Cour d'appel, 29 mai 1990, S.A.M. British Motors Wright Frères c/ T.

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Abstract🔗

Vente immobilière

Véhicule neuf - Vice caché : défaut de la boîte de vitesses - Action rédhibitoire - Vendeur professionnel tenu à la garantie du vice caché

Résumé🔗

L'anomalie affectant la boîte de vitesses d'une automobile étant due à un défaut de conception de la cage de roulement originelle et excluant toute mauvaise utilisation par l'acheteur, défaut qui n'a été décelé que lors de la dépose et du démontage complet des pièces par l'expert, constitue un vice caché, ignoré dudit acheteur au moment de la livraison du véhicule, celui-ci n'offrant pas audit acheteur les qualités qu'il était légitimement en droit d'attendre d'une voiture neuve.

La venderesse, concessionnaire d'une marque de voiture qui se devait d'avoir connaissance de l'état du véhicule avant de la livrer, n'a pas rempli correctement son obligation de délivrance et doit garantir, du vice caché, l'acquéreur, lequel a ainsi exercé, à juste titre, l'action rédhibitoire prévue par l'article 1486 du Code civil.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel relevé par la SAM British Motors Wright Freres (en abrégé British Motors) d'un jugement rendu le 6 juillet 1989, par le Tribunal de Première Instance de Monaco qui, sur la demande du sieur P. T. a :

  • déclaré P. T. recevable en sa demande ;

  • prononcé la résolution de la vente en date du 6 février 1987, intervenue entre la Société British Motors et P. T. portant sur le véhicule de marque Austin modèle Métro, type turbo immatriculé RO11 ;

  • ordonné la restitution dudit véhicule par P. T., à la Société British Motors ;

  • condamné la Société British Motors à payer à P. T., la somme de 67 450 F. à titre de restitution du prix avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 1986, sur la somme de 43 000 F. et du 6 février 1987 sur celle de 24 450 F ;

  • condamné en outre, la Société British Motors à payer à P. T., la somme de 10 000 F. à titre de dommages-intérêts ;

  • débouté P. T. du surplus de ses demandes ;

  • débouté la Société British Motors de sa demande reconventionnelle, en paiement de la somme de 8 062,43 F ;

  • ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

Considérant que les faits de la cause sont exactement rapportés par le jugement entrepris auquel le présent arrêt en tant que de besoin se réfère expressément ;

Considérant que pour statuer comme ils l'ont fait les premiers juges ont estimé, sur la recevabilité de la demande du sieur T., que cette action rédhibitoire avait été introduite normalement dans le délai légal qui ne pouvait commencer à courir qu'à partir de la découverte du vice affectant la boîte de vitesses du véhicule soit à la date de dépôt du rapport d'expertise ;

Considérant, qu'au fond, reprenant les constatations de l'expert Benchetrit, non contestées, ils ont retenu l'existence d'un vice caché, rendant le véhicule impropre à l'usage auquel il était destiné justifiant la résolution du contrat de vente intervenu le 6 février 1987, étant observé que la Société British Motors en sa qualité de revendeur professionnel était présumée connaître les défauts des véhicules qu'elle vend et devait garantir P. T. du vice caché sur le fondement des dispositions des articles 1483 et 1485 du Code civil ;

Considérant qu'en ce qui concerne la demande de dommages-intérêts, British Motors étant tenue de réparer l'intégralité du préjudice subi par T. sans qu'elle puisse se prévaloir notamment de la clause contractuelle excluant l'indemnisation fondée sur l'immobilisation du véhicule, il a été alloué une somme de 10 000 F. au titre de la privation de jouissance dudit véhicule immobilisé pendant une durée totale de 6 mois ;

Que, par contre, la demande de remboursement des factures des réparations effectuées sur le véhicule n'était pas fondée car celles-ci sont étrangères à l'objet du litige ;

Qu'enfin, la Société British Motors ayant succombé en ses prétentions sa demande reconventionnelle en paiement du coût de la remise en état de la boîte de vitesses a été rejetée ;

