Cour d'appel, 15 avril 1986, I. B. c/ S. C.

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Abstract🔗

Séparation de corps

Procédure civile - Exception d'incompétence - Séparation de corps

Résumé🔗

L'exception d'incompétence soulevée, lors d'une instance en séparation par la partie défenderesse de nationalité étrangère invoquant le défaut de domicile à Monaco et l'existence de celui-ci dans un Etat étranger est irrecevable dès lors que ce déclinatoire est intervenu après conclusions au fond contrairement aux dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile.

Appel incident.

Si l'intimé a le droit de relever appel incident sur les chefs pour lesquels il a succombé, un tel recours ne saurait être accueilli sur un chef de jugement entrepris ayant donné lieu à une décision entièrement conforme à sa demande (demande en appel d'une majoration du montant de la pension alimentaire accordée conformément à la demande).


Motifs🔗

La Cour,

Statuant sur l'appel relevé par I. B. d'un jugement du Tribunal de première instance en date du 30 mai 1985 ;

Référence étant faite pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties au jugement déféré et aux conclusions d'appel, il suffit de rappeler les éléments ci-après énoncés :

Saisi par S. C. d'une action en séparation de corps dirigée contre son mari I. B., de nationalité française, qui avait excipé de l'incompétence de la juridiction monégasque, motif pris de sa qualité de défendeur non domicilié à Monaco mais à Casablanca (Maroc) et s'était subsidiairement porté demandeur reconventionnel aux mêmes fins, le Tribunal, par son jugement susvisé et observation faite de l'irrespect par ce dernier des dispositions des articles 4 et 262 du Code de procédure civile résultant de l'invocation de moyens de défense au fond antérieurement à son exception d'incompétence, rejetait cette exception et statuant au fond, prononçait la séparation de corps entre les époux C.-B., aux torts exclusifs du mari avec toutes conséquences de droit, fixait au 29 février 1984 les effets de la résidence séparée des époux, condamnait B. à payer à son épouse une pension alimentaire mensuelle de 3 000 francs d'avance et au domicile de celle-ci, indexait cette pension sur l'indice national des prix de détail publié par l'INSEE, et pour la première fois, le 1er janvier 1986, le cours de l'indice afférent au mois dudit jugement étant pris pour base de la révision, ordonnait la liquidation des intérêts pécuniaires des époux, commettait Maître J.-Ch. Rey, notaire à Monaco, pour y procéder et condamnait B. aux dépens ;

Faisant grief au Tribunal d'avoir, en statuant ainsi, indûment méconnu les dispositions de l'article 263 du Code de procédure civile par lui invoquées ensemble avec celles des articles 4 et 262 du même Code au soutien de son exception d'incompétence, B. fait plaider derechef que le Tribunal de Monaco était « incompétent en raison de la matière » pour statuer sur l'action en séparation de corps - donc concernant l'état des personnes - formée contre lui dès lors qu'une stricte interprétation des textes précités conduit bien à « l'état d'un étranger » et que l'expression « en tout état de cause » qui figure dans le libellé de l'article 263 du Code de procédure civile signifie que l'exception peut être soulevée à n'importe quel stade de la procédure nonobstant les conditions édictées par l'article 262 ;

Il conclut en conséquence à la réformation de la décision entreprise à laquelle il reproche en outre d'avoir joint l'incident au fond et statué sur le tout alors qu'en vertu des normes généralement admises le Tribunal aurait dû, selon lui, surseoir à statuer sur le fond et se prononcer dans un premier temps sur la question d'état et l'exception d'incompétence ;

Il soutient, subsidiairement, sur le fond, que dame C. n'a pas régulièrement rapporté, au moyen des attestations par elle produites aux débats, la preuve du bien-fondé de la demande principale, alors qu'il a lui-même justifié de la réalité des faits invoqués à l'appui de sa demande reconventionnelle, en sorte que c'est à tort que les premiers juges ont prononcé la séparation de corps à ses torts exclusifs après avoir méconnu les six attestations qu'il a, de son côté, versées au dossier et qui témoignent de sa parfaite moralité comme aussi du caractère difficile de son épouse, laquelle n'a nullement été chassée du domicile conjugal mais l'a délibérément abandonné à l'effet de reprendre sa liberté par le biais d'une séparation de corps minutieusement orchestrée ;

Il demande en conséquence à la Cour, par réformation du jugement déféré, de prononcer la séparation de corps aux torts et griefs exclusifs de dame C., avec toutes conséquences de droit et de condamner celle-ci aux dépens tant de première instance que d'appel ;

