Cour d'appel, 10 juin 1986, Société Établissements B. c/ Société S. M. et Société Importation Exportation Commissions et Société Carpenteria Meccanoca.

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Abstract🔗

Concurrence déloyale

Utilisation des services d'employés dépendant auparavant d'une autre entreprise - Conditions pour qu'il y ait concurrence déloyale non remplies

Résumé🔗

Le fait que les services des ex agents commerciaux d'une entreprise aient pu être utilisés par une autre entreprise prétendument concurrente après la rupture des relations d'affaires existant entre celles-ci, ne pourrait constituer un cas de concurrence déloyale que dans la mesure où il serait prouvé qu'il y ait eu un débauchage consécutif à des agissements dolosifs tendant à désorganiser la première entreprise ou que le contrat de travail concernant ces agents commerciaux ait fait l'objet d'une clause restrictive de liberté d'emploi ou encore que dans la mesure où il serait justifié d'une perte de clientèle provoquée par une concurrence dans la vente des mêmes produits ce qui n'est pas le cas.


Motifs🔗

La Cour,

Considérant qu'il ressort des éléments de la cause la relation suivante des faits et de la procédure :

En juillet 1970 la Société monégasque S.M. ayant pour président administrateur délégué P. B. dont l'objet est la fabrication et la vente de la grenaille de fils métalliques est entrée en relations d'affaires avec l'Entreprise Carpenteria Meccanoca (C.M.) ayant son siège à Modène (Italie) laquelle construit du matériel de fonderie ;

Les deux parties à défaut de convention acceptée par elles (un projet de convention non adopté prévoyait une commission de 10 %, une durée d'une année renouvelable, une rupture à tout moment sous réserve d'un préavis de 90 jours) ont néanmoins noué des liens contractuels (apparaissant de leur correspondance) selon lesquels la C.M. consentait à la S.M. une exclusivité pour la vente de son matériel, sur le territoire français moyennant une commission ; une activité en collaboration d'ailleurs réduite s'en est suivie jusqu'à ce que par lettre du 16 juillet 1973 la firme C.M. avisait la S.M. qu'elle mettait fin aux rapports contractuels en l'informant qu'elle avait l'intention de confier l'exclusivité à une autre société et en l'invitant à lui restituer le matériel en sa possession ;

Par ailleurs par une convention du 1er juillet 1972 la S.M. avait concédé aux Établissements B. un mandat de représentation à titre d'agent commercial exclusif dans le secteur Rhône - Ain - Saône-et-Loire - Haute-Saône - Isère - Savoie - Haute-Savoie - pour y représenter le matériel produit par la C.M. de Modène les Établissements Cavedon Fantin-Baraldi et la grenaille produite par la S.M. ;

Cette convention conclue pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 1973 prévoyait une commission de 10 % sur les matériels et de 5 % pour la grenaille métallique ; un contrat identique était le même jour conclu entre les Établissements B. et la Société Monégasque Importation-Exportation Commissions (S.I.E.M.C.) agent de fabriques de matériels industriels (plus particulièrement italiennes et espagnoles) ayant pour administrateur délégué P. B. ;

En effet la S.M. et la S.I.E.M.C. unies d'intérêts, interféraient leurs activités et disposaient d'un réseau commun d'agents commerciaux ; ces conventions stipulaient qu'à leur expiration laquelle ne pouvait pas intervenir avant le 31 décembre 1973 les Établissements B. s'engageaient à ne pas représenter pendant un an dans les limites du secteur concédé sous quelque forme que ce soit, ou prendre directement ou indirectement un intérêt dans une entreprise pouvant faire concurrence à la Société S.I.E.M.C. ou S.M. ; qu'en cas de manquement à cette obligation les Établissements B. seraient redevables du seul fait de l'infraction constatée d'une indemnité nette et forfaitaire égale au montant des commissions qui auraient été versées et perçues pendant l'année qui aura précédé la résiliation ou l'expiration du contrat ;

