Cour d'appel, 26 novembre 1991, Consorts H. c/ Dame S., Standard Chartered Bank Limited, consorts H.

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Abstract🔗

Trust

Action en nullité - Irrecevabilité de la demande engagée contre les trustees originaires - Changement de trustees originaires opéré légalement : loi monégasque n° 214 du 27 février 1936 applicable

Résumé🔗

C'est à bon droit que le Tribunal de première instance a déclaré irrecevable la demande en nullité d'un trust constitué par le de cujus, père des demandeurs, suivant testament authentique, ayant désigné deux trustees, au motif que les trustees originaires qui avaient été assignés n'avaient plus qualité pour défendre à l'instance au moment de son introduction, du fait qu'ils avaient été remplacés par le protecteur du trust et que la procédure engagée postérieurement contre les nouveaux trustees ne pouvait être jointe à la première, la jonction supposant que l'instance dite principale soit recevable comme celle subséquente.

Une telle action ne pourrait être déclarée recevable qu'à la condition que soit constatée la nullité des changements de trustees, ce qui ne ressort pas des éléments de la cause.

Il apparaît en effet que les désignations litigieuses ont été faites en conformité avec la volonté clairement exprimée par le de cujus dans l'acte de constitution du trust ; que la loi anglaise (trustee act de 1925) n'a qu'une valeur supplétive et ne peut recevoir application qu'à défaut de disposition pertinente dans l'acte de constitution du trust, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'aux termes de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, la détermination et la désignation des trustees sont soumises à Monaco aux seules conditions posées par la loi monégasque ; que les personnes dont la nomination est contestée remplissaient au moment de leur désignation, les conditions prescrites par ladite loi n° 214 et, en particulier, étaient inscrites sur la liste prévue à cet effet ; qu'ainsi les trustees originaires ont été régulièrement remplacés, alors qu'aucune disposition légale n'imposait la publicité des modifications intervenues et que les appelants avaient la possibilité de connaître la situation exacte auprès du « protecteur du trust ».


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel d'un jugement rendu le 20 avril 1989 par le Tribunal de Première instance de Monaco dans un litige opposant d'une part F., W., J., A., J. H., Marquis de B. et F., W., N. H., et, d'autre part, Y. S., prise tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, V. H., F., W., A. H. et I. H., ainsi que la société Standard Chartered Bank Ltd. (dossier n° 90-12) ;

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être exposés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision déférée et aux écritures échangées en appel :

  • V., F. C., Marquis de B., de nationalité britannique est décédé à Monaco, où il était domicilié, le 10 mars 1985.

Il laissait à sa survivance :

1° F., W., J., A., J. H., actuel Marquis de B., issu d'un premier mariage ;

2° F., W., N. H., issu d'un deuxième mariage ;

3° Y. S., sa troisième épouse, et ses enfants mineurs, V. H., F., W., A. H. et I. H. ;

Par testament authentique passé le 18 décembre 1980 par-devant Maître Jean-Charles Rey, Notaire à Monaco, feu le Marquis de B., utilisant la faculté accordée par la loi n° 214 du 27 février 1936, avait notamment constitué un trust et désigné comme trustees la Standard Chartered Bank Ltd et Y. S., sa veuve. À ces deux trustees étaient dévolus « tous les biens réels ou personnels, quel que soit le lieu de leur situation, dont je suis propriétaire ou sur lesquels j'ai des droits à la date de mon décès ».

Par un codicille authentique du 15 juin 1983, le « protecteur des trustees » initialement désigné était remplacé par K. of I.

Par acte du 31 décembre 1986, les deux fils aînés, F., W., J. H. et F., W., N. H., ont fait assigner Y. S., en nom propre et ès qualités, et la Standard Chartered Bank Ltd devant le Tribunal de Première instance de Monaco aux fins, d'une part, de voir prononcer la nullité du trust constitué par le défunt Marquis de B. et, d'autre part, de voir désigner un expert afin d'établir l'existence de donations susceptibles d'excéder la réserve héréditaire instituée par la loi monégasque ;

Les défendeurs ayant soulevé l'irrecevabilité de ces demandes aux motifs qu'ils n'avaient plus la qualité de trustees, les demandeurs ont appelé les nouveaux trustees en intervention forcée par assignation du 3 novembre 1987 et demandé la jonction des deux procédures ;

Par le jugement déféré le Tribunal a :

  • déclaré les demandeurs irrecevables en leurs demandes formées par assignation du 31 décembre 1986 ;

  • dit n'y avoir lieu à joindre cette instance à celle procédant de l'assignation du 3 novembre 1987 ;