Rappelant que B. s'était lui-même, dans ses écritures judiciaires des 27 juin et 8 novembre 1984, domicilié à Monaco, 6 Lacets Saint-Léon et n'avait nullement soulevé l'incompétence du Tribunal de première instance lors de l'instance sur les mesures provisoires, dame C., intimée, estime qu'après avoir logiquement déduit du dépôt par ledit B. de conclusions au fond antérieurement à son déclinatoire de compétence que ce dernier s'était par là-même interdit d'exciper ultérieurement de l'incompétence de la juridiction saisie, les premiers juges ont à bon droit rejeté l'exception litigieuse pour n'avoir pas été soulevée conformément aux articles 4 et 262 du Code de procédure civile et ce, sans qu'il y ait lieu à référence à l'article 263 du même Code en raison de son inapplicabilité en l'espèce ;

Elle soutient que ce texte ne concerne nullement l'exception d'incompétence ratione loci sur laquelle B. a entendu se fonder en prétendant être domicilié au Maroc et que, dès lors que l'article 4 du Code de procédure civile autorisant expressément l'étranger à décliner la compétence des juridictions monégasques renvoie uniquement à l'article 262 du même Code, l'appelant est mal fondé à invoquer en pareille hypothèse les dispositions de l'article 263 et par là-même à poursuivre de ce chef la réformation du jugement entrepris dont elle sollicite, quant à elle, la confirmation ;

Elle fait valoir, sur le fond, que les premiers juges ont exactement apprécié le comportement de B. à son endroit et en ont tiré les conséquences qui s'imposaient en prononçant la séparation de corps aux torts exclusifs de ce dernier dont les prétentions reconventionnelles sont d'autant moins justifiées que les attestations par lui produites tant en première instance qu'en cause d'appel n'établissent en aucune façon qu'elle aurait, comme il le soutient, abandonné le domicile conjugal d'où elle a été en réalité sommée de partir ainsi que justement relevé par la décision déférée ;

Concluant en conséquence à la confirmation également de ce chef de cette décision, elle demande en revanche à la Cour, par voie d'appel incident, de la réformer en portant à 5 000 francs le montant de la pension alimentaire mise à la charge de B. et en condamnant de surcroît ce dernier à lui payer outre un arriéré de 21 000 francs la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Sans contester devoir la somme de 21 000 francs pour les causes susvisées, B. s'oppose à ces prétentions le fait que ses ressources se bornent à une pension de retraite annuelle de 80 000 francs sur laquelle un prélèvement mensuel de 5 000 francs soit 60 000 francs par an le mettrait dans l'impossibilité de subvenir à ses besoins ;

Il demande, partant, à la Cour de rejeter la réclamation de dame C. tant de ce chef que du chef des dommages-intérêts dont elle sollicite indûment l'allocation et de lui adjuger le bénéfice de ses conclusions antérieures ;

Sur ce,

I. - Sur l'exception d'incompétence,

Considérant que sans doute l'instance en séparation de corps introduite par dame C. contre son mari, de nationalité française, constitue bien une action relative à l'état d'un étranger et, à ce titre, aurait échappé à la compétence du Tribunal de première instance de Monaco si, au vœu de l'article 4 du Code de procédure civile, cet étranger (B.) avait décliné sa compétence conformément à l'article 262 de ce code et justifié avoir conservé dans son pays un domicile de droit et de fait devant les juges duquel la demande aurait pu être utilement portée ;

Or, considérant que si tant est que B. ait conservé à Casablanca (Maroc) un domicile au sens de l'article 4 précité du Code de procédure civile, en contradiction au demeurant avec ses propres écritures judiciaires des 27 juin et 8 novembre 1984 dans lesquelles il se domiciliait à Monaco, il demeure qu'à l'effet de décliner la compétence des premiers juges il ne s'est pas conformé aux prescriptions de l'article 262 dudit Code en vertu desquelles un tel déclinatoire doit intervenir préalablement à toute exception et, a fortiori, à toutes conclusions sur le fond ;

Qu'il est constant en l'espèce qu'antérieurement au dépôt de conclusions tendant à voir décliner la compétence du Tribunal de première instance de Monaco et par écritures judiciaires du 27 juin 1984, B. avait déjà opposé à l'action de son épouse des moyens de fond, s'interdisant par là-même, ainsi que les premiers juges l'ont justement relevé, d'exciper ultérieurement de l'incompétence de cette juridiction devant laquelle il allait former à son tour, par voie reconventionnelle, une demande en séparation de corps ;

Considérant que, de la distinction opérée par le législateur entre l'incompétence conditionnelle des tribunaux monégasques à raison de la nature de certaines actions (actions relatives à l'état d'un étranger) car subordonnée notamment à un déclinatoire formulé in limine litis d'une part, et leur incompétence inconditionnelle à raison de la matière du litige susceptible d'être soulevée à n'importe quel stade de la procédure et devant même être soulevée d'office d'autre part, s'infère la vanité des prétentions de l'appelant de pallier la tardiveté et partant l'irrecevabilité de son exception d'incompétence au regard des dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile par l'invocation de l'article 263 au motif que le terme « matière » figurant dans ce texte correspondrait aux « actions relatives à l'état d'un étranger » visées à l'article 4 du même code ;