Par deux lettres du 27 juin 1973 adressées respectivement à la S.M. et à la S.I.E.M.C. les Établissements B. rompaient les accords, en ces termes - lettre adressée à la S.M. : « Comme suite à nos lettres des 21 février 1973 et 23 mai écoulé, nous regrettons de dénoncer par la présente le contrat du 1er juillet 1972 - comme convenu, nous tenons les prospectus qui nous restent à votre disposition. Le manque de référence, l'absence d'aide (publicité), l'obligation d'acheter du matériel sans être certain de le placer rapidement et surtout le non-respect constant des promesses de livraison, ne nous permettent pas de continuer notre prospection... » ; lettre adressée à la S.I.E.M.C. : « Nous regrettons par la présente de dénoncer le contrat du 1er juillet 1972. En effet, les machines-outils n'intéressent pas spécialement notre branche d'activité et notre prospection ne se révèle pas fructueuse » ;

B. ès-qualité de président administrateur-délégué écrivait aux Établissements B. le 30 juin 1973 : « Comme suite à vos lettres du 27 juin 1973 à mes sociétés S.M. et S.M.I.E.C., chacune d'elles vous donne sous ce pli son accord pour la dénonciation de contrats que vous leur avez donnée. Étant donné que leur documentation générale est commune, et que celles qui vous ont été confiées ne vous sont plus nécessaires, je vous remercie infiniment de me faire retourner . les trois documentations générales qui vous avaient été remises ;

Dans la même période de rupture des conventions susvisées (27 juin 1973 et 15 juillet 1973, la C.M. et les Établissements B. engageaient des relations aboutissant à l'attribution aux Établissements B. de l'exclusivité de la vente des produits C.M. pour la France ;

Le 23 décembre 1975, les sociétés anonymes monégasques S.M. et S.I.E.M.C. représentées par leur Président administrateur-délégué P. B., ont assigné la Société de droit italien Carpenteria Meccanoca (C.M.) ainsi que la S.A. française Établissements J. B. et Cie en leur reprochant une concurrence déloyale aux fins d'obtenir sur cette base, avec exécution provisoire, en réparation de leur préjudice, la condamnation d'une part de la Société C.M. au paiement de la somme de 110 246,76 francs au profit de la S.M. et à celle de 93 105,80 francs au profit de la S.I.E.M.C., d'autre part la condamnation des Établissements J. B. au paiement pour chacune d'elle de la somme de 25 000 francs portée par conclusions du 14 février 1979 à 100 000 francs, enfin la condamnation solidaire de la Société C.M. et des Établissements J. B. au paiement de ces diverses indemnités en raison de leur collusion frauduleuse ;

Par jugement du 10 juillet 1981 statuant à l'égard de toutes les parties par jugement non susceptible d'opposition, tous autres droits de celles-ci demeurant quant au fond réservés, le Tribunal a désigné en qualité d'expert René Bedel avec mission serment préalablement prêté de :

  • déterminer la nature exacte des relations commerciales ayant existé entre :

1° la Société S.M. et la Société Établissements J. B.,

2° la Société S.I.E.M.C. et la Société Établissements J. B.,

3° la Société S.M. et la Société Carpenteria Meccanoca,

4° la Société S.I.E.M.C. et la Société Carpenteria Meccanoca,

5° la Société Carpenteria Meccanoca et la Société Établissements J. B. ;

  • décrire la manière dont ces relations ont pris naissance dans chaque cas,

  • préciser l'étendue des obligations qui en ont découlé pour chacune de ces diverses parties au regard de chacune des autres et, en particulier, dans quelles conditions leurs conventions ont reçu exécution,

  • préciser les circonstances dans lesquelles il a été mis fin aux divers engagements relevés, en recherchant qui a pris, le cas échéant, l'initiative de la rupture et si possible les raisons qui en ont été le motif,

  • procéder à toutes investigations permettant de déterminer si les Sociétés C.M. et J. B. ont accompli au plan commercial des actes préjudiciables aux intérêts d'une part de S.M., d'autre part de S.I.E.M.C.,

  • évaluer tous préjudices ayant pu en résulter pour chacune de celles-ci ;

L'expert a déposé son rapport le 16 mai 1983 ;