Considérant qu'à l'appui de son appel, la Société British Motors demande à la Cour de réformer le jugement du 6 juillet 1989, en toutes ses dispositions, de déclarer infondée l'action en résolution de vente pour vice rédhibitoire, de condamner P. T. à restituer la somme de 119 191 F. avec intérêts à compter du 2 août 1989 réglée en raison de l'exécution provisoire ordonnée par les premiers juges et de le condamner à payer la somme de 8 062,43 F. montant de la réparation de la boîte de vitesses ;

Considérant que la Société British Motors fait valoir :

  • en premier lieu, sur la résolution de la vente, que les conclusions de l'expert Benchetrit soulignant l'absence de reproche envers British Motors ne peuvent servir de fondement à une action en résolution pour vice rédhibitoire puisque la boîte de vitesses atteinte « d'un défaut de conception de la cage » peut être, selon lui, remplacée par une boîte standard permettant la remise en état du véhicule qui n'est donc pas impropre à l'usage auquel on le destinait ;

Que ce remplacement a d'ailleurs été fait pour éviter l'immobilisation du véhicule dont l'état a été aggravé sciemment par le sieur T. qui a continué à l'utiliser ;

  • en deuxième lieu, sur les dommages-intérêts alloués pour privation de jouissance, que la panne survenue à la boîte de vitesses constitue non un vice caché mais un incident dont la réparation effectuée immédiatement avant le dépôt du rapport d'expertise reste à la charge de T. de sorte qu'il ne peut invoquer aucune privation de jouissance ;

Qu'en outre, les immobilisations intervenues au cours de la période de garantie contractuelle ne peuvent être indemnisées car exclues par les stipulations de l'article 7 D du contrat ;

  • en troisième lieu, sur sa demande reconventionnelle, que la facture de 8 062,43 F. représentant le coût du remplacement de la boîte de vitesses tel que préconisé par l'expert doit être réglée par T. ; qu'il doit donc être condamné au paiement ;

Considérant, que P. T. qui estime infondé l'appel de la Société British Motors conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qui concerne l'évaluation de son préjudice indirect lequel n'a été que partiellement pris en compte ;

Qu'il expose que les arguments présentés par British Motors ont déjà été soumis aux premiers juges et sont contredits par les constatations de l'expert Benchetrit qui, excluant une mauvaise utilisation du véhicule, a fait ressortir sans contestation possible l'existence d'un vice caché, dès l'origine engageant la responsabilité du constructeur ainsi que du vendeur ;

Qu'il importe peu que l'expert ait pu recommander l'échange standard de la boîte de vitesses alors que le sinistre est directement imputable au défaut de conception ;

Que le sieur T. forme appel incident afin de voir porter à la somme de 20 000 F. les dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice subi toutes causes confondues et afin d'obtenir une indemnité distincte de 15 000 F. à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel causé par la nécessité de pourvoir à ses frais irrépétibles pour la défense de ses intérêts en justice ;

Que T. P. fait valoir qu'indépendamment de la période d'immobilisation non contestée il a été privé de véhicule début octobre 1988 et qu'il a été obligé d'acquérir le 26 octobre 1988 un véhicule de remplacement au moyen d'un prêt bancaire de 66 000 F. générant une charge financière de 7 842,55 F. ;

Que doit être ajouté le préjudice résultant des multiples négligences relevées par l'expert à la charge de la Société British Motors ;

Qu'enfin British Motors s'est livrée à un véritable abus de procédure contraignant le concluant à exposer devant deux degrés de juridiction des frais irrépétibles justifiant l'allocation d'une somme de 15 000 F. à titre de dommages-intérêts ;

Ceci étant exposé, la Cour,

Sur la résolution de la vente :

Considérant qu'il est constant que le sieur P. T. a entendu, en s'adressant à la Société British Motors, acquérir un véhicule automobile neuf en parfait état de marche ;

Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert judiciaire Benchetrit, non contesté sur ce point, que l'anomalie affectant la boîte de vitesses du véhicule acheté par P. T. est due à un défaut de conception de la cage de roulement ayant existé à l'origine et excluant toute mauvaise utilisation par l'acheteur ;

Que ce défaut décelé après la dépose et le démontage complet des pièces par l'expert constitue un vice caché ignoré de l'acheteur au moment de la livraison du véhicule ;

Considérant en conséquence, que ce véhicule, présentant, en outre, différentes défectuosités relevées par l'expert, n'offrait pas à son acquéreur les qualités qu'il était légitimement en droit d'attendre d'un véhicule neuf ;

Considérant que c'est à juste titre que l'acheteur, usant du droit qui lui est ouvert par les dispositions de l'article 1486 du Code civil, a pu exercer l'action rédhibitoire sans qu'il puisse dès lors lui être opposé la possibilité évoquée par l'expert d'un échange standard de boîte de vitesses ;

Considérant que la Société British Motors concessionnaire de la marque Austin, vendeur qui se devait d'avoir connaissance de l'état du véhicule avant de le livrer, n'a pas rempli correctement son obligation de délivrance et doit garantir le sieur T. du vice caché affectant ledit véhicule ;

Considérant que c'est donc à bon droit et par des motifs que la Cour adopte et fait siens que les premiers juges ont prononcé la résolution de la vente du 6 février 1987, intervenue entre la Société British Motors et P. T., ordonné la restitution du véhicule à British Motors et la restitution du prix avec intérêts au taux légal au sieur T. ;

Qu'il convient de confirmer le jugement du 6 juillet 1989, sur ce point ;

Sur les dommages-intérêts réclamés par le sieur T. :

Considérant que le concessionnaire British Motors, vendeur professionnel, qui ne saurait ignorer les vices de la chose vendue est tenu de tous dommages-intérêts envers l'acheteur découlant de la résolution de la vente et doit réparer l'intégralité du préjudice subi par T. sans qu'il puisse se prévaloir de la clause contractuelle excluant l'indemnisation fondée sur l'immobilisation du véhicule ;

Considérant que l'expert Benchetrit a, sans être sérieusement contredit, fixé à 6 mois la durée de l'immobilisation du véhicule dans le garage de la Société British Motors nécessitée par les réparations successives dont il fit l'objet en raison de son état ;

Considérant, en outre, que le sieur T. privé définitivement de son véhicule, au début du mois d'octobre 1988, fut contraint d'acquérir une voiture de remplacement au moyen d'un prêt bancaire ;

Considérant, en conséquence, qu'en réparation de l'entier préjudice subi par le sieur T., la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour fixer à la somme de 15 000 F. les dommages-intérêts au paiement desquels la Société British Motors doit être condamnée ;

Considérant que l'appel de la Société British Motors s'avère, en l'espèce, manifestement abusif ;

Qu'il y a lieu de la condamner de ce chef, au paiement de la somme de 5 000 F. ;

Considérant que la Société British Motors ayant succombé en ses prétentions, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande en paiement de la somme de 8 062,43 F. coût de la remise en état de la boîte de vitesses ;

Considérant que la Société British Motors qui succombe doit être condamnée aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute la SAM British Motors Wright Freres de ses demandes, fins et conclusions ;

Confirme le jugement du 6 juillet 1989, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts ;

Faisant droit sur ce point à l'appel incident du sieur T. et statuant à nouveau,

Condamne la Société British Motors Wright Freres à payer à P. T., la somme de 15 000 F. à titre de dommages-intérêts ;

Condamne, en outre, la Société British Motors à payer à P. T., la somme de 5 000 F. à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

Déboute P. T. du surplus de ses demandes ;

Composition🔗

MM. Huertas, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Sbarrato, av. déf. ; Cohen, av. bar. de Nice et Anquez, av. C.A. de Paris.

Note🔗

Confirmation de principe du jugement du 26 juillet 1989.

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