Qu'il doit être en effet considéré que si l'incompétence à raison de la matière (incompétence ratione materiae) revêt un caractère d'ordre public interdisant à la juridiction saisie d'une action d'en connaître alors même qu'elle n'aurait pas été déclinée conformément aux dispositions de l'article 262 du Code de procédure civile, le terme « matière » signifie ce qui relève ou ne relève pas du domaine d'attribution lequel, s'agissant du Tribunal de première instance, embrasse tous les litiges de nature civile, commerciale et, sauf exception, administrative ;

Considérant dès lors que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'exception d'incompétence soulevée par B. et ont statué au fond ;

II. - Sur le fond,

Considérant que les attestations produites aux débats par B. à l'effet de contester la réalité des griefs retenus à son encontre par le Tribunal au soutien de sa décision d'une part, et de justifier le bien-fondé de sa demande reconventionnelle d'autre part, s'analysent en de simples témoignages de moralité émanant de personnes avec lesquelles l'appelant entretenait des relations d'affaires ou mondaines ;

Que ces témoignages, dont celui du propre fils de B. qui ne peut être retenu, ne sauraient faire échec à la force probante des éléments de conviction concordants et circonstanciés résultant de l'ensemble des attestations - à l'exception de celle émanant de la fille de dame C. qui ne peut être retenue - produites par cette dernière à l'appui de sa demande en séparation de corps et qui sont suffisamment révélatrices du comportement violent, méprisant et agressif dudit B. à son endroit, et notamment de sa tendance à l'insulter publiquement et à lui faire part sans ménagement de son souhait de la voir quitter le domicile conjugal ;

Qu'une telle attitude étant constitutive d'un manquement grave et réitéré aux devoirs et obligations découlant du mariage, c'est à bon droit que les premiers juges, après avoir de surcroît relevé le comportement compréhensif et patient de dame C. à l'égard de son époux et sa belle-mère, ont fait droit à la demande principale de l'épouse en séparation de corps et rejeté comme infondée la demande reconventionnelle du mari aux mêmes fins ;

Que leur décision doit donc être confirmée ;

III. - Sur la pension alimentaire et les dommages-intérêts,

Considérant qu'il convient d'observer qu'en condamnant B. à payer une pension alimentaire mensuelle de 3 000 francs indexée à son épouse, le Tribunal a fait droit à la réclamation de celle-ci ;

Or considérant que si l'intimé a le droit de relever appel incident en tout état de cause sur les points à propos desquels il a succombé, il ne saurait être accueilli en un tel recours sur un chef du jugement entrepris ayant donné lieu à une décision entièrement conforme à sa demande ;

Qu'il s'ensuit que dame C. doit être déboutée des fins de son appel incident tendant à voir réformer le jugement déféré du chef de la pension alimentaire et porter celle-ci à la somme mensuelle de 5 000 francs ;

Considérant que dame C. n'apparaît pas davantage fondée à réclamer une somme de 100 000 francs pour procédure abusive à son époux dès lors que ce dernier, défendeur à l'action, n'a lui-même demandé le prononcé de la séparation de corps à son profit que par voie reconventionnelle et fait valoir au soutien de son exception d'incompétence tels moyens de droit qu'il estimait pouvoir être opposés en l'état des textes applicables en la matière ;

Qu'elle doit être en conséquence également déboutée de ce chef des fins de ses conclusions ;

Considérant que B. qui ne conteste pas devoir à son épouse un solde de pension alimentaire non réglée à son échéance et dont il déclare tenir le montant à la disposition de dame C., doit être condamné à payer à celle-ci, à ce titre, la somme de 21 000 francs avec intérêts au taux légal, représentant un arriéré de ladite pension du 1er janvier 1985 au 30 mai 1985 et du 1er septembre 1985 au 31 octobre 1985 ;

Considérant que les dépens suivent la succombance ;

Dispositif🔗

PAR CES MOTIFS,

Et ceux non contraires des premiers juges,

La Cour d'appel de la Principauté de Monaco,

Accueille B. I. en son appel principal et dame C. S. en son appel incident ;

Les y déclarant mal fondés, confirme le jugement entrepris du 30 mai 1985 ;

Déboute dame C. de ses demandes en élévation de la pension alimentaire et en dommages-intérêts ;

Condamne B. à payer à son épouse la somme de 21 000 francs avec intérêts au taux légal à compter des échéances, au titre des arriérés de pension visés aux motifs ;

Composition🔗

MM. Vialatte, prem. prés. ; Truchi, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boisson et Karc-zag-Mencarelli, av. déf.

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