Cour d'appel, 22 avril 1986, Cie d'assurances U.A.P. c/ dame B. épouse L. - Assurances Mutuelles Agricoles.

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Abstract🔗

Responsabilité civile

Accident de la circulation - Faute majeure - Faute exclusive de la victime - Articles 1231 § 1 et 1230 du Code civil

Résumé🔗

Le fait pour un piéton de s'engager sur une chaussée sans la moindre attention alors qu'existait une passerelle à proximité qu'il pouvait emprunter pour la traversée d'un boulevard, en toute sécurité, constitue un comportement imprévisible et irrésistible de nature à exonérer la responsabilité du gardien du véhicule qui a renversé la victime alors qu'aucune faute de conduite n'est établie à l'encontre du conducteur.


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel relevé par la Compagnie l'Union des Assurances de Paris - Incendie Accidents, ci-après U.A.P., d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 18 avril 1985 signifié le 21 mai 1985 ;

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et prétentions des parties au jugement déféré ainsi qu'aux conclusions d'appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

Saisi par la Compagnie U.A.P., agissant ès-qualités d'assureur-loi de la S.B.M., employeur de la dame C. victime d'un accident de la circulation - accident du trajet régi par la loi n° 636 du 11 janvier 1958 - survenu le 13 janvier 1981, boulevard du Larvotto à Monte-Carlo, d'une action tendant à voir déclarer la dame B. épouse L. entièrement responsable de cet accident au besoin sur le fondement de l'article 1231 du Code civil, et condamner en conséquence ladite dame L. in solidum avec, d'une part, son mari C. L. propriétaire du véhicule automobile Audi numéro 3740 SV 06 qu'elle pilotait et par lequel ladite dame C. aurait été heurtée et grièvement blessée, d'autre part, la Compagnie Les Assurances Mutuelles Agricoles S.A.M. assureur de ce dernier, à lui payer la somme de 422 011,61 francs montant global des indemnités, frais arrérages et capital constitutif de la rente viagère par elle versés à la victime, outre les intérêts de cette somme au taux légal à compter de l'assignation jusqu'à parfait paiement, le Tribunal, par son jugement susvisé a débouté ladite Compagnie U.A.P. de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ;

Il a, pour en décider ainsi, relevé et estimé que l'accident s'est produit à proximité et en tout cas à moins de 30 mètres de la passerelle enjambant le boulevard du Larvotto et réservé aux piétons désirant traverser la chaussée, et qu'il n'existe pas, au lieu dudit accident, de passage protégé matérialisé sur le sol à l'usage desdits piétons, en sorte qu'en négligeant d'utiliser la passerelle sise aux abords immédiats et en s'engageant sur la chaussée au moment où le véhicule conduit par dame L. arrivait à sa hauteur, la dame C. a commis une faute à l'origine exclusive de l'accident dont s'agit et qui, par son caractère imprévisible et irrésistible, a été de nature à exonérer la conductrice du véhicule de la présomption de responsabilité pesant sur elle ;

Il a par ailleurs considéré qu'aucun élément du dossier ne permettait d'induire une faute de conduite à l'encontre de dame L. à laquelle il ne pouvait, en particulier, être reproché un défaut de maîtrise compte tenu de l'imprévisibilité de l'obstacle qu'a constitué pour elle la présence du piéton sur la chaussée au lieu de l'accident ;

L'U.A.P., aux conclusions de laquelle dame C. déclare s'associer en des écritures du 29 octobre 1985, fait grief au Tribunal d'avoir, en statuant ainsi, méconnu aussi bien les circonstances dans lesquelles l'accident s'est produit que les principes jurisprudentiels applicables en matière de responsabilité du fait des choses ;

Elle soutient, d'une part, que contrairement à ce qui est énoncé dans le jugement entrepris, la passerelle enjambant le boulevard du Larvotto et reliant le côté aval de cette artère non point à son côté amont mais à l'avenue de Grande-Bretagne située en parallèle immédiatement au-dessus, ne constitue pas le seul passage « obligatoire » pour les piétons désireux de traverser ledit boulevard et auxquels aucune disposition légale ou réglementaire non plus qu'aucun panneau de signalisation n'interdit une telle traversée, d'autre part, qu'en admettant que la victime ait adopté un comportement imprudent en s'engageant sur la chaussée sans égard pour la passerelle située à proximité, cette imprudence ne saurait, en contemplation de la jurisprudence constante en la matière, être considérée comme constitutive d'une faute imprévisible et irrésistible de nature à exonérer la dame L. de la présomption de responsabilité pesant sur elle en vertu des dispositions de l'article 1231 du Code civil ;

