé, sont tous antérieurs à son licenciement en 1990.

En troisième lieu, il soutient que son épouse dispose de biens et de revenus très supérieurs aux siens. Il expose ainsi qu'elle est titulaire à la Barclays Bank d'un compte présentant un solde créditeur de 312 000 deutsches marks (et non de 312 000 francs français comme retenu par erreur par le premier juge) ;

Qu'en outre, elle dispose, sous le pseudonyme de T. O., d'un autre compte à la Rothschild Bank à Zurich présentant un solde créditeur de 1 083 152 deutsche marks, soit environ 3 600 000 francs français. Il expose enfin qu'elle aurait hérité de son père des biens d'une valeur au moins égale à 10 000 000 de deutsche marks. Il s'élève violemment contre les déclarations d'E. M. qui prétend avoir renoncé à cet héritage. À cette occasion, après avoir invoqué les termes d'une lettre qu'il prétendait avoir été écrite le 24 septembre 1989 par E. M. à son frère K. F. M., laquelle est arguée de faux par son épouse, il déclare, par conclusions du 4 février 1993, renoncer à produire cette pièce et à s'en prévaloir dans la présente procédure « afin d'éviter l'enlisement » de celle-ci.

Il demande en définitive à la Cour :

  • de lui donner acte de sa renonciation à produire la pièce litigieuse et de ses réserves de la produire dans une instance ultérieure ;

  • de débouter l'intimée de sa demande de sursis à statuer ;

  • de constater la nullité des attestations versées aux débats par E. M. comme étant dépourvues des mentions prescrites par l'article 324 du Code de procédure civile ;

  • de réformer l'Ordonnance entreprise ;

  • de lui attribuer la jouissance du domicile conjugal ;

  • de dire et juger que son épouse ne pourra prétendre à aucune pension alimentaire ;

  • de dire et juger qu'elle ne peut non plus prétendre à l'attribution d'une provision « ad litem » ;

  • de débouter E. M. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

  • de la condamner aux dépens ;

Il demande en outre à la Cour de dire et juger divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt mais constituent en réalité des motifs de la décision.

E. M., pour sa part, affirme en premier lieu que la lettre du 24 septembre 1989 invoquée d'abord par son mari avant que celui-ci ne renonce à la produire, constitue un faux. Elle déclare, et justifie, avoir déposé le 25 janvier 1993, devant le Doyen des juges d'Instruction de Monaco une plainte avec constitution de partie civile contre X du chef de faux.

Elle soutient que cette plainte doit conduire la Cour à surseoir à statuer dans la présente instance en vertu de la règle « le criminel tient le civil en l'état ».

En deuxième lieu, elle conteste disposer de la fortune que lui prête son mari. Elle déclare ainsi avoir renoncé à sa part réservataire dans l'héritage de ses parents au profit de son frère et n'avoir recueilli de cette succession que cinq appartements dans une petite ville d'Allemagne, pour une valeur totale de 1 300 000 deutsche marks.

Elle affirme qu'à l'heure actuelle il ne lui reste que le solde de son compte à la Barclays Bank, soit 312 000 deutsche marks, à l'exclusion de tout autre bien ou revenu.

En troisième lieu, elle affirme que son mari dispose d'une fortune considérable. Elle rappelle en effet qu'il a perçu jusqu'en 1990 un salaire annuel de l'ordre de 10 000 000 de francs en sa qualité de gérant des fonds et titres confiés au groupe des sociétés TBG (groupe Thyssen) et qu'à la suite de son licenciement, il a perçu une somme de 11 689 474 francs.

Elle déclare qu'il est seul détenteur du capital des sociétés Belhold et Ekman, domiciliées à Guernesey et par l'intermédiaire desquelles il est le véritable propriétaire de cinq appartements de grande valeur à Monaco.

Elle rappelle que son mari dispose d'un train de vie élevé, mis en évidence par la possession d'un bateau « offshore », d'un véhicule de sport « Porsche », de deux mouillages au port de Cap d'Ail, etc.

En quatrième lieu, sur l'attribution du domicile conjugal, E. M. fait valoir essentiellement que, devant le juge conciliateur, son mari ne s'était pas opposé à cette attribution, malgré ce qu'il prétend aujourd'hui, et qu'en outre il dispose de plusieurs autres appartements à Monaco et s'est d'ailleurs relogé dans l'un d'entre eux.

En cinquième lieu, elle prétend que son absence de ressources justifie que lui soit allouée une provision « ad litem ».

En sixième lieu, elle affirme qu'elle avait sollicité devant le premier juge la jouissance du véhicule Peugeot 205 et relève que son mari se refuse malicieusement à lui remettre les documents administratifs afférant à cette voiture.