Au vu de ce rapport les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ont demandé au Tribunal par conclusions du 24 novembre 1983 de condamner la Société C.M. à leur verser, en raison de travaux coûteux qu'elles auraient fait exécuter au profit de celle-ci, sans obtenir ultérieurement la contrepartie contractuelle qu'elles auraient été en droit d'escompter, la somme de 250 000 francs et par ailleurs, au titre d'un » lucrum cessans « qu'elles auraient éprouvé du fait de cette même Société C.M., la somme de 50 000 francs soit au total 300 000 francs - somme se substituant aux précédentes demandes - ; dans ces mêmes conclusions les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. sollicitaient la condamnation solidaire des Établissements J. B. et Cie en reprochant à celle-ci d'avoir participé avec la Société C.M. à la réalisation de leurs préjudices ;

La Société C.M. n'a pas comparu ;

Les Établissements B. se sont opposés à cette demande par conclusions du 21 décembre 1983 en prétendant ne point s'être livrés à une activité concurrentielle ;

Par jugement du 5 juillet 1984 le Tribunal statuant contradictoirement à l'égard de la Société Établissements J. B. et Cie par jugement non susceptible d'opposition à l'égard de la Société Carpenteria Meccanoca, a homologué le rapport de l'expert René Bedel ; a condamné solidairement la Société Carpenteria Meccanoca et la Société Établissements J. B. et Cie à payer aux Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. la somme de 195 000 francs à titre de dommages-intérêts ; les a condamnés en outre solidairement aux dépens comprenant les frais d'expertise et en a ordonné la distraction au profit de l'avocat-défenseur des Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ;

Les Établissements J. B. et Cie ont par exploit d'huissier du 14 septembre 1984 interjeté appel de cette décision et assigné la Société S.M., la Société S.I.E.M.C. et la Société Carpenteria Meccanoca devant la Cour d'appel aux fins d'infirmation du jugement entrepris, de voir décharger les Établissements J. B. et Cie de toutes les condamnations prononcées à leur encontre, de s'entendre les sociétés requises condamner in solidum aux entiers dépens avec distraction de ceux-ci ;

Par arrêt de défaut profit joint du 30 octobre 1984 la Cour a ordonné la réassignation de la Société C.M. qui n'avait pas comparu ;

Celle-ci a par exploit d'huissier du 14 décembre 1984 interjeté appel, le jugement lui ayant été signifié le 15 novembre 1984 et a assigné les Sociétés S.M., S.I.E.M.C. et B. devant la Cour d'appel ;

Les Établissements B. font valoir à l'appui de leur appel qu'ils avaient des raisons de rompre le contrat du fait de l'insuffisance de l'activité de représentation qu'établissent le rapport de l'expert et l'échange de correspondance entre les parties ; qu'ils n'ont point violé la clause de non-concurrence étant donné qu'ils ne se sont intéressés à la commercialisation de certains matériels produits par la Société Carpenteria Meccanoca qu'au mois d'octobre 1974 ; que le matériel en question ne concurrençait nullement celui fabriqué par les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ; que l'expert n'a pas trouvé aucune trace d'une affaire que les Établissements B. auraient traitée pour le compte de la société italienne dans le délai qui leur était imposé par la clause de non-concurrence ; qu'il est contesté et nullement démontré que les Établissements B. aient fait paraître au mois d'octobre une information dans la revue » Fonderies d'Aujourd'hui « faisant ressortir qu'ils étaient les représentants de la Société C.M., que ce n'est que d'une manière épisodique que N. ancien représentant des Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. soit devenu représentant des Établissements B., qu'il n'a d'ailleurs traité aucune affaire se rapportant à une machine pouvant être concurrentielle à la production de la Société S.M. ; que N. a d'ailleurs été licencié ce qui a donné lieu à un contentieux judiciaire ; que la lettre adressée le 3 octobre 1974 par la Société C.M. à F. H., ex agent des Sociétés S.M. et S.I.E.M.C., correspond à une période où les Établissements B. ont tenté d'avoir une activité pour le compte de la Société C.M. mais uniquement limitée à des gammes de produits qui n'étaient pas concurrentiels ; qu'à l'époque B. n'a nullement fait grief à la société requérante d'exercer une telle activité - ce qu'a relevé l'expert (page 36 de son rapport). Subsidiairement les Établissements B. ont considéré que si par impossibilité une quelconque responsabilité était mise à leur charge l'indemnité devait être limitée ainsi que le prévoit le contrat à une année seulement de commissions ;