Elle fait valoir encore qu'eu égard à la configuration des lieux, la dame L. disposait d'une parfaite visibilité et était donc en mesure, en prêtant toute l'attention requise chez un conducteur diligent, d'éviter tout obstacle situé à 200 ou 300 mètres en avant de son véhicule ; qu'en outre rien n'établit que la dame C. se soit soudainement et sans nulle précaution engagée sur la chaussée au moment même où ce véhicule arrivait à sa hauteur ; qu'enfin, la circonstance - qui s'induit des constatations matérielles effectuées par les services de police - d'une collision nécessairement survenue dans la partie médiane de la chaussée compte tenu de l'emplacement de la voiture après l'accident est suffisamment révélatrice de ce que ce dernier s'est produit alors que le piéton se trouvait déjà largement engagé sur la voie ;

Estimant dès lors que les premiers juges ont considéré à tort un tel accident comme absolument inévitable pour l'automobiliste alors que ce dernier pouvait, en restant maître de son véhicule ainsi qu'il en avait l'obligation et la possibilité, surmonter la difficulté nullement imprévisible et en l'espèce discernable suffisamment à temps que constituait la présence d'un piéton sur la chaussée, elle demande à la Cour de réformer leur décision et, statuant à nouveau, de faire entièrement droit aux fins de son exploit introductif d'instance et de condamner les intimés in solidum aux dépens tant de première instance que d'appel ;

Intimés en la cause, dame B. épouse L., le sieur C. L. et la Compagnie Les Assurances Mutuelles Agricoles estiment que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des faits tels que s'induisant, à défaut de témoins de l'accident litigieux, des procès-verbaux de police versés aux débats, et en ont à bon droit déduit, au plan de la responsabilité, la décision dont appel ;

Soutenant que la passerelle sise à proximité du lieu de l'accident constituait le seul passage protégé pour les piétons désireux de traverser en cet endroit le boulevard du Larvotto et que des constatations matérielles effectuées par les services de police s'évince la preuve de l'engagement de la victime sur la chaussée au moment même où le véhicule qu'elle pilotait arrivait à sa hauteur, dame L. considère que se trouve ainsi caractérisé le comportement fautif imprévisible et irrésistible du piéton en l'état duquel elle se trouve exonérée de la présomption de responsabilité pesant sur elle en vertu du principe consacré par une jurisprudence constante à laquelle celle citée par l'appelante ne saurait déroger ;

Objectant de surcroît l'absence de toute faute de sa part dès lors que circulant à allure modérée elle est demeurée parfaitement maîtresse de son véhicule qui n'a d'ailleurs laissé aucune trace de freinage sur la chaussée au lieu de l'accident, elle estime que l'U.A.P. ne saurait davantage être suivie sur le fondement subsidiaire de son action qu'à juste titre et de ce chef les premiers juges ont également rejetée ;

Elle conclut en conséquence, avec ses co-intimés, au déboutement de la Compagnie U.A.P. des fins de son appel et à la confirmation du jugement entrepris ;

Sur ce,

Considérant que l'action engagée par l'U.A.P. étant fondée au principal sur les dispositions de l'article 1231 § 1 du Code civil subsidiairement sur celles de l'article 1230 du même code, il y a lieu d'examiner les prétentions respectives des parties au regard des principes juridiques édictés par ces textes et des faits et circonstances de la cause ;

I. - Sur le fondement de l'article 1231 § 1 du Code civil :

Considérant que l'accident litigieux étant survenu en l'absence de tout témoin, il convient de se référer à l'enquête de police de laquelle il résulte que cet accident s'est produit le 13 janvier 1981 vers 19 h 25 sur le boulevard du Larvotto à hauteur de l'immeuble H. et est résulté d'une collision entre, d'une part, un véhicule Audi n° 3740 SV 06 piloté par la dame L. et circulant en direction de Menton, d'autre part, un piéton - la dame C. - qui venait de s'engager sur ce boulevard exclusif en cet endroit de tout passage protégé à même le sol, mais pour la traversée duquel ce piéton disposait à proximité immédiate d'une passerelle enjambant ladite artère ainsi qu'indiqué au rapport du Brigadier Morra de la Sûreté publique en ces termes : « à noter que la passerelle qui se trouve sur les lieux de l'accident est à l'usage exclusif des piétons. Il n'y a aucun passage pour piétons à proximité » ;