Elle demande en conséquence à la Cour :

  • de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale en cours du chef de faux ;

Subsidiairement :

  • de dire et juger divers points qui n'ont pas leur place dans le dispositif d'un arrêt, dont ils constituent en réalité des motifs ;

  • de condamner M. K. à lui payer une pension alimentaire mensuelle de 60 000 francs ;

  • de le condamner au paiement d'une provision « ad litem » de 30 000 francs ;

  • de lui attribuer à titre provisoire le domicile conjugal et le mobilier le garnissant, à charge pour son mari d'en supporter tous les frais ;

  • de lui attribuer la jouissance du véhicule Peugeot et de l'intégralité des bijoux ;

  • d'enjoindre à M. K., sous astreinte, de lui remettre les documents administratifs relatifs à ce véhicule ainsi qu'une attestation des ASSEDIC nécessaire pour obtenir ses prestations sociales ;

  • de débouter M. K. de toutes ses demandes ;

  • de le condamner aux dépens ;

Ceci étant exposé, la Cour :

Sur la demande de sursis à statuer,

Considérant que le document argué de faux n'est pas versé aux débats ;

Qu'aucune conséquence ne peut donc en être tirée, ni par les parties, ni par la Cour ;

Que dans ces conditions, le procès peut être jugé indépendamment de cette pièce conformément aux dispositions de l'article 299 du Code de procédure civile ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de surseoir à statuer ;

Sur le fond,

Considérant qu'il résulte des nombreuses pièces régulièrement versées aux débats par les deux parties, lesquelles s'ingénient par tous les moyens à convaincre la Cour qu'elles se trouvent dans des conditions financières pitoyables, que M. K. comme E. M. se trouvent dans une situation aisée ;

Que cette situation est d'ailleurs suffisamment établie, sans qu'il y ait lieu d'analyser en détail l'ensemble des pièces, par les seuls éléments indiscutablement admis par chacune des parties ;

Considérant que la pension alimentaire a pour but de maintenir, pendant la durée de la procédure de divorce, à l'époux qui en est bénéficiaire un niveau de vie comparable à celui dont il bénéficiait auparavant ;

Considérant qu'il est suffisamment établi que M. K., qui prenait en charge l'ensemble des frais communs du ménage, versait à sa femme une somme mensuelle de 15 000 à 20 000 francs ;

Que, dans ces conditions, c'est à juste titre que le magistrat conciliateur a fixé à 25 000 francs par mois le montant de la pension due par M. K. ;

Considérant que la provision « ad litem » a pour but de permettre à l'un des conjoints dépourvu de ressources de faire face aux frais de procédures indispensables pour faire valoir ses droits ;

Qu'il ne saurait être sérieusement soutenu qu'E. M., qui admet elle-même disposer de 312 000 deutsche marks, ne serait pas en mesure de faire face à ces frais ;

Que la décision du premier juge sera donc réformée sur ce point ;

Considérant qu'il est établi, et non contesté, que M. K. dispose au moins d'un autre appartement à Monaco et que, partant, celui ayant constitué le domicile conjugal ne lui est nullement indispensable, ni à titre privé, ni à titre professionnel ;

Que c'est donc à juste titre que le magistrat conciliateur a attribué à l'épouse la jouissance du domicile conjugal et des meubles le garnissant ;

Qu'il n'y a pas lieu de s'attarder aux allégations de M. K. relatives à son opposition à cette décision, celle-ci étant justifiée indépendamment du fait qu'il ait ou non accepté l'attribution à son épouse dudit domicile conjugal ;

Considérant qu'en constatant que M. K. ne s'opposait pas à ce que son épouse conserve la jouissance d'un véhicule Peugeot et de bijoux pendant la durée de l'instance, le magistrat conciliateur a, à l'évidence, répondu à une demande formulée devant lui ;

Qu'il y a lieu de rappeler ici que les constatations du juge, rapportées dans une décision qui constitue un acte authentique, ne sauraient être remises en cause par de simples allégations, M. K. n'apportant aucun élément de nature à justifier la réformation sur ces points de la décision entreprise ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes d'E. M. tendant à ce que lui soient remises diverses pièces administratives, ces demandes n'entrant pas dans le cadre des mesures provisoires ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de « donner acte », « dire et juger » divers points n'ayant pas leur place dans le dispositif d'une décision de justice, ni de donner acte de réserves qui ne sont pas de nature à conférer un droit ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats diverses pièces qui ne comporteraient pas les mentions prescrites par l'article 324 du Code de procédure civile, dans la mesure où ces pièces, d'ailleurs non visées de manière précise, ne constituent pas des attestations mais de simples correspondances ;

Considérant qu'aucune des parties n'obtenant l'adjudication de l'intégralité de ses demandes, les dépens devront être partagés par moitié ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

Confirme l'Ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné M. K. au paiement d'une pension alimentaire mensuelle de 25 000 francs.

Réforme ladite Ordonnance en ce qu'elle a accordé à E. M. une provision pour les frais de l'instance et, statuant à nouveau de ce chef, déboute E. M. de sa demande de provision.

Dit qu'E. M. conservera, à titre provisoire pendant la durée de l'instance la jouissance de l'appartement ayant constitué le domicile conjugal, ainsi que des objets mobiliers le garnissant.

Dit qu'elle conservera également la jouissance du véhicule Peugeot 205 et des bijoux litigieux, à titre provisoire et pendant la durée de l'instance.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Sbarrato, Karczag-Mencarelli av. déf. ; Michel av. stag. ; Flamant av. barreau de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme une ordonnance décidant de mesures provisoires dans le cadre d'une instance en divorce.

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