Dans des conclusions du 7 janvier 1986 les Établissements B. ont confirmé leurs moyens en rejetant comme infondé l'appel incident formé par les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ; au regard de l'appel interjeté par la C.M., ils s'en sont rapportés sur le mérite de celui-ci en remarquant qu'il n'était point dirigé contre eux ;

Dans son acte d'appel la Société Carpenteria Meccanoca (C.M.) a demandé d'infirmer le jugement entrepris, de débouter les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. de leurs prétentions, de les entendre condamner conjointement et solidairement au paiement de 40 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices moraux et matériels causés par l'action abusive des Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ;

Elle a fait valoir que c'est à bon droit qu'elle a mis un terme à ses liens d'affaires avec les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ; qu'en effet par jugement du Tribunal civil de Modène du 25 mars 1976 ayant acquis l'autorité de la chose jugée la Société S.M. a été condamnée à payer à la C.M. la somme de 6 567 081 lires outre les intérêts - somme représentant le prix de vente de machines, le matériel et le montant de réparations mécaniques réglé au moyen de traites impayées ; qu'ainsi elle avait des motifs de mettre fin à ses relations commerciales avec la S.M. ; qu'il n'a pas été rapporté la preuve d'une relation commerciale entre la C.M. et la Société J. B., comportant une exclusivité au profit de cette dernière ; qu'ainsi la procédure engagée par les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. à son encontre revêt un caractère abusif ;

Les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ont repris dans leurs conclusions du 26 février 1985, les motifs du jugement en observant que la rupture par la Société C.M. de ses relations d'exclusivité avec les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. s'est faite sans préavis et sans raisons antérieures invoquées, que dans le même temps les Établissements J. B. ont résilié leurs accords avec les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. en se voyant confier par la Société C.M. l'exclusivité des productions de celle-ci et se sont alors assurés la collaboration des deux agents de S.M. et S.I.E.M.C. (H. et N.) ; que cette façon d'agir - ainsi que l'a souligné l'expert judiciaire - fait apparaître de la part de la C.M. et des Établissements J. B. un » montage « permettant le transfert de l'exclusivité de la S.M. aux Établissements B. - ce qui est contestable eu égard à une certaine déontologie des relations d'affaires ;

Elles soutiennent que la responsabilité contractuelle des Sociétés C.M. et B. doit être également retenue étant donné que par contrat du 1er juillet 1972 la S.M. a donné mandant aux Établissements B. de la représenter à titre exclusif pour la vente des matériels importés d'Italie dans certains départements de la région lyonnaise ; que ce contrat imposait aux Établissements B., en cas de dénonciation, l'obligation de ne pas concurrencer la S.M. dans le secteur concédé pendant un an ; que les concluantes ont subi la dénonciation brutale du contrat par les Établissements B. dans l'ignorance d'ailleurs des agissements concertés avec la C.M. dont les Établissements B. ont repris la représentation en fraude des droits de la S.M. et en violation des engagements contractuels pris à son égard ; que la S.M. n'a jamais renoncé à la clause de non-concurrence et a subi les actes de concurrence déloyale des Établissements B. qui ont débauché ses agents exclusifs de concert avec la C.M. dans des conditions frauduleuses ;

Elles ont sollicité la confirmation du jugement entrepris et par voie d'appel incident l'élévation du montant des condamnations prononcées à la somme de 220 000 francs avec les intérêts de droit depuis le jour de l'assignation du 23 décembre 1975 et les intérêts capitalisés à compter du 26 juin 1973, date des ruptures unilatérales des conventions, outre 20 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Sur ce :

Considérant qu'il y a lieu en raison de leur étroite connexité de joindre les deux instances d'appel lesquelles concernent le même jugement entrepris ;

Considérant que les Sociétés monégasques S.M. et M.C. ont noué à partir de 1970 des relations d'affaires, suivant lesquelles la C.M. avait confié à la S.M. l'exclusivité de la vente du matériel qu'elle construisait ;