  • débouté Y. S. de sa demande reconventionnelle ;

  • condamné les demandeurs aux dépens ;

F., W., J., A., J. H. et F., W., N. H. ont relevé appel de cette décision ;

Par un premier arrêt, en date du 19 juin 1990, la Cour, statuant sur une exception de nullité de l'exploit d'appel a débouté les intimés des fins de l'incident et dit valable ledit exploit d'appel du 14 juillet 1989 ;

Dans le dernier état de leurs écritures, les appelants, après avoir exposé les faits et le déroulement de la procédure, soulignant notamment qu'ils avaient ignoré les changements de trustees intervenus, soutiennent en premier lieu que le trust, « dans son exécution est irrégulier au regard de la loi britannique » et que dans ces conditions, il ne respecte pas les dispositions de l'article 3 alinéa 3 de la loi n° 214 ;

Sur ce point, ils font valoir :

1° que le changement de trustees intervenu ne respecte pas les conditions de la loi britannique en ce que :

  • ne se trouverait pas rapportée la preuve de l'effet libératoire des trustees remplacés et de l'effet extinctif de la substitution ;

  • que plusieurs des trustees successifs sont des sociétés domiciliées hors de la Communauté Économique Européenne, contrairement aux spécifications de la loi britannique ;

  • que la Radcliffes trustee et Cie n'était pas inscrite sur la liste tenue par le Premier Président de la Cour d'appel de Monaco à la date du décès du testateur ;

2° que les modifications de trustees ne leur ont pas été dénoncées et n'ont fait l'objet d'aucune mesure de publicité ;

En deuxième lieu, ils prétendent qu'en tout état de cause, le trust ne pourrait concerner que les biens existant au décès du testateur, alors que, selon eux, des opérations, notamment des donations, contraires à la loi monégasque auraient eu lieu du vivant du de cujus. Ils rappellent sur ce point que leur demande d'expertise avait pour but d'éclaircir la situation à cet égard ;

En troisième lieu, et enfin, ils font valoir que la jonction des deux procédures susvisées aurait permis au tribunal de statuer au contradictoire de toutes les parties présentes et passées à la convention de trust. Ils estiment sur ce point que les premiers juges, en relevant que les demandeurs n'avaient formulé aucun chef de demande spécifique à l'encontre des appelés en cause, avait ajouté aux exigences de l'article 386 du Code de procédure civile ;

Ils demandent en conséquence à la Cour :

  • d'infirmer le jugement entrepris ;

  • d'ordonner la jonction des procédures susvisées ;

  • de constater la nullité du trust du 18 décembre 1980 et celle de tout acte modificatif ultérieur ;

  • de constater l'irrégularité, au regard de la Loi britannique, de la nomination d'Y. S. et des deux sociétés de droit suisse qui se sont succédées en qualité de trustees ;

  • de désigner un expert « à l'effet de rechercher l'existence des donations consenties en son vivant par feu le Marquis de B. sur le territoire de la Principauté de Monaco » ;

  • de condamner les intimités aux dépens ;

Les intimités, pour leur part, relèvent en premier lieu que la jonction des procédures n'est pas une simple mesure administrative, mais suppose que l'instance dite principale soit recevable ;

En deuxième lieu, ils affirment que la nomination des trustees d'origine était valable, compte tenu des dispositions du testament authentique de feu le Marquis de B., étant observé que la loi anglaise sur les trusts de 1925 n'a qu'une valeur supplétive et ne reçoit application qu'à défaut de dispositions spécifiques dans l'acte constitutif du trust ;

Ils rappellent sur ce point que la nomination d'Y. S. n'a jamais été contestée et que la société de droit suisse Rotschild Trust Management AG, désignée par le testateur, remplissait à la date de sa nomination les conditions fixées par la loi monégasque ;

En troisième lieu, ils affirment la validité des changements de trustees, relevant notamment que les modalités de désignation de nouveaux trustees sont prévues par l'acte constitutif du trust qui dispose entre autres dans son article 17 G qu'aucune désignation de fideicommissaire n'aura lieu qui sera contraire à la loi n° 214 de la Principauté de Monaco ;

Ils déduisent de cette situation que la demande de nullité du trust est irrecevable et que partant, la demande de jonction ne peut être accueillie ;

En quatrième lieu, et subsidiairement, ils déclarent que la mesure d'expertise sollicitée ne pourrait être accueillie que dans le cas où le trust serait annulé et que, quel que soit le cas de figure envisagé, seule la Loi britannique serait applicable ;

En cinquième lieu, et enfin, ils prétendent que l'action téméraire des appelants leur a causé un préjudice important ;

