Cour d'appel, 23 janvier 1990, M.-I. B. veuve L. B. c/ G. B.

  • Consulter le PDF

Abstract🔗

Donations

Vente à deux époux - Épouse dépourvue de ressources personnelles - Donations déguisées

Résumé🔗

Dissimulent les donations déguisées, déclarées à bon droit nulles, les acquisitions de biens immobiliers, faites ensemble par deux époux mariés sous le régime de la séparation de biens, dès lors qu'il est établi que l'épouse ne possédait pas de ressources personnelles, lui permettant de payer sa part dans ces acquisitions, ni que son activité occasionnelle ait justifié une volonté rémunératoire de son mari.


Motifs🔗

La Cour,

La Cour statue sur l'appel d'un jugement rendu le 26 novembre 1987 par le Tribunal de Première Instance dans le litige opposant M.-I. B. veuve L. B. à G. B. ;

Les faits, la procédure, les moyens et les prétentions des parties peuvent être relatés comme suit, étant fait référence pour le surplus à la décision attaquée et aux écritures échangées en appel ;

L. B. et son épouse M.-I. B., mariés sous le régime de la séparation de biens, ont acquis ensemble :

  • le 30 mars 1962, un appartement de trois pièces à l'aide d'un prêt matérialisé pour une grosse représentant la totalité du prix, au remboursement duquel ils se sont engagés solidairement,

  • le 1er juillet 1964, un studio, avec la circonstance qu'une clause du contrat dite clause d'accroissement, a prévu que cette acquisition était faite au profit du survivant des deux acquéreurs ;

L. B. est décédé le 31 août 1980 et son fils G. B., né d'une première union, a fait assigner la dame B., devant le tribunal de Première Instance aux fins de s'entendre :

  • prononcer la nullité de la clause d'accroissement en ce qu'elle constituerait un pacte sur succession future ainsi qu'une donation déguisée,

  • prononcer la nullité des donations faites en faveur de la dame B. dissimulées sous l'apparence d'achats,

  • ordonner le partage des biens mobiliers et immobiliers dépendant de la succession de son père, au besoin après expertise,

  • évaluer l'indemnité d'occupation due à la succession par la dame B. en ce qui concerne l'appartement de trois pièces,

  • évaluer le véhicule Renault 5 ainsi que l'indemnité de jouissance concernant ce véhicule, que la dame B. devra payer à la succession ;

Par le jugement déféré, le Tribunal a :

  • prononcé la nullité des donations déguisées contenues dans les actes des 30 mars 1962 et 1er juillet 1964,

  • dit que la clause d'accroissement valable en son principe était sans effet juridique en la cause,

  • dit que les deux appartements, objet de ces actes, étaient la propriété du défunt,

  • ordonné en l'état de la donation entre époux du 30 avril 1974, le partage des biens mobiliers et immobiliers dépendant de la succession de L. B.,

  • condamné la dame veuve B. à payer à la succession, la somme de 15 000 F. représentant la valeur et l'indemnité de jouissance du véhicule Renault et celle de 4 000 F. par mois depuis le décès de L. B. jusqu'à son départ, à titre d'indemnité d'occupation de l'appartement de trois pièces,

  • ordonné préalablement au partage la licitation de biens immobiliers ;

Considérant que pour statuer comme ils l'ont fait, les premiers juges ont estimé :

  • que la clause d'accroissement telle qu'elle est rédigée dans l'acte du 1er juillet 1964 conféré à l'époux survivant la propriété du bien tout entier à partir du jour de son acquisition sous la condition suspensive de sa survie et que cette clause ne constitue donc pas un pacte sur succession future,

  • qu'il est établi, par les circonstances de la cause que la dame veuve B. qui ne soutient pas avoir eu des ressources personnelles suffisantes pour acquérir la moitié des appartements litigieux, ni avoir eu une activité professionnelle avant son mariage, n'a pas payé de ses deniers sa part dans les acquisitions précitées,

  • que la volonté de L. B. de rétribuer son épouse pour la collaboration qu'elle lui aurait apportée dans sa vie professionnelle, au moyen du paiement de la partie du prix restant à la charge de la dame B., n'est pas établie,

  • que la masse partageable devait se composer de l'appartement de trois pièces et du studio, acquis par les actes des 30 mars 1962 et 1er juillet 1964, propriétés de L. B. en l'état de l'annulation des donations qu'ils dissimulent, des meubles et du contenu d'un coffre-fort loué par L. B. à la Banque Nationale de Paris, de la valeur et de l'indemnité de jouissance du véhicule laissé à l'usage de la dame B. depuis le décès de son mari, de l'indemnité d'occupation de l'appartement dans lequel elle loge ;

