Cour d'appel, 17 novembre 1992, B. C. c/ consorts M.

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Abstract🔗

Baux d'habitation

Exercice du droit de reprise :

- Justification des besoins normaux : lors de l'instance.

- Appréciation par le juge.

Résumé🔗

Aux termes de l'article 28, 3e, de la loi n° 669 sur les baux d'habitation le propriétaire qui veut exercer son droit de reprise doit, à peine de nullité de la procédure, justifier que l'occupation du local répond pour lui ou pour le bénéficiaire de la reprise à ses besoins normaux.

La loi n'impose pas que cette justification soit fournie dans le congé lui-même ; il suffit - comme il en est ainsi en l'espèce - qu'elle soit apportée en cours de procédure pour satisfaire au double but poursuivi par le législateur, à savoir d'une part informer le locataire pour lui permettre de faire valoir utilement ses moyens et, d'autre part, permettre au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel du jugement rendu le 23 janvier 1992 par le Tribunal de première instance de Monaco dans le litige opposant B. B. C. aux époux M.

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel.

Les époux M. sont locataires, au moins depuis 1938 en ce qui concerne l'épouse, d'un appartement à Monaco, soumis aux dispositions de la loi n° 669 du 17 septembre 1959.

B. B. C. est propriétaire dudit appartement depuis le 2 septembre 1980. Elle est toutefois logée actuellement dans un appartement pris en location à Monaco.

Par acte du 24 avril 1990, B. B. C. a fait délivrer congé à ses locataires pour le 1er mai 1991, précisant qu'elle entendait exercer à son profit le droit de reprise institué par l'article 26 de la loi n° 669.

Par acte du 18 juillet 1990, B. B. a fait assigner les époux M. en validation de ce congé.

Par le jugement déféré, le Tribunal, au motif que la demanderesse n'établissait pas que l'occupation de l'appartement à reprendre soit de nature à répondre à ses besoins normaux, a :

  • constaté la nullité de la procédure ;

  • rejeté en l'état la demande de la propriétaire,

  • condamné celle-ci aux dépens.

B. B. C. a relevé appel de cette décision.

A l'appui de son appel elle expose que la modicité de ses ressources ne lui permet plus de faire face au paiement du loyer de l'appartement pris en location et s'élevant à 240 000 francs par an et devenu trop grand à la suite du départ de ses deux filles poursuivant des études à l'étranger.

Elle affirme que le local objet de la reprise, comprenant deux pièces principales, correspondent à ses besoins normaux.

Elle verse notamment aux débats le bail de l'appartement qu'elle occupe actuellement et l'acte d'achat de l'appartement objet de la reprise, comportant la description et le plan dudit appartement.

Elle soutient en conséquence que toutes les conditions légales de la reprise sont remplies et demande à la Cour :

  • d'infirmer le jugement entrepris,

  • de valider le congé,

  • de dire les époux M. sans droit au maintien dans les lieux et d'ordonner leur expulsion en la forme habituelle et avec toutes ses conséquences,

  • d'autoriser la séquestration de leurs meubles en garantie d'éventuelles réparations locatives,

  • de les condamner aux dépens.

Les époux M., pour leur part, relèvent en premier lieu que leur propriétaire n'avait fourni à l'appui de sa demande de reprise aucun état descriptif de l'appartement, empêchant ainsi les locataires de discuter valablement les conditions de la reprise et le juge du fond d'exercer son pouvoir d'appréciation.

Ils prétendent également que la propriétaire n'avait donné aucune indication sur ses conditions de logement et ses moyens d'existence.

Ils soutiennent que la propriétaire se contente de simples affirmations, contrairement aux exigences de la loi.

Enfin, ils font observer que le moyen retenu par les premiers juges n'avait pas été soulevé d'office mais figurait dans leurs conclusions.

Ils demandent en conséquence à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris,

  • de débouter B. B. C. de son appel,

  • de la condamner aux dépens.

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant qu'aux termes de l'article 28 de la loi n° 669, « le propriétaire qui veut exercer le droit de reprise doit, à peine de nullité de la procédure : ... 3° justifier que l'occupation du local répond pour lui ou pour le bénéficiaire de la reprise à des besoins normaux. »

Considérant que la loi n'impose pas que cette justification soit fournie dans le congé lui-même ;

Qu'il suffit qu'elle soit apportée en cours de procédure pour satisfaire au double but poursuivi par le législateur, à savoir d'une part informer le locataire pour lui permettre de faire valoir utilement ses arguments et, d'autre part, permettre au juge d'exercer son pouvoir d'appréciation.

Considérant qu'en l'espèce le congé délivré le 24 avril 1990 comportait une description de l'appartement objet de la reprise ;

Que l'acte de vente dudit appartement, comprenant une description précise et un plan des lieux a été régulièrement versé aux débats ;

Qu'au demeurant, les époux M. ne sauraient sérieusement soutenir ignorer la consistance de l'appartement qu'ils habitent depuis de nombreuses années ;

Qu'il ne saurait ainsi être fait grief à l'appelante de ne pas avoir apporté de précision sur les locaux objet de la reprise ;

Considérant qu'il ne peut, non plus, être fait grief à la propriétaire de n'avoir apporté aucune précision sur le nombre d'occupants bénéficiaires, dès lors qu'elle indiquait dans le congé qu'elle entendait exercer à son profit le droit de reprise ;

Qu'elle indiquait dans l'acte être mère de deux filles nées en 1966 et 1969 ;

Qu'elle précisait en cours de procédure que ses enfants poursuivaient désormais des études à l'étranger ;

Considérant que l'appelante a en outre régulièrement versé aux débats un bail établissant les conditions matérielles et financières de son logement actuel.

Considérant qu'il est ainsi justifié par l'ensemble de ces éléments que l'appartement objet de la reprise correspond aux besoins normaux du propriétaire.

Considérant que les autres conditions mises par la loi à l'exercice du droit de reprise sont remplies et ne font plus l'objet de contestation devant la Cour.

Considérant que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la nullité de la procédure et rejeté la demande de la propriétaire ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de valider le congé du 24 avril 1990 et d'ordonner, en tant que de besoin, l'expulsion des époux M. en la forme habituelle et avec toutes ses conséquences, sans toutefois que soient séquestrés les meubles en garantie d'une créance purement éventuelle.

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Infirme le jugement du 23 janvier 1992.

Valide le congé du 24 avril 1990.

Dit les époux M. sans droit au maintien dans les lieux loués.

Dit qu'à défaut d'avoir quitté les lieux loués dans le délai de deux mois du présent arrêt, il pourra être procédé à leur expulsion en la forme habituelle et au besoin avec l'assistance de la Force Publique.

Déboute l'appelante de sa demande tendant à voir séquestrer les meubles des locataires.

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions.

Composition🔗

MM. Sacotte prem. prés. ; Serdet prem. subst. proc. gén. ; Mes Escaut et Blot av. déf. ; Licari av.

Note🔗

Cet arrêt infirme un jugement rendu le 23 janvier 1992 (B) par le Tribunal de Première Instance.

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