Considérant qu'il ressort en outre des procès-verbaux de police versés aux débats que le choc s'est produit sur la partie aval du boulevard qu'empruntait régulièrement le véhicule litigieux dont la position après le heurt « semblait confirmer une manœuvre d'évitement vers la gauche déclarée par la conductrice », et que, d'après les constatations effectuées, « il semble que dame C. ait été heurtée au premier choc à la jambe gauche par l'extrémité du pare-choc avant à droite » pour basculer ensuite « vraisemblablement sur le capot qui présentait un léger enfoncement sur le bord avant droit » ;

Considérant que ces faits et circonstances démontrent clairement que dame C. a été heurtée non point alors qu'elle se trouvait déjà bien engagée sur la chaussée mais aussitôt après son irruption sur celle-ci au moment même où la voiture pilotée par l'intimée parvenait à sa hauteur ;

Considérant que si, aux termes de la jurisprudence invoquée par l'appelante, est considérée comme prévisible la descente d'un piéton sur la chaussée alors même qu'il néglige d'emprunter un passage réservé, il ne peut en être ainsi que tout autant que ce piéton ait, au préalable circulé sur un trottoir ou à proximité de ladite chaussée et ce bien en vue de l'automobiliste pour lequel l'imprudente incartade de ce piéton n'était pas dès lors à exclure du domaine des probabilités ;

Or, considérant qu'il est acquis aux débats que dame C. qui venait de son domicile sis ., en contrebas du boulevard du Larvotto, pour rejoindre son garage situé au rez-de-chaussée de l'immeuble H. édifié en amont dudit boulevard, ne circulait nullement sur le trottoir aval de cette artère, à la vue de dame L., mais qu'elle a surgi sur ce trottoir et s'est précipitée sur la chaussée sans que cette conductrice ait été en mesure de l'apercevoir préalablement à cette irruption qui apparaît comme ayant eu lieu à l'instant même où son véhicule arrivait à sa hauteur ;

Qu'il s'ensuit que le gardien du véhicule s'est nécessairement trouvé, en l'espèce, dans l'impossibilité absolue d'éviter le dommage sous l'effet du comportement imprévisible et irrésistible de la victime qui selon dame L. s'est engagée sur la chaussée sans la moindre attention, et pouvait d'autant moins ignorer l'existence, à proximité du lieu de l'accident, de la passerelle destinée à assurer aux piétons une traversée du boulevard en toute sécurité qu'elle est domiciliée non loin de ce lieu et que son garage se trouve dans les abords immédiats ;

Considérant dès lors qu'eu égard à la faute par eux réputée à l'origine exclusive de l'accident litigieux et ayant revêtu pour la dame L. un caractère imprévisible et insurmontable, les premiers juges ont à bon droit estimé que cette dernière, ès-qualité de gardien de la chose, se trouvait exonérée de la présomption de responsabilité sur le fondement de laquelle elle était au principal recherchée ;

II. - Sur le fondement de l'article 1230 du Code civil :

Considérant qu'en l'état des éléments du dossier desquels il ressort que dame L. n'a vu surgir le piéton à l'avant droit de son véhicule qu'au tout dernier moment dans les conditions ci-avant énoncées ; qu'il ne peut donc être reproché à cette conductrice ni un manque d'attention ni un défaut de maîtrise ayant pu contribuer à la réalisation de l'accident dont les premiers juges ont pertinemment attribué la cause exclusive à l'obstacle imprévisible formé par le piéton sur la chaussée, étant observé que l'absence sur celle-ci de traces de freinage et la tentative d'évitement sur la gauche effectuée par ladite conductrice sont de surcroît révélatrices de l'allure modérée à laquelle cette dernière circulait ;

Considérant, dès lors, que l'U.A.P., qui ne saurait être davantage suivie sur le fondement de l'article 1230 du Code civil, doit être déboutée des fins de son appel ;

Qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris et de condamner l'appelante aux dépens ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Accueille en la forme la Compagnie L'Union des Assurances de Paris - Incendie Accidents S.A. (U.A.P.) en son appel ;

L'y déclarant mal fondée, l'en déboute ;

Confirme le jugement entrepris du 18 avril 1985 ;

Condamne ladite Compagnie U.A.P. à l'indemnité prévue par la loi et aux dépens, distraits au profit de Maître Philippe Sanita, avocat-défenseur, sur son affirmation qu'il en a avancé la plus grande partie ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Clérissi, Sanita et Boéri, av. déf.

Note🔗

Cet arrêt confirme le jugement du Tribunal de première instance du 18 avril 1985.

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