Considérant que M. I. B. a relevé appel de cette décision ;

Elle fait valoir à l'appui de son appel :

  • que le Tribunal ne pouvait, après avoir admis la validité de la clause d'accroissement qui suppose une vente véritable et répond à la volonté des parties, la vider de sa substance en considérant que l'acte du 1er juillet 1964 constituait une donation déguisée laquelle suppose une dissimulation d'une donation sous les apparences d'une vente et l'existence d'une intention libérale, intention que l'aléa inhérent à la clause d'accroissement exclut nécessairement,

  • que le tribunal a fait une fausse application des dispositions des articles 894, 1134 et 1315 du Code civil français, en qualifiant de donation déguisée, l'acte du 30 mars 1962 alors que les époux avaient souscrit un engagement solidaire excluant toute intention libérale ;

  • que le Tribunal a renversé la charge de la preuve en retenant que la dame veuve B. n'établissait pas d'une part avoir payé de ses deniers, sa part dans les acquisitions précitées, et d'autre part, la volonté de son mari de la rémunérer pour sa collaboration apportée à sa vie professionnelle ;

  • que G. B., demandeur à l'action en nullité, ne rapporte pas la preuve des éléments constitutifs de la donation déguisée ;

  • que le véhicule Renault 5 est entreposé dans un garage depuis le décès de son mari et qu'elle a été condamnée in solidum avec G. B. au paiement des frais de gardiennage ;

  • que la valeur locative de l'appartement qu'elle occupe depuis le décès de son mari ne pourrait dépasser 1 145 F. par mois, par application du barème visant les locaux souscrits à l'Ordonnance-loi 669 du 17 septembre 1959 ;

  • que dans des conclusions ultérieures, l'appelante, faisant état de témoignages qui établiraient la collaboration professionnelle qu'elle a apportée à son mari, soutient qu'à supposer établi que les biens immobiliers aient été acquis au moyen des seuls deniers de L. B., celui-ci aurait eu l'intention de la rémunérer de cette collaboration ;

  • qu'enfin elle a exposé des frais irrépétibles pour les besoins de l'instance, qu'elle évalue à 10 000 F. et dont elle sollicite le paiement à l'encontre de G. B. ;

G. B. qui reprend quant à lui, l'argumentation développée en première instance sollicite par voie d'appel incident, la réformation du jugement en ce qu'il a admis la validité de la clause d'accroissement ; qu'il fait valoir que cette clause, stipulée en prévision du seul prédécès de L. B. est nulle car elle constituerait un pacte sur succession future et qu'elle dissimulerait au surplus une donation déguisée ; qu'il sollicite la confirmation du jugement en ses autres dispositions sauf pour la Cour à fixer une nouvelle date de vente aux enchères publiques des appartements ; qu'il demande enfin la condamnation de l'appelante au paiement d'une somme de 50 000 F. à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui aurait occasionné le retard apporté à sa prise de possession des biens dépendant de la succession de son père ;

Ceci étant exposé, la Cour :

1° sur les acquisitions des 30 mars 1962 et 1er juillet 1964,

Considérant, sur le premier moyen soutenu par l'appelante et se rapportant à l'acte du 30 mars 1962, que si une Cour d'appel a pu juger que la souscription solidaire d'un emprunt pour l'achat d'un bien par deux époux, démontrait qu'ils n'avaient entendu se faire aucune libéralité, cette jurisprudence isolée ne revêt pas, à cet égard, un caractère déterminant dès lors qu'il est de principe constant qu'il appartient au juge du fait de rechercher dans chaque cas, au vu des éléments de la cause soumis à son appréciation, si l'acte d'acquisition pouvait dissimuler une libéralité ;

Considérant que G. B. établit en se fondant sur les déclarations faites par la dame veuve B. dans ses conclusions du 4 mars 1987, la preuve que celle-ci n'ayant jamais eu d'activité professionnelle, ne possédait pas les ressources personnelles lui permettant de payer sa part dans l'acquisition du 30 mars 1962, pas plus que dans celle du 1er juillet 1964, sa situation pécuniaire apparaissant à cet égard n'avoir subi aucun changement postérieurement à l'année 1962, étant relevé que l'appelante fait état de la volonté de son mari de la rémunérer de sa collaboration professionnelle, ce qui confirme à l'évidence qu'elle n'a pas versé de fonds ;