Considérant qu'un projet de convention avait été proposé par la C.M., fixant le montant de la commission à 10 %, la durée du contrat à un an avec faculté de renouvellement et de dénonciation sous réserve d'un préavis de 90 jours ; mais que ce projet n'avait pas été accepté par B. représentant de la S.M. de telle sorte qu'il n'est point établi que la C.M. qui a dénoncé le 16 juillet 1973 les accords verbaux passés, ait eu l'obligation contractuelle de respecter un quelconque délai de préavis ;

Considérant que si la lettre du 16 juillet 1973 ne donne point de raisons à cette rupture, il convient de souligner d'une part que la S.M. n'a nullement exprimé de protestations, d'autre part qu'il ressort des pièces produites qu'à cette époque la S.M. se trouvait débitrice envers la C.M. d'une somme de 6 567 071 lires italiennes représentant la fourniture de machines dont les factures des 2 mai, 5 juin et 18 juillet 1973 demeuraient impayées - ce qui eut pour effet d'entraîner la condamnation de la S.M. au paiement de cette somme par le Tribunal civil de Modène, jugement prononcé le 25 mars 1976 ayant acquis l'autorité de la chose jugée sur le territoire italien - ce qui n'a pas été contesté ; qu'au surplus les affaires traitées par la S.M. dans le cadre de ses relations avec la C.M. furent de faible importance (p. 17 et suivantes du rapport) ; qu'ainsi il apparaît que la C.M. avait de légitimes motifs de rompre ses relations commerciales avec la S.M. et que celle-ci ne pouvait opposer à la C.M. des objections sérieuses ;

Considérant que c'est dans l'ignorance de la condamnation prononcée par le Tribunal de Modène à l'encontre de la S.M., que l'expert a dressé son rapport ce qui rend sans portée son appréciation selon laquelle la rupture des accords a été » brutale « (page 39) appréciation dont les premiers juges ont tenu compte dans leur motivation (» relations... prématurément rompues «) ;

Considérant qu'il s'ensuit qu'en résiliant unilatéralement les accords passés la C.M. n'a commis aucun manquement à ses obligations contractuelles ;

Considérant dans ces conditions que le préjudice qu'a pu subir la S.M. en engageant des frais de prospection (diverses prestations, traductions en français d'une documentation technique en langue italienne et relations avec les agents régionaux), encore que ces frais aient été entrepris aussi bien pour la C.M. que pour d'autres firmes, ces dernières ayant une participation de 80 %, selon l'expert, dans l'activité de représentation des sociétés monégasques (pages 46 et 47 du rapport) ne peut être rattaché à une faute qui soit imputable à la C.M. ;

Considérant par ailleurs que la C.M. était libre de s'adresser à un autre représentant - en l'espèce les Établissements B. ; qu'elle avait d'ailleurs annoncé dans sa lettre du 16 juillet 1973 que son » intention était de confier la charge (d'exclusivité) à une autre société « ;

Considérant que la concordance entre les dénonciations intervenues les 27 juin et 16 juillet 1973 auxquelles la S.M. et la S.I.E.M.C. ne se sont point opposées suivies de nouveaux accords passés entre la C.M. et les Établissements B. selon lesquels ceux-ci devenaient les représentants de la C.M. aux lieu et place de la S.M., ne saurait en soi démontrer l'existence d'une collusion frauduleuse entre la C.M. et les Établissements J. B., laquelle ne peut être présumée ; l'expert s'étant borné à qualifier cette articulation des faits de montage contestable ;

Considérant que le fait que les services des ex agents commerciaux (H. et N.) de la S.M. et de la S.I.E.M.C. (page 40 du rapport) aient pu être utilisés après les ruptures des accords susvisés, par la C.M. ou les Établissements B. ne pourrait constituer un cas de concurrence déloyale que dans la mesure où il serait prouvé qu'il y ait eu un débauchage consécutif à des agissements dolosifs tendant à désorganiser les Entreprises S.M. et S.I.E.M.C. ou que le contrat de travail de l'employé concerné ait fait l'objet d'une clause restrictive de liberté d'emploi et encore que dans la mesure où il serait justifié d'une perte de clientèle provoquée par une concurrence dans la vente des mêmes produits industriels ;