Ils demandent en conséquence à la Cour :

  • de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable les demandeurs et refusé la jonction sollicitée ;

  • dire et juger, en tant que de besoin, valables la nomination des trustees et leur changement ;

  • de dire et juger que la validité du trust rend sans objet la mesure d'expertise réclamée ;

  • de condamner les appelants au paiement d'une somme de 1 million de F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'aux entiers dépens ;

Ceci étant exposé, la Cour :

Considérant que l'instance tendant à la nullité du trust et à la désignation d'un expert n'a été à l'origine engagée, par assignation du 31 décembre 1986, que contre Y. S. et la Standard Chartered Bank Ltd, institués trustees par l'acte authentique du 18 décembre 1980 ;

Considérant que, pour être recevable, une telle demande doit être formée contre les trustees en fonction lors de celle-ci ;

Que les intimés soutiennent qu'ils n'étaient plus en fonction à la date de la demande formée contre eux et qu'ils avaient entre temps été remplacés par d'autres trustees régulièrement désignés ;

Qu'ils invoquent à l'appui de cette affirmation deux actes datés respectivement des 4 décembre 1985 et 18 août 1986 aux termes desquels Lord I., « protecteur » du trust, a d'abord procédé à la nomination de deux nouveaux trustees se substituant aux deux originaires, en la personne de Monsieur H. et de la société Rotschild Trust Management AG, puis pourvu au remplacement de celle-ci par la société Radcliffes Trustee Cie ;

Considérant que l'action, telle qu'engagée, ne pourrait être déclarée recevable qu'à la condition que soit constatée la nullité des changements de trustees intervenus en 1985 et 1986 ;

Considérant qu'il apparaît à l'examen des pièces versées aux débats que les désignations litigieuses ont été faites en conformité avec la volonté clairement exprimée par le défunt Marquis de B. dans l'acte de constitution du trust ;

Considérant que la loi anglaise (trustee Act de 1925) n'a qu'une valeur supplétive et ne peut recevoir application qu'à défaut de disposition pertinente dans l'acte de constitution du trust, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Considérant qu'aux termes de l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 214 du 27 février 1936, la détermination et la désignation des trustees sont soumises à Monaco aux seules conditions posées par la loi monégasque ;

Qu'en l'espèce les personnes ou sociétés dont la nomination est contestée remplissaient, au moment de leur désignation, les conditions prescrites par ladite loi n° 214 et, en particulier, étaient inscrites sur la liste prévue à cet effet ;

Considérant en conséquence que les trustees originaires ont régulièrement été remplacés dans leurs fonctions et n'ont plus qualité pour défendre à l'instance introduite par l'assignation du 31 décembre 1986 ;

Considérant qu'aucune disposition légale n'impose la publicité des modifications intervenues dans la gestion du trust ;

Qu'au demeurant, les appelants avaient la possibilité de connaître la situation exacte en s'adressant au « protecteur du trust » qui était connu d'eux ;

Considérant que c'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont déclaré irrecevables les demandes formées par l'assignation du 31 décembre 1986 ;

Considérant qu'il ne peut être remédié à cette irrecevabilité par le biais d'une jonction avec une autre procédure ;

Qu'une jonction, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, suppose l'existence de deux instances recevables chacune en ce qui la concerne ;

Considérant que la demande d'expertise n'a pour but que de déterminer le contenu de la succession ;

Qu'une telle demande ne pourrait présenter un intérêt que dans le cas où le trust aurait été déclaré nul ;

Qu'en effet, en présence d'un trust valable d'éventuelles donations déguisées, à les supposer établies, devraient faire retour à la masse successorale précisément gérée par le trust ;

Qu'au surplus les appelants n'invoquent aucun élément à l'appui de leurs allégations et qu'il n'appartient pas au juge de se substituer, par le moyen d'une mesure d'instruction, aux parties dans l'administration de la preuve qui leur incombe ;

Considérant que, si les premiers juges ont pu estimer que la demande initiale ne présentait pas un caractère fautif, il n'en va pas de même de l'appel dont le caractère abusif a occasionné aux intimés un préjudice qui doit être réparé par l'attribution d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Vu l'arrêt du 19 juin 1990,

  • Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

  • Dit n'y avoir lieu à ordonner une mesure d'expertise,

  • Condamne les appelants à payer aux intimés la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

  • Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions ;

Composition🔗

MM. Jean-Charles Sacotte, prem. prés. ; Daniel Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Clerissi, Leandri av. déf. ; Berdah av. barr. de Nice.

Note🔗

Cet arrêt confirme en toutes ses dispositions un jugement du Tribunal de première instance du 19 juin 1990.

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