Considérant sur le second moyen soutenu par l'appelante et tiré de la volonté rémunératoire de L. B., qu'ainsi que les premiers juges l'ont retenu dans une motivation que la Cour adopte et fait sienne, il n'est pas établi que l'activité occasionnelle qu'elle a eue, ait justifié de la part de son mari une telle volonté, les explications qu'elle fournit devant la Cour d'appel à propos des pièces déjà examinées par les premiers juges n'étant pas déterminantes à cet égard ;

Considérant dès lors que les acquisitions des 30 mars 1962 et 1er juillet 1964 dont la preuve a été rapportée qu'elles dissimulent des donations faites par L. B., ont à bon droit été déclarées nulles ;

Considérant sur l'appel incident de G. B., qu'en l'état de la nullité des donations ci-dessus prononcée, il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré de la nature de la clause d'accroissement insérée dans l'acte du 1er juillet 1964, faute pour B. d'un intérêt à agir sur ce point ; que B. doit donc être débouté de cet appel ;

2° Sur la valeur et l'indemnité du véhicule Renault 5,

Considérant d'une part que ce véhicule doit être intégré à la masse partageable et qu'il n'y a pas lieu en conséquence de condamner la dame veuve B., qui n'en réclame pas l'attribution, au paiement de sa valeur laquelle sera déterminée lors du partage ;

Considérant d'autre part, qu'il n'est pas établi qu'elle en ait fait usage depuis la mort de son mari alors qu'elle prouve au contraire par un procès-verbal de constat que le véhicule est remisé dans un garage depuis l'accident au cours duquel son mari est décédé, et qu'elle a été condamnée in solidum avec G. B. à payer les frais de gardiennage par jugement du 13 mars 1985 ;

Considérant en conséquence qu'il y a lieu d'infirmer la décision du Tribunal sur ces deux points ;

3° Sur l'indemnité d'occupation du logement de la veuve B.,

Considérant que l'appelante n'établit pas que l'appartement de trois pièces qu'elle occupe soit susceptible de dépendre de la législation particulière régissant les habitations relevant du secteur protégé et par voie de conséquence que l'indemnité d'occupation dont elle est redevable depuis le décès de son mari, survenu le 31 août 1980, doit être calculée en fonction de cette législation ; qu'en revanche, compte tenu de la faible superficie de cet appartement, situé dans un immeuble ancien, l'indemnité d'occupation a été évaluée d'une manière excessive par les premiers juges et qu'elle doit être ramenée à la somme de 2 500 F. par mois, la Cour réformant sur ce dernier point le jugement entrepris ;

4° Sur le partage,

Considérant que les parties sollicitent la confirmation de ce chef de jugement ; qu'il y a lieu d'y faire droit dans les termes du dispositif ci-après ;

5° Considérant que l'appelante qui succombe pour le principal doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que G. B. qui ne justifie pas du préjudice qu'il allègue doit être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déboute G. B. de son appel incident,

Confirme le jugement du 26 novembre 1987, en ce qu'il a :

  • prononcé la nullité des donations déguisées contenues dans les actes du 30 mars 1962 et 1er juillet 1964 et dit par voie de conséquence que les deux appartements, objet de ces actes, étaient la propriété de L. B. ;

  • ordonné le partage des biens mobiliers et immobiliers dépendant de la succession de ce dernier et préalablement aux opérations de partage, ordonné la licitation des deux appartements selon des modalités fixées par le jugement ;

  • y ajoutant, fixe au mercredi 23 mars 1990 à 11 heures la date de la vente aux enchères publiques ;

  • l'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

  • Déboute G. B. de ses demandes en ce qui concerne le véhicule Renault 5 ;

  • Fixe à 2 500 F. par mois depuis le 31 août 1980, l'indemnité au paiement de laquelle la dame veuve B. est condamnée pour l'occupation de l'appartement situé . ;

Déboute la dame veuve B. et G. B. de leurs demandes respectives en paiement de dommages-intérêts ;

Composition🔗

MM. Huertas, prem. prés. ; Serdet, prem. subst. proc. gén. ; Mes Karczag-Mencarelli et Léandri, av. déf. ; Estradier, av. barr. de Grasse.

Note🔗

Cet arrêt infirme en partie un jugement rendu le 26 novembre 1987.

  • Consulter le PDF