Que ces preuves ne sont point rapportées alors qu'il apparaît des éléments de la cause que la S.M. produit des fils à grenaille tandis que la C.M. fabrique des machines à grenaille, que les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ne fournissent aucun élément et décompte précis (page 49 du rapport) sur leur préjudice allégué, que l'expert lui-même (malgré ses investigations) en dehors du coût des travaux effectués par la S.M. qu'il a évalué à 50 000 francs lequel a été écarté à défaut d'être relié à une faute contractuelle n'a pu déterminer le manque à gagner, et que trois agents seulement sur dix composant le réseau commercial de la S.M. ont travaillé plus ou moins directement pour la C.M. après la rupture des relations C.M.-S.M. (page 40 du rapport) ;

Considérant cependant que les Établissements B. en vertu de l'article 4 de la convention du 1er juillet 1972 s'étaient engagés notamment » à ne pas représenter pendant un an, dans la limite du secteur concédé sous quelque forme que ce soit « ;

Que cette obligation de non-représentation, comme celle de non concurrence également prévue audit article 4, s'imposait pendant une année suivant la date d'expiration du contrat, c'est-à-dire jusqu'au 30 juin 1974, le contrat ayant été résilié le 30 juin 1973 ;

Considérant qu'il résulte des éléments fournis par l'expert (pages 36 et 37 du rapport) que les Établissements B., en dépit de cette clause de non-représentation, ont commencé à exercer une activité de représentation au profit de la C.M. dès le deuxième semestre 1973 ainsi qu'en atteste une lettre du 28 septembre 1973 émanant de N. ancien agent commercial de la S.M. révélant l'intervention des Établissements B. sollicitée par C.M. pour recouvrir une créance de celle-ci et une publication dans la revue » Fonderies d'Aujourd'hui " mentionnant les Établissements B. comme représentants de C.M. ;

Considérant que ces faits suffisent à établir que les Établissements B. n'ont point respecté la clause de non-représentation ; qu'il s'ensuit qu'ils sont redevables en application des conventions les liant à la S.M. et à la S.I.E.M.C. d'une indemnité nette et forfaitaire égale au montant des commissions ayant été versées et perçues pendant l'année précédant l'expiration de la convention (page 30 du rapport) ; que cette indemnité a été déterminée par l'expert à 2 896,00 francs (page 50) ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de débouter les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. de leur action contre la Société C.M. et de condamner les Établissements B. uniquement pour violation de la clause de non-représentation pendant un an, à la somme de 2 896 francs avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 1975, date de la demande en justice en faisant application, en ce qui concerne les intérêts, de l'article 1009 du Code civil à compter seulement du 25 février 1985, date des conclusions contenant la demande d'anatocisme ;

Considérant que les demandes en dommages-intérêts pour procédure abusive respectivement formées par la Société C.M., les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ne sont point fondées ;

Considérant qu'il convient de faire masse des dépens et de les partager dans la proportion de moitié à la charge de chacun des deux perdants ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Déclare recevables les appels principaux interjetés d'une part par les Établissements B., d'autre part par la Société Carpenteria Meccanoca (C.M.) ainsi que l'appel incident interjeté par les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. ;

Ordonne la jonction des deux procédures afférentes à ces actes d'appel ;

Déboute les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. de leur action contre la Société C.M. ;

Condamne les Établissements B. à payer aux Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. une indemnité de 2 896 francs avec intérêts au taux légal à compter du 23 décembre 1975, les intérêts échus des capitaux étant productifs d'intérêts depuis le 26 février 1985 ;

Déboute les Sociétés S.M. et S.I.E.M.C. du surplus de leur demande ;

Déboute le Société C.M. de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. ; MMe Clérissi, Boéri, Lorenzi, av. déf. ; Berger, av. (Barreau de Lyon) ; Rostoker, av. (Cour d'appel de Paris).

Note🔗

Cet arrêt a fait l'objet d'un pourvoi qui a été rejeté par arrêt de la Cour de révision du 8 octobre 1987 (A).

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